Réflexions en cours

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mardi 10 novembre 2009

La Cour européenne des droits de l'homme face aux crucifix italiens

L'Italie a été condamnée la semaine dernière par la Cour européenne des droits de l'homme au terme d'un long processus juridique. La plaignante s'était lancé depuis sept ans dans une croisade contre la présence de crucifix dans l'école publique où étudiaient ses enfants. Ces derniers ont eu le temps de grandir depuis, mais leur mère, systématiquement déboutée par le tribunal administratif italien puis par le Conseil d'Etat, a décidé quand même de porter l'affaire devant la cour de Strasbourg. Celle-ci a estimé que l'exposition de crucifix dans les salles de cour "restreint le droit des parents d'éduquer leurs enfants selon leurs convictions ainsi que le droit des enfants scolarisés de croire ou de ne pas croire", et en conséquence, à condamné l'Etat italien à verser à la plaignante 5 000 euros de dommages et intérêts.

En Italie, ce fut immédiatement la consternation générale. A l'exception des communistes, tous les partis se sont prononcés en faveur de la présence des crucifix, et le consensus est tel que 84 % des Italiens abondent dans ce sens, d'après un récent sondage. Si la présence de crucifix dans une école publique française serait un casus belli pour une grande partie de la population, vu la tradition spécifiquement laïque ayant cours en France, l'Italie relève elle d'une autre vision des choses. Le pays en lui-même est bien plus religieux, plus catholique, 90 % des Italiens se déclarant appartenir à cette confession. Mais au delà du simple fait religieux, les symboles catholiques font partie de la culture italienne. Ainsi, les crucifix se sont imposés dans les écoles italiennes dès le XIXème siècle, bien avant la création du régime actuel. Et jamais rien n'est venu les remettre en cause. C'était d'ailleurs le raisonnement qui avait poussé les juridictions italiennes à rejeter cette requête. Mais la décision de la Cour européenne des droits de l'homme est tombée sur l'Italie comme une grande surprise.

La France et l'Italie peuvent bien avoir des traditions différentes quant à leurs relations avec les religions. Le sujet est si délicat qu'il nécessite un équilibre forgé par le temps, et il serait périlleux de les remettre en cause. De la même manière que la France veillera avec force à ce que les religions ne dominent pas les affaires publiques, l'Italie peut bien afficher les symboles qu'elle désire comme l'expression de ses valeurs. Faut-il vraiment que ce genre de question soit déterminé de façon externe ? Si le principe de subsidiarité s'appliquait ici, l'affaire se serait réglée en Italie, comme l'entende les Italiens, sans aucun préjudice pour les autres pays.

Mais il faut quand même remarquer que la Cour européenne des droits de l'homme n'est pas une institution relevant de l'Union Européenne. Elle dépend en effet du Conseil de l'Europe, une organisation bien moins connue, mais comptant bien plus de membres. Les deux n'ont en fait aucun lien formel. Seulement, la confusion règne souvent, notamment parce que le Conseil de l'Europe peut être confondu avec le Conseil Européen (la réunion des dirigeants des pays membres de l'Union Européenne), et que les deux institutions ont des drapeaux semblables. Et si personne ne risque de s'en prendre au Conseil de l'Europe pour une décision prise par l'Union Européenne (vu son insignifiance générale), il est triste que l'Union Européenne soit atteinte par ricochet par certaines décisions douteuses de la part d'une institution relevant du Conseil de l'Europe. Ces nuances sont compliquées, et c'est pour cela qu'au final, chez bien des gens, cette décision sera ramenée à "encore une aberration décidée de façon lointaine par l'Europe". Malheureusement.

jeudi 5 novembre 2009

La grande pleurnicherie autour du droit à l'image collective

Les présidents de clubs de foot et de rugby sont bien malheureux : voilà que l'Assemblée Nationale vient de voter au titre du budget 2010 la suppression du "droit à l'image collective". Le dispositif fait en fait référence une exonération de charges sociales sur une partie du salaire (jusqu'à 30 %) des joueurs d'équipes professionnelles. Votée fin 2004, la logique de la mesure est que l'image du joueur peut être utilisée par son club, et qu'il peut donc être rémunéré à ce titre sans que cela constitue son travail, qui lui est bien soumis aux cotisations. La distinction est évidemment tout à fait artificielle, et n'est qu'un moyen pour diminuer le coût des joueurs pour leurs clubs. Le but est d'améliorer leur compétitivité sur la scène européenne, en évitant le départ ou en faisant revenir les meilleurs joueurs français.

Or rien de cela ne s'est passé. La dernière fois qu'une équipe de football française est arrivée en finale de la ligue des champions, c'était Monaco en 2004, avant même le vote de cette mesure. Depuis, le football français est toujours aussi morne. Les meilleures équipes n'ont jamais réussi à dépasser le stade des quarts de finale. Et en matière d'exode de joueurs, la situation n'est pas vraiment brillante. Quand on se félicite du retour de Yoann Gourcuff, cela occulte qu'il était parti en Italie alors que la mesure existait déjà. Et elle n'a pas empêché les départs de Franck Ribéry ou de Karim Benzema, parmi tant d'autres...

Les faits remettent donc en cause l'existence de cette exonération, et la Cour des comptes ne s'est pas empêchée de le signaler. En réponse, le ministère des sports l'avait d'ailleurs reconnu, et on pouvait dès lors espérer que la disposition passe à la trappe. S'il ne représente que 3 % du budget des clubs, le mécanisme a quand même un coût pour l'Etat, qui doit rembourser les 30 à 40 millions d'euros de cotisations aux organismes sociaux. Et en ces périodes particulièrement difficiles pour les comptes publics, on peut être certain qu'il n'est absolument pas dans l'intérêt général d'accorder des passe droits budgétaires aux clubs de foot.

Ne serait-ce que pour le symbole, c'est désastreux. Les joueurs sont notoirement payés à des niveaux qui ne relèvent plus de leurs performances, et les montants des transferts laissent pantois le commun des mortels. Tout cela parce que les clubs sont prêts à se lancer dans d'incroyables enchères, mettant parfois en péril leur viabilité financière. Les Etats n'ont pas à payer pour le manque de sang froid des dirigeants de clubs. En Espagne aussi, une mesure visant à limiter la taxation des joueurs étrangers va être supprimée. Hier, contre Lyon, l'équipe de Liverpool ne comptait d'ailleurs qu'un seul Britannique parmi ses titulaires. Cela contribue à donner aux joueurs une indéniable image de mercenaires, et il serait souhaitable que tout ce milieu remette les pieds à terre.

C'est pour cela que les pleurnicheries organisées par les présidents de clubs sont particulièrement indécentes. Bien sûr, comme tout le monde, ils cherchent à défendre leurs avantages particuliers. Et quand Gervais Martel, patron du RC Lens, loue la "sagesse des sénateurs" pour espérer qu'ils lui redonnent son exonération, et s'en prend à des députés qui ne connaitraient pas les dossiers, il oublie que ce sont les mêmes qui ont voté cette mesure, et qu'ils n'ont pas été les derniers à remarquer qu'elle ne changeait rien au problème. Et aujourd'hui, un coût de ce genre pour la société est simplement inacceptable.

lundi 2 novembre 2009

Les conservateurs américains se déchaînent

Le premier mardi de novembre est traditionnellement jour d'élections aux Etats-Unis. Les plus importantes se déroulent les années paires, mais celles qui se dérouleront demain auront suffi à mobiliser un certain nombre de journalistes et d'activistes politiques. Si les gouverneurs de deux Etats, la Virginie et le New Jersey, se verront élus, le scrutin qui ces derniers temps aura le plus attiré l'attention aura été celui visant à désigner le représentant de la 23ème circonscription de l'Etat de New York au Congrès. Dans cette partielle, le parti républicain local avait désigné une candidate très modérée, puisque libérale sur les questions sociales telles que l'avortement ou le mariage gay. Le raisonnement des républicains était qu'une candidate modérée pouvait tout à fait trouver les faveurs des électeurs, sachant que si la circonscription est fermement détenue par les républicains depuis longtemps, elle n'en n'avait pas moins votée pour Barack Obama en 2008.

Seulement, un des négligés par ce choix a décidé de se présenter quand même face à elle et au candidat démocrate, en faisant une promotion appuyée de ses valeurs conservatrices. Cette insistance lui a permis d'attirer l'attention de tous les conservateurs du pays, qui se sont rapidement mis à désavouer la candidate choisie par les républicains de New York, voyant dans ce choix un nouveau signe de la perte de repères du parti républicain. Le candidat conservateur a alors bénéficié de levées de fonds conséquentes, lui permettant de marteler son message de façon intensive dans les publicités. Au final, la candidate républicaine a été poussé à abandonner, hier. Le parti républicain s'est alors complètement rangé derrière le candidat conservateur.

Pour les conservateurs, c'est une victoire qui fera date. Et depuis l'élection de Barack Obama, ce sont eux qui tiennent le haut du pavé. Cela fait des mois qu'ils s'opposent avec véhémence à tout ce que peuvent faire le président et le congrès démocrate, dont l'action est considérée la plupart du temps de façon délirante. Leur idole, Sarah Palin, n'a ainsi pas hésité à parler de "tribunaux de la mort" en évoquant les perspectives ouvertes par la réforme du système de santé américain. Le plan de relance fut considéré comme un basculement vers le communisme. Des manifestations furent organisées contre l'action des démocrates. Aujourd'hui, seule la base très conservatrice du parti républicain occupent l'espace médiatique, en poussant des cris d'orfraies sur tous les sujets.

Le courant conservateur américain est influent depuis des décennies aux Etats-Unis. Il développe une vision de l'Amérique et du monde à laquelle nul ne saurait déroger, alors que celle-ci touche souvent à l'extrémisme. Et surtout, il sait se mobiliser. En 1993, déjà, l'animateur radio Rush Limbaugh avait mis en évidence l'engouement qui se faisait dans une frange de la population autour de ses idées très à droite. Les victoires de George Bush en 2000 et 2004 ne pourraient s'expliquer sans le soutien qu'il a bénéficié de la part des conservateurs, souvent très religieux, comme lui. En 2008, l'ex gouverneur (et révérend) Mike Huckabee avait d'ailleurs contre toute attente tenu longtemps dans la course à la présidentielle, mais cela s'expliqua car il s'avérait être le candidat le plus conservateur de ceux qui se présentaient. La décision du modéré John McCain de choisir Sarah Palin comme sa colistière surprit sur le moment, dans la mesure où la gouverneur de l'Alaska avait bien peu d'expériences et des vues assez extrêmes. Mais ce fut pour lui la seule façon de bénéficier de la mobilisation des conservateurs, qui sinon, auraient été très tièdes vis-à-vis du candidat républicain.

Maintenant, si John McCain est revenu à sa figure de sage du Sénat, pour beaucoup de gens Sarah Palin incarne l'avenir. Si ce n'est elle la prochaine candidate du parti républicain à la Maison Blanche, d'autres personnalités veillent à se forger une image de conservateur dans cet objectif, à l'instar du gouverneur du Minnesota, Tim Pawlenty. Le climat est presque à la chasse aux modérés au sein du parti républicain : les conservateurs entendent bien rééditer partout où ils le pourront ce qu'ils ont fait dans l'Etat de New York. Déjà, le gouverneur républicain modéré de Floride, Charlie Crist, se voit menacer d'une candidature conservatrice dans l'élection générale s'il venait à obtenir la nomination de son parti pour la prochaine sénatoriale. Les conservateurs sont de plus en plus près à obtenir la victoire dans les élections générales s'ils ne peuvent l'avoir lors des primaires.

Cette stratégie ne peut fonctionner que dans les Etats suffisamment ancrés du côté des républicains. Car pour vaincre, un candidat républicain doit non seulement bénéficier du soutien des conservateurs, mais aussi du vote des républicains modérés et des indécis. Or cette dernière catégorie n'est pas assurée de suivre si l'extrémisme apparaît trop. George Bush avait réussi à rassembler aussi large malgré sa vision très conservatrice des choses, mais il n'est pas dit que cette prouesse puisse se renouveler si le parti républicain s'enfonce encore davantage dans l'idéologisme.

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