Réflexions en cours

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vendredi 31 août 2007

Fin de parcours en vue pour John McCain

En 2000, George Bush avait réussi à se fabriquer une image de grand favori lors des primaires républicaines devant désigner le candidat à la présidence. En étant fils d'un président précédent et au poste en vue du gouverneur du Texas, il avait pu se constituer facilement une certaine notoriété. Même en Europe, il était devenu célèbre par son refus de gracier les condamnés à mort du Texas, laissant craindre qu'il puisse être un président américain particulièrement conservateur. Pourtant, lors des primaires, un autre candidat arriva à se faire suffisamment remarquer pour devenir l'outsider le plus important dans cette course. A 63 ans, John McCain était arrivé à se définir comme un homme d'Etat, un sénateur expérimenté, un ancien de la guerre du Vietnam, défendant des positions plus pragmatiques et iconoclastes au sein du parti républicain. Même si John McCain gagna la primaire du New Hampshire, cela ne suffit pas, et le reste des primaires permit à George Bush de devenir l'adversaire d'Al Gore. Défait, John McCain s'installa alors comme le futur favori des républicains pour l'élection présidentielle de 2008.

Il a aujourd'hui 71 ans, ce qui le fait plus âgé que Ronald Reagan lorsque celui arriva à la Maison Blanche en 1980. Comme il l'avait prévu depuis longtemps, il s'est lancé à nouveau dans la course des primaires en janvier dernier. Mais très rapidement, le statut de favori sur lequel il comptait tant lui a échappé, en étant dépassé dans les sondages par Rudolph Giuliani. Et désormais, il semble malmené par Mitt Romney et Fred Thompson, ce dernier n'étant même pas un candidat déclaré. Enfin et surtout, les résultats des levées de fonds sont désastreux, montrant une absence de soutien populaire envers le sénateur de l'Arizona. En conséquence, le comité de campagne de John McCain dépensait davantage que ceux qu'il récoltait, alors que la campagne était encore dans une période préliminaire. Et s'il reste encore quatre mois avant que les électeurs républicains ne s'expriment lors des primaires, John McCain apparaît dès aujourd'hui comme un candidat sur la fin, ne bénéficiant d'aucune dynamique, peu à même d'incarner l'avenir.

Car, outre le reproche qui lui est adressé sur son âge, John McCain souffre justement de cette image de candidat institutionnel qu'il s'est forgé ces huit dernières années, et qui avait fait la force de George Bush en son temps. En soutenant avec force la guerre en Irak, il apparaît entaché par la dégradation toujours plus prononcée de la situation militaire dans ce pays. Les Américains n'en peuvent plus de ce conflit dont ils ne comprennent plus les raisons, et John McCain ne semble pas être celui qui sortira les Etats-Unis de ce bourbier, alors qu'il a tellement soutenu l'envoi de renforts. Bien sûr, il a condamné l'usage de la torture et les mauvaises décisions de Donald Rumsfeld. Mais cela ne suffit pas pour incarner une nouvelle direction, surtout lorsque les électeurs demandent à ce que cette nouvelle direction soit le retrait. De plus, en voulant être le favori, John McCain a voulu donner des gages à la frange conservatrice des républicains, ce qui a fâché ceux qui appréciaient son côté iconoclaste. Et en défendant avec vigueur une loi sur l'immigration basée sur une grande amnistie, en duo avec le sénateur démocrate Ted Kennedy, il s'est aliéné bon nombre de conservateurs également. Au final, lorsque le camp républicain est en plein désarroi, John McCain semble être l'une des cibles des mécontents. En même temps, Barack Obama bâtit son succès sur sa fraîcheur, son originalité et son refus de la guerre en Irak, qu'il avait pu exprimer à l'époque d'autant plus facilement qu'il n'était qu'un élu du sénat de l'Illinois... Alors que les échéances se rapprochent, la défaite se rapproche inexorablement pour John McCain, malgré ses efforts pour maintenir une stature de présidentiable pendant tant d'années.

mercredi 29 août 2007

La nécessité d'un second porte-avions

Le porte-avions français Charles de Gaulle vient de rentrer au port de Toulon, et sera dans une indisponibilité programmée qui durera 18 mois. Une période longue pendant laquelle la France n'aura donc plus de porte-avions à disposition, alors que la situation internationale peut changer en des temps bien plus brefs. Ainsi, entre l'attaque contre les Etats-Unis le 11 septembre 2001 et le début des opérations alliées en Afghanistan, il n'y eut que quelques semaines. Le porte-avions français venait alors à peine de rentrer en service, et est intervenu à partir de décembre 2001. En 18 mois, la France a donc le temps de voir passer un bon nombre de trains, voire de se mettre en danger, en ne disposant pas de cet élément de puissance fondamental. Un porte-avions est en effet le meilleur moyen de projeter des forces aériennes partout dans le monde dans un temps raisonnable, à une époque où la maîtrise des airs est une étape fondamentale à toute opération. Outre l'incomparable apport militaire qu'il représente, il apporte aussi un élément de puissance psychologique, qui peut jouer dans la diplomatie et dans l'équilibre des forces. Alors que les Etats-Unis peuvent compter sur une flotte de plus d'une douzaine de porte-avions, la France doit donc se contenter d'un seul. Evidemment, la France n'est pas l'hyperpuissance américaine, mais si elle veut tenir le rang qu'elle souhaite sur la scène internationale, si elle veut rester l'une des premières puissances militaires en Europe (ou plutôt si l'Europe doit assumer le fait d'avoir une puissance militaire), il serait bon qu'il y ait au moins un porte-avions français qui puisse être en activité à tout moment. Et au vu des temps d'entretiens qu'un bâtiment peut connaître, cela suppose donc d'en avoir deux.

Il y a évidemment le débat technique sur la conception et sur le coût d'investissement et d'exploitation d'un tel outil. Ce débat avait d'ailleurs été amené pendant la dernière campagne présidentielle. En effet, pour la gauche, les dépenses militaires sont souvent comme inutiles, car servant à faire la guerre et à enrichir les marchands de canon. Malheureusement, la guerre n'est pas toujours quelque chose que l'on souhaite, et qu'on peut être amené par nécessité, le pacifisme n'ayant pas tout résolu dans l'Histoire. A court comme à long terme, la situation géopolitique peut changer grandement, c'est pourquoi il faut se préparer de telle façon à ce que l'on soit toujours prêt pour le pire. Moins l'on sera pris au dépourvu, et plus le risque encouru sera faible. On peut évidemment compter sur la constitution d'une Europe de la défense. Et dans ce cadre, il faut que la France prenne sa part dans l'effort à réaliser. La coopération inter-étatique peut par exemple être réalisée dans un partage des coûts de conception entre Français et Britanniques, si de chaque côté de la Manche l'on décide des modèles à peu près semblables de porte-avions. Il est par contre plus difficile, voire négligent, de vouloir partager l'exploitation d'un seul porte-avions entre la France et le Royaume-Uni, comme le voulait Ségolène Royal, alors que les degrés de coopération sont encore très loin de permettre une collaboration aussi poussée.

Une telle décision est bien évidemment un choix de priorité budgétaire, et donc politique. La défense ne peut être une variable d'ajustement. Si le niveau de dépenses militaires qui est en général considéré comme le bon est de 2 % du PIB, le budget du ministère de la défense ne doit pas être diminué. Alors que Michèle Alliot-Marie avait été remarquable à la tête de ce ministère, Hervé Morin devra, pour réussir à ce poste, garder cette nécessité à l'esprit. Car la défense est un domaine régalien, une obligation première pour un Etat. En matière de priorité budgétaire, il faut donc que les budgets de l'armée et de la police soient maintenus au niveau actuel, que celui de la justice (prisons et système judiciaire) soit largement réévalué (avec celui de la recherche et de l'enseignement supérieur), et, mis à part l'environnement et certaines infrastructures à financer, le reste peut être soumis à l'effort de réduction des dépenses publiques nécessaire pour assainir les finances de l'Etat. Mais le second porte-avions ne doit pas être négligé pour l'intérêt de la France.

lundi 27 août 2007

Retour sur la libération des infirmières bulgares

Il en avait parlé pendant la campagne, puis l'avait évoqué à nouveau le soir de son élection : Nicolas Sarkozy n'hésitait pas à déclarer que l'emprisonnement des infirmières bulgares et du médecin palestinien en Libye était un scandale qui engageait la France à agir pour leur libération. Lorsqu'il arrive au pouvoir, les recours juridiques s'épuisent pour ces infirmières : fin juin, leur condamnation à mort est confirmée par la cour de cassation de Tripoli. Si cela fait des années qu'il existe une mobilisation internationale en faveur de cette libération, le colonel Kadhafi répugne à l'accorder. Il faut dire qu'il a fait de ces infirmières des boucs émissaires à un scandale énorme de la santé en Libye : la contamination de centaines d'enfants par le SIDA du fait d'un respect déplorable des règles d'hygiène. Plutôt que de reconnaître la gestion catastrophique du système de santé libyen (ce qui aurait pu provoquer un mécontentement mettant en danger le maintien du régime en place), le pouvoir a préféré rejeter la faute sur des étrangers, en les accusant d'avoir consciemment injecté le virus aux jeunes enfants libyens. La colère populaire s'est alors retournée contre ce personnel soignant étranger, leur exécution devenant pour le colonel Kadhafi un sacrifice humain à faire pour calmer la fureur du peuple pour mieux se protéger. A priori, le dirigeant libyen n'avait donc pas vraiment intérêt à libérer ces infirmières.

Certes, il voulait également retourner dans le concert de la diplomatie mondiale. En indemnisant les victimes de l'attentat de Lockerbie et en livrant ses stocks d'armes de destruction massive aux américains en 2003, il était redevenu à peu près fréquentable. Il joue ainsi un grand rôle dans les tentatives de création d'une union africaine. Dans ce cadre, l'exécution des infirmières le desservirait. Il fallait donc trouver une solution à l'issue de laquelle il puisse apparaître gagnant. Avant même que la Bulgarie ne rejoigne l'Union Européenne, cette dernière avait commencé à œuvrer pour la libération des infirmières bulgares. Cela se fit notamment sous l'égide de Bénita Ferrero-Waldner, la commissaire aux relations extérieures de l'Union Européenne. Malheureusement, cela ne suffisait pas car le colonel Kadhafi voulait, pour garantir son retour sur la scène internationale, des interlocuteurs politiques d'un poids supérieur, en plus de la normalisation des relations entre la Libye et le reste du monde. C'est alors que Nicolas Sarkozy commença à intervenir. Constatant que les filières diplomatiques traditionnelles n'étaient pas efficaces, il décida d'envoyer son propre bras droit, plutôt que d'envoyer une fois de plus un ministre des affaires étrangères à Tripoli. C'est donc le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, qui partit pour faire le lien entre le président français et le dirigeant libyen. Il fut accompagné de l'épouse du président, qui devait jouer un double rôle : d'une part, avoir un rôle compassionnel, tant pour les infirmières bulgares que pour les enfants libyens inoculés, d'autre part pour signifier au colonel Kadhafi l'implication très personnelle de Nicolas Sarkozy dans la négociation. Cela permettait ainsi de prendre en compte à la fois l'émotion du peuple libyen, et de s'adapter à la psychologie ou la culture du dirigeant libyen.

Cette implication personnelle permit de débloquer les négociations qui avaient été en grande partie menée par l'Union Européenne, mais qui n'arrivaient pas à franchir la dernière étape. La présidence allemande de l'Union Européenne comptait sur une telle libération avant le sommet européen de juin dernier, mais n'avait pu passer les derniers obstacles, provoquant l'aigreur du ministre allemand des affaires étrangères. Le 24 juillet dernier, l'avion estampillé République française ramena les infirmières et le médecin en Bulgarie, provoquant la joie des Bulgares. Dans cette dernière négociation, la Commission Européenne, la France et la Bulgarie avaient travaillé ensemble pour arracher la décision de libération au colonel Kadhafi. Après que Claude Guéant et Bénita Ferrero-Waldner se furent exprimés ensemble pour se réjouir de l'issue heureuse de la crise, Nicolas Sarkozy et José-Manuel Barrosso ont tous les deux tenus des conférences de presse au même moment, où ils dirent les mêmes choses, et se félicitèrent et se remercièrent l'un l'autre. De son côté, le colonel Kadhafi bénéficier d'une normalisation des relations avec la communauté internationale, concrétisée par la visite de Nicolas Sarkozy en Libye, et fustiger à bon compte la Bulgarie pour avoir graciée les infirmières seulement transférées de prison en théorie.

Au bout du compte, le résultat est là : les infirmières et le médecin sont libres et de retour en Bulgarie. On pouvait s'attendre à ce qu'il y ait une joie équivalente à l'inquiétude qu'avait provoquée la perspective d'une telle injustice. Mais non. Alors qu'en Bulgarie tout le monde remerciait l'Union Européenne et la France pour le rôle conjoint qu'ils avaient joué, une partie de milieu politique français a d'abord accusé la France de n'avoir rien fait mis à part de voler la vedette à la Commission Européenne, puis, en changeant complètement de perspective, d'en avoir trop fait pour cette libération. Aujourd'hui, le Parti Socialiste veut transformer ce succès en accusation politique, notamment en réclamant une commission d'enquête parlementaire pour s'en prendre à l'épouse du chef de l'Etat. Ce sont les mêmes qui, autrefois, parlaient de cet emprisonnement comme d'une honte, essaient désormais de transformer cette libération en une sordide affaire de politique intérieure. Parce que pour certains de ses adversaires, Nicolas Sarkozy ne saurait, par principe, avoir de succès. Tout est bon alors pour que ce dogmatisme et ce sectarisme se déchaînent. Voilà qui est plutôt triste...

samedi 25 août 2007

De quoi est fait le Front National ?

Pendant toute la dernière campagne présidentielle, l'ombre de Jean-Marie Le Pen a pesé sur les autres candidats. En 2002, sa présence au second tour avait été une telle surprise, si lourde de conséquences, que cette fois-ci, personne n'excluait que ce scénario ne se reproduise. Il y a cinq années, de nombreux électeurs avaient choisi le leader du Front National pour exprimer un ras-le-bol général vis-à-vis de la classe politique française, perçue comme ayant échouée du côté de la gauche comme de la droite. Cette désaffection avait aussi poussé l'électorat à choisir l'un des nombreux petits candidats au premier tour pour "envoyer un message", ou tout simplement à ne pas se rendre au bureau de vote. Au bout du compte, Jean-Marie Le Pen eut davantage de voix que Lionel Jospin, un fait qui posait et continue de poser de graves questions sur l'état de la France. Cette année, alors qu'il était relativement difficile de voir ce qui avait réellement changé entre 2002 et 2007, Jean-Marie Le Pen a fini quatrième, bien loin des scores des précédentes présidentielles. Cela est du au fait que bon nombre de mécontents se sont cette fois-ci reportés sur la candidature de François Bayrou, que l'affrontement entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy a été particulièrement marqué et clair, et qu'en conséquence, le taux de participation a été bien plus important.

Pour bien comprendre les fluctuations des résultats électoraux du Front National, il faut se pencher plus en avant sur la composition de son électorat. Même s'ils sont rarement évoqués dans les médias, il ne faut pas oublier l'importance des catholiques traditionalistes dans ce courant d'opinion. Il s'agit de conservateurs virulents, n'ayant jamais bien accepté le passage à la République, surtout sa version laïque qu'ils estiment dénaturer les valeurs qu'ils souhaitent défendre. Ainsi, le courant royaliste Action Française, qui continue de perdurer d'une certaine façon, a soutenu Jean-Marie Le Pen à la dernière présidentielle. S'ils n'ont pas une forte influence sur la société française, ces catholiques traditionalistes n'en restent pas moins assez soudés pour constituer une force notable.

Quand bien même rejettent-ils ce qu'ils perçoivent comme l'islamisation de la société française, il ne faut pas confondre ces derniers avec les authentiques racistes, dont la présence en France ne peut être contestée. Il s'agit là de racistes dans le sens de ceux qui croient à des différences de valeurs entre les ethnies, en accordant évidemment la supériorité à la leur. A peu près exclu de la parole publique (et certainement à raison), ils n'en gardent pas moins leur bulletin de vote. Ce mode de pensée tenace avait obtenu une visibilité à la fin des années trente, et lors de circonstances troubles de l'occupation nazie de la France. Cette époque avait vu l'épanouissement de divers mouvements d'extrême droite, certains conservateurs, d'autres tendant plus nettement vers le fascisme tel qu'il s'étendait dans le reste de l'Europe. Cela se traduit dans l'activisme du Parti Franciste, du Rassemblement National Populaire ou du Parti Populaire Française de Jacques Doriot, un parti particulièrement antisémite et collaborationniste. Si chacun de ces mouvements a été liquidé lors de la libération, les traces idéologiques qui peuvent en subsister chez certaines personnes les orientent à se prononcer en faveur du Front National. Sans véritable force idéologique et sans structure, cette pensée qui est surtout une haine a sans doute un certain poids en France, sans qu'il soit possible de l'évaluer précisément.

De ceux qui haïssent l'autre, il faut distinguer ceux qui en ont peur, ou qui ne le comprenne pas. Ceux-là se sentent avant tout dans une position menacée, et votent avec leur désespoir. Ils sont sensibles à des discours simplificateurs, qui s'en prennent à ceux qui détiennent des responsabilités, alors qu'eux sont souvent au bas de l'échelle sociale. Le discours qui s'adresse à eux est souvent qualifié de populiste, parce qu'il fait appel au peuple. L'emploi de ce qualificatif est néanmoins l'apanage de ceux qui sont justement considérés comme élitiste par le peuple, rendant la confrontation malaisée. En 1956, Pierre Poujade avait obtenu un succès électoral remarqué en s'en prenant aux tenants de l'ordre établi, en prenant la défense de la ruralité et des petits commerçants. Parmi les 56 députés élus sous la bannière poujadiste, figurait justement le jeune Jean-Marie Le Pen. Les capacités oratoires de ce dernier lui permettent justement de s'attirer un certain succès dans cette frange de l'électorat, par des thématiques accusatrices basées sur le rejet de ceux qui oublient ou méprisent les "petites gens". Nombreux sont, dans cette partie de l'électorat du Front National, ceux qui avaient autrefois fait confiance à un autre mouvement politique, et qui décident de se tourner vers l'extrême droite par déception envers les autres partis. En regrettant que l'on ne se mette plus à leur niveau, ils comptent envoyer un message, un avertissement aux personnalités politiques qui sont au pouvoir. Cela ne veut d'ailleurs pas dire qu'ils resteront convertis à l'extrême droite pour toujours, bien au contraire.

C'est justement cette catégorie d'électeurs qui avait gonflé les résultats du Front National en 2002, et qui a rejoint Nicolas Sarkozy en 2007, heureux qu'il y ait enfin un homme politique de premier plan qui parle leur langage, et s'exprime sur leurs inquiétudes. Ce fut un facteur décisif dans la décrue du Front National lors des dernières échéances électorales, les faibles résultats des législatives poussant le parti d'extrême droite dans des difficultés financières. On peut se réjouir à bon droit de cette moindre force des extrêmes. Mais dans le cas du Front National, crier trop tôt victoire serait une victoire. En 1999, après la scission entre Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen, le parti de ce dernier avait déjà été considéré comme relevant de l'histoire ancienne. Il faut dire que les 5,69 % obtenus aux européennes de cette année là représentaient une contre-performance remarquable, avec un score trois fois inférieur aux résultats habituels du Front National. Pourtant, moins de trois ans plus tard, Jean-Marie Le Pen se qualifiait pour le second tour de l'élection présidentielle. Sous-estimer à nouveau le potentiel de voix du Front National serait donc une grave erreur. Et c'est aussi pour cela que Nicolas Sarkozy a un devoir de réussite dans l'action qu'il mène.

jeudi 23 août 2007

Réflexions en cours...

Nous voilà arrivé à 200 billets publiés sur ce blog environ. La campagne présidentielle est passée, et le champ des thèmes de réflexions semble continuer à s'élargir, sur l'Europe, la politique intérieure française, la pensée politique ou même les bases philosophiques de l'action à mener. Je continue donc d'œuvrer pour ma part, à ma hauteur, à ces réflexions, en espérant qu'elles aboutissent un jour à quelque chose.

Après avoir commencé ce blog sur la plate-forme 20six, il a été vraiment lancé sur la plate-forme blogmilitant où il aura été hébergé l'espace d'une année. Mais ce site semble connaître des difficultés de connexion de plus en plus régulières, j'ai donc recréé ce blog en y remettant tous ses anciens billets sur un hébergement gratuit qui m'est propre (Free), que je maîtrise bien d'avantage. Je comptais que cette transition devienne définitive lorsque j'arriverais au deux-centième billet, et arrêter de mettre à jour la version blogmilitant de ce blog. Il semble que blogmilitant n'existe plus désormais, il n'y a de toutes façons plus vraiment de choix possible entre les deux alternatives. L'adresse du blog Réflexions en cours est donc bien http://xerbias.free.fr/blog/ . Bienvenue à tous ceux qui passent ici !

Et désolé pour les fautes d'orthographe ou de frappe probablement très nombreuses dans mes billets, je ne me relis presque pas. Un jour je relirai tout...

mardi 21 août 2007

Les municipales de 2008

Le mandat des maires actuels aura été exceptionnellement long. Evidemment, ils ne risquent pas de se plaindre que celui-ci ait été rallongé d'une année, pour atteindre les sept années, au lieu des six prévues normalement. Mais cette extension a été justifiée par le fait que l'année 2007 devait déjà voir se dérouler les élections présidentielles et législatives qu'il était impossible de décaler, et trop d'élections auraient peut-être lassé les électeurs. Les élections municipales et sénatoriales ont donc été reportées, les maires repartant à la bataille électorale en mars 2008. Et les états majors politiques s'activent d'ores et déjà pour les préparer. Ce mandat très long a fait que les maires ont vu passer deux élections présidentielles, c'était les mêmes qui donnaient les parrainages aux candidats en 2002 et en 2007. Surtout, leur élection était la conséquence d'une situation politique assez différente. Lors des municipales de 2001, la gauche était encore au pouvoir, et à l'époque, un bon nombre de mairies étaient passées à droite. Les commentateurs avaient ainsi pu parler d'une espèce de vague bleue dans les mairies, qui semblait inquiétante pour la gauche. Celle-ci pouvait tout de même se réjouir d'avoir gagner Paris et Lyon, les deux plus grandes villes de France qui étaient jusque là gérées par la droite. Pour les villes de taille plus modeste, c'était surtout la droite qui pouvait triompher. Le meilleur exemple étant celui de la mairie de Blois, où Jack Lang fut battu par un jeune candidat UDF, ce qui le poussa à changer de circonscription pour en trouver une bien plus faciles pour les législatives qui allaient suivre en 2002.

En 2008, la droite ne pourra plus compter sur une lassitude des électeurs vis-à-vis de la gauche au pouvoir, lorsqu'elle sera elle-même aux affaires depuis six ans. Même si le gouvernement connaît un état de grâce marqué actuellement, il n'est nul besoin d'être grand devin pour prévoir que celui-ci n'est que passager, et qu'un grand nombre de réformes prévues par Nicolas Sarkozy peuvent susciter une hostilité marquée de l'opinion publique. Et en mars 2008, il est bien peu probable que l'on se souvienne encore de cet état de grâce. La gauche compte dessus d'ailleurs. Ainsi, François Hollande a fait ce calcul en reportant le prochain congrès du Parti Socialiste (et donc la désignation du nouveau premier secrétaire) à l'après mars 2008 : les succès qui seront engrangés par les socialistes lors des municipales devraient faire oublier les douloureux échecs de 2007, et rendre le besoin de changement moins urgent. Après tout, c'est bien ce qu'il s'est passé en 2004, où la victoire écrasante de la gauche aux régionales lui a permis de reporter aux calendes grecques la réflexion sur la politique prônée par le Parti Socialiste, pour mieux se contenter d'une opposition ferme et stérile. Nombreux sont ceux qui, à gauche, comptent effectivement sur ce rejet prévisible de la droite pour gagner des mairies.

La gauche peut en outre compter sur une sociologie favorable dans le cœur des grandes villes, ce fut même l'une des surprises des derniers scrutins. A ce titre, malgré les efforts de François de Panafieu et de Dominique Perben, les candidats de la droite pour les mairies de Paris et de Lyon, il est très peu probable qu'ils arrivent à remplacer Bertrand Delanoë et Gérard Collomb. De même, la mairie de Toulouse, conservée de justesse par la droite en 2001 dans une région largement dominée par la gauche, devrait basculer à gauche l'année prochaine. Même dans des villes établies à droite depuis des décennies comme Bordeaux, la tâche s'annonce difficile. Ainsi, Alain Juppé apparaît sérieusement menacé après avoir été battu lors des législatives. Et bien peu de facteurs semblent aujourd'hui favorables à la droite, sa défaite risque donc d'être lourde.

Une des inconnues actuelles repose dans le comportement qu'aura le Mouvement Démocrate de François Bayrou. Jusqu'ici, l'UDF était traditionnellement alliée de la droite dans les exécutifs locaux. Cette fois-ci, François Bayrou aura probablement à cœur d'avoir ses propres listes dans de nombreuses villes, comme le projette déjà Marielle de Sarnez qui prépare sa candidature à Paris. Mais le jeu du scrutin majoritaire faisant toujours son œuvre, pour conquérir un nombre significatif de mairies, le Mouvement Démocrate devra choisir ses alliés. Ce choix aurait dès lors des répercussions sur la politique nationale en indiquant la stratégie d'alliance de François Bayrou pour les grandes élections des années suivantes. L'UMP compte également appliquer sa stratégie d'ouverture au plan local, mais devra faire face aux réticences des candidats de droite qui se trouvent dans les oppositions municipales dans cette optique, alors que ce devrait être plus facile pour les maires installés. A condition évidemment de trouver des éléments des autres partis qui acceptent d'entrer sur les listes de leurs anciens adversaires. Du reste, il n'est pas certain que ce facteur soit vraiment déterminant. Même les enjeux locaux ont plus de poids que de telles stratégies. Ils ne peuvent néanmoins suffire. La perspective des prochaines municipales n'est donc pas forcément lumineuse pour l'UMP, même si elle n'a pas à s'avouer vaincu d'avance. Après tout, les surprises électorales sont assez fréquentes, et il sera question de 36 000 élections en 2008...

dimanche 19 août 2007

Le miracle irlandais

Aujourd'hui, l'Irlande est un pays prospère, dont le taux de croissance économique en 2006 était supérieure à 5 %. Le faible taux de chômage et les finances publiques saines sont d'autres indicateurs du succès de ce petit pays. Pourtant, cela ne fut pas toujours le cas, et l'on peut même qualifier ce succès de tardif. A l'instar de la Grande Bretagne dans les années 70, l'Irlande semblait régresser économiquement parlant dans les années 80. Taux de chômage très élevés, finances publiques en déroute, croissance en berne faisaient que l'Irlande avait l'apparence d'un foyer de développement de la misère en Europe de l'ouest. Mais pendant toute la décennie des années 90, la chance a tourné, transformant en profondeur l'économie et la société, et donnant à l'Irlande une position de force dans la mondialisation. Bien plus que de la chance, ce résultat spectaculaire est la conséquence de plusieurs mesures énergiques importantes.

La solution est venue en premier lieu de politiques économiques libérales, semblables à celles qu'avait pu mettre en œuvre Margaret Thatcher en Grande Bretagne. Une partie de la faiblesse économique de l'Irlande venait du fait que l'économie était écrasée sous le poids des impôts, en changeant complètement d'optique le gouvernement irlandais a tiré les conclusions de ses échecs précédents. L'impôt sur les sociétés a donc été drastiquement diminué (en s'établissant aujourd'hui à 15 %), ainsi que les autres taxes. Des aides ont été accordées aux entreprises qui décidèrent de s'installer en Irlande, et un effort particulier sur la recherche et développement a fait de ce pays en endroit attrayant pour les firmes de haute technologie. La conséquence fut qu'un grand nombre d'entreprises étrangères, en particulier américaines, ont choisi l'Irlande pour s'établir en Europe, irriguant l'économie irlandaise d'investissements importants qui relancèrent l'activité. Mais cela était justement possible parce que l'Irlande avait rejoint l'Union Européenne, et cette adhésion est bien la cause majeure de ce développement économique. Ayant longtemps fait parti des pays les plus pauvres de l'Union Européenne, l'Irlande a été l'un des principaux receveurs d'aides régionales pour mettre en place ou moderniser les infrastructures du pays. En outre, l'accès à un marché commun important lui ont permis de moins dépendre de la Grande Bretagne, qui était auparavant le pays destinataire de 90 % de ses exportations. Et c'est bien ce vaste marché potentiel que visaient ces entreprises américaines qui s'installaient en Irlande.

L'Irlande a actuellement des problèmes de pays riches : tendances inflationnistes du fait de la surchauffe de l'économie, ou manque de personnel pour certains métiers, presque tout le monde étant déjà employé. Elle connaît aussi des difficultés similaires à la Grande Bretagne, les mêmes causes aboutissant aux mêmes conséquences, la baisse de la fiscalité devant entraîner de moindres dépenses publiques, les services publics sont souvent dans un état médiocre. Mais l'Irlande ne voudrait en aucun cas retourner aux années sombres, où le manque de dynamisme et la faiblesse économique pesaient sur chacun. Cette success story nous enseigne au moins deux choses : d'une part, aucune situation économique dégradée n'est condamnée à perdurer, la volonté politique et des réformes structurelles de l'économie permettent d'en sortir. D'autre part, les pays pauvres de taille modeste qui ont adhéré à l'Union Européenne peuvent légitimement voir en elle un espoir, et l'Union en elle-même permet bien de rendre l'Europe dans son ensemble plus riche. D'un "miracle", l'on tire ainsi un double espoir, pour son avenir, et celui des autres.

vendredi 17 août 2007

Les chantiers de l'université

Valérie Pécresse est la ministre chargée de la recherche et de l'enseignement supérieur. A ce titre, elle a été mise en avant dès le début du quinquennat, devant défendre une loi de modernisation du système universitaire qui avait été établie au rang de priorité par le candidat Nicolas Sarkozy. Dans son programme, celui-ci déclarait vouloir mettre donner aux universités qui le souhaiteraient d'une autonomie réelle, de leur accorder des moyens financiers en conséquence. Il voulait également mettre en place une meilleure orientation des étudiants pour éviter les voies de garage, et favoriser la constitution de pôles universitaires d'importance mondiale. Mais à peine fut-il élu que certains syndicats ou groupuscules d'étudiants lancèrent l'activisme contre toute tentative de réforme par principe, par hostilité au nouveau Président. Valérie Pécresse a choisi la tactique de la concertation avec les syndicats, étant appuyée dans sa démarche par l'Elysée et Matignon. Il y eut des concessions : d'une part, l'autonomisation devient obligatoire pour toutes les universités, pour éviter de trop grandes disparités entre celles qui choisiraient l'autonomie et celles qui la refuseraient. D'autre part, les conseils d'administration seraient moins resserrés que prévus, pour aménager les susceptibilités de chaque groupe de participants. Enfin, la sélection à l'entrée en master n'est plus d'actualité. Elle continuera d'exister bien sûr à l'entrée en BAC + 5, ce qui ne change pas grand chose en fin de compte. Evidemment, la possibilité d'une sélection à l'entrée de l'université n'a même pas été évoquée.

A vrai dire, il n'est pas impossible qu'il y ait de nouvelles grèves étudiantes à la rentrée. Le milieu est assez coutumier du fait, et des syndicats extrémistes de certaines filières tendent à s'intéresser d'avantage à la lutte contre les gouvernements qu'à leur avenir professionnel. Pourtant, si cette réforme va dans le bon sens, elle pourrait ne pas suffire pour remettre l'université en l'Etat. Déjà, elle devra vraiment bénéficier de largesses budgétaires. Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche est l'un des deux ministères qui a réellement besoin de voir ses moyens augmenter, avec celui de la justice. De plus, il faudra veiller à ce que l'autonomie dont vont bénéficier les universités soit bien employée : il faut en profiter pour faire naître des ensembles ambitieux, dotés d'une recherche forte et d'une efficacité dans l'enseignement. Cela peut notamment passer par des regroupements entre universités ou avec d'autres établissements d'enseignement supérieur. Les liens avec le secteur privé ne devront de toute façon pas être négligés. Les universités qui croiraient garder leur pureté en refusant de travailler avec les entreprises seraient de toute façon condamnées à rester dans une pauvreté matérielle, de faibles résultats et au bout du compte, une réputation misérable.

Enfin, s'il est honteux que la France dépense moins par étudiant d'université que par élève du secondaire, contrairement aux autres pays développés, on peut néanmoins relever le fait qu'avec moins d'étudiants en premier cycle, ce ratio serait évidemment différent. Si elle reste tabou aujourd'hui, la sélection à l'entrée de l'université pourrait avoir des effets positifs. Avec des effectifs peut-être réduits, l'université pourrait consacrer davantage de moyens par étudiant. De plus, avec des étudiants de meilleure qualité, leurs résultats seraient bien sûr meilleurs. Alors qu'on manque de personnel dans certains métiers ne nécessitant pas forcément de passer par l'enseignement supérieur, il serait préférable d'éviter d'envoyer tous les bacheliers qui n'arrivent pas entrer dans d'autres formations (notamment courtes, tels que les IUT, ou en formation pour un BTS, où il y a bien une sélection) à l'université pour y échouer après une belle perte de temps.

Mais une telle perspective ne risque pas d'être à l'ordre du jour avant bien longtemps. Valérie Pécresse a bien d'autres chantiers à mener à terme, certains étant tout de même importants. Il s'agit pour l'essentiel d'issues administratives et budgétaires. Pour améliorer les conditions de vie des étudiants et les "conditions d'exercice des missions de recherche et d'enseignement" de l'université, il faudra commencer par amener une belle enveloppe. Et vu son état actuel, il est peu probable que le monde universitaire la refuse.

mercredi 15 août 2007

La puissance et la faiblesse selon Robert Kagan

Alors que les Etats-Unis se lançaient dans la guerre contre Saddam Hussein en 2003, le géopolitologue néo-conservateur Robert Kagan publiait un livre intitulé La puissance et la faiblesse où il exposait sa conception des différences d'approches en matière internationale de la part des Etats-Unis et de l'Europe, et les relations compliquées entre ces deux poids qui en résultaient. A l'heure où le pouvoir américain s'était converti à la doctrine néo-conservatrice, les positions plus pacifistes de pays européens importants comme la France ou l'Allemagne leur apparaissaient pour le moins naïves. Cette situation est, selon Robert Kagan, le résultat de deux visions différentes sur le monde. Les Européens, heureux du succès de la construction européenne dans le sens où elle a permis d'empêcher les guerres depuis une soixantaine d'années, souhaitent appliquer ce modèle de discussions inter-étatiques dans la diplomatie pour régler les difficultés. Il en résulte un fort attachement aux décisions de l'ONU, à la diplomatie et aux négociations en général, pour que l'issue soit trouvée par le biais de la raison et du dialogue. Les Américains par contre, se croient plus "réalistes" en ne se faisant pas d'illusion sur les résultats que la méthode purement diplomatique permet d'obtenir. Pour traiter avec les démocraties, elle peut suffire, mais elle n'est pas pertinente pour faire face à des dictatures qui ne croient qu'au rapport de force.

Cette différence de vues a plusieurs origines. La première est évidemment historique : les Etats-Unis étaient à l'origine "idéalistes" en matière de politique internationale, un idéalisme appliqué par le président Woodrow Wilson lorsqu'il souhaita la création de la Société des Nations en 1919, quand les Européens ne juraient que par le rapport de force entre eux, au cours de leurs nombreuses guerres. Mais après la deuxième guerre mondiale, les positions s'échangèrent : lassés par les guerres, les Européens décidèrent de se lancer sérieusement dans le multilatéralisme pour les empêcher. De leur côté, les Etats-Unis tiraient les conséquences de leur implication décisive dans la guerre en décidant de garder une armée forte pour pouvoir intervenir en cas de problème éventuel, alors que la guerre froide commençait.

Mais Robert Kagan propose également une autre explication, inversée par rapport à la précédente, expliquant le maintien de ces politiques internationales de part et d'autres : aujourd'hui, si les Etats-Unis gardent une optique unilatéraliste et violemment jalouse de ses intérêts vitaux, c'est parce qu'ils en ont les moyens. L'ampleur de leur force militaire était au début de la décennie une grande source de satisfaction pour eux. Cette puissance militaire était le fondement même de leur influence diplomatique, assurant à l'Amérique, respect, voire crainte. Ainsi, le renversement de Saddam Hussein devait, selon les néo-conservateurs, pousser les autres pays du Moyen Orient à se montrer plus calme dans l'anti-américanisme, et plus favorable aux intérêts américains. C'est pour cela que cet effort était censé participer à la guerre contre la terreur : l'instauration de la démocratie en Irak devait faire un effet domino sur les pays semblables, et des pays où régneraient la démocratie et les libertés seraient moins sensibles à l'islamisme. Les Européens, eux, ayant négligé leur budget militaire depuis des décennies, ne pourraient compter sur une dissuasion musclée. C'est justement ce manque qui les pousserait vers la diplomatie multilatérale, considérée par Robert Kagan comme l'arme des faibles.

Dans son livre, qui reste tout de même assez court, Robert Kagan développe donc cette différence sur la scène internationale entre une Amérique forte et une Europe faible, différence qui est à l'origine des incompréhensions. Il n'hésite pas à reprendre la métaphore psychologique de John Gray, où l'Amérique vient de Mars, lorsque l'Europe vient de Vénus, avec ce que cela implique de différence entre le dieu de la guerre et la déesse de l'amour. Mais si en 2003 l'Amérique était confiante sur sa capacité à mener deux guerres en même temps, elle ne s'attendait sûrement pas à ce qu'elles durent aussi longtemps. L'analyse de Robert Kagan reste pertinente dans les descriptions des façons de penser d'un côté et de l'autre de l'Atlantique, mais elle montre aussi tout ce qui est négligé dans l'analyse détaillée de chaque situation particulière. En l'occurrence, la solution de remplacement à Saddam Hussein n'était pas prête en 2003, et les éventuels conflits inter-ethniques étaient sous-estimés, tout comme le mauvais accueil fait à l'occupant américain en Irak d'ailleurs. Ce n'est pas faute que les géopolitologues de Washington ignoraient ces données, c'est juste qu'en privilégiant une façon de faire simpliste, ils ont décidé de les ignorer. Evidemment, aujourd'hui, les néo-conservateurs apparaissent comme disqualifiés par le cours des événements. Et c'est plutôt l'équilibre entre implication militaire et négociations diplomatiques qui est perçu comme la voie à appliquer désormais.

lundi 13 août 2007

Les radicaux et la République laïque

En 1871, alors que le Second Empire s'est écroulé, une nouvelle assemblée est élue pour donner de nouvelles institutions à la France. Celle-ci est bien peu favorable à la création d'une nouvelle république, alors que c'est justement le régime en vigueur, le temps qu'une décision soit prise. Si le statut est provisoire, il existe tout de même une partie des députés qui souhaite que la IIIème République soit amenée à durer, alors que le débat semble d'abord de choisir quelle famille royale ou impériale doit retourner sur le trône. A cette époque, il n'y a pas encore de partis politiques, seulement des courants d'idées, formés par les députés une fois élus : l'étiquette ne préexiste pas le candidat. Il se trouve donc au parlement une minorité de républicains à la gauche de l'hémicycle, eux-mêmes divisés entre les modérés et les radicaux. Ces derniers ne sont pas là pour faire des concessions pour faire perdurer la République. Echaudés par les échecs de la Ière et de la IIème République, ils veulent changer la société française de façon colossale. Le combat est en premier lieu politique, contre les royalistes d'abord, mais aussi contre les républicains modérés, qu'ils qualifient d'opportunistes. A la fin du XIXème siècle, ils poussent les gouvernements à des politiques sociales et à mettre en place l'instruction publique. A l'époque, le mouvement conservateur est encore très lié au royalisme et à un catholicisme très prononcé, voulu par l'Eglise de l'époque. Ce maillage très efficace est vu comme un obstacle au républicanisme radical. Lorsque le royalisme était historiquement légitimé par la grâce de Dieu, bon nombre de partisans de l'extrême gauche sont absolument athées, et même violemment anti-cléricaux. Pour eux, l'influence structurelle de l'Eglise dans la société est quelque chose à combattre.

Au fur et à mesure du temps, ceux que l'on appelle désormais les radicaux obtiennent de plus en plus de députés à l'Assemblée Nationale. L'affaire Dreyfus révèle la fracture profonde qu'il y a dans le pays entre la frange conservatrice, anti-dreyfusarde, et le reste du pays. Au début du XXème siècle, l'anti-cléricalisme fait rage, et en arrive parfois à des excès tout aussi condamnables que ceux des conservateurs les plus virulents. Les radicaux sont alors à la manœuvre, souvent au poste de Président du Conseil. Après l'éloignement (ou parfois l'expulsion) du clergé de l'enseignement public pour le rendre laïc, ce sont ensuite les associations qui sont visées, pour affaiblir une voie d'influence de l'Eglise, ce qui donne lieu à la célèbre loi 1901. Mais le dossier le plus épineux de l'époque est celui de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, remettant ainsi en cause le Concordat mis en place entre la France et l'Eglise catholique en 1805 par Napoléon Ier. Pour plusieurs personnalités politiques, dont le radical Emile Combes, le but ultime est de se débarrasser au maximum de l'Eglise en France. Sur certains aspects, le conflit rappelle celui qui s'était transformée en guerre civile lors de la révolution française, lorsque la République réprimait violemment les révoltes royalistes et catholiques dans l'Ouest de la France.

Fort heureusement, la tension n'ira pas jusque là. Le ministère Combes tombe à la suite d'un scandale : officiers et personnalités étaient fichées par le gouvernement en fonction de leurs croyances religieuses, montrant l'extrémisme où pouvait arriver le mouvement. Pourtant, la question de la place de la religion dans la société devait être résolue : ces tensions entre athées et croyants ne faisant que succéder qu'à d'autres conflits de religions qui ont ensanglanté la France, l'essentiel était alors de trouver un mode de vie durable pour que chacun puisse cohabiter. La loi de séparation de l'Eglise de l'Etat de 1905, défendue par Aristide Briand, allait inaugurer la laïcité à la française, la solution qui est encore d'actualité aujourd'hui. Suivant la philosophie des Lumières, la religion devenait tout à fait libre, mais dans le cadre privé. Les institutions devenaient elles laïque, ce qui ne veut pas dire athée, seulement que la religion n'avait pas de rôle à y jouer, mis à part celui d'un courant d'opinion parmi d'autres.

La sagesse de cette loi permit de calmer les extrémismes de part et d'autres. Revenus de l'anti-cléricalisme, les radicaux se transformèrent en défenseurs de la laïcité, l'un des piliers de leur doctrine, en plus de l'attachement à la République et la vision humaniste de la politique à mener. Progressivement, ils quittaient l'extrême gauche pour se positionner au centre, poussés par l'apparition de mouvements plus "radicaux" que les radicaux en titre. Le Parti Radical fut crée en 1901, et ses personnalités ont été au premier plan de la IIIème et de la IVème République. Georges Clemenceau, qui était vu comme un homme haut en couleur, voire incontrôlable, se distingua à la fin de la première guerre mondiale comme le Président du Conseil qui amena la France à la victoire. Après la deuxième guerre mondiale, le positionnement des radicaux devint de moins en moins évident, au vu de la division des partisans d'une politique de gauche, et ceux qui privilégiaient l'alliance à droite. En s'affaiblissant, ils devinrent marginalisés par la Vème République. Et lorsque Jean-Jacques Servan Schreiber, alors dirigeant du Parti, décida de s'allier avec Valéry Giscard d'Estaing dans les années 1970, une scission des éléments de gauche du Parti Radical s'ensuivit.

Aujourd'hui, les radicaux restent divisés. A la suite des dernières élections présidentielles, des spéculations ont eu lieu sur une éventuelle réunification, qui est rêvée par Jean-Louis Borloo, actuel président du Parti Radical Valoisien, la branche de droite. Avec le Mouvement des Radicaux de Gauche, ces deux partis forment les ailes de centre droit et de centre gauche dans leurs camps respectifs. Si les choix d'alliance diffèrent, il reste une pensée commune aux deux mouvements : un attachement à une République laïque et humaniste. Et c'est un objectif qu'il faut aujourd'hui encore garder à l'esprit.

samedi 11 août 2007

La leçon autrichienne

Alors qu'elle avait adhéré à l'Union Européenne depuis cinq années, l'Autriche faisait figure de membre ordinaire, qui aurait du intégrer l'Union plus tôt si sa neutralité ne l'avait pas empêché tant que l'opposition entre les blocs capitaliste et soviétique continuait. Mais en février 2000, l'Autriche fit événement en Europe : le gouvernement se formait sur la base d'une coalition entre les chrétiens démocrates de l'ÖVP et les nationalistes du FPÖ, oubliant ainsi la pratique du cordon sanitaire qui était de règle à travers le continent. Le FPÖ, parti nationaliste formant l'extrême droite du paysage politique autrichien, obtenait l'accès au pouvoir, et de ce fait acquis une influence dans la gestion des affaires du pays. Pourtant, dans chacune des quatorze autres démocraties membres de l'Union Européenne, l'influence de l'extrême droite était amoindrie par le refus des autres partis de "collaborer" avec elle. Seulement, en Autriche, le nombre de possibilités de coalition n'était pas très élevé. Le système, là-bas, est celui d'une démocratie parlementaire, ce sont donc les élections législatives qui importent. Celles-ci se font à la proportionnelle, et comme aucun parti ne fait plus de 50 % des voix, les coalitions sont obligatoires pour diriger le pays. Historiquement, c'est donc une grande coalition entre les chrétiens démocrates et les sociaux démocrates qui a gouverné l'Autriche la plupart du temps depuis l'après guerre. Avec une telle alliance, perdurant bien plus longtemps qu'une union sacrée pour le bien du pays, s'est formée l'impression d'un parti unique au pouvoir dans l'esprit de nombreux Autrichiens. Aussi modérés soient-ils, le système politique rendait le changement de ligne directrice difficile.

L'alternative s'est présentée sous la forme de Jörg Haider, le chef du FPÖ, qui étant exclu du pouvoir, avait lui tout loisir de critiquer l'action du gouvernement. Et il ne s'en privait pas, faisant de ses diatribes sa marque de fabrique, s'en prenant de façon simpliste à tout ce qui n'allait pas en Autriche, et prenant pour première cible la classe politique en place. Ceux qui, parmi les Autrichiens, voulaient tenter quelque chose d'autre, n'avait plus beaucoup le choix, et exprimaient leur volonté de renouvellement en votant pour le FPÖ. Celui-ci se retrouvait alors avec un nombre de députés important au parlement, le rendant incontournable. Au point de pousser l'ÖVP à faire une coalition avec lui pour former le gouvernement.

La fureur des autres pays d'Europe s'est révélée contre-productive, apparaissant comme une tentative maladroite d'ingérence dans les affaires intérieures de l'Autriche par les Autrichiens. Dès lors, le retour à la normale fut rapide. Au fil du temps, le FPÖ prouva qu'il n'avait pas les solutions aux problèmes autrichiens, qu'il n'était qu'un parti d'opposition et n'avait pas vraiment vocation à gouverner le pays. Mais un parti d'extrême droite n'arrive pas au pouvoir sans qu'il y ait un risque vis-à-vis de la nature des politiques menées ou du maintien de la démocratie. L'Autriche en est arrivée là à cause de son système politique, qui en cherchant le consensus, affaiblit l'action politique. Parlementarisme et proportionnelle ne favorisent pas l'efficacité et donne une influence énorme aux extrêmes. Au moins, l'expérience autrichienne aura servi de leçon pour les autres pays européens : la recherche du consensus entre les partis est difficile à tenir sur le long terme, et fait des extrêmes la seule alternative, alors que la base d'une démocratie est de pouvoir choisir.

Photo : Reuters

jeudi 9 août 2007

Investissement et croissance

En adoptant le paquet fiscal promis par Nicolas Sarkozy, le parlement et la ministre de l'économie Christine Lagarde ont mis en œuvre l'une des mesures phares de l'ancien candidat. Par les réductions d'impôts, les ménages verraient leur revenus moins diminués par les ponctions fiscales, et donc leur pouvoir d'achat augmenter. En théorie, ce pouvoir d'achat supplémentaire serait réinjecté dans l'économie et favoriserait la demande de produits et services, ce qui augmenterait les débouchés des entreprises, et donc relancerait la croissance via le fameux mécanisme keynésien du multiplicateur. Avec la croissance viendrait l'emploi, et les rentrées fiscales supplémentaires qui essuierait l'argent perdu par l'Etat par la baisse des rentrées fiscales. Seulement, des voix s'élèvent à gauche pour affirmer que ces baisses d'impôts bénéficient aux ménages aux revenus les plus élevés, dont la propension à consommer est plus faible, et ces revenus supplémentaires seraient alors affectés à l'épargne ou à la spéculation immobilière. Cela peut être vrai pour la défiscalisation des successions, mais pour celle des heures supplémentaires, c'est surtout pour les ouvriers où le gain se fait sentir. Bien plus sérieusement, une grande partie des économistes remettent en cause le principe même de la mesure : une politique de la demande serait inutile à l'heure actuelle pour l'économie française. Alors que Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal prenaient tous les deux ce type de politique mais par des moyens différents (moindres rentrées fiscales d'un côté, dépenses supplémentaires de l'autre), l'économie française aurait davantage besoin d'une politique de l'offre.

Car en observant les moteurs de croissance de la France, les économistes constatent que la consommation se porte très bien ces dernières années, ce moteur là serait déjà allumé et largement mis à contribution. En revanche, l'investissement des entreprises serait insuffisant : chaque année, les entrepreneurs prévoient d'investir davantage dans leur appareil de production, mais au fur et à mesure des mois qui s'écoulent les prévisions sont révisées à la baisse et les investissements réalisés moindres. On touche alors à la psychologie des chefs d'entreprise : qu'est-ce qui fait que leur moral est si bas, leur confiance en l'avenir si faible qu'ils ne voient guère de retour sur investissement ? Déjà, l'échec colossal de la gauche en 1981 repose en partie sur un tel malentendu : le Parti Socialiste avait appliqué une politique très keynésienne, gonflant artificiellement une demande que l'appareil productif français ne pouvait absolument pas satisfaire, les entreprises étant vues comme des institutions capitalistes privant le travailleur de salaires décents. Lorsque les Français désiraient s'équiper en biens de consommation, il fallait en importer : d'où un effondrement de la balance commercial, et une politique qui favorisait la croissance surtout dans les pays étrangers.

Aujourd'hui, la balance commerciale est à nouveau déficitaire, y compris en ne tenant pas compte de l'influence de la hausse du prix de l'énergie achetée à l'extérieur. Avec l'euro, la grande majorité du commerce extérieur français se fait avec des pays où il n'y a plus de taux de change. Le niveau élevé de la monnaie est par contre un obstacle pour exporter en dehors de la zone euro, alors que les importations provenant de Chine sont encore moins chères. Mais avec la croissance forte des autres pays de la zone euro, avec en premier lieu le retour de l'Allemagne, le premier partenaire commercial de la France, le moteur constitué par les exportations devraient s'allumer à son tour. A moins qu'une fois encore, la compétitivité des entreprises françaises ne soit pas suffisante. Et l'on en revient alors au manque d'investissement des entreprises hexagonales.

Il y a peut être une certaine inertie des entrepreneurs français dans ce manque de volonté ferme pour investir. En premier lieu, les dépenses en recherche et développement issues du secteur privé sont trop faibles. L'Etat ne peut être le seul à blâmer dans cette insuffisance, il y a déjà un problème d'audace en France, de l'audace qui manque culturellement à tous les niveaux. Il y a surtout un manque de confiance dans l'avenir, qui éloigne les velléités de prendre des risques. Les entrepreneurs voient le coût du travail toujours trop élevé, et craignent toujours les multiples blocages qui règnent dans la société. Pour favoriser ces investissements, il faut donc redonner à la France confiance en elle, lui montrer que tous ces blocages ne sont pas appelés à survivre de façon inconsidérée, et avoir justement un peu d'audace dans la conduite des affaires. C'est le rôle du nouveau Président de la République, et de son gouvernement. Le paquet fiscal peut envoyer un premier signal psychologique, pour montrer que désormais, la richesse n'est plus vue comme quelque chose à punir, et l'opération est vue comme un "pari" par le gouvernement dans la relance de la croissance. Mais c'est les réformes suivantes qui seront déterminantes, qui devront montrer que la France n'est plus honteuse de son capitalisme, de s'appuyer sur son économie.

mardi 7 août 2007

Plaidoyer pour l'Europe décadente

En 1977, Raymond Aron fut chargé par son éditeur d'écrire une comparaison entre les pays sous régime soviétique et ceux sous régime capitaliste. Il livre une analyse claire et pertinente dans le livre qui en résulte, Plaidoyer pour l'Europe décadente.

Dans cet ouvrage, il commence par considérer l'application de la doctrine du marxisme dans le bloc soviétique. Si l'idéologie est omniprésente dans le fonctionnement de l'URSS, elle devient surtout prétexte au maintien de l'ordre établi. Car dans les pays dits socialistes, l'évolution est lente, et ne se fait pas vraiment dans le sens de davantage de liberté pour les citoyens. En fait, les libertés publiques y sont extrêmement faibles : il est hors de question là-bas de remettre en cause le régime, et même si les excès de l'ère Staline ne sont plus tous de mise, il est attendu de chacun qu'il file droit dans la ligne du Parti Communiste. Les révélations alors récentes faites Alexandre Soljenitsyne en sont une spectaculaire démonstration. Raymond Aron explique aisément ce totalitarisme : si jamais des libertés venaient à être accordées aux citoyens des pays communistes, cela voudrait dire que le "socialisme" ne serait plus l'unique pensée possible, et cela aurait pour aboutissement un effondrement de ces régimes. En face, l'Europe de l'Ouest semble traverser une crise morale, elle doute d'elle-même alors qu'elle redécouvre la crise économique depuis 1974. Pourtant, cela n'est possible que parce que les démocraties de l'Ouest laissent une grande liberté de penser à chaque personne, y compris celle de préférer le communisme de l'Est, où tout se passe moins bien. Car si un citoyen de l'Europe de l'Ouest peut à tout moment partir s'installer à l'est, ceux de l'Europe de l'Est sont empêchés par leurs propres gouvernements de faire un mouvement réciproque. Le mur de Berlin avait surtout pour but de bloquer l'exode continu des Allemands de l'est à l'ouest.

Un tel exode est compréhensible, tant par la supériorité de l'ouest en terme de fonctionnement démocratique, que par son efficacité au niveau économique. Dans une deuxième partie, Raymond Aron dresse un bilan révélateur des développements économiques des régimes capitalistes et communistes, qui, à partir de données précises, devient à charge pour ces derniers. D'abord le plan soviétique commet une faute énorme en se concentrant de façon structurelle sur l'industrie lourde, qui a des retombées en terme de production d'équipements militaire, mais pas en terme de produits de grande consommation. Les consommateurs soviétiques sont donc privés de biens qui sont courants à l'Ouest, comme des voitures ou de l'électroménager, car ces biens sont sacrifiés au colossal effort d'armement que réalise l'URSS dans le cadre de son face à face avec les Etats-Unis. Alors que l'armée rouge est hypertrophiée, le peuple subit encore des conditions de vie difficile. D'une manière générale, il apparaît que les calculs du Plan obtiennent des résultats médiocres, se révélant ainsi inférieur à l'apport réalisé par le marché dans l'attribution des ressources dans les différents secteurs dans les économies capitalistes. Ainsi, plus les pays de l'Europe de l'Est se limitent strictement aux recommandations du Plan dans la gestion de leurs économies, et plus leurs performances sont faibles. Mais Raymond Aron voit surtout dans la faible productivité des pays communistes un handicap énorme dans leur compétition avec les régimes capitalistes. L'absence de motivation par l'intérêt particulier devient un manque aux conséquences lourdes. Raymond Aron présente ainsi des exemples où pour faire fonctionner la même machine, l'unité de production soviétique a besoin de deux à trois fois plus d'ouvriers que dans les pays de l'Ouest. Il cite également une anecdote livrée par André Fontaine, un journaliste du Monde, lors de l'une de ses visites en URSS : "La nonchalance du Soviétique moyen, dont chacun sait qu'il n'a pas précisément l'obsession de la productivité, n'en paraît pas pour autant très affectée. Mais il y a matière à réflexion dans la réponse faite par une hôtesse de l'Intourist [agence de tourisme officielle de l'URSS] à un industriel français qui remarquait que décidément on ne se fatiguait pas beaucoup dans les usines soviétiques. Et si c'était ça, dit-elle, la supériorité du socialisme."

Avec une telle philosophie du travail et de tels échecs dans l'attribution des ressources, le système communiste ne peut prétendre pouvoir véritablement concurrencer le système capitaliste. Et alors que les libertés politiques sont quotidiennement bafouées à l'est du rideau de fer, l'Europe occidentale apparaît comme bien plus forte. Pourtant, Raymond Aron la voit entre deux menaces : d'une part l'armée rouge, dans la mesure où elle est toujours tributaire des Etats-Unis pour sa défense, et qu'à l'époque, il était impossible d'exclure un conflit à terme entre les deux blocs. D'autre part, cette Europe semble décadente aux yeux de certains, dans la mesure où l'ampleur des libertés qu'elle accorde à ses citoyens peut la rendre plus fragile face aux chocs extérieurs. La France par exemple, est sous le coup du vent libertaire que mai 68 a fait souffler. Raymond Aron évoque pour illustrer cela le fait que les institutions traditionnelles (comme l'armée ou l'université) ne s'imposent plus d'elle-même comme auparavant. Ainsi, pour l'université, le prestige donné par le titre même de professeur ne suffit plus pour que celui-ci domine ses élèves, ils lui demandent des qualités charismatiques, faisant entrer l'irrationnel dans un domaine où seul la raison devrait prévaloir. C'est en fait une crise de l'autorité qui voit le jour, et les conséquences négatives de celle-ci ne sont pas à sous-estimer.

Trente années après la publication de cet essai, il apparaît que chacune des analyses réalisées par Raymond Aron s'est vérifiée. Et si le bloc soviétique n'est plus et que le communisme est largement discrédité par les faits, il reste des gens pour préférer ce système au capitalisme qui a fait ses preuves en matière de performances économiques. La crise de l'autorité évoquée, elle, reste d'actualité. C'est un mal qui n'a d'ailleurs pas fini de ronger les sociétés occidentales.

dimanche 5 août 2007

Le bonapartisme

Lorsque le général de Gaulle débarque sur la scène politique en 1940, c'est avant tout pour ses compétences militaires. Le président du conseil, Paul Reynaud, le connaissait bien pour avoir défendu les vues stratégiques de celui qui n'était alors que colonel vis-à-vis de l'utilisation des chars d'assaut dans les années 30. C'est donc à ce titre que Charles de Gaulle est nommé sous-secrétaire d'Etat à la défense dans le gouvernement de Paul Reynaud, ce dernier prenant en charge également le ministère de la défense. Pourtant, plus qu'un stratège militaire, le désormais général est aussi homme d'Etat, et en se déclarant "chef de la France libre" à Londres, il souhaite défendre une "certaine idée de la France", qui s'accompagne d'une véritable vision politique. Et cette vision est constituée d'une réapparition de la méthode bonapartiste. Ainsi, le gaullisme constituera le retour du bonapartisme, un bonapartisme totalement démocratique grâce à la Vème République, alors que Napoléon Bonaparte et Louis-Napoléon Bonaparte s'étaient fait proclamer empereurs pour appliquer leur politique.

Qu'est-ce alors que le bonapartisme ? Il s'agit avant tout d'une priorité accordée à l'exécutif : l'action politique doit surtout être efficace, plutôt que de faire l'objet d'interminables discussions et compromissions qui en annihilent la portée. Dès lors, le but est que le gouvernement et le chef de l'Etat disposent des moyens d'accomplir leur action, et de grands pouvoirs leur sont en conséquence accordés. Il leur faut pour cela une légitimité forte, que le peuple doit accorder directement au chef de l'Etat. Le peuple peut également être amené à trancher une question, et lorsqu'il le fait, sa légitimité est toujours supérieure à celle des parlementaires élus qui n'en sont que des représentants. Le bonapartisme relève donc d'une logique référendaire, ou plutôt plébiscitaire : les pouvoirs accordés sont grands, mais ils sont accordés directement par le peuple. Napoléon Ier était d'abord Premier consul, Napoléon III Président de la République, mais tous deux n'ont pas résisté aux pouvoirs qui leur étaient offerts, et en devenant empereurs ont renoncé à faire renouveler régulièrement et explicitement leur maintien aux responsabilités. Le Général de Gaulle, en instaurant l'élection du Président de la République au suffrage universel pour un mandat limité, a lui réussi à trouver la formule pour qu'une telle philosophie de l'action soit applicable de façon durable, et par son exemple, il a réussi à fonder une nouvelle République où l'alternance est compatible avec un exécutif fort.

En voulant fonder la légitimité de l'action politique par l'expression politique directe du peuple, le bonapartisme et le gaullisme privilégient le rassemblement des Français autour de son chef, au-delà des partis politiques. Pour cela, les questions de positionnement à droite ou à gauche seront souvent floues pour ceux qui se réclament de ces mouvements. René Rémond affilie le bonapartisme à la droite, parce que comme d'autres mouvements, il a été débordé par sa gauche par de nouveaux partis. Pourtant, ces traditions valorisent une forte politique sociale, et surtout une grande implication de l'Etat dans tous les domaines, contrairement aux principes relevant du libéralisme économique. Enfin, il ne faut pas oublier que le bonapartisme encourage une France forte en Europe et dans le monde en gardant un souci constant de son influence. Sans nécessairement aller jusqu'aux conquêtes de Napoléon Ier, il s'agit au moins pour la France de garder un poids important dans les affaires étrangères, et de rester indépendante. C'est ce principe qui justifie que certaines personnalités politiques se déclarent gaullistes soient tellement sur une ligne souverainiste par rapport à l'Union Européenne. Elles oublient toutefois que de Gaulle, sur bon nombre de sujets, agissait souvent avec pragmatisme, et qu'être gaulliste sans de Gaulle est un peu vain. A contrario, le bonapartisme n'est plus lié à la famille impériale et ne vise pas son retour au pouvoir. C'est bel et bien une pratique du pouvoir, qui a trouvé son application dans la Vème République.

Comme le plus grand héritage de Napoléon Ier aura été le Code civil, celui du général de Gaulle aura été notre Constitution qui fonde la Vème République. Alors que les IIIème et IVème Républiques s'enlisaient dans les jeux politiciens des partis quitte à sombrer dans l'immobilisme, nos institutions actuelles nous ont permis de surmonter toutes les crises jusqu'à présent. Si pouvoir et responsabilités sont corrélées, il ne faut pas oublier que ces notions sont dans les systèmes politiques liées à celle de légitimité. La force des pouvoirs donnés directement par le peuple permet une action politique ambitieuse, et c'est bien là que la philosophie bonapartiste révèle son intérêt.

vendredi 3 août 2007

Le Portugal prend le chemin des réformes

Depuis le 1er juillet dernier, c'est au tour du Portugal de prendre la présidence de l'Union Européenne. Sa principale tâche fera de faire aboutir la conférence inter-gouvernementale sur le nouveau traité institutionnel de l'Union Européenne, dont les contours ont été fixés lors du sommet de Bruxelles en juin dernier. Alors que la situation politique intérieure de la Pologne est très agitée, arriver à un accord ne sera sans doute pas évident, vu que ce fût le pays qui avait posé le plus de problèmes au sommet de Bruxelles. Confronté à une surenchère nationaliste lors d'élections anticipées par une crise gouvernementale, les frères Kaczynski ne risquent pas de faciliter les choses, s'ils sont encore au pouvoir au moment où cette conférence se déroulera. Ce sera au Premier ministre portugais, José Socrates, d'avoir les talents de négociateur nécessaires pour que le traité soit correctement achevé. Ce socialiste est arrivé au pouvoir il y a deux ans de cela, dans un pays qui ne va pas bien économiquement. Alors que le reste de l'Europe dispose d'une économie robuste (la France mise à part évidemment, ainsi que l'Italie), le Portugal connaît des taux de croissance faible, inférieurs à 2 %. De plus, l'état de ses finances publiques le met en difficulté vis-à-vis du Traité de Maastricht, qu'il doit respecter en tant que pays utilisant l'euro comme monnaie nationale.

Face à l'obésité de l'administration publique, José Socrates a eu le courage de prendre les problèmes à bras le corps. Par d'importantes réformes administratives, il diminue le poids de la bureaucratie dans le Portugal, favorise une nouvelle stratégie économique basée sur l'innovation, lutte contre la fraude fiscale et combat le surnombre d'employés du public. Pour améliorer la gestion des administrations publiques, le gouvernement portugais vient ainsi de décider la contractualisation de 80 % des employés des services publics. Seuls les corps régaliens de l'Etat (police, armée, justice, diplomatie) auront désormais vocation à employer des fonctionnaires, le reste pouvant très bien travailler avec du personnel dont les contrats de travail seraient similaires aux employés du privé, alors que les administrations resteront publiques. Ce changement promet une meilleure efficacité de la gestion des ressources humaines dans les services publics portugais, et probablement une meilleure équité entre travailleurs du privé et du public. Cette meilleure efficacité sera bien sûr amenée à se traduire dans une amélioration des comptes de la nation, dont tous profiteront, par exemple par de moindres ponctions fiscales, ou une meilleure qualité de services publics.

Cette réforme, pourtant ambitieuse, ne semble pas mettre le Portugal à feu et à sang. Et c'est bien un gouvernement socialiste qui la met en oeuvre. En France, une telle contractualisation massive de fonctionnaires est un tabou absolu. La peur des syndicats du secteur public, attachés au maintien de leurs privilèges, reste d'autant plus présente qu'ils gardent une capacité de nuisance impressionnante sur le reste de la population. Il n'y a pourtant pas vraiment d'argument qui s'oppose à la contractualisation, si tout du moins l'on s'attache principalement à la défense de l'intérêt général. Alors que le Portugale connaît des difficultés économiques, il a le courage de faire des réformes importantes du secteur public pour améliorer la situation. La France connaît une faiblesse économique semblable. Aux mêmes causes, mêmes conséquences. Mais elle aurait bien besoin de courage elle aussi.

Photo : AFP

mercredi 1 août 2007

Vaines querelles centristes

Le soir du premier tour de l'élection présidentielle, François Bayrou est vaincu. Contrairement à ce qu'il croyait fermement, il ne sera pas Président de la République pour les cinq prochaines années. Il entame dès ce moment là sa campagne pour les élections présidentielles de 2012. Son but : montrer qu'il est l'alternative au pouvoir qui se mettra en place, très certainement celui de l'UMP. Pour que son parti, l'UDF, puisse être considéré comme un parti d'opposition, il doit apparaître clairement qu'il n'est plus de centre droit. Pour cela, François Bayrou accepte de mener la ronde médiatique en faisant un débat amical avec Ségolène Royal à la télévision, et lors de la deuxième semaine entre les deux tours, il annonce qu'il ne votera pas pour Nicolas Sarkozy. Il se met alors à l'œuvre pour fonder un nouveau parti qui lui sera entièrement dévoué, le Mouvement Démocrate, et s'apprête à une traversée du désert dont il espère toucher les dividendes à la prochaine présidentielle. Seulement, en refusant l'alliance entre l'UDF et l'UMP, François Bayrou force ce qui le suivent à n'avoir aucun poids sur les orientations politiques à venir. Il y avait déjà plusieurs membres de l'UDF qui avaient soutenu la candidature de Nicolas Sarkozy avant le premier tour, tel Gilles de Robien ou André Santini. Mais le lendemain du premier tour, les autres élus de l'UDF doutent : la stratégie de François Bayrou pour la présidentielle de 2007 est un échec, et il faudrait poursuivre sur la même voie pour la suite. L'alternative, pour eux, est entre l'absence d'influence, voire la défaite aux législatives, et la participation à la politique de la nation.

Comment s'étonner, alors, qu'une très grande majorité des députés du groupe UDF refusent de suivre leur chef dans sa déroute ? Ceux-ci ne veulent pas de ce Mouvement Démocrate, à la gloire d'un seul homme, mais ne veulent pas pour autant rejoindre l'UMP où ils craignent de perdre leur spécificité. Ils répondent alors à l'appel de Nicolas Sarkozy entre les deux tours, et se désolidarisent de leur chef en annonçant leur vote au second tour pour le candidat de l'UMP. Cette sécession donne alors naissance au Nouveau Centre, parti créé pour investir les candidats issus de l'UDF qui souhaitent se situer dans la majorité présidentielle. Hervé Morin, ancien président du groupe UDF à l'Assemblée Nationale, prend la tête de cette révolte, et rejoint André Santini et Gilles de Robien. Ce faisant, ils sauvent leurs sièges de députés, et reprennent une influence dans les affaires qu'ils avaient perdue lorsque François Bayrou avait décidé de passer à une stratégie d'opposition. Ce dernier se retranche dans l'isolement "glorieux" voulu par Marielle de Sarnez, seule personne qu'il écoute. Il pourra ainsi profiter des bons et des mauvais moments du gouvernement, espère-t-il. Au sein même du Mouvement Démocrate, tout le monde n'est pas complètement convaincu par cette méthode : ainsi, le député Thierry Benoit, l'un des quatre à avoir été élu sous l'étiquette de ce parti, s'interroge sur le résultat actuel de l'opération et préconise de mettre fin à cette division actuelle.

Avec tout cela, l'ambiance est évidemment horrible au sein de la famille socio-démocrate, divisée entre l'UMP, le Nouveau Centre et le Mouvement Démocrate. Par rapport à l'UDF, François Bayrou peut se targuer d'avoir récupéré les militants, dont de nouveaux, venus par le biais de la campagne présidentielle. Mais il n'a plus une véritable base d'élus, alors que celle-ci avait déjà été considérablement amoindrie par la scission de 2002. En fait, il s'agit ici du résultat d'un malentendu : le centrisme est une notion qui peut être pertinente pour qualifier le positionnement politique d'un individu, s'il essaie de prendre le meilleur de la gauche et de la droite en même temps. Mais le centrisme pur n'est pas possible dans la conduite du gouvernement, tout simplement par ce que les centristes ne sont structurellement pas assez nombreux pour disposer d'une majorité sans alliance. Il leur faut donc faire un choix, et en fonction de l'alliance choisie, le centrisme se sépare alors entre le centre gauche et le centre droit. François Bayrou refuse de faire alliance de nouveau avec la droite. S'il veut le pouvoir, il devra donc faire alliance avec la gauche. Il bascule sur l'échiquier politique, mais il devra pousser la gauche à se débarrasser de son extrême gauche qui garde une certaine influence même au sein du Parti Socialiste. De l'autre côté, le Nouveau Centre reste fidèle à ses choix antérieurs, en prenant le parti de l'alliance avec la droite. Il apparaît surtout que toutes ces vaines querelles n'ont qu'une seule origine : le destin que se voit de façon prophétique celui qui était le président de l'UDF.

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