Créée par le Traité de Maastricht, la Banque Centrale Européenne (BCE) est au centre de nombreuses controverses. Elle est combattue par les souverainistes qui lui reproche de déposséder les Etats de la politique monétaire, ainsi que par les eurosceptiques de gauche qui lui reproche de ne pas prendre en compte l'objectif de croissance dans ses décisions. Historiquement, la BCE est la garante de la stabilité de la monnaie unique européenne. Le traité de Maastricht lui a assigné comme objectif que l'inflation ne dépasse pas les 2 % dans la zone euro. C'était avant tout la volonté des Allemands, qui voyaient dans le mark fort le principal élément qui permit la croissance économique allemande après guerre. Ils étaient encore traumatisés par l'écroulement de leur monnaie entre deux guerres, et les taux d'inflations déments qui l'accompagnèrent. Après avoir conservé dans la douleur un mark fort après la réunification, ils ne souhaitaient donc pas abandonner cette caractéristique de leur politique monétaire une fois passés à l'euro.

Du reste, l'indépendance des banques centrales et le seul objectif de lutte contre l'inflation formaient déjà une doctrine bien établie dès les années 80, formulée par Milton Friedman et les monétaristes. Si une telle politique monétaire pouvait être utile lorsque les politiques keynésiennes n'étaient plus efficaces, il est dangereux de ne prendre en compte qu'une seule possibilité, qu'une seule doctrine à suivre. Le succès de la politique monétaire de la Fed aux Etats-Unis reposait sur la sagesse d'Alan Greenspan, qui adaptait le niveau de rigueur aux circonstances. En cas de crise économique, il prenait l'initiative de lui-même de baisser les taux d'intérêts afin de faciliter une reprise s'il le trouvait justifié. C'est donc en maintenant une politique ciselée et équilibrée que l'Amérique a réussi à avoir une croissance forte sans souffrir de l'inflation. Malheureusement, le monétarisme est la seule référence des dirigeants de la BCE, qui considèrent de façon très naïve que le meilleur chemin vers la croissance est l'absence d'inflation. C'est parfois vrai, mais ce raisonnement poussé à l'extrême entraîne une lutte sans merci contre l'inflation, sans jamais se soucier de la croissance.

Ainsi, la BCE est devenue une réunion d'hommes qui se convainquent les uns les autres que leur politique est adéquate sans jamais se remettre en question, et sans prendre en compte les véritables nécessités de l'économie, qui est plus en contraste. La BCE défend jalousement son indépendance, donnant parfois l'impression de faire l'exact contraire de ce que les voix politiques demandent, uniquement pour faire comprendre que leurs décisions ne relèvent pas d'influences extérieures. Si les banquiers centraux européens se complaisent dans cet état de fait et dans l'autosatisfaction, l'économie européenne souffre d'une politique monétaire inadaptée. Actuellement, un euro trop fort (au-dessus de 1,20 $) rend difficile la préservation de la faible croissance qu'il nous est donné. Mais la BCE ne souhaite que d'augmenter les taux d'intérêts, voyant partout des risques d'inflations disproportionnés qu'elle combat toujours avec les armes les plus lourdes. Les ayatollahs de la lutte contre l'inflation à tous prix ne se soucient guère des dommages collatéraux de leur guerre personnelle.

Le problème n'est pas tant l'indépendance de la BCE que l'esprit qui y règne. Jean-Claude Trichet est sur la même ligne absurde que son prédécesseur Wim Duisenberg, celle de l'application aveugle du monétarisme, en lieu et place d'un sain pragmatisme. Peut-être faudrait il modifier les traités qui laissent possible une interprétation aussi monétariste du rôle de la BCE, mais le pouvoir politique peut déjà commencer à modifier les choses en nommant des responsables plus mesurés à la tête des banques centrales des pays membres de la zone euro. En attendant, une politique monétaire aussi rigoriste et inflexible force les gouvernements à se servir du levier budgétaire en contrepartie, ce qui explique en partie que les déficits publics de certains pays respectent tout juste les critères de Maastricht. Dès lors, la Commission Européenne devrait moins s'en étonner. Et la BCE encore moins s'énerver contre cette nécessité. Et si les gouvernements européens ne sont pas capables de faire ce qu'il faut pour faire de la BCE un endroit plus raisonnable, peut être le parlement européen, qui a un droit de regard sur l'action de la BCE, peut-il se pencher de façon plus attentive sur la question, avec l'objectif de changer les choses.