Il y a encore quelques mois, les médias s'intéressaient beaucoup à la condition des producteurs de lait, qui voyaient le cours du lait baisser dramatiquement. Subissant la pression des acheteurs, ils n'arrivaient plus à assumer leurs investissements. Les producteurs de lait avaient notamment alerté le Président de la République en direct à la télévision sur leur sort, et monté une opération spectaculaire dans les rayons d'un supermarché pour pointer du doigt les entreprises qui achetaient du lait à de mauvaises conditions. Deux ans auparavant, on semblait pourtant manquer de lait, et les journaux mettait l'accent sur la hausse prévisible du prix des yaourts. Actuellement encore, on s'alarme de la hausse du prix du blé, à la faveur de la reprise de la demande dans les pays en voie de développement. La hausse du prix de la baguette est un thème sensible chez nous, et d'une manière générale les fluctuations du prix des matières premières est handicapant pour tout le monde.

Car personne n'est jamais satisfait de ce système. Lorsque les prix baissent, les agriculteurs trinquent. Quand les prix augmentent, ce sont les consommateurs qui doivent payer l'addition. Les industriels qui les transforment se plaignent des prix dictés férocement par la grande distribution, et insuffisamment répercutés. Il y aurait d'ailleurs bien des choses à dire sur ce secteur. Mais au-delà, cette volatilité est-elle forcément une fatalité ? Celle-ci est amplifiée du fait de la "financiarisation" des matières premières, puisque certains intervenants sur les marchés agricoles ne sont pas du milieu, et interviennent pour spéculer sur la hausse ou la baisse à la faveur d'événements climatiques ou politiques, ce qui amplifie ces variations. Dans ce cas, la bonne idée serait de ne pas passer par cette étape.

Pour de nombreux produits transformés, la demande finale reste quand même assez stable, elle ne variera pas brusquement d'un mois à l'autre sur des marchés matures. En France, les acheteurs de baguette, de pâtes et de yaourts ne changent pas d'habitudes de consommation facilement. Alors, pour les industriels qui doivent acheter leurs matières premières au coup par coup sur les marchés, préférer des contrats d'approvisionnement longs (sur un grand nombre d'années) et stables (à un prix fixe convenu à l'avance) serait préférable pour tout le monde. L'industriel n'aurait plus à se couvrir contre une hausse des matières premières, l'agriculteur ou l'éleveur pourrait également respirer en sachant son revenu prévisible, et le consommateur bénéficierait d'une stabilité des prix qui ferait diminuer l'inflation globale.

Bien sûr, cette bonne idée est déjà en place dans certaines entreprises, par exemple pour certaines marques de légumes en conserve. Mais elle pourrait être généralisée à d'autres, comme les meuniers. Pourquoi le prix de la baguette devrait forcément augmenter si la Chine demande davantage de blé, quand la France (ou l'Union Européenne) en produit largement assez pour sa consommation ? Des contrats longs d'approvisionnement pourrait être la solution dans de nombreux cas à la volatilité des marchés de produits agricoles.

Ensuite, il y a une étape supplémentaire possible. Celle de l'intégration verticale, avec de vrais liens entre producteurs et transformateurs. Quand les producteurs de lait s'insurgeaient contre des industriels achetant le lait à des conditions scandaleuses, ils ont mis à l'index Lactalis ou Bongrain, mais pas les produits de Sodiaal. Et pour cause : Sodiaal, qui vend notamment ses produits sous les marques Yoplait ou Candia, est en fait une émanation de coopératives laitières. Les producteurs de lait qui fournissent la matière première ont donc forcément leur mot à dire dans la politique d'approvisionnement. Ces marques ont parfaitement trouvé leurs places sur leur marché, une partie du lait est même exporté, et les marques sont opérées sous franchise à l'étranger (Yoplait est par exemple présent aux Etats-Unis). Il est donc tout à fait possible de rencontrer le succès sans s'appuyer sur ses fournisseurs de façon erratique. Alors que le secteur agricole est en grande partie dans le désarroi depuis des décennies, il reste donc une voie séduisante pour sortir de ces situations par le haut.