Il en avait parlé pendant la campagne, puis l'avait évoqué à nouveau le soir de son élection : Nicolas Sarkozy n'hésitait pas à déclarer que l'emprisonnement des infirmières bulgares et du médecin palestinien en Libye était un scandale qui engageait la France à agir pour leur libération. Lorsqu'il arrive au pouvoir, les recours juridiques s'épuisent pour ces infirmières : fin juin, leur condamnation à mort est confirmée par la cour de cassation de Tripoli. Si cela fait des années qu'il existe une mobilisation internationale en faveur de cette libération, le colonel Kadhafi répugne à l'accorder. Il faut dire qu'il a fait de ces infirmières des boucs émissaires à un scandale énorme de la santé en Libye : la contamination de centaines d'enfants par le SIDA du fait d'un respect déplorable des règles d'hygiène. Plutôt que de reconnaître la gestion catastrophique du système de santé libyen (ce qui aurait pu provoquer un mécontentement mettant en danger le maintien du régime en place), le pouvoir a préféré rejeter la faute sur des étrangers, en les accusant d'avoir consciemment injecté le virus aux jeunes enfants libyens. La colère populaire s'est alors retournée contre ce personnel soignant étranger, leur exécution devenant pour le colonel Kadhafi un sacrifice humain à faire pour calmer la fureur du peuple pour mieux se protéger. A priori, le dirigeant libyen n'avait donc pas vraiment intérêt à libérer ces infirmières.

Certes, il voulait également retourner dans le concert de la diplomatie mondiale. En indemnisant les victimes de l'attentat de Lockerbie et en livrant ses stocks d'armes de destruction massive aux américains en 2003, il était redevenu à peu près fréquentable. Il joue ainsi un grand rôle dans les tentatives de création d'une union africaine. Dans ce cadre, l'exécution des infirmières le desservirait. Il fallait donc trouver une solution à l'issue de laquelle il puisse apparaître gagnant. Avant même que la Bulgarie ne rejoigne l'Union Européenne, cette dernière avait commencé à œuvrer pour la libération des infirmières bulgares. Cela se fit notamment sous l'égide de Bénita Ferrero-Waldner, la commissaire aux relations extérieures de l'Union Européenne. Malheureusement, cela ne suffisait pas car le colonel Kadhafi voulait, pour garantir son retour sur la scène internationale, des interlocuteurs politiques d'un poids supérieur, en plus de la normalisation des relations entre la Libye et le reste du monde. C'est alors que Nicolas Sarkozy commença à intervenir. Constatant que les filières diplomatiques traditionnelles n'étaient pas efficaces, il décida d'envoyer son propre bras droit, plutôt que d'envoyer une fois de plus un ministre des affaires étrangères à Tripoli. C'est donc le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, qui partit pour faire le lien entre le président français et le dirigeant libyen. Il fut accompagné de l'épouse du président, qui devait jouer un double rôle : d'une part, avoir un rôle compassionnel, tant pour les infirmières bulgares que pour les enfants libyens inoculés, d'autre part pour signifier au colonel Kadhafi l'implication très personnelle de Nicolas Sarkozy dans la négociation. Cela permettait ainsi de prendre en compte à la fois l'émotion du peuple libyen, et de s'adapter à la psychologie ou la culture du dirigeant libyen.

Cette implication personnelle permit de débloquer les négociations qui avaient été en grande partie menée par l'Union Européenne, mais qui n'arrivaient pas à franchir la dernière étape. La présidence allemande de l'Union Européenne comptait sur une telle libération avant le sommet européen de juin dernier, mais n'avait pu passer les derniers obstacles, provoquant l'aigreur du ministre allemand des affaires étrangères. Le 24 juillet dernier, l'avion estampillé République française ramena les infirmières et le médecin en Bulgarie, provoquant la joie des Bulgares. Dans cette dernière négociation, la Commission Européenne, la France et la Bulgarie avaient travaillé ensemble pour arracher la décision de libération au colonel Kadhafi. Après que Claude Guéant et Bénita Ferrero-Waldner se furent exprimés ensemble pour se réjouir de l'issue heureuse de la crise, Nicolas Sarkozy et José-Manuel Barrosso ont tous les deux tenus des conférences de presse au même moment, où ils dirent les mêmes choses, et se félicitèrent et se remercièrent l'un l'autre. De son côté, le colonel Kadhafi bénéficier d'une normalisation des relations avec la communauté internationale, concrétisée par la visite de Nicolas Sarkozy en Libye, et fustiger à bon compte la Bulgarie pour avoir graciée les infirmières seulement transférées de prison en théorie.

Au bout du compte, le résultat est là : les infirmières et le médecin sont libres et de retour en Bulgarie. On pouvait s'attendre à ce qu'il y ait une joie équivalente à l'inquiétude qu'avait provoquée la perspective d'une telle injustice. Mais non. Alors qu'en Bulgarie tout le monde remerciait l'Union Européenne et la France pour le rôle conjoint qu'ils avaient joué, une partie de milieu politique français a d'abord accusé la France de n'avoir rien fait mis à part de voler la vedette à la Commission Européenne, puis, en changeant complètement de perspective, d'en avoir trop fait pour cette libération. Aujourd'hui, le Parti Socialiste veut transformer ce succès en accusation politique, notamment en réclamant une commission d'enquête parlementaire pour s'en prendre à l'épouse du chef de l'Etat. Ce sont les mêmes qui, autrefois, parlaient de cet emprisonnement comme d'une honte, essaient désormais de transformer cette libération en une sordide affaire de politique intérieure. Parce que pour certains de ses adversaires, Nicolas Sarkozy ne saurait, par principe, avoir de succès. Tout est bon alors pour que ce dogmatisme et ce sectarisme se déchaînent. Voilà qui est plutôt triste...