La puissance et la faiblesse selon Robert Kagan
Par xerbias, mercredi 15 août 2007 à 22:36 :: Monde :: #198 :: rss
Alors que les Etats-Unis se lançaient dans la guerre contre Saddam Hussein en 2003, le géopolitologue néo-conservateur Robert Kagan publiait un livre intitulé La puissance et la faiblesse où il exposait sa conception des différences d'approches en matière internationale de la part des Etats-Unis et de l'Europe, et les relations compliquées entre ces deux poids qui en résultaient. A l'heure où le pouvoir américain s'était converti à la doctrine néo-conservatrice, les positions plus pacifistes de pays européens importants comme la France ou l'Allemagne leur apparaissaient pour le moins naïves. Cette situation est, selon Robert Kagan, le résultat de deux visions différentes sur le monde. Les Européens, heureux du succès de la construction européenne dans le sens où elle a permis d'empêcher les guerres depuis une soixantaine d'années, souhaitent appliquer ce modèle de discussions inter-étatiques dans la diplomatie pour régler les difficultés. Il en résulte un fort attachement aux décisions de l'ONU, à la diplomatie et aux négociations en général, pour que l'issue soit trouvée par le biais de la raison et du dialogue. Les Américains par contre, se croient plus "réalistes" en ne se faisant pas d'illusion sur les résultats que la méthode purement diplomatique permet d'obtenir. Pour traiter avec les démocraties, elle peut suffire, mais elle n'est pas pertinente pour faire face à des dictatures qui ne croient qu'au rapport de force.
Cette différence de vues a plusieurs origines. La première est évidemment historique : les Etats-Unis étaient à l'origine "idéalistes" en matière de politique internationale, un idéalisme appliqué par le président Woodrow Wilson lorsqu'il souhaita la création de la Société des Nations en 1919, quand les Européens ne juraient que par le rapport de force entre eux, au cours de leurs nombreuses guerres. Mais après la deuxième guerre mondiale, les positions s'échangèrent : lassés par les guerres, les Européens décidèrent de se lancer sérieusement dans le multilatéralisme pour les empêcher. De leur côté, les Etats-Unis tiraient les conséquences de leur implication décisive dans la guerre en décidant de garder une armée forte pour pouvoir intervenir en cas de problème éventuel, alors que la guerre froide commençait.
Mais Robert Kagan propose également une autre explication, inversée par rapport à la précédente, expliquant le maintien de ces politiques internationales de part et d'autres : aujourd'hui, si les Etats-Unis gardent une optique unilatéraliste et violemment jalouse de ses intérêts vitaux, c'est parce qu'ils en ont les moyens. L'ampleur de leur force militaire était au début de la décennie une grande source de satisfaction pour eux. Cette puissance militaire était le fondement même de leur influence diplomatique, assurant à l'Amérique, respect, voire crainte. Ainsi, le renversement de Saddam Hussein devait, selon les néo-conservateurs, pousser les autres pays du Moyen Orient à se montrer plus calme dans l'anti-américanisme, et plus favorable aux intérêts américains. C'est pour cela que cet effort était censé participer à la guerre contre la terreur : l'instauration de la démocratie en Irak devait faire un effet domino sur les pays semblables, et des pays où régneraient la démocratie et les libertés seraient moins sensibles à l'islamisme. Les Européens, eux, ayant négligé leur budget militaire depuis des décennies, ne pourraient compter sur une dissuasion musclée. C'est justement ce manque qui les pousserait vers la diplomatie multilatérale, considérée par Robert Kagan comme l'arme des faibles.
Dans son livre, qui reste tout de même assez court, Robert Kagan développe donc cette différence sur la scène internationale entre une Amérique forte et une Europe faible, différence qui est à l'origine des incompréhensions. Il n'hésite pas à reprendre la métaphore psychologique de John Gray, où l'Amérique vient de Mars, lorsque l'Europe vient de Vénus, avec ce que cela implique de différence entre le dieu de la guerre et la déesse de l'amour. Mais si en 2003 l'Amérique était confiante sur sa capacité à mener deux guerres en même temps, elle ne s'attendait sûrement pas à ce qu'elles durent aussi longtemps. L'analyse de Robert Kagan reste pertinente dans les descriptions des façons de penser d'un côté et de l'autre de l'Atlantique, mais elle montre aussi tout ce qui est négligé dans l'analyse détaillée de chaque situation particulière. En l'occurrence, la solution de remplacement à Saddam Hussein n'était pas prête en 2003, et les éventuels conflits inter-ethniques étaient sous-estimés, tout comme le mauvais accueil fait à l'occupant américain en Irak d'ailleurs. Ce n'est pas faute que les géopolitologues de Washington ignoraient ces données, c'est juste qu'en privilégiant une façon de faire simpliste, ils ont décidé de les ignorer. Evidemment, aujourd'hui, les néo-conservateurs apparaissent comme disqualifiés par le cours des événements. Et c'est plutôt l'équilibre entre implication militaire et négociations diplomatiques qui est perçu comme la voie à appliquer désormais.
Cette différence de vues a plusieurs origines. La première est évidemment historique : les Etats-Unis étaient à l'origine "idéalistes" en matière de politique internationale, un idéalisme appliqué par le président Woodrow Wilson lorsqu'il souhaita la création de la Société des Nations en 1919, quand les Européens ne juraient que par le rapport de force entre eux, au cours de leurs nombreuses guerres. Mais après la deuxième guerre mondiale, les positions s'échangèrent : lassés par les guerres, les Européens décidèrent de se lancer sérieusement dans le multilatéralisme pour les empêcher. De leur côté, les Etats-Unis tiraient les conséquences de leur implication décisive dans la guerre en décidant de garder une armée forte pour pouvoir intervenir en cas de problème éventuel, alors que la guerre froide commençait.
Mais Robert Kagan propose également une autre explication, inversée par rapport à la précédente, expliquant le maintien de ces politiques internationales de part et d'autres : aujourd'hui, si les Etats-Unis gardent une optique unilatéraliste et violemment jalouse de ses intérêts vitaux, c'est parce qu'ils en ont les moyens. L'ampleur de leur force militaire était au début de la décennie une grande source de satisfaction pour eux. Cette puissance militaire était le fondement même de leur influence diplomatique, assurant à l'Amérique, respect, voire crainte. Ainsi, le renversement de Saddam Hussein devait, selon les néo-conservateurs, pousser les autres pays du Moyen Orient à se montrer plus calme dans l'anti-américanisme, et plus favorable aux intérêts américains. C'est pour cela que cet effort était censé participer à la guerre contre la terreur : l'instauration de la démocratie en Irak devait faire un effet domino sur les pays semblables, et des pays où régneraient la démocratie et les libertés seraient moins sensibles à l'islamisme. Les Européens, eux, ayant négligé leur budget militaire depuis des décennies, ne pourraient compter sur une dissuasion musclée. C'est justement ce manque qui les pousserait vers la diplomatie multilatérale, considérée par Robert Kagan comme l'arme des faibles.
Dans son livre, qui reste tout de même assez court, Robert Kagan développe donc cette différence sur la scène internationale entre une Amérique forte et une Europe faible, différence qui est à l'origine des incompréhensions. Il n'hésite pas à reprendre la métaphore psychologique de John Gray, où l'Amérique vient de Mars, lorsque l'Europe vient de Vénus, avec ce que cela implique de différence entre le dieu de la guerre et la déesse de l'amour. Mais si en 2003 l'Amérique était confiante sur sa capacité à mener deux guerres en même temps, elle ne s'attendait sûrement pas à ce qu'elles durent aussi longtemps. L'analyse de Robert Kagan reste pertinente dans les descriptions des façons de penser d'un côté et de l'autre de l'Atlantique, mais elle montre aussi tout ce qui est négligé dans l'analyse détaillée de chaque situation particulière. En l'occurrence, la solution de remplacement à Saddam Hussein n'était pas prête en 2003, et les éventuels conflits inter-ethniques étaient sous-estimés, tout comme le mauvais accueil fait à l'occupant américain en Irak d'ailleurs. Ce n'est pas faute que les géopolitologues de Washington ignoraient ces données, c'est juste qu'en privilégiant une façon de faire simpliste, ils ont décidé de les ignorer. Evidemment, aujourd'hui, les néo-conservateurs apparaissent comme disqualifiés par le cours des événements. Et c'est plutôt l'équilibre entre implication militaire et négociations diplomatiques qui est perçu comme la voie à appliquer désormais.
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