Pendant toute la campagné présidentielle, François Bayrou aura fait l'éloge des vertus du centrisme. L'idée était de dépasser les clivages qui scindent la vie politique française pour faire une union nationale pouvant venir à bout des problèmes les plus difficiles. Ce faisant, il n'a fait que mener une campagne dans la droite lignée des partisans de la démocratie chrétienne, qui constitue un mouvement politique vieux de près d'un siècle. Il s'agit de la concrétisation sous forme politique du catholicisme social, qui est une vision humaniste de la religion et de la société. Dans les idées, cela se traduit par une préoccupation envers les conditions de vie des classes populaires, par une exigence de démocratie, une vision de l'Etat girondine et le dialogue entre les nations. Si le libéralisme n'est pas considéré comme une fin en soi, la doctrine économique s'en rapproche davantage que du socialisme, de par une volonté d'efficacité économique. Ces caractéristiques donnent aux chrétiens démocrates une hostilité aux conflits et aux extrémisme, les mettant ainsi naturellement sur la voie du centrisme. Ils souhaitent agir avec mesure, rationnellement et avec modération. Voyant les avantages et les inconvénients de chaque camp, ils aspirent au juste milieu, au compromis où la situation est optimale.

A travers la IIIème République, ils ont pesé dans la vie publique à travers des partis comme le Parti démocrate populaire de Georges Bidaults pendant l'entre deux guerres. Celui-ci, par son positionnement centriste, oscillait dans ses choix d'alliances de gouvernement, et participait ainsi à l'instabilité du régime. Mais le mouvement eut davantage son heure de gloire après la deuxième guerre mondiale. En étant à la manoeuvre dans la rédaction de la constitution de la IVème République et auréolée d'une image de résistants, les chrétiens démocrates ont eu des résultats électoraux déterminants à la fin des années 40. Ils s'organisèrent au sein du Mouvement Républicain Populaire, et si le parti se voulait du centre, voir du centre gauche, ils bénéficièrent de l'apport de voix venues largement de la droite, alors que la droite traditionnelle était largement déconsidérée de par son rôle pendant la guerre. Ce fût avant que le Général de Gaulle propose une alternative à droite à travers son propre mouvement politique, le RPF. Celui-ci parvint finalement à faire valoir ses vues en matière d'institutions, et dans la Vème République conçue pour faciliter l'efficacité de l'action politique, les alliances de circonstance et le morcellement du paysage politique n'était plus de cironstance. C'est ainsi que le MRP fût poussé à une alliance durable avec les autres forces de droite, et au premier lieu le Général de Gaulle, malgré de nombreuses réticences. Si en 1965, le chrétien démocrate Jean Lecanuet arrive troisième à l'élection présidentielle, Alain Poher parvient lui à arriver au deuxième tour face à Georges Pompidou.

Alors que les chrétiens démocrates sont alors les plus grands partisans de l'Union Européenne, les gaullistes goutent guère ce qu'ils perçoivent comme la volonté de créer un Etat supranational, ce qui explique une bonne partie des tensions entre les deux mouvements. L'extrémisme supposé du Général de Gaulle lorsqu'il était dans l'opposition se révèle être une absurdité à l'heure de l'action, le volontarisme n'excluant pas le pragmatisme. Le régime force tout de même un regroupement des forces politiques françaises, et les chrétiens démocrates s'allient en 1974 avec les libéraux et les radicaux pour soutenir la candidature de Valéry Giscard d'Estaing, un libéral tout aussi féru de construction européenne qu'eux. Cela se traduit par la création de l'Union pour la Démocratie Française, l'une des deux forces de la droite avec le RPR. Le travail entre les deux formations reste difficile pendant le septennat de Valéry Giscard d'Estaing, mais le passage à l'opposition et la conversation de Jacques Chirac à l'idéal européen facilite ensuite l'alliance lors des deux décennies suivantes. Et lorsque la droite veut sortir de ses divisions pour privilégier la force de l'action politique, la fusion entre chacun de ses courants devient possible.

Si François Bayrou a refusé d'entrer dans l'UMP en 2002, ce n'était pas tant pour des divergences de point de vue que par ambition personnelle. Ne pouvant espérer l'investiture au sein de l'UMP pour la campagne de 2007, il préférat garder en vie une structure composée de fidèles pour se lancer dans la course à la magistrature suprème. Néanmoins, de nombreux chrétiens démocrates voient que l'engagement politique est plus utile lorsqu'il se traduit en actions, et souhaitent travailler de concert avec ceux qui ont les idées les plus proches des leurs. C'est ainsi qu'ils furent nombreux à rejoindre l'UMP il y a cinq ans, et qu'encore dernièrement la création du Nouveau Centre permet à d'autres de faire peser les idées issues de la démocratie chrétienne dans la politique du gouvernement.

En décidant de faire face aux événements plutôt que de rester en retrait, ils ont l'occasion de montrer le pragmatisme, et de l'appliquer dans les décisions gouvernementales. Composante à part entière du centre droit, la démocratie chrétienne a surtout une force idéologique : sa foi en la construction européenne, dont elle a été le principal artisan en France. Parmi les choses qu'elle apporte à son camp, celle-ci est sans conteste la plus estimable, et celle qui doit être la plus valorisée.