Réflexions en cours

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mardi 31 juillet 2007

Le choc des civilisations

Dans son livre publié en 1996 sous le titre Le choc des civilisations, le géopolitologue Samuel Huntington défend une thèse controversée : après l'effondrement du bloc soviétique, les tensions qui feraient l'évolution du monde ne seraient plus d'ordre idéologique, mais d'ordre culturel. Ainsi, les peuples et les Etats seraient désormais à considérer selon leurs civilisations dans leurs concurrences en terme d'influence. Samuel Huntington analyse alors les tensions qui existent entre les différentes civilisations qu'il perçoit, l'occidentale, l'africaine, l'islamique, la chrétienne orthodoxe, l'hindoue, la chinoise, la latine, la japonaise et quelques zones plus petites. La géopolitique serait alors constituée des relations entre chacun de ces blocs civilisationnels. Dès lors, la plupart des guerres actuelles ne seraient que la retranscription de ces tensions. A la lecture du livre, il faut bien avouer que certaines des thèses développées sont fantaisistes ou douteuses. Un long passage sur la prochaine guerre mondiale qui en découlerait laisse une impression étrange, tellement il y manque des précautions vis-à-vis de la prédiction de l'avenir réalisée. Néanmoins, la grille de lecture du monde offerte est souvent intéressante, et les événements qui ont eu lieu depuis lui confèrent une certaine pertinence.

Par exemple, il décrit la division ukrainienne entre les régions qui sont attirées par l'ensemble occidental et celles qui restent attachées à un lien fort avec la Russie et les autres pays slaves. Lorsque la révolution orange eut lieu en Ukraine, elle semblait être la conséquence immédiate de ces affrontements politiques. Surtout, au niveau des relations entre occident et monde musulman, le livre se montre presque prophétique : celui-ci connut d'ailleurs un regain d'intérêt après les attentats du 11 septembre 2001, et évidemment, les situations du proche et du moyen orient en sont comme des représentations. L'incompréhension qu'il y eut lors de l'affaire des caricatures danoises entre l'occident et les pays musulmans montrent que les tensions entre ces ensembles sont à l'évidence fortes. Samuel Huntington se demande également, de façon pessimiste, quelle sera l'évolution entre les relations entre la Chine, qui devient plus forte de jour en jour et veille à accroître son influence planétaire, et un occident qui est menacé au moins économiquement par un tel développement, et refuse l'idée que les armées chinoises reprennent un jour le contrôle de Taiwan : le jour où cela arrivera, que se passera-t-il ? Du reste, les civilisations n'entretiennent pas toutes des relations difficiles les unes avec les autres. Par exemple, le Japon semble fortement occidentalisée et insérée dans la mondialisation forgée par les occidentaux. Il ne faut pourtant pas se méprendre : si de nombreux pays non occidentaux semblent avoir adopté un mode de vie similaire et les même technologies, d'un point de vue culturel, les peuples garderaient toujours un socle fort de valeur héritée des anciennes sociétés, et cela les distingueraient nettement des autres civilisations.

A la thèse développée par Samuel Huntington, il y a de nombreuses objections. Par exemple il est pour le moins simpliste de découper le monde en des civilisations à l'intérieur desquels les intérêts seraient convergents. Au sein de l'occident ou de l'islam, il y a pourtant de nombreuses divisions. La guerre civile irakienne en est un exemple frappant. D'autre part, cette idée d'affrontement de civilisations peut donner l'impression qu'il s'agit là d'un nouveau nationalisme qui s'étendrait sur des régions plus vastes que celles des territoires nationaux. Cette méfiance de l'autre qui en découle ne va clairement pas dans le sens de la paix entre les peuples, et à trop s'appuyer sur une telle analyse, l'on peut être tenté de la devancer, ou même d'en faire une prophétie auto-réalisatrice. La "guerre contre le terrorisme" opérée par les néo-conservateurs américains montre que l'application d'une doctrine géopolitique guerrière est de nature à embraser le monde. C'est bien pour cela que d'autres essaient à tout prix d'éviter un tel choc des civilisations. L'action de Jacques Chirac sur le plan international trouve sa raison d'être dans sa volonté d'empêcher ces conflits qui seraient à venir. Il n'est alors pas étonnant qu'une fois l'Elysée quitté, il souhaite se consacrer au dialogue entre les peuples.

Le choc des civilisations est donc une nation à prendre avec des pincettes. Si le concept propose une analyse intéressante et pertinente de ce qu'il se passe dans le monde, il ne doit pas être transformé en une vision du monde inéluctable. Il s'agit en fait de l'équilibre à trouver entre optimisme et pessimisme.

dimanche 29 juillet 2007

L'idéologie conservatrice

La Révolution Française, en permettant le pluralisme des opinions, vit la naissance de nombreux courants politiques dont les racines pouvaient toutefois être très anciennes. Evidemment, la pensée dominante qui précédait ces événements devint l'un de ces courants politiques, découvrant de mauvaise grâce la cohabitation avec les autres. En effet, la monarchie absolue était assez peu habituée à devoir rendre des comptes et à être constamment menacée par d'autres idées. Mais le choix ne lui en a pas été laissé, jusqu'à ce que les armées du reste de l'Europe force la Restauration de l'ancienne monarchie en France en 1815. Si un régime parlementaire est alors instauré, les lois électorales favorisent le retour des ultra-royalistes à la Chambre des députés. Ceux-ci formèrent la "chambre introuvable", en référence à sa couleur politique improbable de par son extrémisme, où les députés se montrèrent bien plus royalistes que Louis XVIII : il s'agissait d'effacer les 25 années précédentes, et ceux qui avaient été des contre-révolutionnaires en exil décidèrent de prendre des mesures contre ceux qui avaient participé à la Révolution. Ils voulurent également renforcer les prérogatives du roi par rapport au peuple, restaurer le statut des nobles et favoriser les vues les plus strictement cléricales en matière de société. Ce catholicisme très prononcé restera ensuite comme l'un des signes distinctifs de ce mouvement, avec la méfiance envers la République. Avec l'arrivée au pouvoir de Charles X, les ultra-royalistes trouvent un monarque qui va dans le même sens qu'eux, mais c'est précisément leur manque de modération dans le royalisme qui pousse le peuple de Paris à changer le roi et à porter au trône Louis-Philippe, plus conciliant.

D'ultra-royalistes, ces traditionalistes devinrent des légitimistes. Des décennies passèrent, et ils gardèrent la volonté de réinstaurer en France une société conservatrice, catholique, avec un très fort attachement aux terroirs. Mais lorsque le prétendant légitime au trône, le comte de Chambord, décède en 1983, ils se retrouvent d'une certaine manière orphelin, le prétendant suivant devenant alors le même que ceux des orléanistes. Le mouvement contre-révolutionnaire change alors peu à peu, se teinte d'un nationalisme prononcé lors de l'affaire Dreyfus, et est influencé par les considérations de Charles Maurras et de son Action Française. Tout cela forme alors un courant qui se distingue par son conservatisme prononcé, et qui après avoir d'abord grandi un peu dans l'ombre dans l'entre deux guerres, accède au pouvoir lorsque les pleins pouvoirs sont accordés au Maréchal Pétain en 1940. La "Révolution Nationale", idéologie officielle de l'Etat français, en est une parfaite émanation.

Evidemment, après la seconde guerre mondiale, les conservateurs traditionalistes sont largement discrédités et chassés du pouvoir. Ceux qui prônent une société conservatrice se retrouvent alors marginalisés dans le Centre National des Indépendants et des Paysans, même s'ils adhèrent aussi aux autres partis de droite dans lesquels ils sont solubles (tels que le Parti Républicain ou le RPR). D'une manière générale, le mouvement d'idées conservateur est bien moins influent à partir de l'après-guerre, restant tout de même l'une des composantes traditionnelles de la droite. Les catholiques traditionalistes en sont une émanation, ils se retrouvent en grand nombre dans le Front National ou bien dans le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers. Ce dernier est d'ailleurs un conservateur symbolique : après être passé par les libéraux du Parti Républicain, il prend son indépendance pour mener son combat contre la construction européenne. Outre son euroscepticisme, il prône la lutte contre ce qu'il perçoit comme une "islamisation de la France", et défend les valeurs catholiques traditionnelles, comme l'attachement à la structure familiale, et se veut en phase avec les territoires profonds de la France. Il est depuis une vingtaine d'années président du conseil général de Vendée, une terre qui s'est justement distinguée par le passé par son royalisme et la forte implantation du catholicisme.

Le mouvement conservateur au sens strict ne représente de toutes façons pas plus que quelques pourcents dans l'électorat français. De fait, son importance est souvent grandement surestimée, alors que l'idéologie dominante d'aujourd'hui est plutôt celle d'une société très libre. Ce conservatisme de ceux qui étaient autrefois des contre-révolutionnaires est souvent proche de l'extrémisme. Mais en 1968, les militants "gauchistes" y faisaient référence pour s'en prendre à ceux qui n'approuvaient pas leurs agissements, y voyant une nouvelle forme de contre-révolution, alors que la volonté de maintenir le respect de l'autorité dans les valeurs de la société française ne pouvait engendrer de retour en arrière dangereux. Ceux-ci furent appelés "réactionnaires", alors que la notion de progrès devenait soudainement très floue.

mardi 17 juillet 2007

La division de l'île de Chypre

La question chypriotte reste au coeur des relations diplomatiques entre l'Union Européenne et la Turquie. Ou plutôt, elle reste une pierre d'achoppement qui les trouble. L'île est historiquement peuplée par des Grecs et des Turcs, deux peuples qui se sont longtemps combattus par le passé, et la situation demeure une question assez classique de domination territoriale. En l'occurrence, au vingtième siècle, la population chypriotte était en grande majorité d'origine grecque. Alors que le territoire fut pendant quelques décennies sous administration britannique, son rattachement à la Grèce ou à la Turquie était encore hors de question. Mais lorsque l'île prit son indépendance, il y eut très vite une volonté forte de réaliser l'enosis, l'union avec la Grèce dont elle était si proche culturellement. La présence d'une minorité turque était un obstacle évident à l'opération, et en éloignait la perspective. Ainsi, quand en 1974 un coup d'Etat fut organisé pour forcer le rattachement de Chypre à la Grèce, la Turquie répliqua en envahissant la partie nord de l'île pour empêcher l'enosis. Si la République de Chypre demeura indépendante, l'armée turque n'en a pas moins continué d'occupper le nord de l'île, créant de fait une partition de l'île. Cette partition a perduré au cours des décennies suivantes, transformant la division géographique en une division ethnique, avec une République de Chypre composée de citoyens d'origines grecques, reconnue par la plupart des pays à travers le monde, et une administration turque qui s'occuppe des chypriotes turques, dont une bonne part de Turques venus en colons pendant cette période, passant ainsi outre la Convention de Genêve sur la non-colonisation des territoires occuppés. Cette administration turque n'est de ce fait reconnue que par le gouvernement turque.

Or depuis le 1er mai 2004, Chypre en tant qu'Etat est devenue l'un des membres de l'Union Européenne. Si la petite île n'est pas géographiquement en Europe, cette adhésion fut surtout l'occasion de faire un ersatz d'enosis pour la Grèce, en faisant incorporer Chypre au même ensemble qu'elle. Paradoxalement, des négociations d'adhésion ont été ouvertes entre la Turquie et l'Union Européenne. Cela peut sembler d'autant plus surprenant que la Turquie ne reconnaît pas l'un des membres de cette Union, en refusant d'admettre la souveraineté de la République de Chypre. Ainsi, l'Union Européenne est en train de discuter adhésion avec un pays qui nie l'existence d'un de ses membres. Evidemment, le poids d'une armée très nationaliste pèse en Turquie dans le débat sur la concession que serait une reconnaissance de la Chypre grècque. Tout cela forme une situation inextricable. Certes, ce n'est pas la seule avec la Turquie. Mais cela représente tout de même une gêne indéniable, et à vrai dire invraisemblable.

Dès lors, le véto de Chypre à l'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne serait tout à fait naturel. Il serait même juste que ce véto provienne de l'ensemble des pays qui constituent cette Union, tant le mépris de la Turquie envers Chypre est incroyable. Encore aujourd'hui, la Turquie refuse l'accès des bateaux chypriottes à ses ports. Du reste, il y a bien d'autres points qui ne rendent pas souhaitable l'adhésion de la Turquie. Mais celui-ci n'est pas le moindre.

dimanche 15 juillet 2007

L'UMP décapitée

En devenant Président de la République, Nicolas Sarkozy a du quiter une autre présidence, celle de l'UMP. Avoir eu le contrôle de cette formation politique fut déterminant dans sa conquète de l'Elysée, réussissant pour cela à en augmenter considérablement le nombre d'adhérents et à déjouer les oppostions internes en s'appuyant sur la légitimité que lui conférait son élection à la tête de l'UMP par l'ensemble des militants en 2004. Logiquement, Nicolas Sarkozy ayant démissionné de cette présidence lors de son entrée à l'Elysée, l'UMP aurait du être dirigée en intérim par le vice-président devenu président délégué, Jean-Claude Gaudin, le temps d'arriver au prochain congrès. Or le mandat d'un bureau dirigeant de ce parti a une durée de trois ans, donc il faudrait qu'un nouveau bureau soit élu dans les mêmes conditions à l'automne prochain. Mais tout d'un coup se développe une théorie inédite sur la direction de l'UMP : maintenant que le Président de la République est issu de l'UMP, le mouvement ne pourrait plus être dirigé par quelqu'un qui soit élu au suffrage universel des militants. Cela créerait un "conflit de légitmité" entre le Président de la République et le président de l'UMP, et l'on ne saurait plus clairement qui dirige la majorité. Voilà qui est surprenant.

Surprenant, et absurde de surcroit. En effet, Nicolas Sarkozy, en remportant l'élection présidentielle, est devenu le Président de tous les Français, et pas le simple chef d'un parti politique. Il n'a certainement pas à se placer sur ce terrain là, surtout qu'il peut toujours s'adresser s'il le souhaite à ses anciens amis politiques. De plus, rien n'empêche les militants de désigner un bureau qui soit totalement loyal et fidèle au Président de la République. Après tout, cette majorité est une majorité présidentielle, et les élections législatives ont largement joué sur ce thème. Mais la légitimité même que confère l'élection au suffrage universel des adhérents semble être perçu comme une menace par l'Elysée, et Patrick Devedjian et Jean-Pierre Raffarin, deux personnes qui souhaiteraient être de la futur équipe dirigeante, sont chargés de trouver un moyen de supprimer ce suffrage universel lorsque le Président de la République est un ancien adhérent de l'UMP. A la place il y aurait une direction collégiale étendue, désignée par le bureau national des cadres de l'UMP, éventuellement confirmée par les adhérents par un vote de confiance. Cela veut tout simplement dire qu'il devient hors de question qu'il y ait plusieurs candidats à la tête de l'UMP, annihilant la possibilité de choix parmi les militants. En terme de démocratie interne, le recul est total. Cette orientation, si elle confirmée, reviendrait à officialiser le mépris des dirigeants de ce parti politique pour ceux qui y ont adhéré.

Déjà, on peut remarquer l'ironie de la situation : Nicolas Sarkozy, qui a répété pendant toute la campagne présidentielle que rien ne lui avait jamais été donné et qu'il avait du conquérir par lui-même chacune de ses responsabilités, n'aurait pas pu prendre la tête de l'UMP en 2004 si de telles règles avaient été à l'oeuvre. En effet, Jacques Chirac étant le fondateur de fait de l'UMP, il aurait fallu une direction collégiale. Celle-ci émanant de cadres établis plutôt que de nouveaux militants, elle aurait consacré les plus fidèles des chiraquiens dont Nicolas Sarkozy ne faisait certainement pas parti. Celui-ci souhaite certainement qu'un autre fasse ce que lui même a fait : il refuserait qu'un opposant potentiel puisse lui faire de l'ombre et représenter un successeur potentiel, ce qu'il était pour Jacques Chirac. Mais le point le plus gênant, et qui semble sous-estimé par ceux qui sont aujourd'hui à la manoeuvre, est le signal envoyé : en ne consultant plus la base, ce parti se met de lui-même en sommeil jusqu'aux prochaines élections présidentielles. Il aurait pourtant fallu, au contraire, que l'expansion continue, quitte à se transformer en phénomène de société, que le courant d'opinion soit toujours plus fort, pour aider le gouvernement dans ses réformes et enclencher le changement dans la société. Il y a beaucoup à faire sur ce champ-là, mais ces responsables politique s'orientent aveuglement dans le sens inverse, pour de pures questions politiciennes. Ils ratent là une fantastique occasion.

Photo : Reuters

vendredi 13 juillet 2007

Désillusion européenne

Lors du sommet européen des 21 et 22 juin dernier, la Présidence allemande de l'Union Européenne s'est évertuée à trouver une porte de sortie à la crise engendrée par les "non" français et néerlandais dans leurs référendums respectifs quant à l'adoption du Traité Constitutionnel Européen. Si le "traité simplifié" proposé par Nicolas Sarkozy fut une base de travail qui finit par être approuvée par tous, les négociations ont tout de même été très compliquées. Car là où ce traité simplifié visait essentiellement à reprendre les avancées institutionnelles du TCE, et à laisser la définition des politiques menées aux autres traités en vigueur, certains pays, avec en premier lieu la Pologne, ont essayé d'en profiter pour revenir sur ces avancées institutionnelles, en particulier sur le point délicat du système des droits de vote. Les frères Kaczynski ont utilisé des arguments stupéfiants pour défendre leur souhait d'avoir des droits de vote plus que proportionnels au poids de leur pays, en montrant ainsi une germanophobie qui ne devrait plus être d'actualité maintenant que Pologne et Allemagne font tous deux partie de l'Union Européenne. Il a fallu que des pays considérés comme moins hostiles par la Pologne aillent en première ligne convaincre ses dirigeants, quitte à ce que Nicolas Sarkozy appelle Jaroslaw Kaczynski, le Premier ministre polonais resté à Varsovie, et lui proposer de faire lui-même un discours devant le parlement. Angela Merkel, elle, a su user de suffisament de diplomatie pour que ces attaques irrespectueuses n'empêchent pas la conclusion d'un accord. La Présidence portugaise qui débute actuellement, est chargée de formaliser ce nouveau cadre qui vient d'être décidé.

Si l'aboutissement des discussions à un accord fait que le sommet a été de fait un succès vu ses enjeux, nombreux sont ceux qui en sont repartis avec une forte amertume. En effet, la Pologne avait obtenu de retarder l'application de ce nouveau système de vote et la Grande-Bretagne n'est pas obligée de voir s'appliquer sur son territoire la charte des droits fondamentaux. En fait ce sommet a été le théatre d'une pièce où chaque pays venait défendre son intérêt national, devant rendre compte ensuite devant son opinion publique sur ce qui a pu être obtenu à la bataille, sans jamais se soucier de l'intérêt général européen. C'est ainsi l'idée européenne en elle même qui a été mise à mal. Dès lors, comment vouloir la mise en place d'une véritable politique européenne ? Si l'Europe manque cruellement de démocratie dans son fonctionnement, le chemin est encore très long avant qu'une structure fédérale, rendant compte directement au peuple, puisse être mise en place. Il apparaît alors que l'idée d'une "constitution européenne" est venue bien trop tôt, et quelle que ce soit la façon dont on l'observe aujourd'hui, il semble clair a posteriori que les chances de succès de cette entreprise à l'échelle européenne étaient minimes. L'expérience nous a au moins permis de le comprendre.

Le coup est dur, et c'est une véritable désillusion qui accable les partisans de la construction européenne. Plusieurs pays ont adhéré à l'Union Européenne simplement pour entrer dans une zone de libre échange, sans se préoccupper de l'efficacité supplémentaire que pouvait procurer des politiques concertées dans de nombreux domaines. Le refus de reconnaître les symboles de l'Union Européenne est en cela emblématique de la méfiance envers le fonctionnement européen. Pourtant, rien n'indique que les pays qui frennent aujourd'hui des quatres fers soient à jamais perdus pour la cause de la construction européenne. En fin de compte, ils ne font que refléter l'état de leurs opinions publiques respectives qui peuvent évoluer. L'Histoire nous a appris que s'il y a certaines constantes dans les volontés de chaque peuple, celles-ci ne permettent pas de faire un trait définitif sur une véritable ambition européenne. Seulement voilà : il est encore bien trop tôt.

L'illusion, c'était de croîre que l'on pouvait arriver à une structure fédérale dès maintenant. L'illusion tenait en fait surtout dans les symboles, l'utilisation des mots "convention" et "constitution", alors que le TCE n'avait pas grand chose à voir avec une véritable constitution. Seulement rien n'est perdu, si l'on s'en donne le temps. Il ne faut pas se voiler la face, cela prendra certainement plusieurs décennies pour que le projet européen arrive à terme. La construction européenne fête actuellement son cinquantenaire, il lui en faudra probablement un deuxième pour aboutir véritablement. Et pendant tout ce temps, le travail devra rester constant. Il apparaît alors que les partisans de la construction européenne traversent davantage un découragement temporaire, plutôt qu'une désillusion fondamentale. Ils peuvent en profiter pour s'interroger sur les meilleures voies pour continuer ce travail, et sur la manière dont leur vision doit prendre forme. Mais en tout cas, il est hors de question pour eux d'abandonner la partie.

mercredi 11 juillet 2007

Le libéralisme politique en France

Lorsque René Rémond énumère les différentes droites, il découvre une certaine continuité entre les anciens monarchistes orléanistes et les libéraux actuels. Par la présentation qu'il fait de ce courant politique, celui-ci donne l'impression d'être le représentant de la bourgeoisie. Après tout, selon l'analyse marxiste, la Révolution Française de 1789 s'explique par la volonté de la bourgeoisie de prendre le pouvoir vis-à-vis d'une aristocratie toute puissante, mais bien peu productive. Cette époque connaissait en effet les débuts de l'industrialisation à travers les premières manufactures. Le XVIIIème siècle fût ainsi marqué par les débuts de la Révolution Industrielle en Europe occidentale. Cela ouvrait évidemment de nouvelles perspectives : alors qu'Adam Smith découvrait les mérites de la division du travail dans une manufacture d'épingles et théorisait les vertus de la main invisible, c'est une toute nouvelle économie qui voyait le jour en faisant définitivement sortir les sociétés du mercantilisme des monarchies absolues. Pour profiter des gains conférées par les économies d'échelles, il fallait pouvoir monter des structures de production d'une certaine taille. C'est ainsi que la richesse accumulée par certains artisans ou commerçants pu se transformer en capitaux pouvant être investits, en l'espoir de nouveaux gains futurs. C'était la création de l'entreprise privée, l'intensification du commerce avant de profiter du boom technologique qui suivra la mise au point de la machine à vapeur. Ainsi l'on pouvait devenir riche par le travail et l'investissement, et cette nouvelle élite venue du peuple sera aux premières loges lors de la Révolution. Il n'est alors pas étonnant de constater que c'est l'Assemblée constituante qui adopte les décrets d'Allarde et la loi Le Chapelier (instaurant la liberté d'entreprendre et interdisant les corporations). De la même façon, on retrouve ce courant politique quelques dizaines d'années plus tard pour soutenir l'accession au trône de Louis-Philippe Ier d'Orleans, celui-ci promettant justement un régime plus libéral que celui des ultras de Charles X.

La transition vers la République ne posa pas un problème insurmontable pour les libéraux, qui formaient une droite modérée, souvent issue des notables de provinces. Paul Reynaud et l'Alliance Démocratique en sont en quelque sorte des exemples dans la IIIème République, même si les libéraux préfèrent souvent garder une certaine indépendance : la liberté de vote dans l'hémicycle était alors bien plus courante, et la nécessité d'adhérer à un parti moins présente lorsque le député avait de fortes attaches territoriales. On les retrouve ainsi dans le Centre National des Indépendants après-guerre, avec comme porte étendard Antoine Pinay (qui se fit remarquer par sa politique monétaire et financière lorsqu'il était aux affaires), avant qu'ils ne fassent sécession avec Valéry Giscard d'Estaing en 1962, sous le nom des Républicains Indépendants, lorsqu'ils décidèrent de continuer de soutenir la politique du Général de Gaulle. Valéry Giscard d'Estaing, devenu Président de la République, apporte son Parti Républicain à la création de l'UDF qu'il décide en 1978. Le parti restera dans ce cadre jusqu'en 1997, avant de prendre son indépendance en se transformant en Démocratie Libérale sous l'égide d'Alain Madelin, assumant alors un tournant plus prononcé vers l'idéologie libérale. Ce parti est ensuite intégré à l'UMP lors de sa création en 2002, où les libéraux gardent une certaine influence.

Alors que dans les années 80, le libéralisme triomphait dans le monde (surtout au travers des politiques de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan), les libéraux français se trouvaient alors à contre-temps, n'arrivant pas à vraiment conquérir le pouvoir. L'extrème gauche s'est alors reconvertie en une gauche "anti-libérale", en remettant au goût du jour la lutte des classes à travers la haine du capitalisme assumé. C'est ainsi qu'en France ceux qui haïssent la richesse continuent s'en prendre à "l'ultra-libéralisme", source d'une mondialisation vue comme profondément destructrice et source de misère. Ces dernières années encore, les tracts socialistes se limitaient à attaquer une droite considérée comme esclave du patronnat, et encore aujourd'hui, toutes les théories du complot libéral continuent de recontrer un grand succès. Pour ceux qui considèrent que la gauche c'est le bien et la droite le mal, Lionel Jospin aurait perdu en 2002 car il n'aurait pas été assez à gauche, et Ségolène Royal aurait la victime d'une conspiration des médias. Et malgré tout cela, Nicolas Sarkozy a réussi à se faire élire en se présentant comme n'étant pas hostile par principe au libéralisme, même s'il en rejette l'aspect dogmatique.

Il est vrai qu'il existe un certain aspect doctrinaire dans le libéralisme, surtout vu de la pensée économique, imposante en la matière. Milton Friedman et l'Ecole de Chicago l'ont considérablement renouvelée dans les années 70, et il existe aujourd'hui des personnes qui ne jurent que par le marché et la non intervention de l'Etat. Et lorsque la doctrine économique se prolonge dans les domaines sociétaux, cela donne une pensée libertaire assez troublante. En matière d'économie, le but est surtout de trouver la bonne réponse à chaque question, et pour cela il faut accepter de considérer que chaque question est différente. La crise des années 30 et la stagflation des années 70 étaient de natures très éloignées, il a donc fallu changer les politiques publiques pour y remédier. Dès lors, le libéralisme ne saurait être une fin en soi. Il reste qu'au regard de la situation de la France, l'économie est visiblement moins performante que celle de ses voisins. Dans ce cas précis, c'est plutôt l'importance de l'Etat providence français qui est en cause : cela se voit notamment dans les difficultés que connaissent les universités, ou bien dans les difficultés administratives que connaissent les entreprises. Le libéralisme s'oppose en effet à une politique socialiste qui présente elle aussi souvent des caractéristiques doctrinaires, mais sans ayant fait preuve d"efficacité économique en revanche. Et c'est bien ce seul soucis qui doit l'emporter.

lundi 9 juillet 2007

La flat tax slovaque

Après s'être sorti de l'emprise d'un communisme qui leur avait été imposé, les pays de l'Europe de l'est ont pour la plupart adopté des politiques économiques totalement à l'opposé de ce qu'ils avaient connu auparavant. Depuis une quinzaine d'années, il n'est plus question que de libéralisation là-bas, et lorsque cela a commencé par la privatisation d'un secteur public omniprésent, cela ne devait pas forcément se finir par une législation du travail très flexible, et une politique économique basée sur le laissez-faire. C'est pourtant le mouvement que ces pays ont accompli, pour arriver jusqu'à adopter le système de la flat taxe, c'est-à-dire le taux d'impôt unique sur tous les revenus, le même pour tous. La Slovaquie a été particulièrement remarquée en la mettant à 19 %, ce qui en fait un taux très bas. Mais elle connaît une très forte croissance, l'une des plus fortes de l'Union Européenne. De plus, conformément à la courbe de Laffer, les rentrées fiscales augmentent. Cela revient à dire que les rentrées fiscales sont plus fortes avec des taux d'imposition très faibles, puisqu'ils encouragent l'activité, que lorsque les taux d'imposition sont très forts. Ceux qui font la promotion de la flat tax mettent aussi en avant la simplicité du mécanisme, qui permettrait d'économiser des sommes colossales de calculs d'impôts chez les entreprises (et peut-être aussi chez les particuliers) et de recouvrements chez les gouvernements. Enfin, d'un point de vue éthique, il est possible d'argumenter que chaque effort doit être taxé de la même façon : après tout, si un gain supplémentaire est la conséquence d'un mérite supplémentaire, il ne doit pas être davantage découragé.

Mais d'un autre côté, ceux qui parlent de justice sociale restent attachés à la progressivité de l'impôt sur le revenu, et n'entendent pas revenir dessus. Le but n'est pas de taxer les plus modestes s'ils n'ont déjà pas suffisamment pour vivre de leurs propres revenus. Après tout, même les pays qui ont adopté la flat tax ont quand même un revenu plancher au dessous duquel le foyer n'est pas imposable. Mais la progressivité de l'impôt permet de taxer bien plus les foyers aux revenus les plus élevés. Le raisonnement est qu'à partir d'un certain niveau, on a assez pour vivre et même bien vivre. S'il faut donc prendre de l'argent à quelqu'un, autant le prendre là où il est, chez les riches qui n'ont pas besoin d'autant d'argent. La progressivité est compréhensible, même s'il est contre productif de taxer trop fortement les hauts revenus.

Le véritable problème de ces mises en place de flat tax dans ces pays qui restent tout de même plus pauvres que ceux d'Europe de l'ouest est que les taux adoptés sont vraiment faibles, alors que les États restent abreuvés d'aides communautaires. En faisant reposer la charge de l'impôt en partie sur les pays riches de l'Europe, les pays de l'est peuvent avoir une politique économique agressive en matière de compétitivité. Ils sont alors la cibles d'accusation de dumping, en ayant des coûts du travail inférieurs et en évitant de répercuter sur l'économie les besoins financiers des gouvernements, grâce aux subventions européennes. Et il est manifeste que l'entrée dans l'Union Européenne a été un succès économique pour les pays comme la Slovaquie. Evidemment, lorsque la Slovaquie se sera rapproché du niveau de pays comme l'Allemagne ou l'Italie, de telles politiques agressives seront moins nécessaires. Elles auraient de toutes façons du mal à perdurer, tant cette impression de dumping peut énerver les pays qui sont contributeurs nets au budget européen, et qui font face à des délocalisations parce que leur coût du travail ou leur taux d'imposition sont trop élevés. Il n'est pas dit qu'une généralisation de telles politiques soit possible.

samedi 7 juillet 2007

Service minimum : l'obligation de résultat

Cela avait été l'une des promesses de la campagne électorale de Jacques Chirac pour la présidentielle de 2002 : la perspective d'un service minimum en cas de grève dans les services d'intérêt général avait même beaucoup pesé dans la balance pour ceux qui avaient voté pour le candidat sortant dès le premier tour. Pourtant, celui-ci, marqué par une incroyable volonté de ne pas faire de vagues auprès des syndicats, avait décidé de prendre du recul par rapport à cette promesse. Elle a été alors ramené à un simple service garanti, c'est-à-dire une meilleure information des voyageurs dans les transports en commun, le domaine où la question est la plus sensible. Les exigences en matière de trafic à assurer ne relevaient plus que de la négociation entre les entreprises et les salariés, un jeu qui ne tient pas compte des intérêts des voyageurs. Alors que les anciens électeurs de Jacques Chirac étaient déçus, voir amers de voir les espoirs douchés, surtout lorsqu'ils souffraient autant qu'avant dans les transports en commun dans les nombreuses grèves qui ont eu lieu lors du dernier quinquennat, notamment avec la réforme des retraites en 2003. Constatant cela, Nicolas Sarkozy a décidé de remettre la mesure sur son propre programme en 2007, annonçant une approche plus volontariste de la question.

Une fois celui-ci au pouvoir, il charge le ministre du travail Xavier Bertrand de mettre en place la mesure dès le début du mandat. Evidemment, les syndicats s'opposent totalement à une telle éventualité. Le droit de grève est inscrit dans la constitution, et ils en usent à satieté, très souvent jusqu'à l'abus, pour obtenir ce qu'ils revendiquent. Les services publics sont des services d'intérêt général si importants qu'il a été décidé que leur exécution ne pouvait relever des aléas du privé. Si l'on est cohérent avec cette idée, alors il faut tout faire pour qu'ils fonctionnent en permanence. Et en particulier dans les transports en commun, qui permettent aux gens de se déplacer, qui leur donne une liberté fondamentale, celle de se mouvoir. Ils sont déjà suffisamment mis en difficulté par les contraintes techniques ou météorologiques, pour qu'ils soient en plus régulièrement mis à terre par d'incessants conflits sociaux. Et dans des entreprises comme la SNCF, c'est peu de dire que la "lutte sociale" est devenue depuis longtemps une culture d'entreprise. Alors que le gouvernement se penchera en 2008 sur les régimes spéciaux de retraites très avantageux de certaines catégories de fonctionnaires et d'employés du secteur public, il est nécessaire que les négociations se fassent de façon apaisée, et non pas dans le cadre de grèves préventives qui ont d'ailleurs déjà commencé. Car si le droit de grève est un droit, le droit de se déplacer et de travailler l'est aussi. Les grèves ne doivent pas gêner les usagers des transports en commun jusqu'à régulièrement faire de leur vie un enfer.

Plus que jamais le service minimum est donc nécessaire. Alors que les syndicats se montrent menaçants, Xavier Bertrand ne doit pas faire du service minimum un texte vague qui ne change rien, mais aboutir à un vrai résultat : que les conséquences des grèves aient le moins de répercussions possible pour les usagers. A l'heure actuelle, la loi prévue n'est déjà que modérément ambitieuse : les grévistes doivent se déclarer individuellement 48 heures à l'avance, et au bout de huit jours de grève, la grève doit être reconduite au scrutin à bulletin secret. Ce n'est vraiment pas ce que l'on peut appeler une atteinte au droit de grève, mais cela suffit pour rendre furieux les syndicats, qui s'émeuvent que l'on veuille "diviser" les travailleurs, et empêcher que leurs absences aient le maximum de conséquences négatives possibles. Ils reconnaissent par là même qu'une partie des grévistes ne fait grève que poussés, voire forcés par leurs collègues, et que le scrutin à bulletin secret donnerait des adhésions différentes à la grève. En plus de vouloir perpétuer cette sorte de tyrannie opérée envers les leurs, les syndicats refusent qu'ils soient indiqués que les jours de grève ne soient pas payés. Ils préfèrent évidemment que leurs actions n'aient de conséquences négatives que pour leurs employeurs, mais surtout pour ceux qui n'ont rien à voir dans leur conflit : leurs clients, leur raison d'être. On ne peut donc se permettre de reculer davantage sur le sujet, et en la matière, ce n'est pas une obligation de moyen que le gouvernement doit respecter, mais bel et bien une obligation de résultat.

jeudi 5 juillet 2007

Le devoir d'ingérence

La nomination de Bernard Kouchner a gouvernement a pu étonner, au vu du clivage partisan qui empêchait normalement une personnalité politique de gauche d'entrer dans un gouvernement de droite. Mais au vu de la proximité qu'il y a entre le nouveau ministre des Affaires étrangères et le nouveau Président de la République en matière de politique internationale, la surprise est déjà moins grande. Pendant toute la campagne électorale, Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir ne plus s'appuyer sur la "realpolitik", où l'on cache les dossiers qui fachent pour "vendre des avions". Il préfère ainsi aborder de front les autres chefs d'Etat, y compris sur leurs affaires internes qui posent problème notamment en matière de droits de l'homme. Dès lors, il n'est plus question de feindre une amitié avec la Russie comme l'a fait Jacques Chirac, l'heure est plutôt à discuter avec Vladimir Poutine de la condition des Tchétchènes. Nicolas Sarkozy promet ainsi de ne pas enterrer les dossiers délicats, en ouvrant l'information sur l'assassinat du juge Borrell quitte à fâcher la , ou bien en prenant en main la question du Darfour, où la France n'a rien à gagner. De son côté Bernard Kouchner a longtemps été un partisan de l'ingérence humanitaire, déclarant qu'il était souhaitable que l'on intervienne lors des drames qui se passent chez les autres, sous peine de faire de faire tout simplement de la non assistance à personnes en danger. Dans le domaine des affaires étrangères, les deux hommes sont donc sensiblement sur la même ligne, et jusqu'ici leur collaboration a bien fonctionné, alors que de nombreuses initiatives ont été lancées.

En rejetant la bassesse de la realpolitik, Nicolas Sarkozy pose la France dans ce qu'elle considère être sa spécificité, celle d'être à part dans le concert mondial, puisqu'elle est la patrie des droits de l'homme. L'idée est donc d'assumer cela dans les actes dans la politique internationale. Si le degré d'ingérence augmente, il reste tout de même limité : après tout, il est très peu probable que le gouvernement français reconnaisse le Dalaï Lama comme dirigeant du Tibet. Mais la question de la moralité en matière de relations internationales est quand même posée. Le concept de droit d'ingérence donne à un pays qui n'est pas concerné par une affaire extérieure la possibilité de s'y imiscer pour y faire cesser des souffrances. S'il reste à la discretion de chaque Etat, cela devient une porte ouverte à chacun pour élargir sa propre influence et mépriser la légitimité des autres Etats. C'est même un prétexte courant pour envahir un pays voisin : une minorité y serait opprimée, il faudrait alors faire cesser cela. Pour pallier à cette faille, il faudrait avoir un mandat international pour pouvoir interférer dans des affaires intérieures. C'est alors la cmmunauté internationale, voire l'humanité dans son ensemble qui estime qu'elle est agressée en un point précis par un gouvernement particulier et qui appelle à l'aide. Pour ne pas avoir eu cet appui international, les Etats Unis voient niée toute légitimité à leur présence en Irak. Car, si une fois l'absence d'armes de destruction massive dans ce pays établie, les responsables américains ont essayé de faire valoir qu'ils avaient débarassé l'Irak d'un dictateur sanguinaire, le reste du monde goûte peu un système où chaque puissance pourrait intervenir à sa guise pour se défaire d'un régime qui n'est pas à son goût. C'est précisemment de là que vient l'accusation d'impérialisme envers les Etats-Unis.

Si la question relève vraiment du domaine de la moralité, alors il faut parler de devoir d'ingérence. En passant d'un droit à un devoir, l'idée de libre arbitre, d'incertitude est effacée, il y a alors une véritable obligation d'agir qui s'impose à chacun. Néanmoins, sur ces questions graves aux conséquences tragiques, une intervention nécessitée par une obligation morale ne peut pas toujours être une solution. Elle est déjà difficilement compréhensible par tous, dans la mesure où la notion même de droits de l'homme n'est pas unanimement partagée à travers le monde. De plus, une intervention n'équivaut pas forcément à une solution, avec ou sans l'usage de la force. Quand bien même l'Irak a été débarassée de Saddam Hussein, cette élimination n'a fait que mettre à jour d'autres problèmes dont les conséquences deviennent dramatiques : la guerre civile ravage désormais le pays. Elle était auparavant contenue par la terreur du dictateur, en changeant de régime l'Irak est ainsi allée de Charybde en Scylla. Les situations peuvent avoir des aspects très variables, mais il faut garder à l'esprit que l'impératif moral peut parfois faire du mal là où il voudriat faire du bien. C'est une vision évidemment cynique des choses, mais il faut la garder à l'esprit, pour pouvoir garder en réserve l'option d'actions faites en délicatesse, une délicatesse certes peu flatteuse, mais parfois efficace.

mardi 3 juillet 2007

La démocratie chrétienne

Pendant toute la campagné présidentielle, François Bayrou aura fait l'éloge des vertus du centrisme. L'idée était de dépasser les clivages qui scindent la vie politique française pour faire une union nationale pouvant venir à bout des problèmes les plus difficiles. Ce faisant, il n'a fait que mener une campagne dans la droite lignée des partisans de la démocratie chrétienne, qui constitue un mouvement politique vieux de près d'un siècle. Il s'agit de la concrétisation sous forme politique du catholicisme social, qui est une vision humaniste de la religion et de la société. Dans les idées, cela se traduit par une préoccupation envers les conditions de vie des classes populaires, par une exigence de démocratie, une vision de l'Etat girondine et le dialogue entre les nations. Si le libéralisme n'est pas considéré comme une fin en soi, la doctrine économique s'en rapproche davantage que du socialisme, de par une volonté d'efficacité économique. Ces caractéristiques donnent aux chrétiens démocrates une hostilité aux conflits et aux extrémisme, les mettant ainsi naturellement sur la voie du centrisme. Ils souhaitent agir avec mesure, rationnellement et avec modération. Voyant les avantages et les inconvénients de chaque camp, ils aspirent au juste milieu, au compromis où la situation est optimale.

A travers la IIIème République, ils ont pesé dans la vie publique à travers des partis comme le Parti démocrate populaire de Georges Bidaults pendant l'entre deux guerres. Celui-ci, par son positionnement centriste, oscillait dans ses choix d'alliances de gouvernement, et participait ainsi à l'instabilité du régime. Mais le mouvement eut davantage son heure de gloire après la deuxième guerre mondiale. En étant à la manoeuvre dans la rédaction de la constitution de la IVème République et auréolée d'une image de résistants, les chrétiens démocrates ont eu des résultats électoraux déterminants à la fin des années 40. Ils s'organisèrent au sein du Mouvement Républicain Populaire, et si le parti se voulait du centre, voir du centre gauche, ils bénéficièrent de l'apport de voix venues largement de la droite, alors que la droite traditionnelle était largement déconsidérée de par son rôle pendant la guerre. Ce fût avant que le Général de Gaulle propose une alternative à droite à travers son propre mouvement politique, le RPF. Celui-ci parvint finalement à faire valoir ses vues en matière d'institutions, et dans la Vème République conçue pour faciliter l'efficacité de l'action politique, les alliances de circonstance et le morcellement du paysage politique n'était plus de cironstance. C'est ainsi que le MRP fût poussé à une alliance durable avec les autres forces de droite, et au premier lieu le Général de Gaulle, malgré de nombreuses réticences. Si en 1965, le chrétien démocrate Jean Lecanuet arrive troisième à l'élection présidentielle, Alain Poher parvient lui à arriver au deuxième tour face à Georges Pompidou.

Alors que les chrétiens démocrates sont alors les plus grands partisans de l'Union Européenne, les gaullistes goutent guère ce qu'ils perçoivent comme la volonté de créer un Etat supranational, ce qui explique une bonne partie des tensions entre les deux mouvements. L'extrémisme supposé du Général de Gaulle lorsqu'il était dans l'opposition se révèle être une absurdité à l'heure de l'action, le volontarisme n'excluant pas le pragmatisme. Le régime force tout de même un regroupement des forces politiques françaises, et les chrétiens démocrates s'allient en 1974 avec les libéraux et les radicaux pour soutenir la candidature de Valéry Giscard d'Estaing, un libéral tout aussi féru de construction européenne qu'eux. Cela se traduit par la création de l'Union pour la Démocratie Française, l'une des deux forces de la droite avec le RPR. Le travail entre les deux formations reste difficile pendant le septennat de Valéry Giscard d'Estaing, mais le passage à l'opposition et la conversation de Jacques Chirac à l'idéal européen facilite ensuite l'alliance lors des deux décennies suivantes. Et lorsque la droite veut sortir de ses divisions pour privilégier la force de l'action politique, la fusion entre chacun de ses courants devient possible.

Si François Bayrou a refusé d'entrer dans l'UMP en 2002, ce n'était pas tant pour des divergences de point de vue que par ambition personnelle. Ne pouvant espérer l'investiture au sein de l'UMP pour la campagne de 2007, il préférat garder en vie une structure composée de fidèles pour se lancer dans la course à la magistrature suprème. Néanmoins, de nombreux chrétiens démocrates voient que l'engagement politique est plus utile lorsqu'il se traduit en actions, et souhaitent travailler de concert avec ceux qui ont les idées les plus proches des leurs. C'est ainsi qu'ils furent nombreux à rejoindre l'UMP il y a cinq ans, et qu'encore dernièrement la création du Nouveau Centre permet à d'autres de faire peser les idées issues de la démocratie chrétienne dans la politique du gouvernement.

En décidant de faire face aux événements plutôt que de rester en retrait, ils ont l'occasion de montrer le pragmatisme, et de l'appliquer dans les décisions gouvernementales. Composante à part entière du centre droit, la démocratie chrétienne a surtout une force idéologique : sa foi en la construction européenne, dont elle a été le principal artisan en France. Parmi les choses qu'elle apporte à son camp, celle-ci est sans conteste la plus estimable, et celle qui doit être la plus valorisée.

dimanche 1 juillet 2007

L'encombrant voisin des pays baltes

Pour les pays baltes, autrefois membres de l'Union Soviétique, le passage à l'ouest ne s'est pas fait facilement. Arrivés tous les trois dans l'Union Européenne en 2004, ils doivent faire face au regard vengeur de la Russie, qui ne leur pardonne pas de vouloir sortir de sa sphère d'influence. Comme pour le reste de l'Europe, ils sont dépendants vis-à-vis de la Russie en matière énergétique, et celle-ci n'oublie pas d'en jouer. Elle souhaite ainsi être maître d'oeuvre de la construction éventuelle de centrales atomiques chez ses voisins, et lors de soucis diplomatiques, "découvre" des problèmes techniques dans les gazoducs qui empêchent l'acheminement de l'énergie en provenance de chez elle. Mais avec la vision très nationaliste qu'a Vladimir Poutine des affaires étrangères, vivre à côté de la Russie devient une difficulté en soi, surtout lorsque l'Histoire s'en mèle. C'est ce que peut constater l'Estonie chaque jour. Après avoir été sous le joug soviétique pendant des décennies, celle-ci souhaite retrouver sa propre identité, et se considère comme étant davantage un pays nordique qu'un pays slave. La langue estonienne est ainsi proche de la finlandaise.

Pour entériner cette orientation, le gouvernement estonien a décidé lors de l'obtention de son indépendance de donner la nationalité estonienne à ceux qui pouvaient se réclamer d'un ancêtre estonien en 1940, ou bien à ceux qui pouvaient montrer la maîtrise de la langue estonienne et de l'histoire de ce pays. Hors pendant la guerre froide, l'URSS a envoyé de nombreux russes en Estonie pour contrôler le pays, un peu à la manière de colons. Les russophones peuvent ainsi représenter un quart de la population en Estonie, mais maintenant que le lien avec la Russie est coupé, ils ont l'obligation de s'intégrer. Certains d'entre eux n'ont pas satisfaits les obligations qui leur étaient demandés, et continuent de ne pas avoir de nationalité définie, n'ayant pas voulue retourner en Russie qui les auraient accueillis. Ils représentent tout de même 9 % de la population. Ces situations compliquées sont bien évidemment la conséquence de tensions historiques non résolues. La Russie proteste ainsi régulièrement contre la discrimination opérée dans les Etats baltes contre ses minorités. D'une manière générale, et comme on peut le voir avec l'example polonais, c'est l'ensemble de l'Europe de l'est qui essaie de sortir, parfois maladroitement, de l'emprise psychologique russe qui se veut toujours d'actualité.

Et c'est encore en Estonie que la situation est la plus tendue parmi les pays baltes. Lorsqu'en avril dernier, les autorités estoniennes ont décidé de déplacer (du centre de Tallinn vers un cimetière militaire) un mémorial de la seconde guerre mondiale formé d'une statue d'un soldat soviétique, la minorité russe de l'Estonie et par ricochet la Russie ont considéré que l'Estonie manquait de respect envers les soldats russes qui ont payé de leur vie pour libérer ce pays. Les nationalistes estoniens eux considéraient que la statue représentait la conquête de l'Estonie par la Russie. La controverse se transforma en émeutes violentes et en une crise diplomatique aigüe entre les deux voisins. Les médias d'Etat russes étaient ainsi prompts à qualifier le gouvernement estonien de régime presque fasciste dans la répression des émeutes des minorités russophones, ce qui n'a évidemment pas simplifié la situation des Estoniens habitant la Russie. Peut-être l'événement le plus inquiétant fût l'attaque informatique qu'ont alors subie les sites estoniens, sous forme de surcharge organisée de serveurs ou bien de hacking pur et simple, dont l'origine ne faisait peu de doute. Le petit pays fût alors coupé du reste du réseau mondial, laissant entrevoir l'ampleur que peut avoir une cyber-attaque dans un contexte de guerre.

La tension avec le voisin russe n'est évidemment pas la seule caractéristique des pays baltes. Ce sont notamment des économies qui font une utilisation intensive des nouvelles technologies informatiques, et qui connaissent une croissance extrèmement forte, entre 7 et 10 %. Ce sont des pays euro-enthousiastes, le Président lithuanien s'étant fait remarquer par son rôle de facilitateur lors du dernier sommet européen, et qui représentent la frontière orientale de l'Union Européenne. Seulement ils sont chacun de petite taille, et face à la taille colossale de la Russie, avoir un soutien franc de la part de leurs alliés européens serait souhaitable. Cela ne doit pas leur être refusé.

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