Réflexions en cours

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samedi 26 novembre 2005

L'Europe fédérale

Au début du vingtième siècle, les pays européens disposaient d'une certaine forme de leadership. Outre la colonisation du monde par l'établissement d'empires, le progrès technique, les échanges économiques et l'influence politique avaient pour base l'Europe. Cela ne l'empêchait pas de connaître des crises économiques, ni d'avoir son lot de problèmes, mais au moins elle disposait, dans sa globalité, d'une certaine indépendance dans le choix de ses décisions. Indépendance et influences si fortes même que l'Europe se croyait dans son bon droit en voulant que le reste du monde agisse selon ses volontés, imaginant que tout ce qui n'était pas civilisé dans le même sens qu'elle était justement une place à civiliser, à occuper, à posséder. La première guerre mondiale, choc des arrogances, a fait perdre à l'Europe son leadership, et la seconde, son indépendance d'une certaine façon. Condamnée pendant des décennies à être le terrain d'affrontement des deux super puissances américaines et soviétiques, l'Europe a progressivement perdu son statut de pôle de décision. Il est certain depuis la crise de Suez que l'Europe n'a plus comme choix que celui d'accompagner les décisions prises à l'extérieur, sa seule question étant de se demander qui suivre. Depuis la chute de l'URSS, le monde se concentre moins sur un affrontement entre deux puissances, mais plus sur les tensions entre les Etats-Unis contre l'intégrisme islamiste, et peut être bientôt, la puissance chinoise.

Dans ce jeu, l'Europe de l'Ouest d'abord (grâce à la libération et au plan Marshall), puis celle de l'Est (grâce à la reconnaissance qu'ont les nouvelles démocraties de l'Europe de l'Est pour les Etats-Unis pour leur rôle dans leur libération du joug communiste) a choisi de se rassembler sous la bannière américaine. Cela parait toutefois normal : les Etats-Unis ont, comme les pays européens, une économie capitaliste, un système politique démocratique, une certaine proximité culturelle et donc souvent des intérêts convergents. Il n'y a aucune honte à avoir les mêmes idéaux de démocratie et de liberté. Seulement, cette coopération se fait parfois au bénéfice que d'un seul participant. Pour chacune de ses orientations (de nature économique, diplomatique ou militaire), les Etats-Unis disposent d'un tel poids que la balance pèse naturellement de leur côté s'il n'y pas de réajustement. Ainsi, les Reagonomics, tournant vers une économie particulièrement libérale, se sont rapidement diffusées au reste du monde. Le rôle de l'économie américaine est prédominant dans l'économie mondiale : les bourses européennes suivent docilement la tendance de Wall Street, c'est la consommation américaine qui fait tourner les économies locales, la volonté d'établir une concurrence pure et parfaite a entraîné une situation où le dumping social est encouragé, par l'utilisation intensive de main d'oeuvre de pays émergents, et cet effort de libéralisation profite avant tout aux grandes entreprises aux pouvoirs gigantesques, épaulés par des fonds spéculatifs tout aussi influents. D'un point de vue diplomatique, il a suffit que l'administration Bush décide de faire la guerre à l'Irak pour qu'un grand nombre de pays (aux premiers rangs desquels la Grande Bretagne, l'Espagne, l'Italie et les pays de l'Est) décide de les accompagner (parfois par décision gouvernementale non appuyée par le peuple) sans même vraiment réfléchir aux raisons justifiant l'entrée en guerre.

Bref, sans même gloser sur les méfaits supposés des Etats-Unis, ou se répandre en anti-américanisme, ce n'est pas s'avancer énormément que de dire que les Etats-Unis bénéficient d'économies d'échelle dans les domaines stratégiques de par la taille de leur pays, et donc par la force des choses de leur économie, de leur armée, de leur recherche, de leurs médias... Le poids est un élément important pour peser (évidemment). Et les pays européens, après s'être entre-déchirés deux fois de façon absolue après de siècles de guerres plus ou moins constantes, sont divisés, et faibles comparativement à cette hyper puissance (d'après le mot de Hubert Védrine). Seuls, des pays comme la France ou l'Allemagne ont peu de chance de se faire entendre, de peser. Dès lors, il est instinctif de penser que nous sommes plus fort unis. Pour la France, un pays de 60 millions d'habitants ne représente pas grand chose sur la scène internationale, alors que dire des petits pays européens.

La construction européenne a d'abord été construite comme une base de paix, et le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est parfaitement réussi. C'est aussi un espace de coopération : à chaque problème une solution adaptée. Et il convient d'apporter des solutions de même envergure que celles des problèmes. Donc, à problème régional, échelon de résolution régional. A problème dépassant la taille d'un pays, réponse plus vaste. C'est le champ d'action de l'Union Européenne, et il y a beaucoup à faire. Mais pas seulement dans la construction de zones de libre échange où une concurrence toujours plus forte apporterait le bonheur généralisé. L'utilité de cette force se retrouve dans la diplomatie, où notre voix commune peut être plus forte. Elle se retrouve dans la recherche, où par les échanges universitaires et des projets de grande envergure, nous pouvons avancer sur notre propre chemin et à grande vitesse. Elle se retrouve dans le monde de l'entreprise, où des entreprises européennes peuvent se comparer à des General Electric, et un jour peut être, faire jeu égal avec des Microsoft. Elle se retrouve dans la force militaire, qui si unifiée dans une certaine mesure (et beaucoup est déjà fait dans ce sens), peut appuyer notre sécurité. Elle se retrouve dans la police, dans la justice, dans la solidarité entre différents pays en cas de coup dur... Bref, nous avons tout à gagner de la construction européenne.

Ses ennemis lui reprochent une perte de souveraineté. Il n'y a pourtant pas plus de perte de souveraineté que lorsque j'abdique une partie de ma souveraineté pour laisser un gouvernement élu démocratiquement prendre des décisions à ma place. C'est ce qu'on appelle un contrat social. Le contrat social qui nous réunit, nous engage à vivre ensemble, en décidant que le gouvernement sera assuré par des instances représentantes avec un pouvoir temporaire et équilibré par des contre pouvoirs, c'est la base de notre démocratie. Pour traiter uniquement des questions auxquelles on ne pourrait répondre pertinemment à l'échelle d'un seul pays, il est utile de prolonger tout simplement ce contrat social, et c'est le but de la construction d'une politique européenne.

Malheureusement, les affrontements incessants entre pays européens ralentissent et rendent parfois inefficace l'action de l'Union Européenne. Celle-ci même n'est pas exempte de défaut, et le reproche si souvent adressé à la Commission (être trop bureaucratique) se vérifie en effet en de nombreuses occasions. Avec ses membres nommés, la légitimité de la Commission parait trop faible, d'autant plus que le parlement européen manque encore de pouvoir de contrôle vis à vis d'elle. Comment s'étonner dès lors d'un désamour européen ?

Les peuples européens ont vécu bien des choses ensembles. Il y a communauté d'Histoire, de mouvements culturels et même de vécu religieux. Etre européen veut dire quelque chose : c'est assumer son appartenance à sa nation et reconnaître en même temps faire partie de quelque chose de plus grand. La conscience d'identité européenne n'est pas encore très répandue, mais la graine est d'ores et déjà plantée dans une plaine qui ne demande qu'à être fertilisée. L'engrais, c'est la découverte de la nécessaire et effective communauté de destin. Il faut pour cela donner plus de place aux peuples dans la construction européenne, pour qu'ils puissent se l'approprier et la faire réussir. Dans l'idéal, il faudrait que l'exécutif puisse être élu par le peuple européen, et que les pouvoirs du parlement européen soient renforcés. Tout en gardant nos régimes politiques nationaux, le champ d'action européen doit être vraiment reconnu en tant que tel et dépendre d'un pouvoir propre. Il apparaît alors que le meilleur système politique pour traiter de ces enjeux est un système de type fédéral. Je suis convaincu qu'une Europe fédérale peut améliorer l'efficacité des institutions européennes, en renforcer sa légitimité, et en garantir le contrôle par les citoyens. Dès lors, il est temps de penser à l'élaboration d'une Constitution pour l'Europe.

Et de façon étonnante, il y a eu une Convention pour en élaborer une, les gouvernements européens se sont mis d'accord, avec difficulté certes, sur un projet. Le référendum est le meilleur moyen pour légitimer une Constitution, vu l'importance du changement engagé. En France, il a eu lieu. Après une campagne disputée, le projet a été rejeté. Ce projet-là en tous cas ne verra certainement pas le jour. Certes, il n'était pas parfait. Il n'était pas vraiment nécessaire d'y incorporer ce fameux titre III qui alourdissait le tout, la politique de l'Union Européenne étant déjà décidée par ailleurs. Au niveau des institutions, c'était bien timide si le but était de faire un système fédéral, mais ce n'était évidemment pas le but : chaque chose en son temps, et il aurait été trop tôt pour que le peuple européen puisse déjà accepter ce système. Mais c'était encore trop pour les souverainistes/nationalistes, qui considèrent encore que dans la compétition mondiale, chaque pays peut s'en sortir seul, recroquevillé sur lui-même. En outre, le texte a été l'objet d'une désinformation incroyable de la part d'opposants moins naturels situés dans la gauche la moins responsable. Accusé de tout et de n'importe quoi, et presque toujours à tort, le projet de Constitution a en fin de compte été rejeté dans le flot du mécontentement général de la population à l'égard de la politique. Ce texte si important ne méritait pas cela.

Le coup est très rude, et nous mettrons beaucoup de temps à nous en remettre. Pourtant, il faut bien recommencer à travailler dans cette direction. A vrai dire, nous n'en avons pas vraiment le choix. Sans plan B, la construction européenne est atone, meurtrie. Il faut désormais trouver d'autres voies/voix pour porter ce projet. L'Europe fédérale est une nécessité, un espoir et un but à atteindre, pour que ce devienne un moyen utile à l'ensemble de la population. Il serait bien grave d'y renoncer.

lundi 14 novembre 2005

Communisme et capitalisme

Le capitalisme est souvent contesté, directement (par les trotskistes ou tout groupe communiste) ou indirectement (quand rien ne va, c'est de la faute à la Société, dont l'un des critères principaux est d'être d'essence capitaliste). A la base, le capitalisme, c'est la propriété privée des moyens de productions. Dans la grande théorie marxiste traditionnelle, elle engendre l'exploitation de l'homme par l'homme, dans la mesure où le propriétaire s'accapare une partie de la richesse créée par le travail. De fait, il est au centre de la lutte des classes, où propriétaires et salariés se disputent les richesses crées. L'analyse de Marx, qui a sa pertinence, a été prolongée par un peu tout le monde, et il se voit accuser d'engendrer les inégalités et l'injustice, surtout dans sa version libérale.

Examinons le capitalisme libéral théorique : par la confrontation de l'offre et de la demande, dans une situation de concurrence pure et parfaite, tout s'ajuste au prix d'équilibre. Si le prix n'est pas suffisant, on passe à autre chose, et d'une manière générale, l'intérêt général est quand même au mieux malgré ces conflits entre individualités. En effet, la main invisible des intérêts particuliers forme l'intérêt général. Si chacun s'enrichit individuellement, c'est la société entière qui sera plus riche en fin de compte. L'Etat (en tant que secteur public) ne s'occupe alors que de missions régaliennes vitales qui nécessitent l'apport obligatoire de tous pour leur bon fonctionnement.

Dans le système communiste, la main invisible n'existe pas, l'intérêt général ne peut être servi par des intérêts particuliers. Le nombre des missions vitales que doit assurer l'Etat augmente alors considérablement, passant à peu près toutes les activités, hormis domestiques. Il ne s'agit pas là du communisme idéalisé et réalisé (où Etat et argent n'existent plus), seulement des systèmes de transition du capitalisme à ce modèle théorique, les seuls qu'on ait vus en fait. Donc, dans un pays communiste, l'Etat est garant de l'intérêt général, organise la gestion des moyens de production, et chacun doit suivre avec entrain mais sans récompenses individuelles les plans fixés par le plan.

L'intérêt général, voila le but recherché par ces deux systèmes. Ils souffrent tout deux de maux qu'on peut analyser à la lumière de modèles théoriques économiques de base.

Dans le communisme, tous les travailleurs sont égaux. Théoriquement, ils devraient tous gagner le même salaire donc, puisque chacun a une importance égale dans son apport à la Société. Là où le communisme est naïf, c'est qu'il considère que tous les hommes sont bons, dans la mesure où livrés à eux-mêmes, leur seule ambition serait de participer au développement de l'intérêt général. Rousseau devait bien être l'un des inspirateurs de la pensée communiste... Malheureusement, l'expérience montre que ce n'est pas le cas. Sans motivation individuelle (ni récompenses, ni sanctions), l'intérêt général ne suffit pas toujours à animer les gens. Si l'on considère que chaque homme s'intéresse quand même un peu plus à ce qui lui arrive à lui plutôt qu'au premier inconnu venu, la défaillance du modèle apparaît. Le travailleur non motivé n'est pas productif. Même si sont introduits des sanctions en cas de non-travail (grâce au système totalitaire communiste, eh oui), et des récompenses pour ceux qui sont particulièrement motivés (médailles, glorification de Stakhanov), ça ne suffit pas si ça ne remet en rien en cause votre quotidien. Le travailleur peu motivé se limitera donc à ce que lui demande de faire le plan, rien de plus, voire même moins s'il n'y a aucune sanction pour lui.

On arrive au mécanisme du passager clandestin : individuellement, le travailleur a un intérêt faible à servir la société s'il n'y trouve pas d'intérêt direct pour lui, et que les autres peuvent s'en occuper à sa place. Si chacun adopte ce même raisonnement, l'intérêt général est faiblement servi. D'où la production de qualité médiocre des pays communistes, le rationnement permanent pour les biens de consommation, produits en quantité insuffisante et un essor économique très faible. La doctrine et le patriotisme sont exaltés pour motiver le peuple à servir la communauté, mais rien n'y fait : lorsqu'on autorise les agriculteurs à cultiver un bout de terre pour leur propre compte, leur productivité devient incroyable vis à vis de celle observée sur les terres de la collectivité. Telle est la faiblesse du système communiste, qui engendre en fin de compte, une relative pauvreté pour tous (là, l'égalité est assez bien respectée).

Le capitalisme doit lui composer avec une main invisible qui a des ratés. La théorie des jeux montre qu'il existe des équilibres de second rang. Ce n'est plus le passager clandestin qui est au centre du problème, mais le dilemme du prisonnier. Rappelons-le d'abord : si deux malfaiteurs complices sont emprisonnés en même temps, et qu'on propose à chacun la liberté s'il dénonce son comparse sans être dénoncé de lui, un an de prison si personne ne dénonce l'autre, trois ans s'il dénonce l'autre et que celui-ci fait de même, et dix ans s'il se fait dénoncer par l'autre sans le dénoncer. Si chacun présuppose en l'autre un intérêt égoïste (à tort ou à raison), le plus intéressant pour soi est de considérer que l'autre prisonnier n'hésitera pas à dénoncer. Pour limiter les dégâts, il faut le dénoncer aussi. Voila comment ils vont tous les deux faire trois ans de prison au lieu de un. Deux décisions individuelles et séparées ne produisent pas forcément le meilleur choix possible. Tout le jeu de la concurrence repose sur ce genre de décisions.

La main invisible qui aurait du jouer est donc elle aussi faillible. La concurrence aboutit parfois à des équilibres imparfaits, où tout le monde est perdant. Nier que le capitalisme est parfait serait une grave erreur, mais heureusement il est possible de faire varier l'intervention de l'Etat pour guider le marché vers l'intérêt général en certaines occasions, même si cela est combattu par les tenants d'une doctrine libérale pure.

Alors, communisme ou capitalisme ? Les deux sont faillibles. Le communisme véhicule de superbes idéaux de communauté, de solidarité, de bonté... et il faut bien reconnaître que la doctrine complète de Marx pouvait laisser bien rêveur. Pas étonnant qu'il y ait tant de personnes qui aient oeuvré à la création d'une société communiste. Seulement, l'expérience parle. On a pu comparer les deux systèmes entre 1917 et 1990, l'un s'est écroulé, l'autre non. En voulant limiter les contraintes totalitaires du régime communiste russe, c'est tout le bloc de l'Est qui a voulu sortir de sa langueur, et qui n'a pas tardé à se convertir à une économie de marché. Les pays communistes restant sont soit encore extrêmement totalitaires (comme la Corée du Nord), soit plus vraiment communiste sur le plan économique (comme en Chine). Pendant ce temps, le capitalisme, bien qu'imparfait, continue son petit bonhomme de chemin. La baisse tendancielle du taux de profit, si longtemps prophétisée, n'est pas effective, et bon nombre de travailleurs préfèrent réformer le capitalisme que de l'abolir, preuve qu'il est quand même soutenable. En plus, le capitalisme s'épargne la plupart du temps le côté totalitaire. Aujourd'hui, il est clair que le communisme n'est pas viable à long terme, et qu'il génère en plus des dirigeants totalitaires.

Comme la démocratie, le capitalisme est le moins pire des systèmes, il est donc inutile d'autant lui cracher dessus. Et comme, de systèmes, il n'en existe que deux qui soient cohérents, il n'y a rien d'autre à mettre à la place. A moins que quelqu'un ait une idée fantastique de système économique cohérent, différant totalement du communisme et du capitalisme... dans ce cas, cela vaudrait le coup de se pencher dessus. Toutes les idées sont les bienvenues !

vendredi 11 novembre 2005

De l'intégration et du multiculturalisme

On va donc commencer par une note de fond. Ces deux dernières semaines, les violences urbaines qui ont eu lieu dans diverses banlieues ont remis sur le devant de la scène les thèmes de l'intégration, de l'immigration et du racisme. Ces thèmes ne sont en fait jamais bien éloignés de l'actualité, et ils sont en toile de fond de bien des événements et de bien des débats. Le plus important était sans doute celui consacré à la laïcité, à travers le port du foulard islamique à l'école.

Lors de ces dernières émeutes, la presse étrangère a diagnostique la faillite du modèle d'intégration à la française. Celui-ci est bel et bien souffrant, inutile de le nier. Quelle est l'alternative ? Les Etats-Unis et la Grande Bretagne se glorifient d'un modèle multiculturaliste, où chaque culture est en théorie la bienvenue sur le territoire. Chacun étant fort de ses racines, et chacun tolérant la culture de l'autre, la société devient pacifiée des tensions qu'il peut y avoir entre communautés. Sur le papier, c'est remarquable, est-ce cela qu'il faut souhaiter à tous les pays qui ont des populations hétérogènes ?

D'abord, il est aussi facile de pointer les imperfections de ce modèle : en Grande Bretagne, s'il n'y a pas eu d'émeutes des minorités contre la population d'origine anglaise, il y a de temps à autres des affrontements violents entre différentes communautés minoritaires. Ensuite, cela n'a pas empêché les attentats perpétrés par des anglais d'origine pakistanaise que l'on disait parfaitement intégrés. Même si ce sont des faits très minoritaires, rien n'est parfait de l'autre côté de la manche aussi à ce niveau là. Aux Etats-Unis, la place des minorités s'est faite au travers de la discrimination positive, en réservant certains emplois à des personnes provenant de minorités (noires, hispaniques...). Cela montre que plus de cent ans après l'abolition de l'esclavage, et une quarantaine d'années après le mouvement des droits civils, on est toujours différent lorsque l'on est noir aux Etats-Unis. Par pragmatisme nous assure-t-on, la discrimination positive est toujours employée pour promouvoir l'ascension des noirs dans la société américaine. Dans de nombreux formulaires la catégorie à laquelle on appartient (caucasien, hispanique, afro américain, natif américain, asiatique...) est demandée. Certaines émissions à la télévision semblent s'adresser spécifiquement à la communauté noire, non pas qu'ils aient des modes de vie différents, mais uniquement pour faire pendant aux émissions où l'on ne voit que des blancs. Ainsi, un réseau de télévision (UPN) est devenu le champion de ces séries où les noirs sont sur-représentés par rapport à la population, lorsqu'ils sont sous-représentés dans d'autres séries sur d'autres réseaux. La forte croissance de la population hispanique entraîne également une montée des chaînes de télévision hispanophones, et certaines administrations deviennent même bilingues, l'anglais n'étant nul part mentionné comme langue officielle des Etats-Unis.

Je ne sais plus quels sociologues ont parlé de melting pot en parlant des Etats-Unis, ce pays où des personnes de toutes origines se mélangent. Je sais juste que d'autres lui préfèrent, avec raison selon moi, le terme de salad bowl, un saladier où les divers composants sont certes entre-mélés, mais toujours identifiables, où il est toujours possible de séparer les morceaux de tomates des morceaux de radis. Telle est la société multiculturelle.

Le multiculturalisme est une belle idée : chaque culture a une histoire différente, est un concentré d'influences différentes, et a les leçons d'expériences différentes à apporter. Par la multiplicité des angles de vue, le multi-culturalisme nous promet une réflexion plus riche, une meilleure prise de distance sur les événements, et nous procure une société pacifiée par l'acceptation de nos différences mutuelles. Le multiculturalisme est donc tout à fait défendable. Seulement, lors de la traduction dans les faits, c'est moins évident. Un jour, je défendais cette thèse et lorsque j'ai du trouver des exemples concrets pour l'appuyer, je me suis trouvé bien en peine. Le seul dont je disposais était le fait que les Américains se soient servis d'une langue amérindienne lors de la seconde guerre mondiale pour que leurs communications restent incompréhensibles pour l'ennemi. Cela m'a semblé assez léger. A contrario, j'avais une multitude d'exemples où cela ne marchait pas bien, où malgré la théorie les gens avaient quand même du mal à accepter les différences culturelles, où dans la pratique il est nécessaire de surmonter de connaître ces mêmes différences culturelles, non pas pour s'en servir comme tremplin pour une réflexion plus riche, mais pour apprendre à les surmonter afin que le compromis ne se serve d'aucune.

A chaque fois que l'on met des gens de cultures différentes ensembles, il leur est nécessaire de surmonter leurs différences toujours présentes pour s'entendre plutôt que de les unir de façon productive. C'est malheureusement comme cela que fonctionne l'Union Européenne par exemple. Il est certes toujours intéressant d'avoir un avis extérieur à une situation interne, mais il est rare que la solution sorte d'une pratique étrangère qui aura toujours du mal à s'imposer à l'intérieur. Il suffit de voir par exemple la réticence qu'ont les Britanniques à adopter le système métrique ou bien d'une manière générale, celles des différents pays européens à se soumettre à l'Union Européenne, y voyant souvent une perte de souveraineté.

Le multiculturalisme perpétue donc de façon immuable des différences culturelles qu'il faudra toujours surmonter, ce qui sera toujours une difficulté à vaincre. Je pense qu'il vaut mieux continuer à parier, pour la France tout du moins, sur son modèle qui insiste sur l'intégration de tous au sein d'une même société. Analysons le aussi de façon théorique : la France refuse de reconnaître des différences majeures entre les citoyens. Il est interdit d'indiquer dans les fichiers si l'on est blanc noir ou autre, car cela ne fait aucune différence. Après tout, nous sommes tous égaux. La religion est un domaine traditionnellement vu comme dogmatique, dans le sens où la plupart d'entre elles se présentent comme des vérités révélées, qui de fait s'opposent aux autres qui sont dans l'erreur. L'Histoire ayant montré les innombrables conséquences néfastes des guerres de religions, de par nature vaines puisque opposant des idées non rationnelles (la foi étant une croyance se plaçant au-dessus de ce plan là), il semble plus sain de garder le domaine religieux dans le registre personnel. On s'y consacre chez soi, au lieu de culte, dans la sphère privée en somme, son intrusion dans la sphère publique pouvant toujours être suspectée (à tort ou à raison) de prosélytisme, et à ce niveau, mieux vaut éviter tout risque de mettre le feu aux poudres. C'est le sens de la laïcité. Si l'on ne reconnaît pas les différences de couleur de peau, si l'on sort la religion de la sphère privée, il y a déjà moins de différences entre nous. Pour ce qui est des différences culturelles, je serais désormais tenté de promouvoir l'adoption entière par chacun de la culture du pays où il veut rester. Quitte à abandonner sa culture d'origine ? Eh bien pourquoi pas. Je crois qu'on se monte trop la tête avec ces histoires de "racines", de "traditions", qui nous font oublier que nous sommes tous des êtres humains égaux. Je serais tenté de reprendre ce vieux proverbe "A Rome, fais comme les Romains"... Celui qui change de pays doit assumer le fait de changer de langue, de traditions, se conformer aux pratiques locales et ne pas hésiter à imiter la population d'accueil pour mieux s'y fondre. L'Histoire apporte des vagues d'immigrations, ce qui après tout est bien naturel, mais il faut à chaque fois s'efforcer de faciliter leur intégration, et sur les générations suivantes, leur assimilation, et que l'on se dise sans même y penser à deux fois "Il est des nôtres". Oublions les couleurs de peau, favorisons le métissage, c'est ce qui s'est passé pour toutes les vagues d'immigration jusqu'à la seconde guerre mondiale en France, malgré les difficultés initialement rencontrées par chaque nouvel arrivant. La religion, seul domaine où il peut sembler difficile de changer à convenance, est protégée par la laïcité, et doit aussi se soumettre au respect des lois locales.

Je pense que c'est ça la logique du modèle d'intégration français. Il est malheureusement difficile de nier que celui-ci connaît des difficultés vis-à-vis des vagues d'immigration que la France accueille depuis les Trente Glorieuses. Le racisme ordinaire naît, je pense, d'impressions du genre "Les étrangers sont trop nombreux" et "Ils ne sont pas comme nous". Pour que l'intégration soit réussie, il faut un effort des deux côtés : de la part des migrants et de leur famille pour se conformer à la culture locale, ce qui donnera je pense, une impression de normalité à la population d'accueil. Il est bien sûr toujours possible de conserver quelques traditions folkloriques, mais il faut à tout prix lire et parler français, et refuser l'importation de coutumes aussi déplacées que la polygamie et l'excision. Bref, se donner un mode de vie bien à la française. D'autre part, les pratiques de discrimination à l'embauche et le racisme de conviction sont tout à fait intolérables et doivent être condamnées par les tribunaux. Trop souvent, des personnes ayant la nationalité française et ayant fait cet effort d'intégration sont victimes de pratiques discriminatoires. C'est tout à fait injuste et doit être combattu, il faut aider ces victimes à vaincre ces méfaits. C'est l'affaire de tous.

La nationalité / citoyenneté française, c'est des droits, et des devoirs. Si les devoirs sont remplis, on ne peut refuser l'exercice de ces droits. L'intégration résulte d'un double mouvement : adhésion des immigrants à leur nouvelle culture d'un côté, de l'autre acceptation de la part de la population d'accueil de personnes dont seules la provenance et parfois la couleur de peau diffèrent. L'un ne va pas sans l'autre.

Au début

Bonjour à tous ceux qui tomberont par hasard sur ce blog. Je ne sais pas encore ce qu'il deviendra, j'imagine que j'y posterai mes réflexions sur l'actualité que je suis de façon frénétique, ça m'obligera bien à mettre en forme ma pensée plutôt que de "ruminer dans le vide".

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