Dans les deux semaines qui ont suivi le 21 avril 2002, la France a assisté de très vastes manifestations de gens en colère après l'arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. Ils étaient en très grande partie constitué de jeunes, lycéens et étudiants qui voulaient montrer leur rejet d'une extrême droite qui n'avait jamais connu un aussi bon résultat électoral. Dans les universités, ils n'étaient pas rares que les professeurs transforment les amphithéâtres en lieu de mobilisation, expliquant aux jeunes que cela devait leur servir de leçon, qu'ils devaient aller voter, parce que les retraités qui votent pour le Front National, eux, seront toujours assidus à l'isoloir. D'une manière générale, le choc était très grand, et ce d'autant plus qu'il n'avait pas vraiment été précédé d'avertissement, peu de gens s'exprimant pour revendiquer leur vote FN.

Dix ans plus tard, lors de la dernière campagne présidentielle, un sondage trouve un grand écho médiatique au début d'avril dernier. Il place Marine Le Pen en tête des intentions de vote au premier tour chez les 18-24 ans. Alors certes, ce n'est qu'un sondage parmi des dizaines d'autres, et un sondage CSA qui plus est. Néanmoins, cela permet de réaliser que la jeunesse n'est pas autant hostile au Front National qu'on le croit habituellement. C'est surtout un effet d'optique. En 2002 aussi, une partie de la jeunesse a voté pour le candidat du FN. Le vote FN y était certes sous-représenté par rapport au score global, mais il était quand même tout à fait significatif. Pendant ce temps, les jeunes qu'ont voit défiler dans la rue sont ceux qui déjà clairement marqués à gauche. Les activistes des facs sont toujours les mêmes, et finissent par ressembler à une caricature qui perdure d'une génération à l'autre. Pendant qu'on prend notre temps à les regarder (car ce sont les plus démonstratifs), on en oublie d'observer ceux qui ne disent rien, soit la vaste majorité qui forme la France de demain.

Et c'est assez logiquement en fin de compte que l'on constate que toutes les opinions politiques y sont présentes. Cela veut donc dire celles du FN aussi. A la suite de ce sondage, Le Monde a publié un article sur des jeunes de provinces qui comptaient voter pour Marine Le Pen. Leurs témoignages sont assez terre à terre : ils en ont marre de l'insécurité dont ils sont fréquemment les victimes, et ont le sentiment qu'on laisse développer un système communautaire qui au final, les laisse sur le bord de la route. A les écouter, on comprend bien que le mélange multiculturaliste ne fonctionne pas.

Après le deuxième tour, l'auteur d'un blog d'extrême droite a écrit une sorte de manifeste où il se sert de son parcours personnel pour expliquer comment on pouvait être électeur FN. Il a une vingtaine d'années, a grandi dans un milieu populaire, et était de gauche pendant son adolescence. Il faisait justement partie de ceux qui ont manifesté après le 21 avril 2002. Il explique comment sa vie a été marquée par les agressions, commises par d'autres jeunes, issus de l'immigration. Les cibles, c'est ceux qui n'en étaient pas issus. Sans entraîner l'adhésion, son texte permet au moins de comprendre comment on peut passer de la gauche à l'extrême droite. D'abord, il y a le ressentiment de sentir ce qui était un monde, des valeurs strictement morales s'échapper. Ensuite, il y a un autre ressentiment, celui d'avoir l'impression que l'on est tenu pour rien du tout, que cette souffrance est niée, son droit à s'exprimer combattu. Ce blogueur a la même agressivité verbale que les dirigeants du FN. Mais on sent que cette agressivité verbale vient en reflet de celle qui combat ce qu'il a à dire.

La xénophobie étant considérée comme un mal certifié de notre société, vouloir le combattre apparaît comme une mission héroïque pour beaucoup de gens. Ceux qui ont des opinions vues comme "non républicaines" subiront donc tout l'éventail rhétorique possible : culpabilisation, insultes, caricature, moquerie, rejet par principe, mise sur la touche... Pour résumer : "pas de tolérance envers l'intolérance". Et alors qu'on trouvera facilement des sympathisants d'extrême gauche pour s'exprimer haut et fort sur ses idées, celui d'extrême droite préférera ne rien dire. Mais ce n'est pas parce qu'il n'est pas audible qu'il n'en pensera pas moins. Au contraire, ce sentiment d'être rejeté ne fera que l'énerver davantage, et au final, cela renforce l'extrême droite.

L'extrême droite ne s'éteindra pas avec un changement de générations. Une partie de la jeunesse se tourne vers elle car elle rejette l'évolution du monde actuel. Alors, plutôt que de l'invectiver, il faudrait surtout s'atteler à ce que ses observations ne soient plus d'actualité.