Réflexions en cours

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lundi 31 janvier 2011

L'inconnue de l'Afrique du Nord

C'est le moins que l'on puisse dire, la France a été lente à appeler à un changement du pouvoir en Tunisie. Toujours soupçonnée d'ingérence, l'ancienne puissance coloniale est restée très discrète lors des manifestations du peuple tunisien, se limitant à un appel à ce que chaque côté n'use pas de violence. La presse anglo-saxonne l'avait remarqué, et mettait en avant en comparaison l'appui bien plus appuyé de Washington à une démocratisation de la Tunisie. Cela avait permis à Barack Obama une belle phrase dans son discours sur l'état de l'Union : "La volonté du peuple s'est révélée plus puissante que l'étreinte d'un dictateur". Quelques semaines plus tard, c'est au tour de l'Egypte de connaître une agitation similaire. Mais cette fois-ci, Washington et Paris (ainsi que le reste de l'Union Européenne) sont sur la même longueur d'onde : la prudence. De la part des autorités américaines, les commentaires sont rares, et mûrement réfléchis. On appelle au calme, et on murmure du bout des lèvres un appel à ce que Hosni Mubarak, le Président égyptien, démocratise son régime.

Mohamed El Baradei, ancien directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique et à ce titre prix Nobel de la paix, s'avère soudainement être un leader de facto de l'opposition égyptienne. Il s'est permis ce week-end de critiquer un autre prix Nobel de la Paix, le Président américain Barack Obama. Il a en effet regretté que les Etats-Unis n'appellent pas au changement de dirigeant en Egypte, et souhaité qu'ils arrêtent la "mise sous perfusion" du régime. Les Etats-Unis ont en effet traité sans problème avec Hosni Mubarak depuis des décennies, se servant de lui comme un intermédiaire dans le monde arabe, et en retour, ils l'ont beaucoup aidé par des aides directes ou militaires.

L'Egypte est un morceau bien plus gros que la Tunisie, et le monde occidental est très nerveux sur la tournure que prendra finalement les évènements en Afrique du Nord. Déjà, Israël s'inquiète à haute voix d'un départ de Hosni Mubarak, l'homme qui a appliqué une politique de paix au Proche Orient à la suite de son prédécesseur, Anouar el-Sadate, qui avait assassiné pour cette raison. L'Egypte est un élément stabilisateur dans la région, et l'Occident craint que ces révolutions ne servent qu'à remplacer une dictature par une autre, beaucoup plus dure et déstabilisatrice. Deux souvenirs hantent l'esprit des diplomates. Le premier est celui, lointain, de la révolution russe en 1917. Le deuxième, plus semblable aux situations actuelles, est celle de la révolution iranienne de 1979. Ce qui avait également commencé comme un mouvement d'origine populaire s'est rapidement transformée en théocratie particulièrement belliqueuse envers à peu près tout le monde.

Et bien sûr, plus récemment, les Etats-Unis ont appris qu'essayer d'imposer la démocratie sur des terres habituées à la dictature n'était pas une simple affaire. Le discours "tout le monde souhaite la liberté, il suffit de virer les dictateurs pour que les peuples deviennent enfin heureux" est plus difficile à tenir après l'expérience irakienne. Il ne s'agit pas de dire que les manifestations tunisiennes ou égyptiennes ne peuvent avoir de répercussions positives. C'est juste qu'en fin de compte, personne n'est capable de dire comment ça va tourner. Telle est la grande inconnue de l'Afrique du Nord : que deviendront ces pays une fois débarrassés des dirigeants qui en limitent les libertés ? Des démocraties à l'occidentale, avec un débat politique centré sur la politique économique à tenir ? Des démocraties à la turque, où le choix se fait à peu près entre militaires laïques et démocrates musulmans ? Toujours des régimes répressifs, corrompus et pragmatiques à la fois ? Ou bien des théocraties féroces, voulant instaurer la charia ? Il y a déjà des graines plantées pour que ce puisse être chacune de ces alternatives. Et d'ailleurs, l'issue ne sera pas forcément la même partout. Cette grande incertitude explique donc la grande prudence des puissances occidentales, qui estiment que la realpolitik est encore la carte la moins dangereuse à jouer pour l'instant.

dimanche 30 janvier 2011

Churchill, prix Nobel de la guerre

En 1953, Winston Churchill, Premier ministre du Royaume Uni pour la seconde fois de sa vie, se voit attribué le prix Nobel de littérature. Il se voit récompensé au titre de "sa maîtrise de la description historique et biographique ainsi que pour ses discours brillants pour la défense des valeurs humaines". Brillants, ses discours le sont sans aucun doute. Son éloquence a donné de l'énergie à tout un peuple, aux moments les plus durs de la deuxième guerre mondiale. Mais après tout, lorsqu'on parle de prix Nobel de littérature, le côté littéraire compte aussi, ce qui suppose des écrits. Et Churchill a beaucoup écrit, sur l'Histoire, sur sa personne, et surtout sur sa place dans l'Histoire. En France, l'inscription des œuvres de Charles de Gaulle aux programmes de français fait polémique. Cela avait déjà été le cas lorsque ses mémoires avaient été publiées dans la collection de la Pléiade. Certaines personnes remettent en cause la valeur littéraire des écrits du général. Pour Churchill, personne ne pose la question, vu qu'il s'est vu remettre la plus grande distinction dans ce domaine. Mais cela veut-il dire pour autant qu'il ne faille pas la poser ?

Lorsqu'on lit les écrits du général de Gaulle et ceux de Churchill, on ne remarque pas une grande différence de qualité littéraire. Au niveau du style, la grandiloquence de de Gaulle vaut bien le regard de Churchill posé sur les mêmes événements. Surtout, ni l'un ni l'autre ne sont particulièrement des innovateurs dans ce domaine. Moins adepte de la plume que son compagnon de guerre, Churchill dictait ses livres plus qu'il les écrivait. Il reçoit le prix Nobel en 1953, lorsqu'il publie le sixième et dernier tome de ses mémoires sur la seconde guerre mondiale. A l'époque comme maintenant, on dit que ce sont ces mémoires de guerres qui lui valent particulièrement cette consécration. Dans The Second World War, Churchill explique essentiellement son propre cheminement dans les événements, du rôle de Cassandre qu'il a très tôt joué dans l'entre deux guerres jusqu'à son départ du pouvoir, défait lors des élections législatives de 1945.

Comme dans ses mémoires sur la première guerre mondiale, The World Crisis, c'est surtout son regard qui prévaut. Dans The World Crisis, il a surtout voulu se justifier de son action à la tête de la marine britannique, la majeure partie du livre étant dévolue aux événements allant jusqu'en 1915, expliquant longuement ce qu'il s'était passé à la désastreuse bataille de Gallipoli, et pourquoi il l'avait voulue. Retournant à ce poste au début de la deuxième guerre mondiale, il prend dès le départ la décision d'accumuler les archives pour pouvoir écrire ses mémoires de cette période après coup. A son arrivée au 10 Downing Street au plus fort de l'invasion de la France en 1940, il continue cette pratique, et se met au travail dès qu'il quitte le pouvoir.

Et en lisant The World Crisis et The Second World War, on se rend justement compte de l'importance critique qu'il aura eue dans les affaires du monde. Député presque sans discontinuer de 1900 à 1964, il aura été au centre de la vie politique pendant plus de cinq décennies. Piteux en tant que ministre des finances, solitaire dans l'opposition (quand il prévient que le désarmement aura des conséquences en terme de vies humaines), c'est dans les deux guerres mondiales qu'il se révèle à son meilleur niveau. Si la première guerre mondiale le couvre moins de gloire que la deuxième, il aura quand même cherché à débloquer une guerre de position verrouillée et meurtrière. L'offensive des Dardanelles et le développement de tanks sont les solutions qu'il a fortement encouragées.

Pendant la deuxième guerre mondiale, il tente à nouveau de se servir de la marine pour handicaper l'Allemagne lorsqu'il y a peu de combats terrestres. Il est ensuite l'âme de la Grande Bretagne pendant la bataille d'Angleterre, encourageant le peuple à tenir bon et la Royal Air Force à défendre courageusement le territoire face à la Luftwaffe. Lui-même officier expérimenté, il participe à la stratégie des troupes au sol par ses nombreux câbles lors des combats en Afrique. Il tient bon, tout en développant des liens forts avec le président américain Franklin Roosevelt, espérant l'entrée en guerre de cet allié aux ressources illimitées. Lorsqu'on lui annonce l'attaque de Pearl Harbour, il se trouve ainsi soulagé : pour lui, ce ne sera plus qu'une question de temps, mais la victoire est désormais certaine.

Par ce travail extraordinaire, Churchill a eu un poids sans commune mesure sur l'Histoire. Il est sans conteste la personnalité la plus importante du XXème siècle. Et c'est ce que l'on comprend mieux en lisant ses livres. Si ce n'est pas son style qui lui valent ses louanges littéraires, alors ce doit être le contenu. Mais ce n'est pas un romancier qui a imaginé une intrigue à rebondissements, des personnages dotés d'une grande profondeur ou un environnement riche et compliqué. Non, le fond, c'est lui dans les guerres, dans l'Histoire. Ce qui est vraiment remarquable dans ses ouvrages, c'est comment il a réussi à sortir son pays de telle situation, comment il a pris telle décision, comment il a fait des choix douloureux, comment il a réussi à discuter avec des personnalités plus ou moins proches... C'est sa façon de mener la guerre qui relève ici du grand art.

Pour d'évidentes raisons, Churchill n'aurait pas pu recevoir un prix Nobel de la paix. Il prônait le réarmement avant la guerre, le combat acharné pendant, et la méfiance envers les soviétiques après. Mais son impact méritait d'être reconnu. D'où ce prix Nobel de littérature, qui a en fait tout d'un prix Nobel de la guerre.

jeudi 27 janvier 2011

Le regroupement familial

Mis en place pour la première fois en 1976, lorsque Jacques Chirac était Premier ministre, le regroupement familial a mauvaise presse. Non seulement le Front National le vilipende, mais c'est aussi l'ensemble de la droite qui pointe du doigt ses effets pervers. A la base, cela part d'une idée généreuse : permettre aux immigrés de faire venir leur famille pour qu'elle vive avec eux. Mais au fil des années, l'inconvénient est apparu de lui-même : les familles en questions ont beaucoup de difficultés à s'intégrer, leur seule attache au pays dans lequel elles arrivent étant celui qui les a fait venir, généralement le chef de famille. D'où l'inadéquation entre leurs professions et l'économie française, ou même parfois les difficultés à apprendre les usages locaux voire la langue. S'accumulant au fur et à mesure des décennies, reléguées faute de moyens dans les mêmes zones de HLM, les familles venues au titre du regroupement familial seraient celles qui se seraient le moins assimilées au reste de la société française.

Ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy avait voulu changer de principe directeur de l'immigration en France. D'une part, il voulut privilégier une immigration professionnelle, en cherchant à mettre en place un système à points comme au Canada pour permettre la venue de personnes ayant les meilleures chances de trouver leur place en France. D'autre part, il rendit plus difficile le regroupement familial, en allongeant la durée minimale nécessaire pour entamer ce type de démarches, et en augmentant les conditions de ressources du chef de famille. Souvent caricaturée pour son combat contre l'immigration illégale, la France n'en reste pas moins un pays largement ouvert à l'immigration légale. En 2010, le solde migratoire a été ainsi été nettement positif, estimé à +75 000 personnes.

Les rapports publics Les orientations de la politique d'immigration publiés par le ministère de l'Immigration permettent d'en savoir un peu plus sur les résultats des lois qui ont été passées. Le dernier date de décembre 2009, et copie colle curieusement un certain nombre de passages du rapport de l'année précédente. Les nouveaux chiffres sont quand même insérés. Les visas délivrés au titre du regroupement familial ont donc diminué de 25 % environ entre 2003 et 2008, la baisse n'ayant pas été continue, et s'étant surtout produite en 2006. En revanche, le nombre de visas accordés aux familles de réfugiés (qui ne relèvent visiblement pas du regroupement familial) explose, avec une croissance de 200 % (soit un triplement) sur ces cinq années. Ceux accordés pour une activité professionnelle augmentent comme prévu, mais de façon assez modérée (+ 6 %). Les visas délivrés aux étudiants sont restés à peu près stables, alors que ceux délivrés aux conjoints de Français ont fortement augmenté, avec 61 % en plus sur la même période.

Si l'on prend en compte ces cinq catégories de visas longs (excluant alors les visas accordés aux enfants qu'on adopte ou ceux accordés aux diplomates par exemple), on arrive à une augmentation totale de 8,5 %. Entre la baisse des regroupements familiaux (de réfugiés ou non) et la hausse de l'arrivée pour motifs professionnels, on arrive à une légère baisse de 3 % (1246 personnes). En 2008, les dix pays dont proviennent le plus de personnes arrivées pour motif familial étaient, par ordre décroissant, l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, le Cameroun, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Mali, la Chine et la République Démocratique du Congo. Ceux arrivés pour motifs professionnels ont un profil un peu différent, avec encore par ordre décroissant, le Maroc, la Roumanie, les Etats-Unis, le Mali, la Pologne, l'Inde, la Chine, la Tunisie, la Bulgarie et la Turquie.

Le regroupement familial est donc loin d'avoir disparu, représentant encore plus de 20 000 personnes par année, soit 14 % des visas longs accordés. Évidemment, on ne peut que souhaiter que ces familles aient moins de difficultés à s'assimiler au reste de la population que celles qui les ont précédées sur ce chemin.

mardi 25 janvier 2011

L'efficacité douteuse du kamikaze

Encore un attentat suicide, cette fois-ci à l'aéroport de Moscou. Une femme se serait faite exploser avec une bombe dans la salle d'accueil des voyageurs, faisant des dizaines de morts. L'enquête s'orienterait en direction de la région du Caucase, et ce ne serait pas la première fois que les groupes armés locaux enverraient des gens à la mort pour tuer des civils dans la capitale russe. Mais à quoi cela sert-il ? La stratégie de l'envoi de kamikazes n'est pas bonne, en tout cas elle n'est pas rationnelle. C'est une marque de désespérance forte, mais elle n'aboutit à rien de constructif, seulement à des conséquences terribles pour ceux qui sont derrière.

Lors de la deuxième guerre mondiale, les Japonais n'ont commencé à envoyer des avions kamikaze sur les navires américains qu'à la toute fin de la guerre, lors que les forces nippones manquaient de moyens pour contrecarrer la puissance de feu croissante des Alliés. Cela ne les a pas sauvés, loin de là. A travers les kamikazes et l'ardeur suicidaire générale des Japonais au combat, les Américains ne comprirent que la difficulté d'une invasion du Japon, et le rejet obstiné d'un armistice de leur part. Plutôt que de mener des combats meurtriers pied à pied dans chaque rue du Japon, les Américains préférèrent y larguer deux bombes atomiques pour tout arrêter.

Au Proche-Orient, les kamikazes ont été à certaines périodes très utilisés pour commettre des attentats suicides. Encore une fois, on ne peut pas dire que ça a payé. Israël n'a pas décolonisé Gaza pour céder aux terroristes, et la volonté de combattre de ces derniers ne sert en fin de compte qu'à rendre misérable la vie de la population. En Cisjordanie, le climat est dernièrement un peu apaisé, ce qui contribue au développement de la zone. En Irak aussi, des kamikazes ont fait beaucoup de dégâts. Ils ont rendu la vie quotidienne terrible pour la population, mais aucun n'a vraiment fait avancé sa cause.

Les kamikazes les plus célèbres sont probablement ceux qui ont détournés les avions au 11 septembre 2001. Il n'est même pas certain qu'ils attendaient quoi que ce soit de leur acte. La logique est de punir celui qui est considéré comme l'ennemi, ce qui implique des considérations morales, mais pas guerrières. Et c'était stratégiquement un mauvais coup. Comme on pouvait en être sûr, les Américains et leurs alliés ont été ainsi poussés à envahir l'Afghanistan, ce qui est réellement un sérieux revers pour les talibans, eux qui étaient tranquilles dans leur fondamentalisme auparavant. L'attentat kamikaze est considéré comme une attaque violente et sournoise, et légitime une réaction visant à les limiter. Ils ne suscitent pas vraiment l'adhésion auprès des tierces parties.

Car en fin de compte, l'opération qui aura beaucoup aidé Al Qaida aura été l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis. Contrairement à celle de l'Afghanistan, celle-ci fut mal comprise, ressentie comme une agression injustifiée. Elle donna le sentiment auprès de la plus grande partie de la population arabe d'une attaque en leur endroit, et en mobilisa certains pour s'y opposer. Des opérations de guérilla minent le moral du pays envahisseur, car elles donnent l'impression que des militaires se font tués pour rien. Des opérations kamikazes contre la population civile en revanche ne font qu'exciter la fureur, et ne diminuent en rien la durée du conflit. C'est aussi ce qui se passe en Russie. Un attentat comme celui d'hier ne fera que ressouder la population autour de ses dirigeants pour intensifier le combat dans les zones disputées. Et encore une fois, dans l'explosion de l'aéroport de Moscou, tout le monde sera mort pour rien, des deux côtés.

lundi 24 janvier 2011

L'élection imperdable

D'ici un an, la campagne présidentielle aura commencé, et déjà les sondages commencent à tomber. Il ne s'agit plus des baromètres d'opinion pour nous dire qui est populaire et qui ne l'est pas, mais bien de résultats sur des confrontations hypothétiques. Et là, on apprend que le Président sortant serait battu par des scores énormes. Il y a quelques semaines, Dominique Strauss-Kahn battait Nicolas Sarkozy avec 62 % du vote contre 38 %, maintenant on en est à 64 % contre 36 %. Au rythme où en est, le candidat de la gauche aura plus de voix au second tour que Jacques Chirac en 2002. Et d'ailleurs, nombreux sont ceux à pronostiquer un 21 avril à l'envers, où Nicolas Sarkozy n'arriverait pas au second tour, dépassé par une Marine Le Pen qui a actuellement le vent en poupe médiatiquement parlant. La multiplication des candidatures centristes feraient le même effet que les candidatures de gauche avec Lionel Jospin. Nicolas Sarkozy lui-même ne trouverait plus faveur auprès de grand monde.

Car on est dans une séquence où il est de bon ton de s'en prendre à lui, lui qui fut considéré à tort ou à raison comme un champions des médias lorsqu'il était ministre de l'Intérieur. Nicolas Sarkozy est un Président hautement impopulaire, qui visiblement a déçu tout le monde, et surtout ceux qui n'attendaient rien de lui. La position de sortante n'est de toute façon pas facile, celui qui est considéré comme en charge du pouvoir n'arrivant jamais à satisfaire la population, et donc à voir son mandat prolongé. Valéry Giscard d'Estaing en 1981, la gauche en 1986, Jacques Chirac en 1988, la gauche en 1993, Edouard Balladur en 1995, la droite en 1997, Lionel Jospin en 2002, les chiraquiens en 2007... Il est bien plus simple de critiquer ce qui ne va pas, que d'essayer de justifier ce qui se passe.

Pour la gauche, c'est donc une élection imperdable qui se profile. Elle peut se permettre d'envisager les choses ainsi si l'on part du principe que n'importe lequel de leurs candidats l'emporteraient sur les autres candidats du second tour. Après tout, c'était aussi l'ambiance qui était dans l'air en 1993, quand la gauche fut très lourdement défaite. La droite se sentait sûre de remporter la prochaine présidentielle, elle se permit même d'y envoyer deux candidats de premier plan. Alors pourquoi pas la même chose pour la gauche l'année prochaine ? On se passionnerait sur des seconds tours Aubry/Royal, en oubliant même que la droite eut existé autrefois.

Au moins, la gauche ne semble pas se soucier de sous-estimer la droite. Comme la confiance dans la victoire est grande, les programmes sont fantaisistes, et les candidatures se multiplient. Et comme chacun sait que les sondages donnent de bonnes indications sur les capacités électorales des différentes personnalités politiques, gageons donc que le Président de la République en 2012 s'appellera Dominique Strauss-Kahn/Martine Aubry/Ségolène Royal/François Hollande/Arnaud Montebourg/Manuel Valls/Pierre Moscovici/Vincent Peillon/Bertrand Delanoë/Benoît Hamon/Laurent Fabius/Jack Lang/Nicolas Sarkozy...

dimanche 23 janvier 2011

Allez les (handballeurs) bleus !

Après une année 2010 qui restera marquée par la faillite tant morale que sportive de l'équipe de France de football, il est plaisant de commencer l'année 2011 avec l'entrée de l'équipe de France de handball dans son propre championnat du monde. Et depuis dix jours, les "Experts", ces autres bleus, se dépensent sans compter pour remporter la victoire une nouvelle fois. Dans cette discipline, les Français n'ont pas à courber l'échine. Ils peuvent être fiers de leur équipe nationale qui, depuis une vingtaine d'années, se constitue un formidable palmarès. Deux championnats d'Europe, trois championnats du monde, une médaille d'or olympique, et de multiples médailles d'argent ou de bronze. La France est même pour les autres pays l'équipe à abattre, étant championne en titre que ce soit au niveau mondial, européen ou olympique. Nos joueurs sont redoutés en équipe nationale, et recherchés au niveau professionnel, certains d'entre eux ayant été recrutés par des clubs étrangers, même si les clubs français ont réussi à garder la majorité de ceux évoluant en équipe de France.

La chance de la France est son excellent système de formation. Le handball est le principal sport collectif scolaire, la taille des terrains permet d'en installer dans toutes les écoles et tous les gymnases. Il y a ensuite de bons parcours de sport études, et des clubs qui bénéficient de notoriétés locales. Au niveau national, le handball est beaucoup moins mis en avant que le football ou même le rugby, mais les salles voient quand même passer un certain public de fans solides. Le meilleur club de handball de France, Montpellier, a même reçu récemment une nouvelle salle trois fois plus grande que celle habituelle pour ses matchs européens. Certains des matchs de première division peuvent être vus sur les chaînes sportives.

Hier soir, l'équipe de France a gagné brillamment son match contre la Hongrie. Le plus dur reste toutefois à faire pour conserver le titre mondial. Elle ne gagnera peut être pas la compétition, mais en ce qui la concerne, on peut néanmoins être confiants sur le fait qu'elle fera de son mieux. Il ne nous reste donc qu'à l'encourager passionnément, pour ce tour et pour les matchs à élimination directs qui devraient suivre !

Image : AFP

jeudi 20 janvier 2011

Il y a cinquante ans, John Fitzgerald Kennedy...

...devenait Président des Etats-Unis. Elu au mois de novembre 1960, il fut en effet investi le 20 janvier 1961, un jour de fortes neiges. Sénateur populaire du Massachusetts, il devint une icône planétaire. Son allure de chef de famille idéale qui transparaissait via son charisme, sa femme, ou même la confiance en elle-même de l'Amérique le firent d'autant plus remarquer qu'il était le premier Président de l'ère de l'image. Son assassinat fit de lui un martyre, un héros de la démocratie américaine abattu par la folie. Encore aujourd'hui il est considéré avec admiration.

Pourtant son bilan n'est pas celui des plus grands Présidents américains. Forcément, en étant moins de trois ans au poste, cela limitait ses perspectives d'action. Abraham Lincoln ou Franklin Delano Roosevelt ont bien plus marqué l'Amérique que lui. Au plan intérieur, son successeur Lyndon Johnson eut même un héritage plus fort que lui, en accordant les droits civiques aux noirs malgré une partie de son camp, ou en mettant en place les programmes de santé Medicare et Medicaid. Kennedy mena une politique économique keynésienne, ce qui à cette époque était favorable à la croissance, et lança le programme de la NASA qui enverra des hommes sur la lune. En revanche, il ne réussit pas à mettre en place son programme de "Nouvelle Frontière".

Il fut plus actif sur le plan extérieur. Son excellente gestion de la crise des missiles de Cuba effaça son désastreux débarquement de la baie des cochons. Ses visites en Irlande ou à Berlin furent particulièrement bien accueillies. Ses discours étaient souvent sa principale arme, et il avait le don de mobiliser son auditoire dans son sens, dans le sens de la politique américaine. Une certaine détente fut possible avec l'URSS via le téléphone rouge. Mais ce fut aussi lui qui décida l'envoi de "conseillers militaires" au Vietnam.

Il y a deux ans, Barack Obama devenait Président des Etats-Unis. Difficile de ne pas tracer un parallèle avec John F. Kennedy. Son frère, le sénateur Ted Kennedy, ne s'en priva d'ailleurs pas en annonçant son soutien à la candidature de Barack Obama. Tous deux quadragénaires avec de jeunes enfants, tous deux diplômés de Harvard, tous deux démocrates, tous deux représentant de nouveaux profils à la Présidence (l'un le premier catholique, l'autre le premier noir), tous deux extrêmement charismatiques... Barack Obama ne rencontre pas du tout les mêmes circonstances que son prédécesseur. L'Amérique connaît actuellement une crise économique violente, et elle est d'ores et déjà embourbée dans des théâtres d'opérations militaires lointains. Mais Barack Obama fait lui régulièrement aussi preuve d'une puissance rhétorique déterminante. C'est sur les sujets les plus importants qu'il se révèle à son meilleur niveau, comme l'a encore récemment montré son discours après la fusillade de Tucson.

Il y a cinquante ans, John Fitzgerald Kennedy devenait Président des Etats-Unis. Ce fut ce jour là que lui prononça son meilleur discours. Ses mots résonnent encore aujourd'hui :

"Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays."

Voilà la maxime qui devrait être le mot d'ordre, l'impératif catégorique de chaque citoyen, que ce soit en Amérique ou dans le reste du monde.

mercredi 19 janvier 2011

Les centristes de l'UMP

La probable candidature de Hervé Morin à la prochaine présidentielle poussera le Nouveau Centre à marquer davantage son indépendance vis-à-vis de l'UMP. Ce parti politique a été créé pour représenter une alternative entre l'intégration pure et simple des centristes dans l'UMP d'une part, et le choix de l'opposition au sein du MoDem d'autre part. Mais à l'origine, l'UMP avait vocation à rassembler tous les centristes, et créer une union forte entre RPR et anciens de l'UDF (Démocratie Libérale compris). Est-ce une réussite ?

D'abord, il faut bien voir l'angle purement électoraliste. Les divisions anciennes entre centristes et gaullistes étaient la source de multiples échecs électoraux, et de bien des complications une fois au pouvoir. Aux présidentielles de 1981 et 1988, les ressentiments étaient d'autant plus forts que c'étaient deux forces à peu près égales qui se disputaient en fin de compte un électorat à peu près similaire. En 1993, la majorité était si large que les Premier ministres se plaignaient du manque de cohésion et des divisions internes... ce qui sera un des motifs de la dissolution. L'UMP devait donc rassembler tout le monde, permettre à chacun de participer aux décisions, et de d'empêcher les défaites par division. Au niveau des résultats électoraux, depuis 2002, pour les élections nationales, c'est une réussite. L'UMP a remporté deux présidentielles et les deux législatives d'affilée, ce qui ne s'était pas vu depuis longtemps.

Mais par rapport au plan initial, quelque chose ne s'est pas déroulé exactement comme prévu. La totalité de l'UDF n'a pas rejoint l'UMP. A la base, cette fusion était déjà opérée par le RPR, puisque voulue par Jacques Chirac. En 2002, François Bayrou avait préféré faire cavalier seul plutôt que de soutenir le Président sortant, contrairement à bon nombre de ses camarades. Il ne voulut pas intégrer l'UMP, et préféra préserver une UDF indépendante, pendant qu'une partie de ses troupes, le Parti Radical et Démocratie Libérale (DL) jouait le jeu de l'alliance. François Bayrou se déclarer indépendant, mais dans la majorité, et ils ne furent plus qu'une vingtaine de députés autour de cette position. Pendant ce temps là, les centristes qui ont joué le jeu étaient bien mieux représentés au Parlement.

Sur le plan des pratiques politiques, cette fusion a quand même changé certaines choses. Déjà, la disparition du RPR a permis à ceux qui en étaient issus d'assumer l'évolution qu'avait connu cette famille politique. Il n'était par exemple plus question de taper sourdement sur la construction européenne, comme ce fut le cas lors de l'appel de Cochin de Jacques Chirac en 1979. Le gaullisme sans De Gaulle, trente ans après la disparition du général, ne rimait plus à grand chose. Revendiquer son appartenance de droite n'était plus un interdit. De même, les idées libérales ou pro-européennes se sont davantage inscrites dans la pensée de la droite dominante. Lors du référendum de 2005 sur le TCE, l'UMP n'était plus aussi divisée sur la question européenne que lors du Traité de Maastricht de 1992.

Au niveau de la représentation, les non RPR étaient très bien représentés au départ. Il y avait un certain équilibre dans la répartition. Le Premier ministre était DL, le numéro deux du gouvernement RPR, le président de l'Assemblée Nationale RPR, le président du groupe UMP était UDF, le président de l'UMP était RPR, son vice-président DL, le secrétaire général UDF. Mais pour que l'équilibre fut optimal, il manquait toujours la dernière partie de l'UDF, ainsi que la personnalité de poids qu'était François Bayrou. La persistance de celui-ci à prétendre que le vrai centrisme devait être indépendant a fini par miner les centristes de l'UMP.

Etait-ce parce que le conflit avec le centrisme (de l'UDF restante) demeurait que l'UMP lui a fait moins de place, ou bien est-ce parce que l'UMP a fait moins de place au centrisme que celui-ci s'est quelque peu marginalisé ? Toujours est-il qu'avec l'arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence de l'UMP et de Dominique de Villepin à Matignon, le retour en force des hommes du RPR était éclatant. Ces dernières années, ceux-ci essayèrent d'expliquer qu'il n'était pas pertinent d'essayer d'analyser le poids de chaque tendance au sein de l'UMP, au motif qu'on serait passé à autre chose et que la fusion serait totale. C'est plus facile à dire lorsque son ancien courant domine outrageusement les autres et qu'il faut les inciter à se taire.

En méprisant presque ouvertement les centristes que ce soit au gouvernement, à l'Assemblée ou dans les instances du parti, l'UMP ne se rend pas service. C'est bien elle qui pousse aux divisions, et à multiplier les candidatures centristes à la présidentielle, alors que Nicolas Sarkozy préférerait être aussi fort que possible au premier tour. Au final, la garde rapprochée fidèle mais aveugle qu'il a mise en place ne le sert pas.

mardi 18 janvier 2011

Pas de droit de grève pour les fonctionnaires allemands

En France, les fonctionnaires ont le droit de grève, s'en servent abondamment, et gare à ceux qui viendraient essayer de le limiter, car il leur est vite rappelé que celui-ci est inscrit dans la Constitution. Mais ce que l'on prend ici pour un formidable acquis social simplement parce qu'il est écrit "Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent." dans la Constitution de 1946 ne coule pas de source ailleurs. Ainsi, en Allemagne, ce principe n'est tout simplement pas reconnu. On lit par exemple dans l'article allemand de Wikipedia consacrée à la grève : "En Allemagne, il n'est pas reconnu de droit de grève aux fonctionnaires d'après l'avis dominant. En Sarre et en Rhénanie-Palatinat, l'interdiction de faire grève est actée par la loi, par la Constitution même en Sarre. La Constitution hessoise met par contre les fonctionnaires au même niveau que les ouvriers et employés. Pourtant, le principe selon lequel la loi fédérale l'emporte sur la loi locale demeure. Au delà de ça, l'interdiction de faire grève est regardé par la Loi Fondamentale comme un principe traditionnel protégé du fonctionnariat. Mais cette interdiction n'est pas sans limite. Ainsi, il n'est pas permis de se servir de fonctionnaires comme briseurs de grèves".

Et en effet, dans la Constitution de la Sarre, ce Land frontalier de la France, on peut lire "Le poste de fonctionnaire d'Etat exclut le droit de grève". La Loi Fondamentale allemande explique que "le droit de la fonction publique doit être réglementé et développé en tenant compte des principes traditionnels du fonctionnariat", et cette interdiction de faire grève en fait partie. Bien sûr, ceux qui connaissent un peu l'Allemagne savent qu'il y a parfois des grèves dans des entreprises ou des administrations publiques, et s'étonneront à juste à titre de cette apparente contradiction. Mais un dossier de la Fondation Robert Schuman consacré à ce sujet nous en apprend plus :

"Notre voisin d’outre-Rhin constitue un cas à part, dans la mesure où dans ce pays, comme chez son voisin autrichien, les fonctionnaires ne disposent pas du droit de faire la grève. Cette interdiction, qui ne touche que les fonctionnaires statutaires - soit près de 30% du personnel des services publics, les autres bénéficiant d’un régime de droit privé - est considérée comme le corollaire d’un statut leur accordant la garantie de l’emploi."

Vérité au-deçà du Rhin, erreur au-delà aurait pu dire Blaise Pascal. C'est pourtant une façon de faire qui a du sens. D'un côté, il y a les agents publics, qui ont des contrats ordinaires de droit privé, qui peuvent faire grève. De l'autre, il y a des fonctionnaires titulaires à statut particulier, qui ont la garantie de l'emploi, mais qui n'ont pas le droit de faire grève. Évidemment, les grèves sont aussi moins virulentes en Allemagne parce que le dialogue social y est meilleur, les relations entre employeurs et employés n'étant pas marquées par cette vieille odeur de lutte des classes qui empoisonne la France. Mais on voit que les limitations de droit de grève en ce qui concerne les services d'intérêt général peuvent être tout à fait légitimes et respectées dans une grande démocratie qui nous est voisine.

dimanche 16 janvier 2011

Si c'est vivant, taxez-le, si c'est mort, subventionnez-le

Il y a quelques jours, la commission sur la rémunération pour copie privée a décidé d'étendre sa taxe sur les tablettes tactiles, partant du principe que ces appareils disposent des mémoires. Elle a aussi déplafonné la taxation sur les clés USB, les cartes mémoires, et créé deux nouvelles tranches pour les disques durs. Même les appareils GPS sont désormais taxés, et la prochaine Freebox ne devrait pas échapper à une taxe de plusieurs dizaines d'euros par unité. La taxe peut monter jusqu'à 120 € pour un disque dur externe. Au fur et à mesure de cette frénésie fiscale, son poids devient assommant. Le dispositif est ancien, puisqu'il date de 1985, où il était alors question de taxer les cassettes. Sa logique est de taxer tous les supports où des produits culturels peuvent être potentiellement copiés sous le droit à la copie privée (pourtant de plus en plus réduit). Peu importe que vous ne copiez jamais de musique sur la carte mémoire de votre appareil photo : il sera quand même lourdement taxé. Plus surprenant, cette taxation ne varie pas en fonction de la loi. Ce ne sont pas les parlementaires élus par le peuple qui déterminent le barème de cette taxe. C'est une commission "indépendante", composée de représentant des ayants droit. Elle a le pouvoir de lever l'impôt, qualifié pudiquement de "rémunération" ou de "redevance". C'est parfaitement abusif, antidémocratique, et illégitime.

75 % de l'argent récolté sert à rémunérer les sociétés d'auteurs, dont la très riche SACEM. Ceux-ci ont donc le pouvoir de déterminer ce qui est prélevé, et d'empocher le résultat. Le reste sert à subventionner diverses manifestations culturelles, tels que des festivals dont la grande majorité n'a que faire. Bref, les artistes et ceux qui les produisent sont les seuls bénéficiaires de toute cette taxation, martelée pourtant sur ce qui est censé un droit (la possibilité de copier pour son propre usage un produit culturel que l'on a acheté). Tout cela est scandaleux, et pour bien faire, devrait être entièrement aboli au plus vite.

Comment en est on arrivé là ? A la base, le législateur voit un secteur économique qui marche bien. Dans les années 80, les cassettes vierges étaient populaires. Ensuite, il y a un secteur économique en difficulté. A la même époque, les maisons de disques s'émouvaient (déjà) que la copie illégale pouvaient leur créer du tort. Elles ont fait du lobbying auprès du législateur, qui a voulu se montrer généreux en permettant à la population d'être prélevée, via cette nouvelle taxe sur le secteur économique qui fonctionne bien.

C'est en fait intemporel. Encore de nos jours, cela arrive tous les mois. Un député ou le gouvernement trouve qu'il est impérieux de lancer telle ou telle nouvelle mesure, qui invariablement, coûtera de l'argent. Comme les finances publiques sont déjà totalement dévastées, il faut quand même se soucier de trouver une source de financement. Qu'à cela ne tienne, on s'intéressera à ceux qui ne sont pas encore trop écrasés par les taxes. On l'a encore vu récemment avec la "taxe Google", sur la taxation de la publicité en ligne, un nouveau secteur en plein boom. Cela permettra aux entreprises en croissance de l'être beaucoup moins, et en bonus, de se voir frappée par une complexité fiscale et judiciaire supplémentaire.

En 1986, le Président américain Ronald Reagan expliquait lors d'une conférence sur les petites entreprises que traditionnellement, "la façon de voir du gouvernement à propos de l'économie pouvait être résumée en quelques phrases courtes : Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue de bouger, régulez-le. Et si ça s'arrête de bouger, subventionnez-le." On ne pourrait mieux résumer la situation en France. Un artiste veut financer son festival qui ne trouvera pas assez de spectateurs ? Il suffit de taxer les tablettes tactiles ! C'est si simple. Et si bête. Une subvention peut-être utile lorsqu'elle est temporaire, pas lorsque les difficultés d'une entreprise ou d'un secteur sont structurelles, et que le flux d'argent ponctionné sur le reste de l'économie ne servira qu'a prolonger indéfiniment une honteuse agonie. Parce que pendant ce temps, tout cet argent taxé ne servira qu'à pousser d'autres entreprises ou secteur à les rejoindre au cimetière. Mais en France, c'est visiblement la dernière expertise qui nous restera.

vendredi 14 janvier 2011

Que change Marine Le Pen ?

L'UMP doit elle changer d'attitude vis-à-vis du Front National ? La réponse est très simple. C'est non.

Les raisons ont été expliquées ici même, il y a quelques mois, dans le billet Le cordon sanitaire, aujourd'hui comme hier. Mais comme ce serait une réponse un peu courte, on peut aussi la compléter en se demandant pourquoi la question se pose. Il y a bien sûr des considérations tactiques de la part de certains membres déboussolés de l'UMP qui tendent à croire que la gauche au pouvoir serait pire que d'y mettre partiellement le FN. Mais au-delà, il y a surtout les échos de l'affrontement entre Bruno Gollnisch et Marine Le Pen, qui semble être le bruit accompagnant l'avènement de cette dernière à la tête du Front National. Le fait que son père fasse ouvertement campagne pour elle marque une culture où le pouvoir se transmet de manière automatiquement héréditaire. C'est aussi l'opportunité d'un débat sur la direction que doit prendre le parti d'extrême droite.

On peut discerner trois façons de penser au Front National. Les authentiques racistes, qui croient à la supériorité intrinsèque des blancs (voire des Français) sur tout autre groupe, ont peu droit à la parole, et pour cause. La compétition s'engage donc entre les deux mouvances restantes. Bruno Gollnisch apparaît comme le champion des catholiques traditionalistes, un courant de pensée dotée d'une véritable doctrine, qui a progressivement du se replier du royalisme légitimiste vers un conservatisme essentiellement religieux.

La dernière tendance est celle de tous les déçus de la politique, les désespérés, ceux qui sont "simplement" xénophobes, dans le sens où ils ont peur des étrangers lorsqu'ils les perçoivent comme trop nombreux, et donc porteurs de transformations qu'ils redoutent. Leur principale motivation est celle d'un ras le bol global avec toute la classe politique, et leur renonciation qui en résulte des politiques modérés, d'où le fait qu'ils acceptent de se mettre en danger en allant appuyer le Front National. Beaucoup moins marqués idéologiquement parlant, c'est certainement aussi la masse la plus mouvante, celle qui fait que le score du FN est élevé ou non. Le pari de Marine Le Pen est de capitaliser sur ceux-ci, afin de garantir et d'amplifier leur présence. D'où les tentatives de devenir un mouvement plus respectable, pour diminuer les freins qui empêchent un électeur excédé de mettre un bulletin FN dans l'enveloppe. L'idée globale est d'arriver à un point où les gens se demanderaient "pourquoi ce ne serait pas leur tour en fin de compte ?"

Il y a donc une tentative d'adoucir la parole du FN pour le transformer en solution envisageable. Marine Le Pen se montre ainsi favorable à l'avortement, très majoritairement entrée dans les mœurs, ce qui a le don d'exaspérer les catholiques traditionalistes. Le programme du FN a aussi discrètement évolué, certains des points les plus repoussants ayant été éliminés. Il y a quelques années encore, les projets d'endoctrinement nationaliste apparaissaient à travers le texte du programme, notamment en matière d'éducation, avec des cours d'histoire "mettant l’accent sur les pages glorieuses de notre passé". On pouvait également s'interroger lorsqu'il affirmait qu'"une formation équilibrée ne forme pas seulement l’esprit, elle éduque aussi la voix, le regard, la main, c’est-à-dire le bon goût." Et que penser lorsque la page consacrée à la culture déplorait ouvertement qu'Aimé Césaire soit plus joué que l'auteur collaborationniste Paul Morand ?

Ces points-là n'apparaissent plus désormais. Et c'est la nouvelle donne que veut représenter Marine Le Pen. Mais le FN a-t-il changé pour autant ? Eh bien non, encore une fois. Rien n'a été renié, on n'y trouve toujours les mêmes personnes, et la même pensée. Mieux cacher sa façon de pensée n'est pas vraiment une amélioration en soi. Le fin mot de l'histoire est que le programme du FN serait toujours aussi nuisible pour la France.

jeudi 13 janvier 2011

Des contrats longs pour lutter contre la volatilité des produits agricoles

Il y a encore quelques mois, les médias s'intéressaient beaucoup à la condition des producteurs de lait, qui voyaient le cours du lait baisser dramatiquement. Subissant la pression des acheteurs, ils n'arrivaient plus à assumer leurs investissements. Les producteurs de lait avaient notamment alerté le Président de la République en direct à la télévision sur leur sort, et monté une opération spectaculaire dans les rayons d'un supermarché pour pointer du doigt les entreprises qui achetaient du lait à de mauvaises conditions. Deux ans auparavant, on semblait pourtant manquer de lait, et les journaux mettait l'accent sur la hausse prévisible du prix des yaourts. Actuellement encore, on s'alarme de la hausse du prix du blé, à la faveur de la reprise de la demande dans les pays en voie de développement. La hausse du prix de la baguette est un thème sensible chez nous, et d'une manière générale les fluctuations du prix des matières premières est handicapant pour tout le monde.

Car personne n'est jamais satisfait de ce système. Lorsque les prix baissent, les agriculteurs trinquent. Quand les prix augmentent, ce sont les consommateurs qui doivent payer l'addition. Les industriels qui les transforment se plaignent des prix dictés férocement par la grande distribution, et insuffisamment répercutés. Il y aurait d'ailleurs bien des choses à dire sur ce secteur. Mais au-delà, cette volatilité est-elle forcément une fatalité ? Celle-ci est amplifiée du fait de la "financiarisation" des matières premières, puisque certains intervenants sur les marchés agricoles ne sont pas du milieu, et interviennent pour spéculer sur la hausse ou la baisse à la faveur d'événements climatiques ou politiques, ce qui amplifie ces variations. Dans ce cas, la bonne idée serait de ne pas passer par cette étape.

Pour de nombreux produits transformés, la demande finale reste quand même assez stable, elle ne variera pas brusquement d'un mois à l'autre sur des marchés matures. En France, les acheteurs de baguette, de pâtes et de yaourts ne changent pas d'habitudes de consommation facilement. Alors, pour les industriels qui doivent acheter leurs matières premières au coup par coup sur les marchés, préférer des contrats d'approvisionnement longs (sur un grand nombre d'années) et stables (à un prix fixe convenu à l'avance) serait préférable pour tout le monde. L'industriel n'aurait plus à se couvrir contre une hausse des matières premières, l'agriculteur ou l'éleveur pourrait également respirer en sachant son revenu prévisible, et le consommateur bénéficierait d'une stabilité des prix qui ferait diminuer l'inflation globale.

Bien sûr, cette bonne idée est déjà en place dans certaines entreprises, par exemple pour certaines marques de légumes en conserve. Mais elle pourrait être généralisée à d'autres, comme les meuniers. Pourquoi le prix de la baguette devrait forcément augmenter si la Chine demande davantage de blé, quand la France (ou l'Union Européenne) en produit largement assez pour sa consommation ? Des contrats longs d'approvisionnement pourrait être la solution dans de nombreux cas à la volatilité des marchés de produits agricoles.

Ensuite, il y a une étape supplémentaire possible. Celle de l'intégration verticale, avec de vrais liens entre producteurs et transformateurs. Quand les producteurs de lait s'insurgeaient contre des industriels achetant le lait à des conditions scandaleuses, ils ont mis à l'index Lactalis ou Bongrain, mais pas les produits de Sodiaal. Et pour cause : Sodiaal, qui vend notamment ses produits sous les marques Yoplait ou Candia, est en fait une émanation de coopératives laitières. Les producteurs de lait qui fournissent la matière première ont donc forcément leur mot à dire dans la politique d'approvisionnement. Ces marques ont parfaitement trouvé leurs places sur leur marché, une partie du lait est même exporté, et les marques sont opérées sous franchise à l'étranger (Yoplait est par exemple présent aux Etats-Unis). Il est donc tout à fait possible de rencontrer le succès sans s'appuyer sur ses fournisseurs de façon erratique. Alors que le secteur agricole est en grande partie dans le désarroi depuis des décennies, il reste donc une voie séduisante pour sortir de ces situations par le haut.

mercredi 12 janvier 2011

Le retour de la Pologne

La nouvelle loi hongroise sur les médias a suscité l'émotion à travers l'Union Européenne, de nombreux pays s'inquiétant ouvertement d'une loi liberticide. Cette agitation se produit au moment précis où la Hongrie récupère la présidence de l'Union Européenne. C'est en fait un exercice récurrent, puisqu'il se trouve fréquemment un pays pour jouer au mouton noir (ou à qui on fait jouer ce rôle). On se souvient par exemple comment la présidence tchèque du premier semestre 2009 fut marquée ses propres démons. L'Autriche, autrefois, se plaça également dans cette position avec l'épisode Jörg Haider. Un de ces pays dont on n'entend plus parler est la Pologne. Il y a quelques années, la Pologne s'était placée en mauvais élève de la construction européenne, le pouvoir polonais en place pourrissant les sommets européens de la même manière qu'il menait une politique erratique à l'intérieur de ses frontières. Les jumeaux Kaczynski, s'étant emparés de la Présidence de la République et du poste de Premier ministre, s'étaient embarqués dans un programme conservateur idéologique, qui n'a en fin de compte rendu service à personne.

Exténués par un flot ininterrompu de polémiques absurdes, telles que la chasse aux sorcières communistes, les électeurs polonais ont choisi de ne pas renouveler leur confiance dans le parti Droit et justice lors des élections législative de 2007, ce qui permit au leader du parti plus modéré Plateforme civique, Donald Tusk, de remplacer Jaroslaw Kaczynski au poste de Premier ministre. La cohabitation avec le Président, Lech Kaczynski, n'était pas des plus simple. Celui-ci continuait à poser des difficultés au niveau européen, notamment lorsqu'il s'est invité à un sommet contre l'avis de son Premier ministre, et força le ministre des Affaires étrangères à lui laisser son siège. Son mandat arrivait à échéance en 2010, et ses chances de réélections étaient minces. L'accident d'avion dont il fut la victime poussa naturellement son frère à reprendre le flambeau, et à se porter candidat à sa place. Il ne bénéficia pourtant pas de la vague d'émotion que la mort de Lech avait entraîné, et c'est à nouveau le candidat de la Plateforme civique, Bronisław Komorowski, qui l'emporta.

Depuis, la Pologne ne fait plus parler d'elle. Il s'avère que c'est plutôt bon signe. Au niveau intérieur, la Pologne connaît une croissance économique appréciable, et le climat politique s'est un peu assaini du fait que Jaroslaw Kaczynski ne bénéficie plus d'une tribune aussi élevée pour manifester ses aigreurs. Au niveau extérieur aussi, la transformation est spectaculaire. La Pologne a un rôle constructif dans l'Union Européenne, et ses relations avec l'Allemagne et la Russie se sont un peu améliorées. Bien sûr, des siècles de méfiance ne se lèvent pas facilement, comme le révèle encore le mauvais accueil fait au rapport russe sur l'accident d'avion de Lech Kaczynski, mais au moins la Pologne souhaite discuter plus calmement.

Si l'Europe est prompte à pointer du doigt des canards boiteux, on peut également se réjouir lorsqu'un pays progresse discrètement. Et à ce niveau là, on ne peut que remarquer que la plupart des pays de l'Europe de l'est ont quand même fait un travail de reconversion fantastique depuis la chute de l'empire soviétique. Ils ont, il est vrai, été bien aidés par l'Union Européenne, et la Pologne encore plus que d'autres. Et au sujet de la Hongrie qui préoccupe actuellement, il y a des raisons d'être également optimiste. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, est un homme habile et expérimenté, qui sait défendre des positions fermes de façon bien plus raisonnable que ne le faisaient les frères Kaczynski en Pologne. C'est déjà ça.

lundi 10 janvier 2011

Impossible de prévoir l'avenir

Au début d'une nouvelle année, ou même d'un nouveau millénaire, on se souhaite sincèrement les uns les autres les meilleures choses possibles, sans oublier que rien n'est jamais facile. On spécule sur ce que l'avenir nous réserve, de façon plus ou moins fantaisiste. Mais déjà qu'il est déjà assez compliqué de savoir ce qu'il se passe précisément actuellement, ou bien ce qu'il s'est réellement passé autrefois, prévoir l'avenir apparaît comme parfaitement impossible. Ce n'est pas faute d'essayer, par plaisir ou par nécessité. D'un point de vue artistique, les auteurs de science fiction ne se sont jamais privés de proposer des visions audacieuses de l'avenir. En 1989, le film Retour vers le futur 2 nous promettait pour l'an 2015 des voitures volantes, des pizzas à hydrater, la fusion nucléaire comme source d'énergie portative et même la météo exacte à la seconde prêt ! Quatre années avant l'échéance, cela semble pour le moins incertain.

En matière économique aussi, l'exercice est hasardeux. Prévoir la situation économique d'un pays à plus de deux ans est malaisé, au-delà, la fiabilité est habituellement la même que de demander aux diseuses de bonne aventure (une solution adoptée par un chef d'Etat autrefois). Pour s'en convaincre, on peut lire avec intérêt un article du magazine américain Time d'octobre 1992, sur le monde dans les 50 prochaines années. Seules 18 années se sont écoulées depuis ces prédictions, mais on sent déjà que l'on n'est plus vraiment sur la voie anticipée. Il faudra peut-être attendre encore avant que les matières premières et le pétrole soient des questions de faible importance. On reste également circonspect lorsque l'article annonce que la coopération avec les Nations Unies sera la norme pour s'adresser aux dictateurs, au vu des événements de la dernière décade. A l'heure actuelle, les sommets internationaux semblent plus laborieux que jamais, quelque soit le dossier.

En ce qui concerne l'Europe, l'article devient plus clairement inexact, pour commencer sur le fait qu'elle sera la grande gagnante de la période à venir. Ensuite, l'affirmation selon laquelle l'Union Européenne comptera 400 millions d'habitants en 2050, sous-estimant le fait que la plupart des pays de l'Europe de l'est l'intègreront dès le début du XXIème siècle. Il faut croire que la transition du communisme au capitalisme fut bien plus spectaculaire qu'espéré. En revanche, il se montre optimiste quand il croit à l'arrivée de la Suisse et de la Norvège à courte échéance.

Passons sur les revendications sociales anticipées des Japonais, pour s'attarder sur le cas de la Chine. Arrive ici une affirmation rétrospectivement étonnante : "la Chine ne peut pas se transformer en un géant industriel au XXIème siècle". Les taux de croissance affichés sont balayés d'un revers de main comme une manifestation de propagande communiste, comme pour l'URSS, pour conclure que la Chine verra elle aussi un changement de système. Aujourd'hui, les données du problème ne sont plus du tout les mêmes à ce niveau là.

L'exercice de l'anticipation révèle cruellement a posteriori les fautes d'analyse que l'on peut faire. Il faut en être conscient. Dans le même numéro de Time, un autre article met d'ailleurs en garde contre l'incertitude et expose d'autres visions anciennes démenties de l'avenir. Pour toutes les innovations technologiques qui nous ont fait envies, peu de gens avaient prévu l'avènement de l'Internet et du téléphone portable. En définitive, prédire l'avenir en dit plus sur le temps présent que sur le futur. C'est ainsi que la science fiction est un genre particulièrement marqué dans le temps, avec les cosmonautes futuristes des années 50 bien différents de ceux des années 70 ou 2000. Et cela rassura aussi les inquiets : contrairement à ce qu'il se passe dans les tragédies, rien n'est joué d'avance.

dimanche 9 janvier 2011

La bourse, le meilleur des placements ?

En matière de gestion de patrimoine, un adage couramment répété est que la bourse peut être risquée et très volatile à court terme, mais qu'elle restera le placement aux meilleures performances à long terme. Le secret de la réussite serait alors de garder ses valeurs en portefeuille suffisamment longtemps, un laps de temps elles varieront beaucoup, subiront parfois des chutes importantes, mais qu'au final le gain restera tout de même notable. Mais il faudrait savoir dans ce cas quel est exactement le long terme dont il est question. Car lorsque l'on observe avec recul les performances passées de la bourse, c'est une autre histoire qui se joue.

A la dernière clôture enregistrée à la bourse de Paris, le CAC 40 était ainsi de 3865 points. C'est d'ores et déjà moins qu'il y a un an, où il était à 4045 points. Et en regardant plus loin, on s'aperçoit que sur les deux dernières décennies, l'indice phare de la place de Paris a monté et baissé de façon importante, pour toujours se retrouver dans les mêmes eaux où l'on se trouve actuellement. Pour s'en convaincre, quelques exemples : le 30 mars 1998, le CAC 40 arrivait à 3875 points pour la première fois. En presque 13 ans, le CAC 40 a donc... perdu 10 points. Si l'on s'en tient au 13 années pile, le 7 janvier 1998, on était à 2954 points, ce qui représente donc une croissance moyenne annuelle de 2,05 %. En comparant avec un investissement sans risque, le livret A, on se rend compte que celui-ci à l'avantage, avec un taux annuel moyen tournant autour des 2,7 % sur la même période.

Et le CAC 40 a tellement oscillé sur la dernière décennie que la plupart des comparaisons lui sont défavorables. Il y a 10 ans pile, le CAC 40, en pleine bulle de la "nouvelle économie", était à 5539 points (le plus haut sera de 6922 en septembre 2000). Nous sommes évidemment dans le rouge en comparaison. En fait, par rapport à chaque point de repère depuis début 1997, la performance actuelle sera soit en retrait, soit faible par rapport au temps passé. Le CAC 40 tournait autour des 2400 points en janvier 1997, il y est retourné à deux occasions, d'abord en mars 2003, puis plus récemment en mars 2009. Lorsqu'il a dépassé les 6000 points, c'était à chaque fois annonciateur de chute imminente. La fourchette reste donc la même. Où est la croissance durable à long terme ? 13 ou 14 ans ne suffisent pas ?

Ce n'est donc pas la durée le problème. Bien sûr, il faudrait aussi tenir compte du niveau des dividendes pour juger au mieux de l'argent généré par un placement en actions. Mais en finance, une action qui s'apprécie mais ne verse pas de dividende pourra être considérée comme rentable quand même. Et vue les variations extrêmes de celles-ci, et le caractère incertain du niveau de dividende, celui-ci apparaît un peu comme le parent pauvre de la valorisation. Et surtout, lorsque l'on juge de la performance d'un placement, on actualise ses revenus en fonction non seulement du temps, mais aussi du risque pris. Alors si les actions sont moins ou autant performantes qu'un placement sans risque, cela ne vaut plus le coup du tout.

Apparaît alors une autre réalité : dans bien des cas, la vraie façon de gagner en bourse est d'être actif, ce qui veut dire observer attentivement des arbitrages à faire dans le portefeuille pour tenter de surperformer le marché (ou en tout cas gagner davantage que ce que l'indice de référence le laisserait supposer). Ce qui veut tout bêtement dire spéculer à la hausse ou à la baisse... On comprend mieux dans ce cas l'importance prise dans les salles de marchés de produits financiers complexes, ou de méthodes de trading sophistiquées.

Quoi qu'il en soit, la conclusion est donc l'inverse que le présupposé initial. La bourse n'est pas forcément le meilleur des placements à long terme, le risque pris n'en vaut pas la chandelle à long terme, et les actions sont avant tout un moyen de parier son argent sur des durées plus courtes. Les entreprises ont pourtant besoin de financements et d'investisseurs. Les variations erratiques de ces cours de bourse sont par ailleurs en bonne partie plus le résultat de ces mouvements brusques de capitaux sur les différentes actions que de transformations majeures de chacune de ces entreprises à chaque année. Les cours évoluent plus vites que les situations des entreprises, quelque soit le sens. Au bout du compte, les entreprises et les investisseurs à long terme ne peuvent que regretter cette démence financière, et le fait que la variation de la valeur de l'action prenne le pas sur le dividende, le revenu normal d'un investissement dans une entreprise.

jeudi 6 janvier 2011

Le complexe de Jean Valjean

L'actualité ne cesse de nous abreuver de faits divers. Ici, une femme meurt en se faisant bousculer par un voleur de téléphone portable dans le métro. Là, un étudiant meurt pour avoir tenté d'empêcher la fuite d'un voleur la voiture. Tous les ans, au réveillon du nouvel an, des centaines de voitures sont brûlées sans raison, poussant même le ministère de l'Intérieur à ne plus communiquer les chiffres pour ne pas nourrir de funestes compétitions. Mais si ce n'était que dans les journaux ! Malheureusement, chacun peut constater en regardant autour de lui que ce n'est que la partie émergée de l'iceberg, que d'autres faits de ce genre se déroulent dans le silence, mais qu'ils ont un impact qui n'en est pas moins réel. Contre cela, des politiques sont lancées, elles fonctionnent plus ou moins bien. Dans certains cas, il serait déjà bon d'appliquer celles qui existent déjà, mais le fait même d'évoquer le sujet provoque aujourd'hui la suspicion. L'insécurité est un phénomène de société particulièrement présent, or bizarrement, le terme "sécuritaire" est pourtant devenu péjoratif. Des articles titrent même "Mobilisation contre le virage sécuritaire du gouvernement". Sécuritaire : adj. Relatif à la sécurité publique. On peut évidemment contester l'efficacité de telle ou telle mesure, mais comment peut-on être contre le principe même d'une politique de sécurité publique ? Cela devient possible si l'on inverse les rôles et les valeurs, si le bon est le délinquant et le méchant le policier.

C'est le complexe de Jean Valjean. Jean Valjean, le héros du célèbre roman de Victor Hugo Les Misérables, avait volé une miche de pain pour nourrir sa famille qui souffrait de la faim. Cela lui avait valu des années de bagne abrutissant. Sorti de prison, il est à nouveau confronté à son passé, cherchant à faire le bien malgré une société qui veut le renvoyer au rang le plus bas de l'échelle sociale, personnifié dans la figure du sombre inspecteur Javert. Le plaidoyer de Victor Hugo a porté au-delà de toutes ses espérances. De nos jours, un délinquant ou un criminel est avant tout une victime de la société. Sa conduite discutable trouve toujours moyen à s'expliquer par un passé douloureux, qui l'exonère de ses mauvaises actions, par des circonstances atténuantes, par un "environnement défavorable". Un échec personnel n'est de la faute de personne, si ce n'est de la société toute entière.

Ce leitmotiv est plus ou moins conscient, mais toujours présent. Politiquement, le Parti Socialiste ne dit pas autre chose en expliquant dans ses récentes propositions sur la sécurité : "La violence de notre société est la première cause de l’insécurité. C’est d’abord en construisant une société plus solidaire et moins brutale que nous renforcerons la sécurité des personnes." Dans cette optique, si l'on doit faire quelque chose, c'est alors de changer la société toute entière, plutôt que de laisser des inspecteurs Javert victimiser des foules de Jean Valjean.

Ce raisonnement suppose, ou plutôt affirme, que tout être est bon par nature. En effet, si quelqu'un commet le mal et que ce n'est pas de sa faute, c'est qu'il fut corrompu par les circonstances. Cette base de pensée remonte tout droit à une autre référence de la littérature française, Jean-Jacques Rousseau. Celui-ci, dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, explique que l'homme seul, à l'état de nature, ignore le vice. Tel est le mythe du bon sauvage qu'il développe. L'arrivée de la propriété, du développement des liens entres les hommes et la création de la civilisation entraînent la naissance de la misère. L'homme dépendant des autres, doit forcer les autres à s'intéresser à son sort, "ce qui le rend fourbe et artificieux avec les uns, impérieux et dur avec les autres, et le met dans la nécessité d'abuser tous ceux dont il a besoin quand il ne peut s'en faire craindre". Suivent les ambitions et les oppositions d'intérêts qui finissent d'instiller le mal. Conséquence directe : le pauvre devint obligé de recevoir ou de ravir leur subsistance de la main des riches, d'où la domination et la servitude d'une part, la violence et les rapines d'autre part.

C'était une doctrine qui convenait bien en effet à Rousseau, être sensible. Elle lui permettait de rejeter ses propres fautes sur autrui. Au cours de sa vie, il s'enferra progressivement dans une paranoïa malsaine contre des ennemis étendus à l'ensemble de la société. Il trouvait la paix dans la nature, au cours de longue promenade. Rien n'était jamais de son tort. C'est ce qu'il a tenté de montrer en écrivant ses Confessions. Voilà ce qui lui a permis d'affirmer sérieusement qu'il était le meilleur des hommes, sans se poser plus de questions sur les passages franchement crapuleux de sa vie, comme lorsqu'il subventionna une fillette de onze ans avec un ami dans l'espoir d'en récolter plus tard tous deux les charmes (ou les larmes, comme le dira Chateaubriand).

Nous voilà donc coincé avec ce principe de vie où chacun peut, à l'instar de l'illustre philosophe, accuser la société de ses propres torts. Mais c'est ignorer fondamentalement la raison, la possibilité de choisir, pour n'être que l'esclave de son caractère vu comme malmené par la société. C'est ce qui suscita la violente réaction de Voltaire à l'ouvrage, qui lui adressa une lettre à l'ironie dévastatrice sur l'inopportunité de se remettra à quatre pattes à son âge. Pour Voltaire, nier ainsi la raison au profit de la création d'un mythe de la nature innocente était tout simplement un crime, et explique son comportement ultérieur vis-à-vis du citoyen de Genève.

Aujourd'hui, Victor Hugo, Rousseau et Voltaire reposent tous au Panthéon, les deux derniers étant placés l'un en face de l'autre à l'entrée de la crypte. Ils se trouvent également tous deux cités dans l'ultime chanson de Gavroche, un autre personnage de Victor Hugo. Et ce n'est pas la seule façon qu'aura le romancier de se prévaloir des deux, comme tant d'autres. Il pensait lui aussi que la raison pouvait être la solution face à la violence. Il dit ainsi "Celui qui ouvre une porte d'école, ferme une prison." Au milieu du XIXème siècle, cette phrase marquait un optimisme qui était une ligne de conduite. Mais contrairement à ce que l'on a pu penser, la scolarité obligatoire n'a pas tout réglé. On le constate aujourd'hui, quand les prisons débordent alors que chaque enfant passe de nombreuses années sur les bancs de l'école, et quand ce sont les ex-écoliers eux-mêmes qui saccagent voire brûlent des établissements scolaires. Mais on leur trouvera encore des circonstances atténuantes, des sociologues trouveront des explications de bric et de broc, on finira par les plaindre.

Avec Jean Valjean, on a vu qu'un homme dédié aux autres pouvait enfreindre les lois. Mais tous les délinquants n'ont pas à faire avec la justice pour n'avoir voulu que nourrir leur famille dans un geste désespéré. Les mamelles du crime sont avant tout l'égoïsme forcené et l'absence de respect. Pour continuer avec Les Misérables, il y a plus de Thénardier que de Valjean dans nos prisons. Bien sûr, le désespoir peut encore faire commettre des actes regrettables. Mais dans la grande majorité des cas, il faut surtout se rappeler qu'il y a là l'expression de la volonté de quelqu'un, la volonté de nuire ou de ne pas prendre compte d'autrui. Heureusement, la plupart des gens dans des situations difficiles font le choix de respecter les autres. La délinquance est faite de décisions individuelles, de la part de personnes qui ont le choix de leurs actions, et qui choisissent d'aller contre la loi et contre la morale.

Ce sont des choses que l'on a trop souvent tendance à oublier. Chacun a sa propre responsabilité individuelle dans le cours des choses et dans la conduite de sa vie. Le gouvernement pourra tenter différentes politiques, mais l'étape la plus importante est dans le fait de ne pas déresponsabiliser autrui, de ne pas présager de son absence de raison et d'éviter de ne le voir que sous la forme d'un pantin d'une bien vague société. Cela suppose donc de se débarrasser de ce complexe de Jean Valjean qui nous hante.

mardi 4 janvier 2011

Le sandwich hollandais de Google

Le sénateur Philippe Marini a fait voter une loi taxant l'achat de publicités en ligne, une façon pour lui de trouver un moyen de ponctionner les sites web qui opèrent en France mais sont basés à l'étranger, et échappent ainsi à l'impôt français. Cet impôt supplémentaire fut rapidement affublé du sobriquet "taxe Google", en référence au leader de la recherche sur internet et de la publicité en ligne (entre autres), dont le centre de profit est en effet basé en Irlande. Avec un taux d'impôt sur les sociétés de 12,5 %, l'Irlande est en effet un pays bien plus attractif pour les entreprises étrangères souhaitant s'implanter en Europe que la France, où ce taux est de 33 %. La loi en question semble bien difficile à appliquer, et suscite les protestations du monde de l'internet. Mais si ça peut consoler Philippe Marini, le dumping fiscal de l'Irlande ne lui rapporte pas beaucoup en taxes sur ce coup là. C'est ce qu'a découvert l'agence Bloomberg en octobre dernier, en révélant que par un montage financier, Google ne payait que 2,4 % d'impôts sur la quasi-totalité des bénéfices réalisés en dehors des Etats-Unis. Le mécanisme en question arbore la pittoresque appellation de "sandwich hollandais".

Bien que complexe, Bloomberg l'explique assez bien sur le site de Business Week. La maison mère américaine créé une société irlandaise, Google Ireland Holdings, puis celle-ci en crée une autre, Google Ireland Ltd. Cette dernière est le centre d'activité, qui engrange le chiffre d'affaires en commercialisant les mots clés, et réalise donc les profits. Sauf que pour éviter l'imposition irlandaise, bien que réduite, Holdings fait payer un coût énorme à Ltd pour le droit d'utiliser la technologie Google, un artifice qui fait passer les bénéfices pour des frais, et donc non taxable. L'artifice en question est encore plus détaxé en faisant passer ce flux d'argent via une troisième société, basée cette fois-ci aux Pays-Bas, Google Netherland Holdings BV, qui n'a aucun employé. La clé de l'affaire, celle qui permet à Google Ireland Holdings de ne pas payer d'impôt, est d'affirmer que celle-ci a en fait son management (en l'occurrence, trois hommes de pailles d'un cabinet de juristes) basé à l'étranger... comme par hasard dans un paradis fiscal, les Bermudes.

Aux Etats-Unis, les comptes sont consolidés en ne prenant en compte que les impôts effectivement payés. Dans le sandwich hollandais, les deux tranches de pain sont les deux sociétés irlandaises, et se trouve au milieu la société fantôme hollandaise. Ce mécanisme aurait permis à Google de ne pas payer 3,1 milliards de dollars d'impôts sur les trois dernières années. Et bien sûr, de nombreuses autres entreprises américaines de haute technologie emploieraient un procédé analogue.

Ce n'est pas de la fraude, c'est légal. De tels grands groupes ont les moyens de faire appel à des bataillons d'avocats fiscalistes qui trouveront bien des vides juridiques pour ne pas payer des sommes importantes. C'est légal, mais c'est tout à fait immoral. L'impôt sur les sociétés est une façon pour chaque entreprise de contribuer à la société en payant sa part. Les simples particuliers, eux, pourront à raison s'estimer lésé en voyant qu'ils sont en fin de compte les seuls à payer. Lorsqu'on parle de moralisation du capitalisme, on est en plein dans le sujet avec cet exemple. Ceux qui prennent ce genre de décisions contourne l'esprit de la loi, le savent, et s'en félicitent. Comment s'étonner après des réactions hostiles que ce type de comportements engendrent ?

L'Irlande a beau défendre son bas taux d'impôts sur les sociétés pour préserver sa compétitivité, elle restera quand même battue par rapport à d'autres. Elle ne peut accepter de voir de telles sommes disparaître, surtout lorsqu'elle est dans un si piètre état financier. Elle a deux choses à faire. D'une part, faire en sorte que toute entreprise irlandaise y paye ses impôts, où que se trouve son management effectif. D'autre part, il faut remettre la question des paradis fiscaux sur la table, et c'est indispensable pour qu'il n'y ait pas par la suite d'entreprises qui serait taxée aux Bermudes en ayant son management en Europe. Les paradis fiscaux sont toujours de micro-États qui vivent du parasitisme sur le dos du reste du monde. On peut s'en passer. La solution radicale serait donc d'empêcher les transactions entre sociétés opérants en Europe, en Amérique, etc. et celles faussement basées dans ces paradis fiscaux. Quitte à tout couper.

lundi 3 janvier 2011

Bienvenue à l'Estonie dans la zone euro

Au 1er janvier 2011, l'Estonie rejoint l'euro, et est le premier des pays baltes à adopter la monnaie unique. Pour cela, elle a du scrupuleusement observer les critères de Maastricht, et sa dette publique, à environ 8 % du PIB, laisse rêveur bien d'autres pays qui seraient déjà content de n'en avoir que 60 %. Il n'y a pas de secrets, ces bons résultats s'expliquent par la rigueur budgétaire pratiquée par l'Estonie. Elle sera heureuse à l'avenir de ne pas avoir à payer les conséquences de dépenses inconsidérées de sa part. Pour les pays qui utilisent déjà l'euro depuis plusieurs années, cette nouvelle entrée est l'occasion de souhaiter la bienvenue au club, la zone euro. Cette nouvelle étape permettra à l'Estonie d'avoir son mot à dire dans les réunions de la Banque Centrale Européenne (BCE), et permet également la concrétisation de l'euro pour la population, via le changement des pièces et des billets.

Pour le reste, l'Estonie bénéficiait déjà des avantages (et incidemment des contraintes) de l'euro auparavant. En s'inscrivant dans le mécanisme de taux de change européen (MCE II) en juin 2004, elle s'engageait déjà à faire converger ses fondamentaux économiques (tels que la dette publique ou l'inflation) avec ceux de la zone euro, dans le but que son ancienne monnaie, la couronne, ne varie que dans une fourchette de plus ou moins 15 % vis-à-vis de l'euro (par rapport à un cours pivot). Dans les faits, la réussite d'une telle politique lui garantit une stabilité effective de sa monnaie, la couronne ne fluctuant plus que très peu par rapport à la monnaie unique. Avoir la même monnaie permettra à l'Estonie de ne plus avoir à se soucier de changes du tout.

On peut d'ailleurs remarquer que d'autres pays ont arrimé leur monnaie à l'euro pour bénéficier d'une excellente stabilité. Les autres Etats baltes, la Lituanie et la Lettonie, ont rejoint le MCE II respectivement en 2004 et 2005, voyant leur monnaie ne varier que de moins d'1 % dans les faits par rapport à l'euro. Le Danemark, qui avait spectaculairement rejeté l'adoption de l'euro par référendum, en bénéficie tout de même largement, étant présent dans le MCE II. La conservation de sa monnaie est en fin de compte de l'ordre du symbole, le principal problème étant que le Danemark subit les décisions de la BCE et ne peut y prendre part. D'une manière générale, de nombreux pays en quête de stabilité financière ont pris l'initiative de fixer le cours de leur monnaie à l'euro. Et cela démontre bien la réussite de l'euro.

Bien que très critiqué, il faut en effet le dire : l'euro est une formidable réussite. Il permet des transactions bien plus faciles, de ne plus soucier des taux de change, que l'on soit une entreprise, un voyageur ou un consommateur qui achète à l'étranger. Bien sûr, l'euro est une source de soucis politiques pour les pays qui l'ont adopté, mais chaque pays doit se soucier de sa monnaie. L'autre monnaie de référence, le dollar, connaît ses propres problèmes avec les déficits gigantesques des Etats-Unis. Et bien que les difficultés actuelles de l'euro soient réelles, il n'y a pas lieu d'avoir des réactions exagérées comme certaines sont dans l'air. L'euro ne s'écroulera pas car aucun pays n'y a intérêt. Il y a toujours eu des problèmes de taux de change, contre lesquels on a chaque fois voulu se prémunir de différentes façon.

Ce fut d'abord en visant une convertibilité fixe avec l'or, puis en fixant le cours des monnaies avec le dollar. Avant l'euro, les crises monétaires se soldaient par des dévaluations qui n'avaient rien de solutions vraiment enviables à long terme. Aujourd'hui, à l'heure où les cours de change flottants mettent en exergue la folie des marchés financiers, l'euro est un rempart qui déplace à distance ce genre de problèmes. Comme toujours, on peut se plaindre, mais il reste que cette vertu n'est pas assez reconnue. En fin de compte, les variations brutales de l'euro avec le dollar sont la principale difficulté actuelle, illustratrice de la nature irrationnelle des marchés financiers. Alors que ce fut autrefois le cas, on ne peut que regretter qu'il n'y ait plus une certaine stabilité à ce niveau-là.

dimanche 2 janvier 2011

10 % du XXIème siècle

La fin de l'année est toujours l'occasion de bilans de l'année écoulée et de rétrospectives en tout genre. L'idée est de récapituler les événements passés pour rappeler à chacun les temps forts les plus marquants, ce qui a changé. Mais ces mêmes événements s'apparentent à des épiphénomènes une fois considérés sur plus long terme. Avec l'année 2010 qui a prit fin, c'est la première décennie du XXIème siècle qui s'achève. Cela a été beaucoup moins mis en avant. Que s'est-il passé dans ce premier dixième de ce siècle tant attendu ? Eh bien, en fin de compte, à l'échelle du monde, pas grand chose. Les mêmes tendances qui avaient cours lors des années 90 ont tranquillement perduré. La progression des nouvelles technologies numériques a continué sans véritable nouvelle révolution, malgré les efforts d'innovation de quelques firmes. On continue de se préoccuper de l'environnement. Une bonne partie des pays en voie de développement continue à se développer, la Chine en premier lieu. Ils oublieront très vite la crise financière qui a touché le monde. Celle-ci a davantage frappé les pays développés, mais en fin de compte, que changera-t-elle à terme ?

D'un point de vue politique aussi les changements s'avèrent assez cosmétiques. Malgré (ou probablement à cause de) toutes les protestations souvent délirantes de la part de leurs adversaires, les élections assez spectaculaires de Nicolas Sarkozy et de Barack Obama à la présidence de leurs pays respectifs ont provoqué peu de transformations importantes. Malgré la "rupture" prônée par Nicolas Sarkozy, la France reste toujours autant un pays très interventionniste, devant supporter un modèle social à la dérive. Malgré le "changement" voulu par Barack Obama, les Etats-Unis sont toujours un pays pratiquant une politique économique très libérale, où les débats de société sont toujours aussi extrêmement virulents.

En fait, l'événement le plus important de cette décennie est intervenu à son commencement, au 11 septembre 2001. Cette tragédie a renforcé la paranoïa des Etats-Unis et a servi de justification à la guerre en Irak, dans une absurde tentative d'apaiser le Moyen Orient. Cela leur demanda beaucoup d'efforts et de sacrifices, alors que du côté de l'Iran et de la Corée du Nord, la même danse du dialogue/sanctions continue comme il y a 10 ans, comme elle avait lieu sous Saddam Hussein, sans que rien ne change dramatiquement. Le 11 septembre a malgré tout marqué l'avènement de l'islamisme comme nouvelle menace à la paix mondiale, prenant peu ou prou la place qu'avait sous une autre forme le bloc soviétique jusqu'aux années 80.

L'Histoire se souviendra peut-être de cette première décennie du XXIème siècle comme une période de maturation, où d'anciennes transformations ont poursuivi leurs évolutions, pour n'avoir des répercussions en terme d'événements que plus tard. De toute façon, on peut avoir l'impression que le monde change rapidement car l'on n'est toujours plus abreuvé par les médias d'événements en tout genre se passant aux quatre coins du monde, mais fondamentalement, certaines forces sont tellement puissantes qu'elles perdurent malgré ces vaguelettes et permettent une certaine permanence des choses. D'un point de vue esthétique, les années 80 sont encore bien proches de la période actuelle. Et du point de vue de l'actualité, un journal dont les titres seraient "Conflit au Proche Orient / Grèves dans les transports en commun / Tensions au dernier sommet européen" serait presque intemporel sur les 50 dernières années.

Peut-être est-ce un signe que, du point de vue de l'époque et des événements, nous sommes toujours au XXème siècle. Après tout, en ce qui concerne la France, les événements qui ont provoqué des bouleversements ont rarement eu lieu à la première décennie d'un siècle. Ceux qui donnent la couleur du nouveau siècle arrivent généralement un peu plus tard. On peut d'ailleurs en retracer quelques uns :
  • 1214 : batailles de Bouvines
  • 1314 : mort de Philippe le Bel
  • 1415 : bataille d'Azincourt
  • 1515 : avènement de François Ier
  • 1610 : mort de Henri IV
  • 1715 : mort de Louis XIV
  • 1815 : chute de Napoléon, Restauration
  • 1914 : début de la première guerre mondiale
Faut-il alors s'attendre à un vrai événement marquant d'ici trois ou quatre ans ?
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