L'académicien Jean d'Ormesson a déjà raconté comment son collègue du Figaro, Raymond Aron, l'avait chargé de sonder les autres académiciens à propos de son éventuelle candidature. Le résultat fut mitigé : entre ceux, très conservateurs, qui s'étaient compromis pendant la guerre et qui étaient encore plusieurs à demeurer parmi les immortels, et les gaullistes, de plus en plus nombreux, il ne pouvait être assuré que cette candidature fut victorieuse. Ne voulant pas prendre le risque d'un échec, et ne souhaitant pas mener l'affrontement, Raymon Aron renonça à entre à l'Académie française, considérant certainement que cela ne lui était pas forcément nécessaire. Mais si ne pas porter l'habit vert n'est pas un grand préjudice au prestige de Raymond Aron, son absence en est bien un pour l'Académie, dans la mesure où cet esprit brillant y avait toute sa place.

Il a tout au long de sa vie développé une riche vision politique qui le classait au rang des libéraux, et ce d'une manière toujours argumentée et consciente. Son parcours lui fit exercer deux métiers : celui de journaliste/éditorialiste, un peu par hasard et celui d'universitaire éclectique, étant compétent à la fois en pensée marxiste, en économie, en philosophie, en géopolitique et en sociologie. C'est surtout son rôle de principal intellectuel de droite qui reste aujourd'hui dans les mémoires. Par ses nombreux livres et ses interventions publiques, il développa une pensée audacieuse fondée sur le respect des libertés et l'efficacité économique à une époque où les intellectuels les plus célèbres ne se différenciaient que par leur chapelle du marxisme. Son amitié puis son opposition envers Jean-Paul Sartre reste d'ailleurs l'une des traces qu'il a laissées.

Bien peu gaulliste en fin de compte, son influence politique aura rarement été directe. En tant que penseur libéral, il soutenait la construction européenne, une relation apaisée avec les Etats-Unis mais aussi une certaine realpolitik en matière de politique étrangère, qu'il partageait avec Henry Kissinger qu'il connaissait bien. Et s'il avait soutenu la candidature de Valéry Giscard d'Estaing à l'Elysée, il n'a jamais joué pour quiconque le rôle que tint Henry Kissinger pour Richard Nixon.

D'une manière générale, s'il maniait les idées, il n'en était pas pour autant un idéologue, rejetant les idéologies qui pensent à la place de chacun. Et à ce titre, sa volonté de considérer le réel plutôt que de s'en remettre aux utopies lui donna la réputation d'un pessimiste, incapable de croire à une société fondamentalement meilleure. Il avait pourtant foi en la Raison, seule vocation universelle pouvant unir les hommes. Il se désolait juste qu'elle ne soit pas davantage utilisée, alors qu'elle est présente dans chaque homme. Certes, il avait une forte estime de soi, mais elle était méritée. Et son travail doit être conservé précieusement de nos jours, être lu et relu, car il y a suffisamment de matière pour en faire la base de la pensée actuelle de la droite.