Le premier mardi de novembre est traditionnellement jour d'élections aux Etats-Unis. Les plus importantes se déroulent les années paires, mais celles qui se dérouleront demain auront suffi à mobiliser un certain nombre de journalistes et d'activistes politiques. Si les gouverneurs de deux Etats, la Virginie et le New Jersey, se verront élus, le scrutin qui ces derniers temps aura le plus attiré l'attention aura été celui visant à désigner le représentant de la 23ème circonscription de l'Etat de New York au Congrès. Dans cette partielle, le parti républicain local avait désigné une candidate très modérée, puisque libérale sur les questions sociales telles que l'avortement ou le mariage gay. Le raisonnement des républicains était qu'une candidate modérée pouvait tout à fait trouver les faveurs des électeurs, sachant que si la circonscription est fermement détenue par les républicains depuis longtemps, elle n'en n'avait pas moins votée pour Barack Obama en 2008.

Seulement, un des négligés par ce choix a décidé de se présenter quand même face à elle et au candidat démocrate, en faisant une promotion appuyée de ses valeurs conservatrices. Cette insistance lui a permis d'attirer l'attention de tous les conservateurs du pays, qui se sont rapidement mis à désavouer la candidate choisie par les républicains de New York, voyant dans ce choix un nouveau signe de la perte de repères du parti républicain. Le candidat conservateur a alors bénéficié de levées de fonds conséquentes, lui permettant de marteler son message de façon intensive dans les publicités. Au final, la candidate républicaine a été poussé à abandonner, hier. Le parti républicain s'est alors complètement rangé derrière le candidat conservateur.

Pour les conservateurs, c'est une victoire qui fera date. Et depuis l'élection de Barack Obama, ce sont eux qui tiennent le haut du pavé. Cela fait des mois qu'ils s'opposent avec véhémence à tout ce que peuvent faire le président et le congrès démocrate, dont l'action est considérée la plupart du temps de façon délirante. Leur idole, Sarah Palin, n'a ainsi pas hésité à parler de "tribunaux de la mort" en évoquant les perspectives ouvertes par la réforme du système de santé américain. Le plan de relance fut considéré comme un basculement vers le communisme. Des manifestations furent organisées contre l'action des démocrates. Aujourd'hui, seule la base très conservatrice du parti républicain occupent l'espace médiatique, en poussant des cris d'orfraies sur tous les sujets.

Le courant conservateur américain est influent depuis des décennies aux Etats-Unis. Il développe une vision de l'Amérique et du monde à laquelle nul ne saurait déroger, alors que celle-ci touche souvent à l'extrémisme. Et surtout, il sait se mobiliser. En 1993, déjà, l'animateur radio Rush Limbaugh avait mis en évidence l'engouement qui se faisait dans une frange de la population autour de ses idées très à droite. Les victoires de George Bush en 2000 et 2004 ne pourraient s'expliquer sans le soutien qu'il a bénéficié de la part des conservateurs, souvent très religieux, comme lui. En 2008, l'ex gouverneur (et révérend) Mike Huckabee avait d'ailleurs contre toute attente tenu longtemps dans la course à la présidentielle, mais cela s'expliqua car il s'avérait être le candidat le plus conservateur de ceux qui se présentaient. La décision du modéré John McCain de choisir Sarah Palin comme sa colistière surprit sur le moment, dans la mesure où la gouverneur de l'Alaska avait bien peu d'expériences et des vues assez extrêmes. Mais ce fut pour lui la seule façon de bénéficier de la mobilisation des conservateurs, qui sinon, auraient été très tièdes vis-à-vis du candidat républicain.

Maintenant, si John McCain est revenu à sa figure de sage du Sénat, pour beaucoup de gens Sarah Palin incarne l'avenir. Si ce n'est elle la prochaine candidate du parti républicain à la Maison Blanche, d'autres personnalités veillent à se forger une image de conservateur dans cet objectif, à l'instar du gouverneur du Minnesota, Tim Pawlenty. Le climat est presque à la chasse aux modérés au sein du parti républicain : les conservateurs entendent bien rééditer partout où ils le pourront ce qu'ils ont fait dans l'Etat de New York. Déjà, le gouverneur républicain modéré de Floride, Charlie Crist, se voit menacer d'une candidature conservatrice dans l'élection générale s'il venait à obtenir la nomination de son parti pour la prochaine sénatoriale. Les conservateurs sont de plus en plus près à obtenir la victoire dans les élections générales s'ils ne peuvent l'avoir lors des primaires.

Cette stratégie ne peut fonctionner que dans les Etats suffisamment ancrés du côté des républicains. Car pour vaincre, un candidat républicain doit non seulement bénéficier du soutien des conservateurs, mais aussi du vote des républicains modérés et des indécis. Or cette dernière catégorie n'est pas assurée de suivre si l'extrémisme apparaît trop. George Bush avait réussi à rassembler aussi large malgré sa vision très conservatrice des choses, mais il n'est pas dit que cette prouesse puisse se renouveler si le parti républicain s'enfonce encore davantage dans l'idéologisme.