Au cours de l'Histoire, la notion d'empire a souvent été au centre des constructions politiques en Europe. Aujourd'hui, le terme même semble oppressant, mais autrefois, il semblait amener une certaine nostalgie et une certaine aspiration. A chaque fois qu'un empire a été fondé en Europe, l'idée était de ramener un âge d'or perdu, et ainsi, chaque empire a d'abord été une tentative de ressusciter un empire disparu. En France, le Second Empire a permis à Louis-Napoléon Bonaparte de s'inscrire dans la tracée de son oncle Napoléon Bonaparte qui s'était fait couronner empereur en 1804. En Allemagne, le Second Empire allemand s'est construit à la suite de celui français en 1871, alors que le premier, le Saint Empire romain germanique, avait été dissout par Napoléon en 1806. Les empires français et allemands ne pouvaient donc cohabiter, mais ils ont pourtant la même origine : celui de Charlemagne.

En fondant un empire dominant une grande partie de l'Europe continentale, Napoléon mettait ses pas dans ceux de Charlemagne, un souverain dont la puissance et les conquêtes militaires ont fait rêver bien des monarques. Et le Saint Empire romain germanique était l'héritier direct de l'empire de Charlemagne, même si le titre s'était un peu perdu avant l'avènement d'Otton Ier et que cela ne concernait qu'une partie du territoire carolingien. De nos jours, Charlemagne est considéré comme une glorieuse figure française par les Français, et une glorieuse figure allemande pour les Allemands, un exploit en soi. Mais lorsque Charlemagne prend le titre d'empereur, celui-ci est bien connu. Non seulement les souvenirs de l'Empire romain ne sont pas si anciens, 300 ans après sa chute, mais le terme d'empire continue à désigner l'Empire byzantin, aussi appelé Empire romain d'orient. Avec la chute de l'Empire romain d'occident, l'Empire byzantin avait repris à la fois la "marque" et la prétention à dominer temporellement la chrétienté. Mais aux temps de Charlemagne, l'influence de l'Empire byzantin commence à moins se faire ressentir sur l'Europe occidentale, et les liens entre celui-ci et les rois francs se distendent. Voilà comment le pape en arrive à choisir Charlemagne comme protecteur, et légitime le titre d'empereur.

En orient comme en occident, la source de ces deux empires est bien sûr l'Empire romain fondé par Auguste, sur les conquêtes opérées par Jules César. Si ce dernier n'a jamais été empereur, il a toute même permis l'Empire qui suivra, et son souvenir hantera la postérité. Avant même d'offrir un cadre aux territoires chrétiens, l'Empire romain était synonyme de la paix romaine, et en dehors il ne semblait régner que la barbarie. Alors Jules César rêvait probablement de devenir Alexandre le Grand, qui conquit tellement de territoires. Mais ces conquêtes fut peu durables, le morcellement reprenant peu après la disparition du conquérant. A l'inverse, l'Empire romain renvoit une image d'apogée intellectuelle, de paix et de prospérité durable. Voilà ce que cherchaient Charlemagne, Napoléon et tous les autres empereurs qui ont suivi. Le mot empereur a même été tiré du nom César pour ses retranscriptions en allemand et en russe, donnant respectivement kaïser et tsar.

En opposition directe au concept d'Etat-nation, l'empire, à travers sa vocation universelle, est un concept qui a traversé l'Europe tout au long de son histoire. Aujourd'hui, plus personne ne rêve d'être empereur, mais la construction européenne reprend un peu le rêve d'empire qui a tant occupé les esprits. Ce serait alors un empire démocratique et où les peuples garderaient leur autonomie, mais un empire qui permettrait quand même de rassembler pour la paix et la prospérité.