Réflexions en cours

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mercredi 2 janvier 2013

Rêves d'empire

Au cours de l'Histoire, la notion d'empire a souvent été au centre des constructions politiques en Europe. Aujourd'hui, le terme même semble oppressant, mais autrefois, il semblait amener une certaine nostalgie et une certaine aspiration. A chaque fois qu'un empire a été fondé en Europe, l'idée était de ramener un âge d'or perdu, et ainsi, chaque empire a d'abord été une tentative de ressusciter un empire disparu. En France, le Second Empire a permis à Louis-Napoléon Bonaparte de s'inscrire dans la tracée de son oncle Napoléon Bonaparte qui s'était fait couronner empereur en 1804. En Allemagne, le Second Empire allemand s'est construit à la suite de celui français en 1871, alors que le premier, le Saint Empire romain germanique, avait été dissout par Napoléon en 1806. Les empires français et allemands ne pouvaient donc cohabiter, mais ils ont pourtant la même origine : celui de Charlemagne.

En fondant un empire dominant une grande partie de l'Europe continentale, Napoléon mettait ses pas dans ceux de Charlemagne, un souverain dont la puissance et les conquêtes militaires ont fait rêver bien des monarques. Et le Saint Empire romain germanique était l'héritier direct de l'empire de Charlemagne, même si le titre s'était un peu perdu avant l'avènement d'Otton Ier et que cela ne concernait qu'une partie du territoire carolingien. De nos jours, Charlemagne est considéré comme une glorieuse figure française par les Français, et une glorieuse figure allemande pour les Allemands, un exploit en soi. Mais lorsque Charlemagne prend le titre d'empereur, celui-ci est bien connu. Non seulement les souvenirs de l'Empire romain ne sont pas si anciens, 300 ans après sa chute, mais le terme d'empire continue à désigner l'Empire byzantin, aussi appelé Empire romain d'orient. Avec la chute de l'Empire romain d'occident, l'Empire byzantin avait repris à la fois la "marque" et la prétention à dominer temporellement la chrétienté. Mais aux temps de Charlemagne, l'influence de l'Empire byzantin commence à moins se faire ressentir sur l'Europe occidentale, et les liens entre celui-ci et les rois francs se distendent. Voilà comment le pape en arrive à choisir Charlemagne comme protecteur, et légitime le titre d'empereur.

En orient comme en occident, la source de ces deux empires est bien sûr l'Empire romain fondé par Auguste, sur les conquêtes opérées par Jules César. Si ce dernier n'a jamais été empereur, il a toute même permis l'Empire qui suivra, et son souvenir hantera la postérité. Avant même d'offrir un cadre aux territoires chrétiens, l'Empire romain était synonyme de la paix romaine, et en dehors il ne semblait régner que la barbarie. Alors Jules César rêvait probablement de devenir Alexandre le Grand, qui conquit tellement de territoires. Mais ces conquêtes fut peu durables, le morcellement reprenant peu après la disparition du conquérant. A l'inverse, l'Empire romain renvoit une image d'apogée intellectuelle, de paix et de prospérité durable. Voilà ce que cherchaient Charlemagne, Napoléon et tous les autres empereurs qui ont suivi. Le mot empereur a même été tiré du nom César pour ses retranscriptions en allemand et en russe, donnant respectivement kaïser et tsar.

En opposition directe au concept d'Etat-nation, l'empire, à travers sa vocation universelle, est un concept qui a traversé l'Europe tout au long de son histoire. Aujourd'hui, plus personne ne rêve d'être empereur, mais la construction européenne reprend un peu le rêve d'empire qui a tant occupé les esprits. Ce serait alors un empire démocratique et où les peuples garderaient leur autonomie, mais un empire qui permettrait quand même de rassembler pour la paix et la prospérité.

dimanche 16 décembre 2012

L'alternance des siècles de l'Eglise catholique

A travers le débat sur le mariage homosexuel, l'Eglise catholique française fait entendre sa voix, et c'était devenu assez rare. Sa prise de position a été accueillie avec mépris par la gauche, qui a pour l'occasion retrouvé les anciens réflexes laïcards, traitant la religion comme si elle était l'ennemie de la liberté. Il faut dire que ces dernières décennies ont été bien peu propices à l'Eglise catholique, et la progression des cultures soixante-huitardes s'est accompagnée d'une montée d'un athéisme parfois bien intolérant. Mais si l'on observe les choses sur des périodes plus longues, on se rend compte que cette perte d'influence du catholicisme n'a rien d'inéluctable, ce serait même cyclique. Des cycles certes très longs, puisque de deux siècles, mais remontant à bien loin.

Bien sûr, ces siècles ne collent pas parfaitement aux siècles comptés, ce sont des centaines d'années qui commencent et finissent un peu après la première année d'un nouveau siècle (comme 1901). Mais ces mouvements sont assez spectaculaire. Pour commencer, dans le cadre d'un conflit entre le roi de France et le pape pour savoir qui avait la primauté sur les biens de l'Eglise de France, Philippe le Bel entend montrer qu'il est le seul maître en son royaume, et ses envoyés giflent le pape Boniface VIII dans son palais. Ce n'est plus le temps du très pieux roi Saint Louis, avec la montée de l'Etat français de Philippe le Bel, c'est aussi le temps de la mise sous contrôle de la religion. Le XIVème siècle verra son influence grandement diminuer : l'ordre des Templiers est d'abord détruit, puis, après plusieurs années sans pape, le Français Jean XXII est finalement élu, et installe la papauté à Avignon, sous l'égide de la France. Le retour de la papauté à Rome sera même le motif du Grand Schisme d'Occident durant quarante ans à partir de 1378. Divisée, l'Eglise est forcément moins forte.

Evidemment, la fin du Schisme signe le retour en force de l'Eglise catholique lors du XVème siècle. Maître des Etats papaux, le pape est partie prenante lors des guerres d'Italie, et chaque faction intrigue pour placer le candidat de son choix sur le trône pontifical... quitte à être déçu après. Cette puissance amène même des abus, comme on le voit avec le népotisme éhonté pratiqué par les principales familles de l'époque, telle que les Borgia. Le pape Jules II finit même par faire la guerre directement pour régler ses comptes.

La position morale de l'Eglise finit par s'effondrer, et au début du XVIème siècle, le protestantisme apparaît comme un symptôme de révolte des fidèles contre une institution devenue trop corrompue. L'Empereur catholique Charles Quint ne peut empêcher que des pans importants de l'Allemagne quittent le catholicisme, Rome est mise à sac en 1527, et les tensions religieuses se transforment en de vraies guerres de religion, notamment en France. Au final, l'Europe occidentale est divisée, et elle n'est plus qu'en partie catholique.

A contrario, le XVIIème siècle est bien plus favorable au catholicisme. La Contre Réforme produit ses effets, et solidifie la religion des territoires restés catholiques. L'ordre des jésuites est à la manœuvre et son influence est redoutable dans les plus hautes sphères de la société. Au siècle de Bossuet, la religion regagne du terrain, et même Louis XIV en respectera davantage les enseignements sur la fin de son règne, influencé en cela par la très dévote Mme de Maintenon.

Les siècles se suivent et ne se ressemblent pas, puisque le XVIIIème siècle, le siècle des Lumières, fait la part belle au libertinage, mais aussi et surtout à l'implacable raison. Si Voltaire est croyant, il n'hésite pas à attaquer la religion comme institution rigide. En remettant en cause la parole de l'Eglise, c'est un pilier de la société d'alors qui est attaqué, et la révolution française se montre violemment athée, et essaye de détruire par la force et la propagande structures et sentiments religieux.

La tâche s'avère trop grande, et le XIXème siècle s'avère être celui d'un retour en grâce de la religion. Chateaubriand, avec son Génie du christianisme, en est le précurseur. Avec le romantisme, les artistes délaissent la trop froide raison et s'émeuvent des mystères de la religion, des temps anciens et de la force des sentiments. En France, cela s'accompagne bien sûr du retour de la monarchie, et dans toute la société, l'Eglise reprend son rôle d'institution incontournable.

Le XXème siècle, en revanche, est bien sûr un siècle de recul de l'influence du catholicisme en France. Cela commence avec les lois voulues par les radicaux pour la laïcité, notamment la séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905. Mais l'influence des idées communistes, foncièrement athées, puis libertaires dans la deuxième moitié du siècle engendrent une baisse de la pratique religieuse, ainsi que de la croyance. Et aujourd'hui, les églises sont bien peu remplies par rapport à autrefois.

Depuis longtemps donc, les siècles s'enchaînent, et lorsqu'un est négatif pour l'Eglise, le suivant est bien plus positif. Alors, pour le XXIème siècle, qu'en sera-t-il ? Celui-ci a en fait à peine commencé. Mais le catholicisme a déjà deux mille ans, cette longévité est une force, et si son importance évolue en suivant les mouvements d'un pendule, eh bien on peut alors penser que ce siècle sera celui d'un retour en force, encore une fois étonnant, de son influence. On sent déjà que les questions religieuses sont bien plus présentes qu'il y a vingt ans, l'Eglise pourrait donc bien attraper la balle au bond.

mardi 9 octobre 2012

Voyons la main invisible

Puisque la question se pose, essayons de voir ce qu'est la célèbre "main invisible". A la base, le concept vient de l'économiste Adam Smith, et signifie qu'en cherchant son intérêt personnel, un individu peut également bénéficier à l'intérêt de la société toute entière. Un exemple simple permet de comprendre de quoi il s'agit : un boulanger fabrique du pain dans le seul espoir de bénéficier du bénéfice lors de la vente, mais son action égoïste permet de nourrir ses clients, procurer un revenu au meunier et à ses éventuels employés, etc. La main invisible, c'est ces effets économiques non directement voulus, mais néanmoins indispensables au bon fonctionnement de l'économie. Répercuté à l'ensemble des agents économiques, cela permet la richesse de la société toute entière. Il suffit de voir les conséquences néfastes lorsqu'un agent disparait : une faillite d'entreprise peut être mauvais pour ses clients, ses fournisseurs, ses employés, et tous ceux qui dépendent de ceux-ci. Par ricochet, cela fait beaucoup de monde.

La main invisible est partout dans le système capitaliste. Il n'y a de toute façon pas beaucoup d'alternatives. Un système peut-être vu dans les tribus isolées consiste à ce que chacun produit en ne pensant qu'au bien de la communauté entière. C'est forcément limité à une petite communauté. Dans les faits, le système communiste consistait à charger l'Etat de décider de ce que chacun devait faire, en espérant que chacun oublie l'intérêt individuel. Cela ne fonctionnait pas. La recherche de l'intérêt individuel est le meilleur moteur de productivité et d'efficacité. On le sait, le communisme n'est jamais parvenu à dépasser son handicap consubstantiel : le passager clandestin. Mais il faut également reconnaître que la main invisible n'est pas parfaite, comme illustré par l'exemple du dilemme du prisonnier.

La main invisible est généralement efficace, mais ce sont ses ratés qui créent le besoin de nécessaires régulations de la part de l'Etat. Alors, certes, les vrais libéraux (ou plutôt libertariens) diront que toute réglementation est toujours mauvaise, que cela empêche la main invisible de jouer à plein. Dans ce cas, c'est la confondre avec l'équilibre général de concurrence parfaite chère à l'économiste néo-classique Léon Walras. Théoriquement, cet équilibre général est possible. Mais est-ce la meilleure situation pour l'ensemble de la population ? S'il y a une insuffisance de nourriture par rapport à une population donnée, l'équilibre se fera bien nécessairement, mais si cela doit passer par la mort d'une partie de cette population pour que le nombre de bouches corresponde à la nourriture disponible, on ne pourra pas dire que la situation est satisfaisante. La croyance inébranlable en cet équilibre général comme situation optimale relève de la religion panthéiste. Sa forme théorique reste une utopie, et comme toutes les utopies, mieux vaut ne pas tenter de la voir.

mardi 3 juillet 2012

Jeune et frontiste

Dans les deux semaines qui ont suivi le 21 avril 2002, la France a assisté de très vastes manifestations de gens en colère après l'arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. Ils étaient en très grande partie constitué de jeunes, lycéens et étudiants qui voulaient montrer leur rejet d'une extrême droite qui n'avait jamais connu un aussi bon résultat électoral. Dans les universités, ils n'étaient pas rares que les professeurs transforment les amphithéâtres en lieu de mobilisation, expliquant aux jeunes que cela devait leur servir de leçon, qu'ils devaient aller voter, parce que les retraités qui votent pour le Front National, eux, seront toujours assidus à l'isoloir. D'une manière générale, le choc était très grand, et ce d'autant plus qu'il n'avait pas vraiment été précédé d'avertissement, peu de gens s'exprimant pour revendiquer leur vote FN.

Dix ans plus tard, lors de la dernière campagne présidentielle, un sondage trouve un grand écho médiatique au début d'avril dernier. Il place Marine Le Pen en tête des intentions de vote au premier tour chez les 18-24 ans. Alors certes, ce n'est qu'un sondage parmi des dizaines d'autres, et un sondage CSA qui plus est. Néanmoins, cela permet de réaliser que la jeunesse n'est pas autant hostile au Front National qu'on le croit habituellement. C'est surtout un effet d'optique. En 2002 aussi, une partie de la jeunesse a voté pour le candidat du FN. Le vote FN y était certes sous-représenté par rapport au score global, mais il était quand même tout à fait significatif. Pendant ce temps, les jeunes qu'ont voit défiler dans la rue sont ceux qui déjà clairement marqués à gauche. Les activistes des facs sont toujours les mêmes, et finissent par ressembler à une caricature qui perdure d'une génération à l'autre. Pendant qu'on prend notre temps à les regarder (car ce sont les plus démonstratifs), on en oublie d'observer ceux qui ne disent rien, soit la vaste majorité qui forme la France de demain.

Et c'est assez logiquement en fin de compte que l'on constate que toutes les opinions politiques y sont présentes. Cela veut donc dire celles du FN aussi. A la suite de ce sondage, Le Monde a publié un article sur des jeunes de provinces qui comptaient voter pour Marine Le Pen. Leurs témoignages sont assez terre à terre : ils en ont marre de l'insécurité dont ils sont fréquemment les victimes, et ont le sentiment qu'on laisse développer un système communautaire qui au final, les laisse sur le bord de la route. A les écouter, on comprend bien que le mélange multiculturaliste ne fonctionne pas.

Après le deuxième tour, l'auteur d'un blog d'extrême droite a écrit une sorte de manifeste où il se sert de son parcours personnel pour expliquer comment on pouvait être électeur FN. Il a une vingtaine d'années, a grandi dans un milieu populaire, et était de gauche pendant son adolescence. Il faisait justement partie de ceux qui ont manifesté après le 21 avril 2002. Il explique comment sa vie a été marquée par les agressions, commises par d'autres jeunes, issus de l'immigration. Les cibles, c'est ceux qui n'en étaient pas issus. Sans entraîner l'adhésion, son texte permet au moins de comprendre comment on peut passer de la gauche à l'extrême droite. D'abord, il y a le ressentiment de sentir ce qui était un monde, des valeurs strictement morales s'échapper. Ensuite, il y a un autre ressentiment, celui d'avoir l'impression que l'on est tenu pour rien du tout, que cette souffrance est niée, son droit à s'exprimer combattu. Ce blogueur a la même agressivité verbale que les dirigeants du FN. Mais on sent que cette agressivité verbale vient en reflet de celle qui combat ce qu'il a à dire.

La xénophobie étant considérée comme un mal certifié de notre société, vouloir le combattre apparaît comme une mission héroïque pour beaucoup de gens. Ceux qui ont des opinions vues comme "non républicaines" subiront donc tout l'éventail rhétorique possible : culpabilisation, insultes, caricature, moquerie, rejet par principe, mise sur la touche... Pour résumer : "pas de tolérance envers l'intolérance". Et alors qu'on trouvera facilement des sympathisants d'extrême gauche pour s'exprimer haut et fort sur ses idées, celui d'extrême droite préférera ne rien dire. Mais ce n'est pas parce qu'il n'est pas audible qu'il n'en pensera pas moins. Au contraire, ce sentiment d'être rejeté ne fera que l'énerver davantage, et au final, cela renforce l'extrême droite.

L'extrême droite ne s'éteindra pas avec un changement de générations. Une partie de la jeunesse se tourne vers elle car elle rejette l'évolution du monde actuel. Alors, plutôt que de l'invectiver, il faudrait surtout s'atteler à ce que ses observations ne soient plus d'actualité.

dimanche 27 mai 2012

Les Verts pastèque

La campagne présidentielle d'Eva Joly aura été une longue agonie. Après avoir recueilli 16 % des suffrages aux européennes de 2009, puis 12 % lors des régionales de 2010, on pouvait s'attendre à ce qu'ils fassent le meilleur score de leur histoire à la présidentielle de 2012. Deux candidats emblématiques se sont présentés à la primaire des Verts l'année dernière : la célèbre juge Eva Joly, et le télégénique Nicolas Hulot, qui avait réussi à influencer la campagne présidentielle de 2007 à travers son Pacte Ecologique. Ce dernier était encore trop naïf en politique : en acceptant de participer à cette primaire, il croyait permettre une candidature mobilisant les défenseurs de l'environnement, mais il tombait surtout dans le piège des Verts, qui n'en voulaient pas comme concurrent. Ils l'ont donc inciter à obtenir leur investiture, pour la lui refuser ensuite, et le mettre ainsi hors course.

Très loin de la défense de l'environnement, les Verts penchaient déjà nettement pour Eva Joly, spécialiste de la machine judiciaire et en procès politiques. L'idée, c'était de se placer sur le terrain de la morale, une morale de gauche, accusatrice de ce qui est à sa droite, par principe. Son profil représente tout ce qui était cher à la gauche, et bien qu'elle ne fut pas du tout en phase avec la société française, elle fut désignée candidate. Une nouvelle fois, les Verts ont peu parlé d'écologique dans cette campagne, alors que ce devait être la spécialité de ce parti lorsqu'il fut créé. Dès lors, il n'est pas étonnant que dans le nouveau gouvernement, les personnalités politiques issues des Verts occupent des ministères tels que le logement ou le développement, pour laisser celui de l'environnement au Parti Socialiste. Eva Joly elle-même n'avait d'yeux que pour le ministère de la Justice.

La bonne image pour caractériser les Verts, c'est la pastèque : vert à l'extérieur, rouge à l'intérieur. Les mentions de l'environnement ne relèvent plus pour eux que de l'affichage et du passage obligé. Ce qui leur importe vraiment, c'est la rhétorique de gauche, à base de victimisation, d'Etat Providence et de manichéisme économique et sociétal. Pour pouvoir gagner des postes de députés ou de ministres, ils sont prêts à avaler bien des couleuvres par rapport à leurs convictions supposées, sans jamais se rebeller. En effet, les places sont plus importantes... et leur poids n'est pas suffisant pour lutter seuls. Surtout que sur presque tous les sujets, ils sont parfaitement solubles dans le socialisme. Ils ont ressentis la victoire de François Hollande comme étant aussi leur victoire. Nos Verts sont décidément bien rouges.

dimanche 20 mai 2012

Un parti pirate ?

Lors de l'élection régionale en Rhénanie du Nord Westphalie, il y a une semaine, 7,8 % des voix sont allées au "parti pirate" allemand. Peu de temps auparavant, ce parti était également parvenu à un résultat similaire en Schleswig-Holstein. En Suède, où le premier "parti pirate" a été créé, des tels résultats ont permis à cette mouvance d'avoir deux députés européens, grâce à la proportionnelle. De tels partis se répandent en Europe. Ainsi, plusieurs dizaines de candidats devraient être alignés sous cette étiquette en France, à l'occasion des élections législatives.

En tant que tel, il est difficile de dire que la création d'un nouveau mouvement politique est une mauvaise chose. En effet, l'un des principes de base des démocraties représentatives, c'est que si l'on pense pouvoir faire mieux que les élus actuels, on n'a qu'a se présenter soi-même pour voir si l'on trouve l'assentiment de ses concitoyens, et ce que l'on donne si on est élu. C'est strictement ce que font les militants des partis pirate. La vraie question à se poser est plutôt : "faut-il voter pour un parti pirate ?" Chacun répondra à cette question en son âme et conscience (s'il se la pose), mais l'étude des propositions du parti force quelques observations.

En premier lieu, il s'avère que c'est un parti monothématique. C'est encore pire que les partis écologistes ou de défense de la chasse : la seule question que les "pirates" se posent, c'est, comme leur nom l'indique, celle du piratage sur internet. Et leur réponse est sans ambiguïté : ils sont pour. En revanche, pour tout le reste, ce ne sera pas à eux à qui il faudra s'adresser. L'emploi ? Le pouvoir d'achat ? Le logement ? La pérennité des retraites ? Les crises financières actuelles ? La productivité des entreprises françaises ? Ce sont les problèmes les plus importants en France de nos jours, ceux qui demandent de vraies réponses, réponses que seraient bien incapables de donner les pirates. Ils s'adressent avant tout à un public de personnes s'intéressant peu à la politique en particulier et à l'actualité en général, et ils espèrent recueillir les suffrages de personnes qui, comme eux, font du téléchargement illégal un vrai mode de vie.

Car au fond, en défendant le "partage" systématique de tous les contenus intellectuels, ils cherchent surtout à échapper aux sanctions pénales luttant contre les infractions au code de la propriété intellectuelle. Dans leur logique, toute oeuvre doit pouvoir être partagée, donc téléchargeable gratuitement, facilement et sans risque, ce qui suppose la fin des organismes de lutte contre le piratage, la fin des protections anti-piratage, la fin des législations dédiées... C'est donc le loup qui réclame la fin des clôtures autour des bergeries, le libre accès au mouton, et la fin des chiens de garde. Il n'est pas difficile d'imaginer ce qui se passerait dans un tel cas. Le parti pirate français critique le système économique actuel de la propriété intellectuelle, affirme qu'il se portera mieux si ses propositions sont adoptées, mais ne semble pas comprendre que l'adoption de telles propositions rendrait à peu près vain toute tentative de se faire de l'argent en créant de nouvelles œuvres. Pour filer la métaphore, qui se donnerait la peine de s'occuper d'une bergerie, si le bénéfice irait exclusivement aux loups, et non au berger ?

En fin de compte, la lutte du parti pirate, c'est celle de pouvoir télécharger le dernier film des Transformers alors qu'il est encore au cinéma, sans risquer de se faire couper sa connexion à Internet en représailles. Est-ce vraiment la question majeure de notre époque ? Pas du tout. En conséquence, la pertinence d'un parti pirate dans notre débat politique est nulle.

mercredi 21 mars 2012

Plus ou moins d'Etat : question historique

Au nom d'une conception paraît-il hégélienne de l'Histoire, Karl Marx en cherchait le moteur, et croyait l'avoir trouvé dans la lutte des classes. C'est une vision des choses. Mais quand on regarde l'Histoire en général, et celle de France en particulier, ce n'est pas forcément le plus frappant. D'autres questions semblent se poser avec une très belle constance. La plus notable est sans conteste celle de la place de l'Etat. L'Empire Romain avait une administration gigantesque, relevant de Rome en dernier ressort, mais permettant une certaine décentralisation pour gérer les territoires au plus près. Par la suite, c'est l'ensemble du Moyen Age qui voit s'affronter le roi et les seigneurs. Cela traduisait à chaque fois une opposition entre Etat et féodalité.

En France, les dynasties mérovingiennes et carolingiennes sont justement tombées car elles n'ont pas réussi à garder leur prééminence face aux seigneurs locaux. Le maire du palais Charles Martel prit le pouvoir aux rois mérovingiens en étant le seigneur le plus puissant, à tel point que l'Etat n'était plus l'administration royale, mais la sienne. Mais la dynastie carolingienne qu'il fonde est elle aussi en proie aux conflits avec les seigneurs locaux. Si ceux-ci veulent leur indépendance vis-à-vis du pouvoir central, si l'un d'entre eux est en position de force, il n'hésite pas pour autant de recréer un pouvoir central autour de lui. Ce qui se traduit par un changement de dynastie. C'est ce qui arriva quand le duc Hugues Capet s'empara à son tout de la couronne. Les carolingiens étaient devenus trop faible, et lui était le plus puissant d'un milieu profondément divisé.

Les premiers capétiens n'étaient eux-mêmes que modérément puissants, la féodalité étant encore très présente dans la mentalité. Elle apportait une certaine autonomie aux seigneurs, qui la défendaient jalousement. Le domaine royal n'était de toute façon que guère étendu. Ce n'est que plus tard que le roi a vu ses pouvoirs s'accroître, notamment sous le règne de Philippe Auguste, lorsqu'il prit le contrôle de l'Anjou et de la Normandie aux Anglais. Le pouvoir restait toutefois très féodal encore sous Saint Louis, et son règne restera d'ailleurs comme une référence pour les seigneurs. Cela change nettement sous Philippe le Bel, qui met en place toute une administration, et perfectionne le circuit judiciaire, engendrant de multiples mécontentements chez les vassaux.

C'est à la suite de cette évolution que la guerre de cent ans prendra son essor : les Anglais, beaucoup moins nombreux, ont presque constamment pu compter sur les divisions des Français, avec comme leitmotiv, l'hostilité de potentats locaux à la nécessité de respecter les décisions du roi, puis de payer l'impôt servant à financer la guerre. Après la bataille de Poitiers, l'Etat s'effondrera, mais comme les seigneurs n'étaient plus capables de prendre le relais, l'anarchie s'installa. Les rois français ont été régulièrement trahis par les membres les plus éminents de leur propre famille, avec d'abord le roi de Navarre pendant la première moitié de la guerre, puis le duc de Bourgogne dans la deuxième. Tous justifiaient leur opposition au roi au nom de la défense des libertés locales, quitte à pactiser avec l'ennemi. Mais quand la couronne anglaise voulait imposer sa propre administration sur les territoires français, ça ne se passait pas mieux.

Quand Richelieu dirige la France sous Louis XIII, la centralisation du pays sous une administration efficace est un de ses objectifs. On retrouve donc à nouveau cette opposition fondamentale dans la Fronde, lorsque Louis XIV était jeune. Celui-ci profita de sa victoire en décidant de tout ramener vers lui, ancrant une monarchie absolue qui durera. Cette force de l'Etat restera si bien dans les mentalités que lorsque la Révolution se déclenche, les révolutionnaires, malgré l'opposition du parti girondin, finissent par conserver cette centralisation administrative, ne lui reprochant dans sa forme d'ancien régime que son absence de démocratie.

Depuis que la démocratie est établie, soit depuis 1870, l'Etat jacobin perdure toujours. Mais on continue de se demander s'il faut encore plus d'Etat (à travers l'Etat Providence), ou s'il en faut moins (et qu'il se recentre sur ses compétences régaliennes). Pour ce qui est de l'administration, la France est est abondamment servie. C'est plus au niveau de l'efficacité qu'elle est en manque. Il est néanmoins remarquable que cette question continue de nous ajouter à travers les siècles.

mercredi 18 janvier 2012

Enrichissez-vous !

Les thèmes de la campagne présidentielle n'auront, a priori, rien d'inédit. Du côté de la gauche, on aura à nouveau le droit au couplet sur la relance de la consommation en donnant de l'argent aux plus défavorisés. C'est ce qui s'appellerait de la redistribution, car l'argent serait prélevé chez les riches, qui ne sont qu'une minorité. L'intérêt de la majorité primant, ils devront procéder à ces transferts. Ce grand classicisme appelle quelques observations. Pour commencer, être riche c'est forcément être dans une minorité. En effet, de nos jours, la richesse ou la pauvreté sont considérées en des termes relatifs. Etre pauvre, c'est gagner moins de 60 % du revenu médian de la population. Etre riche, c'est avoir les revenus ou le patrimoine les plus importants. Ce sont ces principes là qui sont utilisés quotidiennement, dans les médias et les statistiques. Si tout le monde venait à gagner deux fois plus d'argent du jour au lendemain, avec des prix stables, il y aurait alors toujours autant de pauvres que de riches. Voilà qui est décourageant.

Mais partons du principe que cette redistribution est effectivement positive pour l'économie. On constate alors qu'en France, on a déjà l'un des taux d'imposition les plus élevés au monde. Les riches sont tellement une minorité qu'ils ne sont pas assez pour tout payer. Les classes moyennes sont déjà lourdement sollicités. Notre incapacité à limiter nos dépenses est accompagnée par une incroyable créativité fiscale. Il y a de nouvelles taxes chaque années, sur tout et n'importe quoi. Problème : cela ne suffit pas, le déficit public reste colossal. On s'aperçoit alors qu'il s'agit d'une redistribution des revenus des générations futures vers celles actuelles. On est plus du tout dans la quête de justice sociale ni de recherche de l'égalité, on ne fait que nuire à l'avenir. Voilà qui est effrayant.

Le problème de la richesse est mal posé. Le problème, ce n'est pas qu'il y ait des riches alors qu'il y a des pauvres. Le problème, c'est qu'il n'y a pas assez de riches. Il faut alors raisonner en termes absolus, et considérer qu'un riche, c'est quelqu'un qui vit à l'abri du besoin, qui peut loger et nourrir sa famille et éduquer ses enfants sans difficulté. Dans les pays développés, c'est le cas d'une majorité. Plutôt que de redistribuer les richesses, il est certainement préférable de les créer.

"Enrichissez-vous par le travail et par l'épargne" aurait dit, parait-il, François Guizot au XIXème siècle. Le leader communiste chinois Deng Xiaoping aurait lui aussi encouragé sa population à s'enrichir. Ils ont tous deux raison. Le travail et l'épargne créent la richesse, et la richesse permet une vie confortable. Ils ne sert donc à rien de craindre ni le travail, ni l'épargne, ni la richesse. Notre vrai souci, c'est notre manque global de ces trois choses, pas leur répartition.

dimanche 15 janvier 2012

Guy Mollet, le fantôme de l'incompétence

Il y a 56 ans, Guy Mollet devenait président du conseil dans le cadre de la IVème République. Cela faisait déjà 10 ans qu'il était à la tête de la SFIO (qui s'appellera plus tard le Parti Socialiste). Suite à la victoire de la coalition hétéroclite du Front Républicain, il y a une incertitude : est-ce que ce sera lui, ou le populaire Pierre Mendès-France qui sera à la tête du gouvernement ? Ce sera finalement Guy Mollet. Le Front Républicain avait au moins quelque chose de clair dans son programme : arriver à la paix en Algérie en prenant soin de négocier avec les insurgés. Cela tournera mal dès les premiers jours du gouvernement. Venu voir la situation sur place, Guy Mollet subit l'opprobre de la population européenne, et suite à la quasi-émeute que suscite sa visite, il décide de changer sa trajectoire à 180°. Il donne raison aux protestataires européens en acceptant la démission du trop modéré général Catroux du poste de ministre résident en Algérie, et y nomme le plus bien plus vindicatif Robert Lacoste. A partir de là, la situation ne fera qu'empirer.

Plus question de paix négociée ou d'amnistie, il n'est plus question que de menaces envers les insurgés fanatiques. Pour rétablir l'ordre, le gouvernement socialiste n'hésite pas à donner de larges pouvoirs à l'armée. Un mois et demi après son arrivée au pouvoir, le ministre de la Justice François Mitterrand signe ainsi un texte de loi donnant la possibilité aux forces militaires de perquisitionner et de juger elles-mêmes tous les crimes commis en Algérie. La guerre d'Algérie est définitivement lancée. Quant aux négociations, il n'y en a plus pour une bonne raison : le 22 octobre 1956, les cinq principaux leaders du FLN dont Ahmed Ben Bella voient leur avion détourné et ils sont arrêtés. Ils resteront en prison jusqu'à la fin du conflit. Guy Mollet n'a pas pris lui-même la décision de cette arrestation. C'est pire que ça : il n'était pas au courant avant qu'elle ne se fasse, et mis devant le fait accompli, il décide de l'assumer, bien qu'il s'agisse là d'une preuve de la perte de contrôle du politique ou du judiciaire envers les autorités militaires.

C'est à cette époque que la torture se systématisa en Algérie. N'importe quel musulman pouvait être embarqué et torturé par l'armée si tel était le bon plaisir des soldats. De telles exactions ne pouvaient passer inaperçues. Plusieurs fois alerté, Guy Mollet choisit de passer ces faits sous silence et fait régner la censure pour garder le contrôle, plutôt que de mettre un terme aux abus. Robert Lacoste lui assure que tout se passe bien. Il le croit ou tout du moins s'en contente. Il ne souhaite pas le désavouer : c'est un camarade socialiste, et le remettre en cause serait nuisible au socialisme.

Guy Mollet cherche alors d'autres voies pour régler cette guerre. Persuadé que le conflit est attisé par le leader égyptien Nasser, il décide de lancer une opération visant à sa chute. Avec comme prétexte la nationalisation du canal de Suez, il incite le Premier ministre britannique Antony Eden à engager une action militaire. Il amadoue également le gouvernement israélien en le fournissant massivement en armes, et conçoit un plan navrant pour déstabiliser Nasser. La tragi-comédie est rapidement perçue par tout le monde, et l'intervention des Etats-Unis et de la Russie transforment l'opération en une humiliation pour la France et la Grande-Bretagne.

Début 1957 commence la violente bataille d'Alger, où l'armée française agit sans aucun contrôle politique. Au niveau économique, la situation n'est pas excellente. Les déficits publics sont élevés (l'envoi du contingent en Algérie est encore une charge supplémentaire), et l'inflation est très forte. Décision est prise de trafiquer les chiffres officiels de l'inflation pour ne pas que les prestations indexées augmentent à la même vitesse. D'une manière générale, le régime de la IVème République est plus discrédité que jamais.

La vraie expertise de Guy Mollet résidait en fait dans les mécaniques de parti. Militant socialiste très jeune, il a constamment navigué dans les questions de motions, de discipline interne du parti, de congrès et de tripatouillages électoraux. La IVème République était le terrain rêvé pour les obscures combinaisons de partis, et c'était ce que savait faire Guy Mollet. Il avait une grande capacité à renoncer à ses propres idées pour adopter envers et contre tout la position officielle du parti. Il était passionné par les théories marxistes, et l'idéal collectif du socialisme passait avant tout. La SFIO était pour lui l'alpha et l'omega de la politique. Il en restera le secrétaire général jusqu'en 1969. A ce moment là, le parti était devenu plus que moribond. Le candidat socialiste à l'élection présidentielle de cette année là n'était que quatrième, avec 5 % des voix. La grande longévité de Guy Mollet à la tête de son parti n'aura été en fin de compte bénéfique ni à la SFIO, ni à la France.

L'histoire de tant d'échecs fait frémir. On peut se rassurer en se disant que c'est le passé, et que l'énergie du général De Gaulle a permis de remettre la France sur de meilleurs rails. Mais il faut savoir en retenir les leçons. Aujourd'hui, il y a un homme au profil étonnamment similaire qui peut accéder au pouvoir. François Hollande a été premier secrétaire du Parti Socialiste depuis plus longtemps que quiconque depuis... Guy Mollet. Il doit lui aussi sa longévité à ce poste à sa capacité à plier l'échine devant les courants et les alliances très mouvantes qui font les congrès socialistes. Mais quand il a l'a quitté, personne ne le regrettait, le parti étant devenu bien informe. Son manque constant d'autorité l'handicapait pour fixer un but clair. Cette expérience à la tête du PS est en fait bien la seule dont il peut se prévaloir. Il pourrait devenir Président de la République... L'exemple que nous montre le fantôme de l'incompétence qu'est Guy Mollet peut-il nous éclairer pour les choix à faire d'ici quelques mois ?

jeudi 12 janvier 2012

Jeanne d'Arc, une héroïne française

Jeanne d'Arc a 600 ans ! Joyeux anniversaire ! Cela ne la rajeunit pas, mais comme elle n'a même pas atteint les vingt ans, elle n'eut pas à connaître les affres du vieillissement. La guerre de cent ans remonte à loin maintenant, ses détails ne sont plus très bien expliqués en cours d'histoire. Néanmoins, le souvenir de Jeanne d'Arc reste vivace. Son parcours exceptionnel, son ardeur pour défendre sa conviction et les conséquences immenses de ses actes lui assure une place de choix parmi les figures marquantes de l'Histoire européenne. Elle fut ainsi dépeinte et commentée régulièrement pendant chacun des siècles qui nous sépare d'elle. On peut même voir un hommage paradoxal dans la façon dont le célèbre dramaturge anglais William Shakespeare la décrit : dans la première de ses pièces Henri VI, elle devient une sorcière menteuse de petite vertu. En la voyant traitée plus bas que terre, on ressent toute l'amertume que ressent l'auteur envers celle qui a sonné le glas de ses compatriotes en France. 160 ans après sa mort, Jeanne d'Arc était déjà solidement ancrée dans les esprits comme étant une héroïne française.

L'histoire est bien connue : simple bergère, elle décide suite à une révélation de bouter les Anglais hors de France et de faire couronner le dauphin roi de France. Encore adolescente, elle remotive des troupes françaises jusque là apathique et participe même aux campagnes militaires. Les succès sont éclatants, mais elle est capturée suite à une trahison, et finit sur le bûcher. Plus qu'une personnalité symbolique, c'est un symbole, à l'instar d'autres héros qui forment le panthéon français. Il y a par exemple Vercingétorix, ou plus récemment Jean Moulin. Ce sont des personnes ordinaires qui décident de se battre de toutes leurs forces contre l'adversité. Ce sont des exemples qui nous parlent encore aujourd'hui.

Le Front National célèbre Jeanne d'Arc pour une raison simple : ils considèrent qu'ils veulent comme elle virer les étrangers. Comme ils ont évoqué sa mémoire tous les ans au cours d'une manifestation politique, elle est désormais bizarrement dépeinte comme "symbole fort du nationalisme", et non du courage. On ne peut pas interdire à l'extrême droite d'utiliser son image. On aurait pu croire qu'il était inutile d'organiser des contre-manifestations, certains que l'on pouvait être que Jeanne d'Arc était dans le cœur de tous. Chaque pays a ses héros qui lui sont chers, sans pour que cela tourne pour autant au nationalisme. Il n'y a rien d'anormal à ce qu'on leur rende ponctuellement hommage. Célébrer la naissance de Jeanne d'Arc rentre dans cette catégorie, et l'on peut d'ores et déjà se donner rendez-vous en 2031 pour les 600 ans de sa disparition.

samedi 13 août 2011

Alf Président

Dans la célèbre sitcom des années 80 ALF, le héros éponyme est un extraterrestre burlesque squattant chez une famille de la classe moyenne américaine. Dans un épisode, Alf ne cesse de cesse de poser des questions naïves à Kate, la mère, sur la politique. Celle-ci lui répond que les choses sont plus compliquées qu'il ne le pense, mais la nuit venue, elle a le sommeil agité. Elle finit par rêver qu'Alf est subitement devenu Président des Etats-Unis, et qu'elle lui rend visite dans le bureau ovale. Kate considère qu'il s'agit d'un travail sérieux, et finit par l'interroger :
"Kate : Que comptes-tu faire à propos des sans abris ?
Alf : C'est réglé !
Kate : Qu'est-ce qui est réglé ?
Alf : Il y a des maisons qui sont construites pour chacun d'entre eux.
Kate : D'accord. Et qu'est-ce que tu fais à propos du chômage ?
Alf : Il n'y en a pas. Tout le monde construit des maisons.
Kate : Et je suppose que les gens ne font plus de guerres...
Alf : Qui a le temps pour ça ? Ils sont tous en train de choisir le papier peint de leurs nouvelles maisons !
Kate : Alf, je ne crois pas que les problèmes de ce pays peuvent être réglés aussi facilement...
Alf : Bien sûr que si. Regarde dehors.
Kate se lève, et regarde, troublée : Tout le monde danse dans les rues..."

Tout l'épisode repose sur l'humour provoqué entre les visions compliquées de Kate, et le don d'Alf pour tout simplifier. Et si, justement, c'était aussi simple que ça ? Peut-on appliquer le programme d'Alf pour régler les problèmes du logement et du chômage, et qu'on finisse par tous danser dans les rues ?

Regardons comment ça se passerait concrètement. Pour que tout le monde puisse construire des maisons, il faudrait déjà qu'ils en aient les qualifications. Après tout, à l'époque de la colonisation américaine, chaque pionnier se construisait sa propre maison (qui ressemblait certes plus à une cabane) sur le terrain vierge qu'il trouvait. Aux Etats-Unis, les maisons en bois sont encore souvent prédominantes, et permettent un coût de l'immobilier moins élevé. En France, cela se traduit par le rêve de la maison en kit à 100 000 €. Le principal obstacle devient alors le besoin de capital : il n'est pas question d'abattre les arbres de la forêt du coin pour se construire sa maison. Les outils ne tombent pas du ciel. Et il reste également la question du terrain...

On peut imaginer plusieurs solutions alors. Des taux d'intérêts faibles peuvent aider les moins favorisés à emprunter le capital minimum pour faire aboutir la construction de leur propre maison. Sinon, le gouvernement peut attribuer des terrains, à condition d'en garder la propriété tant qu'ils ne sont pas dument achetés. C'est un peu la raison d'être des HLM. En fait, le coeur des difficultés immobilières est la volonté de la population d'habiter à un endroit précis. En France, certaines régions souffrent de désertification rurale, et il y aurait même des dizaines de milliers de logements sociaux vides dans les départements les moins attractifs. La question est plutôt celle de l'évolution du nombre de sans abris et de leur mobilité.

Le problème des sans abris n'est donc pas insurmontable. Mais construire des maisons indéfiniment ne peut pas être sain économiquement. Aux Etats-Unis et en Espagne, la fièvre immobilière fut très intense, à croire qu'Alf était déjà au pouvoir sans qu'on le sache. Mais cela finit par créer une bulle dont l'éclatement a forcé l'expulsion de centaines de milliers de personnes en Amérique, et ramena l'Espagne à son taux de chômage de 20 % du début des années 90. Même en France, on peut créer des logements pour les plus pauvres dans les communes où les terrains sont les moins chers, mais cela n'aboutit qu'à créer de nouveaux ghettos. L'exode rural eut lieu car à l'époque il n'y avait plus d'emplois dans les campagnes. Et si l'on ne peut construire indéfiniment des maisons, comment créer les emplois de ceux qui viennent d'obtenir leur logement ?

Admettons que l'on crée un village ex nihilo d'anciens sans abris dans un désert rural. Ils forment alors une communauté qui a besoin à la fois d'emplois et de de travail. Si sur 100 personne, 60 sont actives (taux pris au hasard), il faudra parmi ces 60 personnes qu'une fasse office de boulanger, une autre d'enseignants pour les enfants, que quelqu'un entretienne le bâti, etc. Est-il possible que ces 60 personnes aient tous un travail liés à l'entretien de cette communauté ? A cette petite échelle, c'est en fait un problème économique fondamental qui se pose. La première question est celle des économies d'échelle : par exemple, la présence d'un cardiologue est certainement utile, mais s'il n'a que 100 personnes à surveiller, ce n'est pas assez pour que cela soit une activité à plein temps. La deuxième question est celle des échanges avec l'extérieur : la communauté cultive-t-elle elle-même les champs pour créer sa nourriture, ou bien doit-elle l'acheter au reste du monde, qui aura certainement des produits moins chers au vu d'une meilleure productivité ? Dans le deuxième cas, comment créer les richesses permettant un tel échange ? Encore une fois, on retombe sur l'exemple du village du far west, un peu isolé de tout. Par contre, si la communauté est ancrée dans le milieu urbain, le risque est de recréer les ghettos formés par nos villes nouvelles des années 60.

N'en déplaise à Alf, les choses sont donc bel et bien plus compliquées qu'il ne l'envisage. Les sans abris manquent de logement car ils n'ont pas d'emploi, et dans la plupart des cas, ce n'est pas le fait d'avoir un toit qui le leur en donnera un. Mais il reste la solution (temporaire ?) de construire des maisons à bas prix, dans les campagnes : cela les soulagerait déjà d'une grande peine...

dimanche 26 juin 2011

Le projet de paix perpétuelle de Kant

En 1795, après que l'Europe se soit embrasée à l'occasion des guerres révolutionnaires, Emmanuel Kant publie un très court ouvrage, ou plutôt une brochure, énonçant un projet de paix perpétuelle. Il y explique chacun des points qu'il mentionne, et évidemment, pour qu'un traité de paix ait une telle portée, il faut qu'il s'adresse à tous les pays ensemble, plutôt que de n'être qu'un traité de paix bilatéral. Il commence par des articles préliminaires :
  1. Nul traité de paix ne peut être considéré comme tel, si l'on s'y réserve secrètement quelque sujet de recommencer la guerre.
  2. Aucun État indépendant (petit ou grand, cela ne fait rien ici) ne peut être acquis par un autre, par voie d'héritage, d'échange, d'achat ou de donation.
  3. Les armées permanentes doivent entièrement disparaître avec le temps.
  4. On ne doit point contracter de dettes nationales en vue des intérêts extérieurs de l'État.
  5. Aucun État ne doit s'immiscer de force dans la constitution et le gouvernement d'un autre État.
  6. Nul État ne doit se permettre, dans une guerre avec un autre, des hostilités qui rendraient impossibles, au retour de la paix, la confiance réciproque, l'emploi d'assassins, d'empoisonneurs, la violation d'une capitulation, l'excitation à la trahison dans l'État auquel il fait la guerre, etc...
Le cœur du projet tient en trois articles, trois principes indispensables, le non respect de l'un suffisant à faire s'écrouler l'édifice.

D'abord, "la constitution civile de chaque État doit être républicaine", ce qui suppose la liberté des membres de la société, la soumission de tous à une législation unique et commune et la l'égalité de tous les citoyens. Le terme "républicain" (ici, où il y a séparation des pouvoirs) est utilisé comme antonyme de "despotique" (où la volonté particulière se substitue à la volonté publique), le terme de démocratie n'est pas retenu, mais une république ne peut être qu'une démocratie représentative (l'adjectif est important pour permettre cette séparation du pouvoir). Dans cette logique, le peuple pèse lui-même les graves conséquences d'une entrée en guerre dans la mesure où c'est lui qui combattra et subira, et ne prendra donc pas ce genre de décisions à la légère.

Ensuite, "il faut que le droit des gens soit fondé sur une fédération d'États libres". Il ne s'agit pas de faire un seul État, mais de les réunir les peuples indépendants dans une fédération. De la même façon qu'on sort de la barbarie en acceptant la contrainte légale (et préférer ainsi une "liberté raisonnable" à une "folle liberté") au sein des États, les États doivent eux-mêmes accepter cette même contrainte légale entre eux. On se fait la guerre pour des questions de droit, mais la guerre ne les règle pas. Une alliance de paix entre républiques garantirait l'absence de guerres.

Enfin, "le droit cosmopolitique [commun à tous] doit se borner aux conditions d'une hospitalité universelle". Ici, l'hospitalité est défini comme le droit qu'a tout étranger de ne pas être traité en ennemi dans le pays où il arrive, et comme un droit de visite (et non un droit à être admis au foyer). C'est nécessaire pour établir des relations amicales entre les peuples.

Par la suite, Emmanuel Kant revient sur les façons de procéder pour arriver à de tels buts. En philosophe politique, il considère que les difficultés de mises en place d'une république peuvent être surmontées en faisant en sorte que les penchants personnels contraires se fassent obstacles de telle façon à ce qu'ils ne gênent pas la conduite publique. On en déduit que la meilleure façon est de les incorporer au mécanisme institutionnel, ce qui justifie les contre pouvoirs. Il conclue assez longuement sur la nécessité pour les représentants de consulter les philosophes, mettant un avant qu'il est possible de concilier politique et morale (un thème sur lequel il revient dans d'autres ouvrages).

Ce projet de paix perpétuelle a très certainement inspiré le Président américain Woodrow Wilson lorsqu'il désira créer la Société Des Nations en sortant de la première guerre mondiale. On y retrouve l'idée de la fédération, du cadre supra-étatique dans lequel se retrouvaient les différentes nations. L'ONU en est le successeur. Néanmoins, on n'y compte pas que des "républiques" (ou démocraties représentatives), et c'est bien là la principale cause de son efficacité très relative. L'Union Européenne, en revanche, a réussi à réunir les trois principes fondamentaux évoqués par Emmanuel Kant. Celui-ci mettait lui-même en avant l'efficacité du commerce pour diminuer les tensions guerrières, et avec la Communauté Économique Européenne, c'est cet angle là qui fut privilégié. 50 ans après, le résultat est magnifique, et on peut aujourd'hui rêver à une paix perpétuelle, au moins entre les États membres de l'Union.

mercredi 1 juin 2011

L'effet de cliquet

Pour favoriser la croissance économique française, la principale recette de la gauche, et même d'une bonne partie de la droite, c'est de vouloir relancer la consommation. Pour 2012, les socialistes prévoient que la croissance sera relancée par la hausse du pouvoir d'achat qu'ils prévoient. En 2007, le paquet fiscal de Nicolas Sarkozy avait pour but de relancer la croissance par l'augmentation du pouvoir d'achat généré. En 1997, la semaine de 35 heures devait améliorer les conditions de vie des Français, la hausse globale des revenus en découlant devant favoriser la consommation, et donc la croissance. En 1981, la relance socialiste basée sur la stimulation avait été un terrible échec. A la base, tout cela est l'application de principes keynésiens stipulant qu'une relance de la demande permettra le retour de la croissance économique. Par le mécanisme du multiplicateur, de l'argent injecté par l'Etat dans l'économie générera une activité économique supplémentaire bien supérieure au montant initial. L'idée d'une sortie de crise "par le haut" fut au centre du New Deal de Franklin Roosevelt, et s'imposa dans les esprits après la seconde guerre mondiale.

La conclusion qu'en ont tiré bon nombre de responsables politiques est qu'il suffit donc que l'Etat relance la consommation pour permettre l'accélération de la croissance économique. D'une part, les électeurs sont contents parce qu'ils consomment plus, d'autre part, l'ensemble de l'activité économique en profite par répercussion. D'une manière générale, tout ce qui améliorera directement les conditions de vie de la population sera vu de façon positive. Cela se comprend aisément. Mais est-ce que l'effet est aussi positif que ça ?

Les accords de Grenelle de mai 68 prévoyaient ainsi une augmentation forte des salaires (+ 10 %, et + 35 % sur le salaire minimum) et une quatrième semaine de congés payés. Ce choc brutal sur l'économie ne put être absorbé sans une dévaluation importante l'année suivante, et les gains de pouvoir d'achat furent rapidement effacés par l'inflation générée. L'augmentation du nombre de congés aboutit également à une augmentation du coût du travail, et il n'est dès lors pas étonnant qu'après un autre choc de la même nature en 1981, le chômage augmenta fortement.

L'appareil productif français n'est pas en mesure de répondre pleinement à une augmentation de la demande intérieure. En outre, la menace de l'inflation et du chômage pousse les ménages à ne pas consommer inconsidérément, la consommation française étant déjà à un niveau très convenable. Il peut y avoir des cas où une relance économique fondée sur la demande peut être pertinente, mais ce n'est pas vraiment le cas pour la France depuis plus de trente ans. Une bonne partie des "mesures prises" ne font que handicaper l'appareil industriel français sans que cela ait des répercussions en terme de croissance.

Sans tenir compte des conséquences économiques à long terme, les politiciens préfèrent promettre des cadeaux aux électeurs, afin de bénéficier de retombées à court terme. Le plus problématique dans tout cela, c'est qu'il est absolument impossible de revenir en arrière, quelque soit les enjeux. Tout le discours sur les "acquis sociaux" vise à empêcher formellement tout recul, quitte à sacrifier l'avenir. C'est exactement le principe du cliquet, ce mécanisme visant à empêchant tout retour en arrière. Il peut apparaître rassurant, mais se priver de choix reste suicidaire. On l'a vu pendant la réforme des retraites. Il est extrêmement compliqué de revenir à un âge de départ à la retraite de 65 ans (pour l'instant, il n'est qu'à 62). Si François Mitterrand n'avait pas voulu baisser l'âge de départ à la retraite, les problèmes actuels de financement des retraites ne se poseraient pas de la même façon. Il semble impossible de le faire remarquer, l'effet de cliquet bloquant toute adaptation aux changements du monde. Au moins peut-on être plus précautionneux avant d'en rajouter davantage.

mardi 24 mai 2011

Jules Ferry sur la colonisation

Nous sommes le 28 juillet 1885. Alors que l'Assemblée Nationale est écrasée par une forte chaleur, Jules Ferry fait son retour à la tribune. Jusqu'en mars dernier, il était président du conseil et ministre des Affaires étrangères. Aujourd'hui, il va donner un discours sur la colonisation (l'Assemblée débattant initialement du financement de l'envoi de troupes à Madagascar), un long discours de 3 heures 30, si long qu'aucun orateur ne pourra prendre la parole après lui ce jour-ci. La séance n'est pourtant ouverte que depuis un quart d'heure. Le sujet est brulant, et beaucoup d'agitations ponctueront le discours. "On nous a reproché une politique d'aventures" dit-il, "il est des aventures, messieurs, qui sont nécessaires aux intérêts, à l'honneur, à la bonne renommée d'un pays." Il explique que la France s'est bien portée des colonisations précédentes, faites un peu par hasard. Il développe par la suite trois arguments en faveur de la poursuite des colonisations.

Le premier est économique. Selon lui, la fondation d'une colonie, c'est la création d'un débouché. "Les traités de 1860, dit-il, ont transformé et activé la production industrielle en France. L'industrie française ne peut plus se passer d'exportations ; or tandis que les nécessités d'exportations s'imposaient à nous, l'Allemagne s'entourait de barrières, les Etats-Unis se défendaient contre l'immigration des produits d'Europe, partout les traités de commerce devenaient de plus en plus difficiles à négocier et à conclure. De là, l'obligation de résoudre cette question vitale : la question des débouchés."

Le deuxième argument est celui relatif à la liberté des populations concernées. Ses réponses sont stupéfiantes. "Il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures..." "Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures..." "De nos jours, je soutiens que les nations européennes s'acquit­tent avec largeur, avec grandeur et honnêteté, de ce devoir supérieur de civilisation." Il refuse vigoureusement les comparaisons avec l'esclavage, aboli une quarantaine d'années plus tôt, et préfère mettre en avant la moralisation des régions colonisées, et l'apport du droit européen.

Le troisième argument a trait au prestige de la France. Celle-ci, blessée, doit continuer à avancer malgré tout. En comparaison, le Royaume-Uni est la puissance dominante mondiale. "L'univers actuel est ainsi fait qu'une politique de recueillement effacé ne serait autre chose qu'une politique de décadence. Ce n'est pas par le pur rayonnement pacifique que les nations sont et se maintiennent grandes. Rayonner ne suffit pas, il faut agir." Il conclut en prétendant que la France n'en veut pas à ceux qui recherchent sa grandeur.

Plus de cent après, un tel discours apparaît au mieux inopportun, au pire funeste. Mais à l'époque déjà, Jules Ferry était très fortement contesté. Il n'était approuvé que par la gauche, soit les républicains modérés. A droite (les monarchistes) comme à l'extrême gauche (les radicaux), les parlementaires se déchainaient contre lui. Comme il avait voulu éduquer les enfants français par l'école obligatoire, Jules Ferry voulait éduquer les peuples qu'il considérait comme inférieur par la force. L'opposition faisait remarquer à juste titre que ce que la République proposait, c'était la guerre, la guerre à des gens qui n'avaient rien demandé, et dont on n'était même pas sûrs qu'ils étaient si inférieurs que ça. Tout cela ne faisait que détourner l'attention du pays de la préparation de la revanche face à l'Allemagne. Quant à l'argument économique, il est particulièrement discrédité, l'affaire coûtant bien plus chère qu'elle n'a rapporté.

Si ce discours de Jules Ferry est resté célèbre, la réponse qui lui fit faite par son ennemi juré Georges Clemenceau deux jours plus tard l'est encore davantage. La pertinence de celle-ci résonne encore aujourd'hui. Jules Ferry s'est lourdement trompé en croyant que la France ne lui en voudrait pas de rechercher sa grandeur. A l'époque, il y avait un débat avec des opinions diverses, et c'est la mauvaise décision pour de mauvaises raisons qui fut prise. Sur bien des aspects, la colonisation a apporté l'opprobre sur la France. Il ne s'agit pas de mortifier la France sur son passé. Mais certaines personnes se sont gravement fourvoyées, et ne peuvent être des exemples pour nous. Tout bien pesé, le bilan politique de Jules Ferry est négatif. Le culte dont il est parfois l'objet aujourd'hui n'est pas justifié et nous devons en être conscient.

mercredi 18 mai 2011

Climat et systèmes politiques

L'Estonie n'est pas riche, mais au moins, ses comptes publics sont sains. En janvier dernier, elle a adopté l'euro comme monnaie. Le budget est équilibré, et il n'y a quasiment pas de dette publique (seulement 8 % environ du PIB). Bien sûr, avec la crise économique, les rentrées fiscales ont diminuées, mais un plan d'austérité a permis de garder des finances publiques rigoureuses. Ce plan n'a pas été rejeté par la population, lorsqu'à l'ouest, ils ont tendance à être très mal vus. Dans un article de l'hebdomadaire The Economist, le Président estonien, Toomas Ilves, explique que les gens du nord sont nécessairement économes, ils doivent emmagasiner de la nourriture en été pour survivre à l'hiver très rude. L'article note que son voisin letton a eu besoin par le passé de l'aide du FMI. Cela remet directement en cause cette explication... Mais on voit quand même que l'idée du déterminisme climatique a la vie dure.

C'est une analyse qui a longtemps eu cours à travers les pays et les siècles. Montesquieu est particulièrement connu pour avoir exploré ce terrain. Dans son Esprit des lois, il consacre quatre livres sur trente-et-un, soit presque une partie entière sur six, sur l'influence de la nature du climat sur les lois et la servitude. Selon lui, le climat rend les hommes différents. "L'air froid resserre les extrémités des fibres extérieures de notre corps ; cela augmente leur ressort, et favorise le retour du sang des extrémités vers le coeur. Il diminue la longueur de ces mêmes fibres; il augmente donc encore par là leur force. L'air chaud, au contraire, relâche les extrémités des fibres, et les allonge; il diminue donc leur force et leur ressort." Ce serait donc un processus physiologique qui changerait les caractères. Le même homme serait vigoureux et courageux en milieu froid, faible et lâche en milieu chaud. Les sciences naturelles expliqueraient alors les natures humaines, les systèmes politiques et in fine, les différences de développement.

Travailleurs au nord, paresseux au sud, les choses sont dites telles quelles dans Montesquieu. Ce n'est pas du racisme authentique, puisque cela ne dépend pas de données corporelles innées, par ailleurs fortement critiquées par le philosophe. C'est un déterminisme climatique qui apparaît bien commode pour justifier des inégalités. On le retrouve en quelque sorte lorsque des personnes habitant le nord de l'Europe vantent leur rigueur budgétaire, obtenue après de difficiles sacrifices, et critiquent le laxisme budgétaire des pays du sud, parlant avec condescendance des pays du "Club Med". Les pays scandinaves, l'Allemagne ou les Pays Bas privilégient leur prospérité à long terme de la fourmi quand l'Italie, la France, la Grèce ou l'Espagne vivent à crédit comme la cigale. En Belgique même, on retrouve un nord rigoureux (les Flamands) reprochant au sud (les Wallons) leur paresse.

Certains pourraient objecter qu'il s'agit là de différences essentiellement culturelles. Mais il pourrait alors être répondu que les cultures sont influencées par les conditions climatiques. Montesquieu préconise d'imposer des lois allant contre les défauts créés par le climat : la politique publique doit ainsi encourager le travail plus activement dans les pays chauds. Néanmoins, le déterminisme climatique ne peut être une analyse satisfaisante. En fait, tout déterminisme rigide pose problème : celui de nier le libre arbitre. Chacun doit pouvoir garder la responsabilité de son sort. Bien sûr, le climat influe sur les conditions de vie, et la culture a un rôle dans les sociétés. Mais faire face à la chaleur extrême est aussi difficile que de faire face au froid extrême, le travail et l'investissement personnel sont nécessaires dans toutes les situations.

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