Réflexions en cours

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lundi 28 février 2011

L'Etat peut, mais doit-il ?

Pendant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy racontait fréquemment cet épisode. Lorsqu'il était Premier ministre, Lionel Jospin avait dit à des ouvriers victimes d'un plan social "l'Etat ne peut pas tout" pour leur signifier qu'en l'occurrence, il ne pourrait rien faire pour eux. Nicolas Sarkozy regrettait cette phrase car elle montrait le renoncement de la politique à influencer les choses. Il mettait en avant son propre volontarisme. Par contraste, il expliquait comment lui, en tant que ministre des finances, n'avait pas hésité à nationaliser partiellement et temporairement Alstom, alors en proie à de grandes difficultés, pour permettre à ce fleuron de l'industrie française de se sortir de cette mauvaise passe. L'effet de cette décision était double : des emplois étaient sauvés, et l'Etat avait empoché une plus-value de plus d'un milliard d'euros à la revente. La morale de cette histoire, c'est que l'Etat peut, s'il veut.

L'Etat peut, mais doit-il ? C'est là qu'est la vraie question en fin de compte. La question de la possibilité est un faux problème. A chaque fois que quelqu'un dit "je n'ai pas le choix", il prend d'ores et déjà une décision. Il y a toujours plusieurs possibilités, seulement, certaines sont écartées d'emblée. Les inconvénients qu'elles entrainent sont considérées comme intolérables, et donc rejetées. Ne pas avoir le choix, c'est en fait faire son choix, choisir l'option qui apporte le plus d'avantages pour le moins d'inconvénients possibles. Le libre arbitre est à l'œuvre, la volonté s'exprime constamment.

Voilà pourquoi la politique est d'abord une question de volonté. Reste à savoir comment utiliser cette volonté. L'Etat doit-il intervenir sur tous les sujets, ou est-il préférable qu'il reste à l'écart sur certains sujets ? A posteriori, au vu du résultat, l'intervention de l'Etat sur le dossier Alstom s'est avéré une bonne chose. Mais cela ne veut pas dire que l'Etat doit nationaliser toutes les entreprises en difficulté dans l'espoir de les sauver. Certaines entreprises (voire certains secteurs entiers) ont un modèle économique à bout de souffle. Parfois aussi, des entreprises saines doivent pouvoir se restructurer. De même, s'il est logique que chacun attende de l'Etat de l'aide dans sa vie quotidienne ou des meilleures conditions dans lesquelles exercer son emploi public, l'Etat peut également tout à fait considérer que ce n'est pas la meilleure façon de dépenser l'argent public.

Le rôle des responsables politiques n'est pas de se sentir l'objet de forces qui le dépassent, mais celle de faire des choix souvent difficiles et de les assumer en expliquant leurs raisons. Aux électeurs de juger s'ils ont fait les bons en connaissance de cause.

dimanche 27 février 2011

Tribune exclusive des diplomates du groupe Etienne Marcel

Ce blog produit ici en première exclusivité la tribune des diplomates éminents du groupe Etienne Marcel, du nom du café du deuxième arrondissement où il se sont rencontrés pour discuter du texte :

"Après la tribune du groupe Marly dans Le Monde, celle du groupe Rostand dans Le Figaro et plus récemment celle du groupe Albert Camus dans Libération, nous tenons nous aussi, du fait de notre expérience de diplomates aguerris, à défendre courageusement et anonymement nos convictions. Le rôle d'un diplomate est d'assurer le dialogue entre nations, pas de déterminer la politique extérieur du pays qu'ils servent. La politique doit être menée par les représentants du peuple qui sont légitimement élus, pas par des hauts fonctionnaires, quelque soit les prétentions dont ils se prévalent. En l'occurrence, si un diplomate veut faire de la politique, il peut tout à fait se présenter aux élections. S'il considère qu'il ne peut mener la politique qui est menée par le gouvernement, il a parfaitement le droit de quitter son poste. Mais il ne peut pas profiter de sa position pour mener la politique qu'il souhaite lui-même mener, sans qu'elle ait été validée par les représentants du peuple.

Alors plutôt que d'essayer de remettre en cause la politique menée par le gouvernement, pourquoi ne pas nous concentrer sur notre fonction de diplomate, et laisser aux parlements et aux électeurs le soin de juger ladite politique ? Nous sommes au service d'un pays, pas de nous-mêmes. Jouer aux vengeurs masqués n'est pas digne de notre fonction, et fragilise notre profession. Les Français doivent savoir qu'ils gardent en leur contrôle la politique étrangère, et que nous sommes à leur service."

Le groupe Etienne Marcel

jeudi 24 février 2011

Un tas de démocraties au Proche Orient

Les temps changent. Si dans les pays occidentaux, on trouve le moyen d'entretenir des polémiques permettant de ramener ces grands événements à de la politique politicienne, de l'autre côté de la Méditerranée, les peuples tentent à tour de rôle de se débarrasser de leurs dictateurs. Les chancelleries n'avaient pas vu venir de tels bouleversements. Les experts en géopolitique de la région ne les avaient pas vu venir non plus : Antoine Sfeir a ainsi récemment reconnu qu'il s'était "lourdement trompé" sur la Tunisie. Les autorités de ces pays ne l'avaient pas vu venir, elles sont d'ailleurs totalement aux abois. Et même les populations concernées ne l'avaient pas vu venir, tout étant parfaitement spontané. Le refus par des policiers d'un stand de légumes au marché de Sidi Bouzid a des répercussions en chaîne, certains parlant même d'une application de la théorie des dominos.

Après la Tunisie et l'Egypte, c'est donc au tour de la Libye de s'insurger contre le dictateur local, Mouammar Kadhafi. Dans d'autres pays arabes, il y a déjà des tensions au sein de la population. Là encore, on ne sait absolument pas comment tout cela va tourner. Mais si on choisit d'être optimiste, on peut espérer que l'événement global ait un impact similaire à la chute des totalitarismes communistes dans les pays de l'Europe de l'est de 1989. C'est certes mal parti pour le côté pacifiste, les dernières journées en Lybie étant par exemple plus meurtrières que toute la révolution roumaine. Mais si le résultat est le même, on aurait tout d'un coup un grand nombre de démocraties en Afrique du Nord et au Proche Orient.

Quelques commentateurs craignent que la démocratie permette aux idées supposées violentes des populations de s'exprimer et de se concrétiser. Israël est ainsi particulièrement nerveux quant à la chute de Moubarak, car ce dernier garantissait la paix et contrôlait un peuple peu pro-israélien. Mais la vraie question est surtout de savoir si de vraies démocraties naîtront de ces changements de régimes. Si tel est le cas, rien ne permet de penser que la situation s'aggrave terriblement. Les peuples n'ont rien à perdre à l'établissement de la liberté d'expression, la corruption serait moins forte, et surtout, la situation géopolitique serait probablement plus apaisée. En effet, les démocraties ne se font pas la guerre.

Si la plupart des pays arabes deviennent des démocraties, Israël aura ainsi probablement plus de possibilités de dialogues avec ses voisins. L'un des arguments d'Israël dans ses initiatives de défense musclée est justement le fait qu'il est la seule démocratie dans la région. S'il y a un tas de démocraties au Proche Orient, tout le monde y repensera certainement à deux fois avant de se lancer des missiles à la figure. Le dialogue entre les pays, la raison d'être de l'ONU, est plus facile entre gouvernements certains de leur légitimité.

mercredi 23 février 2011

Des conflits d'intérêts en politique

Le fait que la femme d'Eric Woerth soit employée par Liliane Bettencourt ou le voyage controversé de Michèle Alliot-Marie en Tunisie ont mis sur le devant de la scène la question des conflits d'intérêts, à travers des scandales plus ou moins artificiels. Un rapport commandé par le Président de la République sur ce sujet a récemment été publié, faisant des propositions très strictes pour éviter tout conflit d'intérêt potentiel pour les membres du gouvernements. Il en arrive même à faire une proposition absurde : inscrire dans la Constitution l'impossibilité d'être membre du gouvernement et d'être dirigeant de parti politique. Et cela, pour "ne pas exposer inutilement [les membres du gouvernement] à la polémique". Ce serait bien une première. A l'étranger, c'est même l'inverse qui prévaut. En Allemagne, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni, les chefs de gouvernement sont à chaque fois les dirigeants du principal parti de la majorité. Qui irait reprocher à Angela Merkel de diriger la CDU en même temps que l'Allemagne ? S'il y a bien des polémiques inutiles, quel est le problème ? Le ministre qui en est l'objet, ou bien l'inutilité de la polémique elle-même ?

Le rapport Sauvé se montre plus raisonnable sur la question des cadeaux. Il propose une loi interdisant les cadeaux, libéralités et invitations aux acteurs publics (ministres, dirigeants d'organismes publics ou hauts fonctionnaires, mais cela pourrait aussi s'appliquer aux parlementaires), à l'exception de l'hospitalité "conventionnelle" et des cadeaux mineurs, de moins de 150 euros par exemple. Les cadeaux protocolaires seraient reversés à l'administration, et dument enregistrés. Avec l'implémentation de ce genre de règles, le soupçon de corruption aurait moins d'espace.

Mais en ce qui concerne l'activité professionnelle, on peut difficilement attendre d'un ministre ou d'un parlementaire qu'il soit coupé de la société. Un ministre médecin pourra être intéressé par l'augmentation des honoraires par la Sécurité Sociale, un sénateur entrepreneur pourra plus facilement voter des aides qui vont vers son secteur... et un député enseignant sera particulièrement intéressé par telle réforme de la fonction publique. Au bout d'un moment, cela fait partie de l'expertise de la personne concernée. Il est même préférable que nos représentants aient eu une vie professionnelle autre que des mandats électoraux. Et on ne peut pas non plus interdire à la famille d'une personnalité politique d'avoir sa propre activité professionnelle.

En fait, dans ce domaine, la vraie question est celle de la transparence. Il serait préférable que toute activité, tout conflit d'intérêt potentiel soit dûment enregistré, et puisse être consulté par le plus grand nombre. La conscience de cette surveillance serait un outil plus efficace pour éviter les décisions biaisées que l'impossibilité de prendre ce genre de décisions (une méthode qui handicaperait finalement la démocratie).

mardi 22 février 2011

Le mur gréco-turc

La Grèce a déjà beaucoup à faire en terme de politique intérieure. Après avoir vécu des années au dessus de ses moyens, le retour à la réalité est rude, et les réformes à faire sont douloureuses. Mais comme cela ne suffisait pas, elle doit aussi faire face à des vagues migratoires en provenance de la Turquie, avec un afflux massif d'immigrants venant d'Afrique ou d'Asie. Ces clandestins s'éparpillent ensuite dans les différents pays de l'Union Européenne grâce à la liberté de circulation des personnes, mais elles restent clandestines. Une fois attrapées par les autres pays européens, ceux-ci peuvent les renvoyer dans le pays d'entrée, laissant à la Grèce le soin de gérer cette population. S'il y a liberté de circulation à l'intérieur des frontières communes de l'Europe, il faut qu'il y ait une politique commune sur la gestion de ces frontières. C'est la raison d'être de l'agence européenne Frontex, qui œuvre à ce sujet depuis 2005. Des aides financières directes peuvent aussi être adressées aux pays les plus géographiquement exposés. Mais cela ne doit pas empêcher de trouver des solutions pour sécuriser les frontières les plus poreuses.

Voilà comment la Grèce en est arrivée à vouloir construire un "mur" à sa frontière avec la Turquie. La Bulgarie, qui est aussi frontalière avec la Thrace orientale turque, n'est pas autant concernée puisqu'elle ne bénéficie pas encore de cette totale liberté des personnes. Entre la Grèce et la Turquie, il y a bien une frontière naturelle, le fleuve Evros (Maritsa en bulgare) sur 198 km. Mais sur 12,5 km, à proximité d'Edirne, le fleuve ne longe pas la frontière, et fait une petite excursion à l'intérieur des terres turques. A proximité, la frontière se trouve donc en rase campagne, et est alors difficile à contrôler. D'où le mur, en fait une clôture surveillée électroniquement d'une hauteur de 3 m et d'une longueur d'une dizaine de km.

D'un point de vue symbolique, il n'y a certes pas de quoi se réjouir. Mais c'est devenu nécessaire, et lorsque l'Espagne a adopté cette solution à Ceuta et Melilla, les flux migratoires ont nettement diminué. C'est d'ailleurs pourquoi la France soutient ce projet en cours d'accomplissement. Depuis son lancement, plusieurs milliers de Tunisiens ont débarqué sur l'île italienne de Lampedusa. En effet, ces personnes ont souhaité fuir la Tunisie suite au tournant démocratique soudain du pays. D'ores et déjà, la chute des dictateurs dans la région semble, de façon assez surprenante, provoquer l'émigration des jeunes personnes qui seraient pourtant les plus indiquées pour reconstruire leurs nations sur de nouvelles bases. Le mur gréco-turc ne sera donc probablement qu'un chapitre d'une politique migratoire au long cours.

lundi 21 février 2011

Comment interdire le tabac

Jacques Attali propose d'interdire le tabac. La consommation de tabac est dangereuse, elle aurait provoqué la mort de 100 millions de personnes au XXème siècle, et pourrait provoquer la mort d'un milliard de personnes au XXIème. Malgré toutes les taxes, le coût du tabac resterait encore plus important pour la société que ce qu'il rapporte. En effet, les détériorations de la santé qu'il entraîne fait gonfler les coûts de la Sécurité Sociale, car il faut bien soigner tous ces effets secondaires. En fait, si le tabac était un produit nouveau, on ne se poserait pas deux fois la question, et on l'interdirait immédiatement. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la majorité de la population reste toujours favorable à l'interdiction du cannabis. Mais pour le tabac, aujourd'hui, c'est plus compliqué. Une fois largement diffusé, un produit rentre dans les cultures, et l'en déloger devient un travail de titan. Et le tabac est là depuis des siècles... En fin de compte, à ce niveau-là, la rencontre entre les occidentaux et les amérindiens fut néfaste pour les deux groupes avec un échange perdant-perdant : les amérindiens ont connu les ravages de l'alcool, et les occidentaux se sont consumés les poumons avec le tabac.

La plupart des fumeurs préféreraient arrêter de fumer, mais sont soumis à la nature addictive du produit. Sevrer un fumeur est déjà suffisamment difficile, s'il faudrait sevrer tous les fumeurs d'un coup, ce serait l'échec assuré. La prohibition de l'alcool dans les années 20 aux Etats-Unis a montré l'impossibilité d'une telle voie. C'est donc déjà sur le terrain culturel qu'il faut se battre. Beaucoup a été déjà fait. La loi Evin fut une grande avancée en la matière. Plus récemment, l'interdiction de fumer dans les lieux publics fut aussi une bonne mesure. D'une manière générale, tout ce qui sert à limiter l'influence culturelle du tabac dans la société va dans le bon sens. Mais tant que le tabac restera légal, il y aura des nouveaux fumeurs (légaux), qui peineront ensuite à arrêter la cigarette.

On peut envisager une solution. Ce serait d'interdire le tabac... pour les personnes nées à partir d'une certaine année. L'année resterait à déterminer, mais elle ne serait pas encore passée au moment où la mesure est adoptée. Par exemple, ce pourrait être 2015 actuellement. Tous ceux nés à partir de 2015 n'auraient pas le droit de fumer. Comme ils n'auraient pas le droit de commencer, ils n'auraient pas à arrêter. Pour ceux qui sont plus vieux, tout continuerait comme avant, alors que les activité économiques liées au tabac déclineraient lentement. A terme, au bout d'une centaine d'années, il n'y aurait plus de fumeurs légaux, et cette rupture aurait été facilitée. Idéalement, une telle mesure ne concernerait pas un seul pays, mais le plus grand nombre.

Bien sûr, cela prendrait le temps d'une vie pour interdire le tabac. C'est bien long, mais quelle est la probabilité que le tabac soit totalement interdit d'un coup au cours du siècle en cours ? On pourrait objecter le fait que la loi serait différente selon les personnes, mais ce genre de procédures est déjà en cours sur d'autres thèmes. Par exemple, les personnes nées à partir de 1988 doivent avoir obtenu une attestation scolaire de sécurité routière pour passer le permis de conduire, une obligation à laquelle ne sont pas soumis les autres candidats actuels au permis. En étalant cette transition sur une très longue période, elle serait beaucoup plus indolore, et aurait donc de meilleures chances de succès.

dimanche 20 février 2011

Opération Restos du coeur/Danone/Carrefour

Danone et Carrefour s'associent aux Restos du cœur dans une opération spéciale. Le premier point d'orgue de cette opération est une collecte alimentaire ayant lieu les 4 et 5 mars, organisée par les employés des deux groupes. Les détails sont disponibles à cette adresse.

En outre, pour chaque billet de blog parlant de l'opération, Danone et Carrefour financent 10 repas aux Restos du cœur, pour peu qu'ils en soient prévenus.


Source

jeudi 17 février 2011

A Journey, de Tony Blair

Un responsable politique peut avoir plusieurs motivations lorsqu'il écrit ses mémoires. Winston Churchill voulait avant tout laisser sa trace dans l'Histoire. Avec My Life, Bill Clinton a pu raconter son histoire personnelle en profitant d'un juteux contrat avec une maison d'édition. Dernièrement, Donald Rumsfeld s'est servi de la publication d'un livre pour se défendre face aux attaques dont il fut l'objet. Mais dans tous les cas, l'auteur cherche à gagner l'adhésion du lecteur. Le problème avec les mémoires de l'ancien Premier ministre Tony Blair, intitulées A Journey, c'est qu'à ce niveau là, c'est un terrible échec. Si l'on a une bonne opinion de lui avant de débuter le livre, on en a une moins bonne en le finissant. Ce livre, qu'il a pourtant écrit lui-même avec plein de sincérité, dépeint malgré tout l'ex-Premier ministre sous un mauvais jour, comme un homme obsédé par la communication et les artifices médiatiques.

Par rapport à Bill Clinton par exemple, Tony Blair s'intéresse moins dans son autobiographie à la question du "pourquoi" qu'à celle du "comment". Il évoque toujours son envie personnelle comme moteur. Pas l'envie qu'une politique particulière soit menée, ou que la situation de la Grande Bretagne change. Non, cette envie est plus limitée : successivement devenir député, devenir leader de l'opposition, devenir Premier ministre. Dès lors, il ne se préoccupe pas du "pourquoi devenir Premier ministre", mais au "comment devenir Premier ministre". Et son livre se lit souvent comme un guide de l'arrivisme en politique, traitant des différentes façons de gagner des joutes oratoires et des élections. Du seul impératif de s'imposer découle sa communication, sa tactique et son programme.

Et voilà comment on en arrive à son New Labour. Cette innovation politique ne fut pas le résultat d'un travail sur les idées politiques, mais celui d'une analyse électoraliste. Comment gagner les élections ? Le Labour les perdait, les Tories les remportaient en étant bien à droite. Les idées de droite étaient donc vues comme plus porteuses de voix que celles de gauche, il fallait donc déplacer le Labour sur sa droite. Voilà tout. Si les excès prolétariens du Labour étaient la raison des échecs, le recentrage sera donc la clé de la victoire.

Une fois qu'il adopte cet argument, il reste à Tony Blair de l'appliquer à la tête du Labour. Pour cela, il doit se débarrasser de son acolyte Gordon Brown, qui était jusque là pressenti pour cette position. A ce titre, il raconte comment, lors d'une journée de négociations politiques, il promit de libérer Gordon Brown qui s'était malencontreusement coincé dans les toilettes à condition qu'il lui laisse la voie libre pour le Labour. Les élections sont un triomphe pour lui. Une fois devenu Premier ministre, il passe là encore beaucoup de temps à parler des moyens d'actions dont il disposait pour arriver à ses fins. Il n'hésite pas à assumer son hypocrisie, comme lorsque, par exemple, il condamne devant les personnalités extérieures ses services quand ils leur bloquent l'accès à lui... alors qu'il est celui qui donne de telles consignes. Il se montre vraiment préoccupé par les joutes oratoires au Parlement, mais part du principe que dans cet exercice, le contenu compte moins que la forme. Dès lors, l'une des tactiques qu'il jugeait les plus efficaces était de ridiculiser un adversaire politique lorsque celui-ci posait une question embarrassante.

On le disait déjà lorsqu'il était en poste, mais ça se révèle crûment vrai : son passage au pouvoir était le règne des apparences, du spin, et de l'influence de son conseiller en communication Alastair Campbell. L'un des piliers totalement assumés de sa stratégie politique était ni plus ni moins de lécher les bottes de Rupert Murdoch, le magnat de la presse aux titres puissants en Grande-Bretagne. Cela passait par de bonne relations avec l'ombrageux patron de presse, mais aussi par une servilité vis-à-vis des tabloïds. Tony Blair a la hantise des scandales, des scandales qu'il trouve plus nombreux et handicapants car les médias sont plus inquisiteurs. Il raconte par exemple comment il demanda à l'un des ministres, Robin Cook, de choisir sur le champ entre sa femme et sa maîtresse, pour désamorcer les révélations du lendemain d'un tabloïd hebdomadaire. Et malgré tout le bien qu'il pense d'un autre de ses ministres, Peter Mandelson, il le vire du gouvernement sur le seul motif qu'un scandale médiatique avait pris trop d'ampleur, quelques soient les faits. Il ne combat pas les médias, il s'y soumet en faisant tout pour jouer selon leurs règles.

Ses trois dossiers majeurs de politique intérieur (la santé, l'éducation et la sécurité) évoluent donc suivant de telles considérations. Mais les choses changent complètement en politique étrangère. La relation privilégiée entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis est un dogme absolu, découlant d'une analyse assez simple : il est toujours dans l'intérêt de la Grande-Bretagne de suivre les Etats-Unis. Et cette amitié entre les deux pays se transforme alors en amitié profonde entre dirigeants. Pour Tony Blair, Bill Clinton est même vu comme une "âme sœur politique". Il est particulièrement impressionné par le calme de celui-ci face aux médias, notamment lorsqu'il garde le cap face au déchaînement médiatique de l'affaire Lewinsky. Pour lui, cela lui semblait alors impensable. Mais il l'admire, comme il admirera George Bush. Cette relation privilégiée, qui existait déjà entre Churchill et Roosevelt, est donc conservée envers et contre tout.

Peut-être est-ce ici aussi l'influence de Churchill, mais Tony Blair se montre également déterminé à combattre les dictatures par tous les moyens. En politique étrangère, Tony Blair n'hésite pas à se transformer en idéologue. Il bases ses décisions en la matière sur la moralité telle qu'il la perçoit. Au Kosovo, il a poussé à l'utilisation d'une solution militaire, y compris au sol, car il ne voulait pas voir se reproduire les massacres de Sarajevo. Accessoirement, il trouve le moyen de critiquer un général américain (Wesley Clark) sur sa gestion des médias. Mais lui-même se montre prêt à dilapider sur ces sujets l'intégralité du capital médiatique qu'il a méticuleusement accumulé.

Et c'est ce qu'il a fait sur à propos de l'Irak. Il a tout misé sur ce dossier, et a d'ailleurs tout perdu. Il ne s'est pas vraiment posé de questions sur la présence d'armes de destructions massives : tout le monde auprès de lui et dans l'administration américaine était convaincu de leur existence. George Bush et lui partaient du principe que Saddam Hussein ayant perdu toute crédibilité depuis longtemps, il mentait forcément lorsqu'il affirmait ne pas en disposer. Celui-ci n'aurait donc eu que la monnaie de sa pièce, le résultat de son propre comportement erratique. Tel est le fin mot de l'histoire. Il s'intéresse bien davantage à sa campagne à travers le monde pour obtenir un mandat international d'intervention. Il en voudra d'ailleurs énormément à Jacques Chirac, considéré comme celui qui l'en a empêché. Quant au déroulement de la guerre, il avoue que tout ce qu'ils avaient prévu ne s'est pas passé, et tout ce qu'il s'est passé n'était pas prévu. Leurs renseignements étaient mauvais sur les armes de destructions massives, ils étaient mauvais aussi sur la possibilité de l'Irak de se prendre en charge une fois libéré.

A partir de ce moment-là, il est plus fréquemment acculé à la défensive. Paradoxalement, tous ses problèmes trouvent alors leur origine... dans les médias. Si les personnes qui lui sont proches trouvent toutes grâce à ses yeux, il ne vaut mieux pas faire partie des autres. Il montre beaucoup de mépris et d'acrimonie envers tous ceux qui s'opposent à lui. Gare à Jacques Chirac, et plus généralement aux Français, fréquemment décrits comme arrogants (quelle que soit l'impression qu'il donne lui-même). Gare aux leaders de l'opposition : Tony Blair raconte comment pour chacun d'entre eux, il a cherché à leur associer des adjectifs déplaisants pour disqualifier leur discours. Et surtout, gare à Gordon Brown. Puisque Tony Blair considère avoir toujours raison, Gordon Brown a toujours tort. Et même lorsque ce dernier ne s'oppose pas directement à ses positions, son attitude est considéré comme insuffisamment collaborative.

Et Tony Blair s'attarde longuement sur son ministre des finances, et ce pour lui casser du sucre sur le dos. Quand Tony Blair à des vagues à l'âme, il se décide à rester au pouvoir de peur que Gordon Brown lui succède. Ainsi, plus ça va, et plus il est déterminé à rester longtemps. Et quand son gouvernement est exsangue, il accuse en fin de compte les médias, auxquels il se sera pourtant tellement soumis. Il se voit alors littéralement poussé vers la sortie contre son propre gré, tout le monde commençant à respecter l'autorité de Gordon Brown, le successeurs présumé (mais honni), plutôt que de la sienne.

Encore aujourd'hui, dans les lignes qu'il a écrites, on sent toute son amertume. La défaite du Labour aux dernières élections législatives ne serait ainsi que le résultat de la politique de Gordon Brown, alors que lui ne serait pas en cause. Il se montre ainsi particulièrement tourmenté, d'abord par ses aspirations, ensuite par l'exercice du pouvoir. Il aura peut-être Churchill comme l'un de ses modèles. L'un des chapitres de A Journey a ainsi le même titre (Triumph and Tragedy) que l'un des tomes des mémoires sur la seconde guerre mondiale de Churchill. Mais outre l'échec de Tony Blair lorsque Churchill était victorieux, une autre différence est frappante : au 10 Downing Street, Tony Blair était particulièrement angoissé, quand son illustre prédécesseur se montrait très serein, même dans les pires moments...

mercredi 16 février 2011

Baisse du cours de l'indignation

Cela fait combien de temps que l'on n'entend plus parler de vrais sujets ? L'actualité politique n'est plus faite que de polémique. Chacun joue à s'indigner pour tout et n'importe quoi. Nicolas Sarkozy dis que s'il y a eu des dysfonctionnements dans une affaire justice, il doit y avoir des sanctions. On s'indigne. La cour de cassation mexicaine décide de rejeter le pourvoi de Florence Cassez. On s'indigne. Christian Jacob dit que Dominique Strauss-Kahn ne représente pas la France des terroirs en ayant passé ces dernières années à Washington. On s'indigne. Michèle Alliot-Marie passe ses vacances en Tunisie. On s'indigne. Les raisons ne manquent pas, et nous sommes inondés d'un flot de polémiques interminables. Dans cette optique, l'indignation est une posture facile et valorisante. En donnant l'impression que l'on ne peut tolérer quelque chose contraire à sa vision des choses, on essaie de montrer que l'on est d'une probité exemplaire. Et ça marche dans tous les sens : celui qui s'indigne aujourd'hui sera celui qui provoquera l'indignation le lendemain. Il suffit d'être deux pour s'indigner éternellement du comportement de l'autre dans une joute oratoire particulièrement vaine.

Depuis des années maintenant que l'on vit à ce rythme là, on a bien du s'indigner sur à peu près tout, et dans les termes les plus exagérés. On ne compte plus ainsi les références aux "heures les plus sombres de notre histoire", les propos qualifiés de "nauséabonds", les faux scandales, etc. Il y a deux dangers dans cette facilité à l'exagération permanente. Le premier est évidemment le fait que l'on perd de vue les vrais dossiers. Lorsqu'une vraie question est mise sur la table, elle n'est plus traitée que par quelques petites phrases au détour d'interviews. La question de la TVA sociale, abordée récemment par un député, fut évacuée très rapidement dans l'actualité française. Elle mérite pourtant que l'on s'attarde dessus, on peut être pour ou contre, mais c'est au moins une vraie idée nouvelle.

Le deuxième danger est la perte de repères que tout ce cirque entraine. C'est la sempiternelle histoire de l'enfant qui criait "au loup" pour s'amuser, et qui n'arrive plus à alerter la population lorsqu'un loup attaque vraiment. Au bout d'un moment, toutes ces indignations sonnent faux et perdent en crédibilité. On ne s'y intéresse plus, elles nous épuisent. Lorsqu'il se passera quelque chose de vraiment grave, tous les mots auront déjà été épuisés, et il ne se trouvera plus personne pour faire réagir. L'offre d'indignation, à force d'augmenter, dépasse ce qu'il nous est possible de recevoir, et forcément, ce déséquilibre fait en quelque sorte chuter le cours de l'indignation. Ce qui serait bien, ce serait que les journalistes politiques arrêtent de croire qu'une interview est réussie parce qu'un homme politique sort une petite phrase assassine en réaction d'une autre petite phrase assassine. Ce n'est pas éviter la langue de bois, c'est plomber le discours politique. Ensuite, on apprécierait si les hommes politiques eux-mêmes étaient capables de limiter leurs indignations aux vrais sujets importants. On doit pouvoir se parler calmement, c'est quand même plus efficace et intéressant.

mardi 15 février 2011

Et si tous les pays étaient riches ?

En fin de compte, l'une des chances des pays en développement est précisément leur pauvreté. Grâce au libre échange, leur main d'œuvre bon marché représente un avantage compétitif qui attire les industries. Si les pays développés perdent des emplois par les délocalisations, celles-ci fournissent un revenu à une population qui en manque désespérément. Les pays qui accueillent les délocalisations sont tellement attractifs qu'ils en connaissent une croissance économique forte, et les revenus qui en découlent se transmettent à l'ensemble de l'économie locale. Dans les pays qui sont à peu près sains, cela créé des opportunités pour les entrepreneurs locaux, pour une amélioration des formations, et in fine sur l'amélioration des condition de vie. Les salaires des ouvriers augmentent, ils travaillent de plus en plus pour des champions économiques locaux, qui à terme, doivent délocaliser leur propre production pour rester compétitif.

Le Japon, considéré comme un pays de productions bon marché après guerre, est devenu un concurrent redoutable pour les pays occidentaux dans les années 80. La Corée du Sud a suivi le même chemin, et arrive à vendre ses propres voitures et produits électroménagers à travers le monde aujourd'hui. La Chine est obligée de chercher sa main d'œuvre bon marché toujours plus à l'ouest, celle des premières zones industrielles proches des ports devenant de plus en plus aisée. Il n'est pas dit que la croissance des pays émergents dure toujours au même rythme : le Japon, une fois devenu la deuxième économie mondiale et ayant rattrapé les pays occidentaux, fut frappé par un net ralentissement dans lequel il se trouve toujours. C'est donc une sorte de point d'arrivée à atteindre. Cela risque de prendre du temps, mais on peut imaginer un monde dans lequel il n'y aurait plus de pays émergents, seulement des pays émergés. Qu'est-ce que cela changerait ?

A priori, pour un pays comme la France, ce ne serait pas une mauvaise situation. Si le coût de la main d'œuvre est finalement à peu près le même partout, l'intérêt de délocaliser s'évanouirait. Vu les coûts de transports, il serait même probablement raisonnable de rapatrier une bonne partie des industries qui ont quitté le pays. En plus, le haut niveau de vie de populations autrefois pauvres ouvrirait de nouveaux débouchés pour nos entreprises. Mais tout cela aurait également une répercussion immédiate pour tout le monde : l'impossibilité de faire fabriquer ses produits par des salariés payés à des tarifs vraiment ridicules provoquerait forcément une augmentation des prix. On arriverait donc rapidement à une inflation généralisée (dont on a en quelque sorte les prémices) qui saperait le pouvoir d'achat de l'ensemble de la population.

Si les pays industrialisés souffrent de la mondialisation du fait des délocalisations nombreuses, ils ne doivent pas oublier qu'ils en profitent également en bénéficiant de produits de consommation à prix très réduits. Au supermarché, un consommateur choisira le moins cher entre deux produits équivalents. Il tire là un gain qui se traduit par du chômage pour ceux dont les emplois sont délocalisés. Tant qu'il reste employé, le consommateur reste nettement bénéficiaire, puisque ses revenus seront peu impactés par son choix. En revanche, cela rend plus difficile la création d'emplois pour ceux qui n'en occupent pas. En conclusion, si tous les pays étaient riches, il y aurait probablement moins de chômage dans les pays occidentaux, davantage de chômage dans les pays actuellement émergents, et surtout des biens de consommations plus chers pour tous.

lundi 14 février 2011

Les futurs ministres socialistes

José Luis Zapatero est devenu Premier ministre à 43 ans. Tony Blair l'est devenu quelques jours avant ses 44 ans. Pour David Cameron, c'était à 43 ans également. Barack Obama est devenu Président à 47 ans. En voyant cela, bon nombre de hiérarques du Parti Socialiste s'énervent. Ils sont déjà plus âgés que ces exemples notables, et ils n'ont jamais été ne serait-ce que ministre. Ils désespèrent de voir le temps passer, et les opportunités d'occuper le pouvoir s'envoler. Il y a comme un problème de génération. En 1997, les anciens poids lourds de Mitterrand occupaient encore le premier plan, avec Lionel Jospin à Matignon. Mais les anciennes nouvelles figures des années 80 devenaient elles-mêmes les poids lourds de Lionel Jospin, avec Dominique Strauss-Kahn à Bercy ou Martine Aubry. A ce moment-là, de nouvelles têtes commençaient à nouveau à émerger. Normalement, en 2002, tout le monde aurait du avancer un cran. Ce n'est pas arrivé. Ce n'est pas arrivé non plus en 2007...

Du coup, alors qu'on continue toujours de parler de Dominique Strauss-Kahn et de Martine Aubry pour l'Elysée, les quadragénaires d'hier souhaitent désormais accéder eux-mêmes directement aux plus hautes responsabilités. Ils n'ont jamais été ministres, mais ils considèrent que le temps passé à l'Assemblée Nationale ou à diriger une collectivité locale leur a donné l'expérience nécessaire de l'Etat. Arnaud Montebourg est même allé jusqu'à renier ses propres combats contre le cumul des mandats pour prendre la tête du conseil général de Saône-et-Loire, afin de pouvoir dire qu'il a dirigé quelque chose dans sa vie. On retrouve donc beaucoup de monde aux primaires du PS, mais il n'y aura qu'un seul candidat. Ils gagneront néanmoins en poids politique, et ne refuseront certainement pas un quelconque portefeuille ministériel en cas de victoire. On peut alors essayer d'imaginer à quoi ressemblerait un gouvernement socialiste dans ce cas.

Ceux qui ont déjà été ministres sont les favoris dans les primaires. Si la gauche gagne, le Président et le Premier ministre seraient une combinaison parmi les noms suivants : Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry, Ségolène Royal. Et si Ségolène Royal arrivait à l'un de ces deux postes, il serait très étrange de voir François Hollande à un quelconque niveau dans le gouvernement, mais on ne peut jurer de rien. Ce serait surtout le moment de la grande distribution des postes, les récompenses attribuées après 10 ans d'attentes.

Arnaud Montebourg (48 ans actuellement) se verrait certainement bien en garde des Sceaux : il a toujours tout vu sous l'angle juridique, et s'amuse à jouer aux constitutionnalistes. Un choix plus sage serait André Vallini (54 ans), mais le poids politique compte lors de la composition d'un gouvernement. Grâce aux centre d'intérêts qu'il a montrés, Pierre Moscovici (53 ans) pourrait occuper le Quai d'Orsay. De même, l'insistance de Manuel Valls (48 ans) sur les questions de sécurité le placerait bien à l'Intérieur. En tant que professeur, Vincent Peillon (50 ans) serait facilement casé à l'Éducation Nationale. Quelqu'un comme Jean-Marc Ayrault (61 ans) aura dirigé le groupe socialiste à l'Assemblée Nationale pendant pas moins de quinze années, s'il ne veut pas du perchoir, il pourra prétendre à un ministère important également. Lui et Jean-Christophe Cambadélis, un autre ancien apparatchik du PS (59 ans), pourraient se partager par exemple les ministères des finances et des affaires sociales. A moins que ce dernier ne s'occupe de la Défense... Il faudrait également trouver des postes à Benoît Hamon (43 ans), Claude Bartolone (59 ans), Harlem Désir (51 ans) et peut-être à Julien Dray (55 ans). Et parmi les postes importants restants à répartir, il y aurait le ministère des transports, la présidence de l'Assemblée Nationale et la direction du Parti Socialiste.

On voit tout de même que l'on est pas dans le grand rajeunissement de la politique avec de telles personnalités. Ce sont essentiellement des quinquagénaires. Bien sûr, ces hypothèses ne tiennent pas compte de l'entrée de non socialistes au gouvernement, mais le poids des communistes et écologistes avait été en fin de compte très modeste dans celui de "Gauche Plurielle" en 1997. Le plus frappant dans ces hypothèses, et ce qui tend à les invalider, c'est l'absence de femmes parmi toutes ces personnalités politiques. Mis à part Martine Aubry (60 ans) et Ségolène Royal (57 ans) qui visent toutes deux l'Elysée, il n'y a que des hommes parmi tous ceux qui ont été au premier plan du PS depuis 10 ans. Est-ce parce qu'en proportion, peu de femmes ont souhaité afficher des ambitions personnelles fortes ?

Bien sûr, si Martine Aubry est Présidente et Ségolène Royal Premier ministre, la question ne se posera pas de la même façon. Mais toujours est-il que derrière elles, il n'y a que peu de femmes. En 2007, Ségolène Royal avait monté une jeune garde féminine, avec Aurélie Filippetti (37 ans) ou Najat Belkacem (33 ans). Elles pourraient évidemment accéder au gouvernement, mais pour avoir accès aux plus gros portefeuilles, elles devront bénéficier d'un coup de main face aux autres éléphants qui attendent depuis si longtemps un maroquin. Sur son site internet, le PS se targue que son secrétariat national est rajeuni et aux couleurs de la diversité. Mais ce n'est pas vraiment un lieu de parité hommes/femmes, puisqu'elles ne sont que 20 sur un effectif pléthorique de 65 secrétaires. En somme, le Parti Socialiste peut penser qu'il a une équipe prête à reprendre le pouvoir, mais le signal qu'enverra sa composition risque d'être un peu curieux.

samedi 12 février 2011

L'affaire Cassez vue du Mexique

Que dirait-on, en France, si nos tribunaux avaient condamnées définitivement un prévenu étranger à une peine longue de prison ferme, et que le gouvernement de son pays d'origine protesterait officiellement devant le notre à propos de cette décision judiciaire ? Eh bien nous ferions probablement un cours de séparation des pouvoirs, comme à chaque fois qu'une décision de justice est contestée. Cela arrive quand une personnalité politique critique une décision judiciaire. Cela arrive aussi quand un chef d'Etat africain se plaint au Quai d'Orsay de telle ou telle investigation judiciaire concernant une personnalité qui lui est proche. En bref, nous ne laisserions pas libre cours.

Alors pourquoi s'échine-ton à protester contre les décisions judiciaires qui concernent Florence Cassez, ressortissante française condamnée à plusieurs décennies de prison ferme au Mexique pour complicité avec un gang de kidnappeurs ? Elle a été condamnée par l'équivalent de la cour d'assises, en appel, et la sentence vient d'être maintenue par la cour de cassation. Elle est passée par toutes les étapes d'un parcours judiciaire tel qu'on peut le connaître en France. Bien sûr, ses soutiens peuvent penser que les décisions prises sont injustes. Mais la France, en plein maelström sur la qualité de sa justice, son indépendance et ses moyens, n'est pas vraiment en bonne position pour donner des leçons au monde.

La vraie question est plutôt : le Mexique est-il une démocratie ? Si la réponse était non, peut-être faudrait-il appeler à une démocratisation rapide du pouvoir, comme on l'a récemment fait pour l'Egypte. Mais la réponse est évidemment oui. Les élections sont libres et non truquées, l'élection très serrée du Président actuel, Felipe Calderon, le montre. Sa Constitution est plus ancienne que la notre et fonctionne bien depuis près de cent ans (elle date de 1917). Elle respecte d'ailleurs la séparation des pouvoirs. C'est donc une évidence, le Mexique a donc toute légitimité pour s'occuper de lui-même.

Dès lors, ce n'est pas le rôle du gouvernement français d'essayer d'influencer les décisions judiciaires mexicaines. On le lui reproche quand il essaye de le faire en France, on doit donc encore plus lui reprocher quand elle essaye de le faire dans un pays étranger. Il est incompréhensible pour le reste du monde que la France critique le fonctionnement démocratique d'autres pays. Le Mexique peut donc parfaitement se sentir outragé qu'il y ait de tels coups de menton dans l'affaire Cassez. Le sempiternel cliché du Français arrogant qui a cours à travers le monde se voit là une fois encore parfaitement confirmé. Chercher à humilier le Mexique en annulant les célébrations qui étaient proclamées en son honneur cette année entraînera une réaction encore plus forte de sa population à notre égard, et ce serait parfaitement justifié. Nous gagnerions bien davantage à arrêter à nous croire supérieur aux autres, à afficher davantage d'humilité et à nous concentrer sur la correction de nos propres défauts. Rappeler notre ambassadeur au Mexique créé donc une crise diplomatique inutile, dont le seul résultat sera de voir l'ambassadeur mexicain en France rappelé en retour. Car une chose est certaine, Florence Cassez ne bénéficiera aucunement d'une dégradation de nos relations avec le Mexique.

jeudi 10 février 2011

La domination culturelle américaine

Qui dirige la Suisse ? Rares sont ceux habitants en France qui arriveraient à répondre correctement à cette question. Ce pays voisin, en partie francophone, n'est quasiment jamais cité dans l'actualité. On en entend parler à l'occasion de tel ou tel référendum, ou bien lorsque la question de son système bancaire arrive sur le tapis. Mais aucun nom n'est vraiment connu. Il y aurait probablement plus de monde capable de répondre à la même question, concernant cette fois-ci la Belgique, mais quand bien même la Belgique aurait un gouvernement de plein exercice, on peut penser qu'il n'y aurait pas la moitié de la population française pour y répondre correctement. Mais dans les régions francophones de la Suisse et de la Belgique, l'actualité politique française est bien connue. D'une manière générale, la vie culturelle française déborde largement sur ses voisins, les journaux l'abordent largement, les chaînes de télévision diffusent les premières des fictions française avant TF1 ou France 2 et nos artistes n'oublient pas de faire quelques concerts dans leurs villes les plus importantes.

Du point de vue culturel, la France domine donc la Wallonie et la Suisse Romande. Et c'est exactement de la même façon que l'Europe est culturellement dominée par les Etats-Unis. C'est difficile de le contester, il y a une asymétrie complète dans les échanges d'informations entre les deux côtés de l'Atlantique. Nos journaux ne sont pas avares en reportages, et à sa très modeste échelle, ce blog même traite de ce pays fréquemment. Ici, tout le monde connait bien sûr Barack Obama. Mais on entend aussi parler abondamment des résultats de élections de mi-mandat, du Super Bowl, des incendies en Californie... et ce n'est que l'aspect actualités. Car au niveau productions culturelles, l'Amérique écrase l'Europe que ce soit sur les films, les séries télé ou la musique. Le fait qu'on ait du mettre en place des quotas est bien un aveu de faiblesse.

Aux Etats-Unis, on entend très peu parler du reste du monde. Bien sûr, les grands événements comme le tremblement de terre à Haïti ou la révolution égyptienne sont couverts en profondeur. Mais pour ce qui est de l'actualité quotidienne, les principaux chefs d'Etat européens sont assez rarement abordés, généralement à l'occasion des rencontres avec le Président américain. L'actualité sportive européenne (comme la finale de la Ligue des Champions) n'est bien sûr jamais mentionnée, mais le reste ne l'est pas plus. Les films européens distribués à grande échelle aux Etats-Unis se comptent sur les doigts, la musique européenne qui traverse l'Atlantique n'est chantée qu'en anglais, et au niveau télé, rien ne passe.

L'Amérique domine donc l'Europe de la même façon que la France domine la Wallonie. Avec ses 500 millions d'habitants, l'Union Européenne a pourtant plus de population que les Etats-Unis. Mais les pays européens sont paradoxalement assez isolés des uns des autres. Cela se sent dans les informations qui traitent des pays limitrophes, mais aussi dans les productions culturelles. S'il y a bien des échanges à ce niveau-là, ils restent limités, alors que tous sont inondés de productions américaines. Certains le déplorent, mais on peut surtout voir cela comme un terrain d'opportunités. Cela veut dire qu'il y a encore beaucoup à faire dans les coproductions européennes, ou bien dans la distribution de productions audiovisuelles entre les pays du vieux continent. Si nous produisions des films vraiment spectaculaires par exemple, le marché américain s'ouvrirait forcément davantage. Cette domination culturelle n'existe que parce que nous ne la défions pas.

mercredi 9 février 2011

Un pacte de compétitivité à la sauce allemande

On pourra dire ce qu'ont veut sur les relations franco-allemandes, mais ces derniers temps, elles ont l'air de plutôt bien fonctionner. Voilà de nombreux mois maintenant (peut-être plus d'un an) que les deux gouvernements travaillent main dans la main, qu'ils évitent soigneusement les conflits et arrivent à parler d'une même voix devant leurs partenaires européens. Et on pourra dire ce qu'on veut sur la personnalité de Nicolas Sarkozy, souvent décrié comme fantasque ou arrogant, mais dans la relation franco-allemande actuelle, il s'avère très pondéré, ne cherchant pas à imposer systématiquement son avis à Angela Merkel. En fait, c'est même plutôt elle qui semble contrarier les autres. En témoigne le dernier projet qu'elle a inspiré, un pacte de compétitivité pour les pays de la zone euro.

La création d'une monnaie unique sans politique économique commune a souvent été décriée. Le pacte de stabilité et de croissance prévu dans le Traité de Maastricht devait fournir les bases d'une telle politique, basée sur la rigueur budgétaire. Or plusieurs pays n'en ont pas tiré les conséquences, la France la première. Pour ceux qui se trouvent dans les situations les plus graves actuellement, l'euro leur a permis d'emprunter à des taux inférieurs que ce qu'ils auraient obtenus s'ils avaient gardé leur ancienne monnaie. Aujourd'hui, ils sont surendettés, et face aux menaces de faillites, c'est l'Allemagne qu'on appelle pour les renflouer. Une Allemagne qui bon an mal an est toujours resté plus proche d'une gestion rigoureuse qu'une bonne partie des pays européens. Et elle ne se porte d'ailleurs pas plus mal de cette gestion rigoureuse : aujourd'hui, ses fondamentaux sont à nouveau nettement dans le vert, et le pays semble avoir digéré les impacts tant de la réunification que de la crise financière. Elle a donc une grande légitimité pour expliquer aux autres ce qu'il faut faire.

Et de fait, ce pacte de compétitivité n'est autre qu'un kit de politique allemande à l'usage de ses voisins. On parle ainsi de hausse de l'âge de départ à la retraite, désindexation des salaires sur les prix, insistance sur la recherche et développement, inscription de la recherche de l'équilibre budgétaire dans les Constitutions, convergences des taux d'imposition sur les sociétés, etc. Bien sûr, pour l'instant, c'est d'autant plus flou que personne ne semble avoir vraiment commencé à travailler dessus. Et beaucoup de gens se mettent déjà en rang de bataille pour lutter contre ce projet. Mais faut-il en rejeter le principe ?

Il faudra voir à quoi il ressemblera effectivement. Et les autres pays peuvent en effet s'inquiéter de l'impact que cela aura concrètement. Néanmoins, dans le cas de la France, cela s'apparente à une bonne chose. La faiblesse de l'industrie française est un vrai problème, qui se traduit par un manque d'investissement, un chômage élevé, une faible compétitivité à l'international. Pendant ce temps, la croissance française ne repose que sur la consommation, une consommation qui se fait globalement à crédit (l'argent injecté par le gouvernement dans l'économie est tout simplement emprunté dans des proportions dramatiques). L'assainissement des comptes publics est de toute façon une étape obligatoire pour la France. Pourquoi ne pas en profiter pour s'aligner sur l'Allemagne sur certains aspects ? Ce n'est pas comme si notre modèle avait grand chose dont on peux être fier. Ses résultats sont non seulement particulièrement médiocres, mais aussi non durables sur le très long terme. Le gouvernement français sera donc bien inspiré de commencer à appliquer ce genre de mesures avant même qu'un tel pacte soit adopté, car cela pourrait bien prendre bien du temps.

mardi 8 février 2011

Le faux prétexte de la hausse de la TVA sur la télé en ligne

Lorsqu'il y a six mois, le gouvernement fut amené à relever le taux de la TVA sur les services de télévision en ligne, les fournisseurs d'accès à internet (FAI) se sont immédiatement insurgés, l'un d'entre eux (Free) allant même jusqu'à parler de "taxe Baroin-Sarkozy". Les FAI se sont tour à tour plaints de la charge colossale que cela représentait, et qu'ils seraient poussés à augmenter nettement le prix de leurs tarifs. Probablement dans un but de lobbying (faire peur aux consommateurs pour qu'ils se retournent vers le gouvernement), ils parlaient d'augmentations très nettes (supérieures à 3 euros), alors que Bercy affirmait que cela ne pouvait décemment dépasser deux euros.

C'est en fait mathématique. A la base, les FAI partaient du principe que les services télévisés représentaient la moitié du prix, quand ils ne formaient qu'une petite part des coûts. Dans ce cas, le prix du forfait triple play emblématique de 29,90 € découlait de la formule suivante : 1,196y +1,055y =29,90. Chaque moitié du service (la télévision d'une part, l'accès à internet et la téléphonie fixe d'autre part) avait donc un coût HT de 13,28 € environ. Avec l'unification du niveau de TVA, le nouveau prix devait donc être de 2 x 1,196 x 13,28 = 31,77 €. Toute hausse supérieure ne serait qu'une augmentation des prix pour augmenter la marge.

Ces hausses de tarifs représentent un changement des conditions commerciales, et donc une opportunité de rompre son contrat. Cela fut mis en avant par des associations de consommateurs telles que l'UFC-Que Choisir, et encouragea les FAI à limiter leurs hausses. Le nouveau tarif du triple play se stabilise à 31,90 €, soit 13 centimes d'augmentation de marge par mois. 1,52 € de gain par abonné et par an, comme il y a des millions d'abonnés, ce n'est pas négligeable. Cette modération dans les augmentations est une conséquence de la concurrence existante. Dans la téléphonie, les opérateurs ont même décidé de ne pas augmenter du tout leurs tarifs.

Mais en creusant plus profondément, il s'avère que toute cette affaire est scandaleuse, et ce à plusieurs niveaux. Le taux de TVA réduit sur les services de télévision ne date que de mars 2007, il avait été mis en place par le ministre de la Culture de l'époque Renaud Donnedieu de Vabres, dans le cadre de la loi "Télévision du futur". A l'époque, aucun tarif n'avait diminué pour l'occasion, alors que les gains étaient très importants pour les opérateurs. Ensuite, ce taux avait été appliqué à tort et à travers. Sur une part bien trop importante des forfaits du triple play, sur une proportion difficile à connaître des forfaits de téléphonie mobile... tout cela s'apparentait bien à une façon de truander le fisc. Car le pire, c'est que la hausse des tarifs est désormais aussi appliquée à des services d'accès à internet qui ne fournissaient même pas la télévision.

En conséquences, toutes ces hausses ne sont absolument pas justifiées, et révèle une double arnaque. Arnaque à la fiscalité d'une part, entre 2007 et 2010, où par des artifices comptables fallacieux, FAI et opérateurs mobiles ont économisé des sommes importantes en TVA, sans bien sûr en faire bénéficier le consommateur d'une quelconque façon. Arnaque des consommateurs d'autre part depuis début février, où la suppression de cette possibilité est plus que répercutée sur les abonnés, l'arnaque se faisant désormais à leurs dépends plutôt qu'à ceux de l'Etat. Dans cette affaire, les consommateurs n'ont jamais été gagnants, les FAI étaient et restent des coupables.

lundi 7 février 2011

Un candidat radical ?

La sortie de Jean-Louis Borloo du gouvernement a pu surprendre (il y était depuis huit ans), mais elle s'explique très bien. Il avait accompli ce qu'il voulait aux postes qu'il avait occupé, sauf un grand plan de politique générale. Cela supposait qu'il reste longtemps à Bercy ou qu'il atteigne Matignon, deux choses qui ne lui ont pas été accordé. Une troisième alternative est bien sûr de prendre l'Elysée. Ministre d'Etat pendant plusieurs années, il a le parcours qu'il faut pour devenir Premier ministre, et chaque premier-ministrable majeur est également un présidentiable de second rang. En l'occurrence, la candidature à la Présidence pourrait bien n'être qu'une manœuvre pour gagner en poids politique. Le désarroi dans lequel les centristes se trouvent actuellement lui ouvre quelques perspectives intéressantes. Jean-Louis Borloo a quelques atouts en sa main. Déjà, son absence du gouvernement le protège grandement d'attaques violentes comme celle que subit Michèle Alliot-Marie en ce moment. Sa longue présence au gouvernement fait qu'il est bien connu de tous, mais il peut encore se présenter comme une solution alternative. Il a aussi son propre parti, le Parti radical, le plus vieux parti de France, qui bien que loin de ses anciens jours de gloire, conserve toujours une présence certaine sur le territoire.

Jean-Louis Borloo n'a connu le Parti Radical que sur le tard. En fait, le Parti Radical est toujours resté assez solide, mais manquait de têtes d'affiches. Celles-ci viennent donc se greffer à lui, chacun y trouvant son compte, pour peu qu'ils soient compatibles au niveau des valeurs. C'était le cas de Jean-Jacques Servan-Schreiber en 1969, mais encore aujourd'hui, des personnalités comme Jean-Louis Borloo, Rama Yade ou Yves Jégo ont rejoint d'authentiques radicaux tels qu'André Rossinot, Laurent Hénart ou François Loos.

Un autre parti suit aussi exactement la même stratégie. Et pour cause. C'est le Parti Radical... de gauche. Constamment maltraité par le Parti Socialiste (alors que le Parti Radical valoisien, celui de Jean-Louis Borloo était parti prenante dans l'UDF puis l'UMP), les radicaux de gauche hésitent entre se voir accordé des miettes en cas d'alliance électorale avec le PS, et faire des scores très faibles en solo. Les deux stratégies sont utilisées avec alternance. Les radicaux de gauche avaient connu le succès en recrutant Bernard Tapie en 1994, puis l'échec avec l'étrange candidature de Christiane Taubira en 2002, mais aujourd'hui, ils sont à nouveau dépourvus de tête d'affiche.

En fait, la division du Parti Radical, qui a eu lieu au début des années 70 du fait de la nécessité de faire un choix entre des candidats à la présidentielle, reste assez artificielle sur le fond. Les deux héritiers gardent les mêmes idées : profondément laïque, favorable à la construction européenne, hostile au communautarisme et enclin à un certain équilibre en matière économique. Au Sénat, ils siègent dans le même groupe. La tentation est donc grande de réunir ces deux partis, et c'est qu'essaie de faire Jean-Louis Borloo depuis quelques années. Il pourrait ainsi être le candidat de tous les radicaux.

C'est possible, mais ça reste peu probable. Comme pour François Bayrou en 2007, une candidature purement centriste rencontrerait un obstacle majeur : la nécessité de faire un choix entre la gauche et la droite s'imposera à un moment ou à un autre. Et cette question n'a rien d'anodine pour les radicaux, puisque c'est précisément celle qui les a séparé pendant 40 ans. Actuellement, les radicaux valoisiens sont en position de force, mais pour la plus grande partie des militants des radicaux de gauche, se considérer comme étant gauche restera toujours comme une satisfaction morale supérieure. Pour tous ceux-là, l'alliance avec la droite résonnera comme la marque de la trahison. Jean-Louis Borloo pourra donc tenter le coup, mais il ne faudra pas qu'il y compte trop.

dimanche 6 février 2011

Le rapport de la Commission d'Enquête sur la Crise Financière

En mai 2009, le président américain Barack Obama a créé une commission d'enquête chargée d'enquêter sur les origines de la crise financière qui a frappé les Etats-Unis puis le monde. Celle-ci fut formée sur des bases bipartisanes, chaque parti ayant à nommer des membres la composant. Les leaders de la majorité démocrate au Sénat et à la Chambre eurent à en nommer trois chacun, ceux de la minorité démocrate deux, soit dix membres en tout. Leur rapport a été publié il y a une dizaine de jours. Il est très long (dans les 600 pages), mais alors que les raisons de la crise ont été contestées de part et d'autres, les conclusions qui sont présentées dès le début sont très tranchées. "Nous concluons que la crise financière était évitable" peut-on y lire. La bulle immobilière était anormale et malsaine, les taux d'intérêts trop bas (Alan Greenspan, autrefois déifié pour son travail à la tête de la Fed, a un bilan bien plus mitigé aujourd'hui), et surtout, la déréglementation continue depuis de nombreuses années a permis l'émergence d'un système où plus personne comprend bien ce qu'il se passe, où les transactions à très court terme sont traitées automatiquement par des algorithmes et des ordinateur, où les produits financiers sont tellement sophistiqués que rien n'est vraiment contrôlé par qui que ce soit.

Tout cela a provoqué une forte augmentation des prises de risques, soigneusement cachées par des montages. Les agences de notation se sont montrées à cette occasion inefficaces, certifiant "sans risque" des produits financiers particulièrement douteux. Ces prises de risques, financées par l'emprunt, ont permis la contamination du risque à toutes les institutions, d'où la contagion rapide et l'ampleur de la crise. L'incapacité des autorités à prévenir puis à à contrecarrer les premiers effets de cette crise est alors forcément fatal. La politique immobilière d'accession à la propriété menée via les instituts de crédit Fanny Mae et Freddy Mac est aussi en cause, étant bien placée dans les causes premières.

Le rapport est long, mais bien écrit, dans un style facile à lire, multipliant faits et anecdotes. Mais une surprise attend le lecteur à la fin : la présence d'opinions discordantes, délivrées à part du propos principal. Deux textes dont les auteurs ne sont autres que les quatre membres de la commission qui avaient été nommés par les républicains. Cela veut tout simplement dire que si la commission était bipartisane, le rapport, lui, ne l'est pas. Le rapport est la conclusion des démocrates (puisqu'ils étaient alors majoritaires au Congrès), les républicains ont eux une vision bien plus économiquement libérale de la crise. En quelques mots : d'abord, la bulle était selon eux difficile à détecter. En effet, à chaque éclatement de bulle on souhaite pouvoir identifier les prochaines bulles a priori, mais on n'y arrive jamais. Ce serait la preuve que ce n'est pas possible. Ensuite, la faute est immédiatement (et presque entièrement) placée sur la politique d'accession à la propriété des plus modestes, intervention étatiste dans l'économie aux effets pervers. Enfin, il n'y aurait selon eux aucune preuve de l'impact de la déréglementation dans la crise financière.

Bien sûr, l'intérêt de ce rapport demeure, par la présence de faits précis et d'analyses poussées sur la finance de chaque côté. Mais le fait que démocrates et républicains soient chacun restés sur leurs positions, interventionnistes d'une part, libérales d'autre part, fait que cette commission n'aura pas totalement atteint son but. Comme les leçons tirées sont immédiatement mises en doute, il ne peut y avoir ni de certitude, ni sur le passé, ni sur ce qu'il faut faire. Néanmoins, les arguments déployés restent légitimes et intéressants.

jeudi 3 février 2011

Le vrai problème de la Wallonie

Après plus de 230 jours, la Belgique n'a toujours pas réussi à constituer de vrai gouvernement. Aujourd'hui, le roi a souhaité que le gouvernement sortant prépare un budget, bien qu'il n'ait pas de majorité établie au Parlement. Wallons et Flamands n'arrivent pas à s'entendre sur le degré d'autonomie des régions, et en particulier sur le sort des communes limitrophes de Bruxelles, francophones, mais situées en territoire flamand. En quelque sorte, en prévision d'un divorce, c'est de la garde des enfants dont il est question (en l'occurrence, Bruxelle et sa périphérie). En Flandre, les néerlandophones multiplient les actes hostiles à l'installation de Wallons sur le territoire, parfois même au niveau institutionnel. Sous l'influence de partis politiques nationalistes forts, c'est une politique à la limite du racisme qui a lieu, une intolérance étonnante car les mêmes sont les premiers promoteurs de l'intégration européenne. Les Flamands veulent la séparation, et feront tout pour.

Mais on peut aussi regarder l'envers de la chose. Dans les causes de tout cela, il y a bien sûr un ressentiment fort envers les humiliations vécues ou ressenties de la part des Wallons, autrefois dominants. C'est un peu un jeu malsain où celui qui est majoritaire aujourd'hui veut faire payer de la même manière les mauvais comportements subis lorsqu'il était minoritaire. Mais il y a d'autres données qui maintiennent cette coupure vive. Si de nombreux Flamands parlent français, rares sont les Wallons à parler le flamand. Forcément, cela complique les relations, et donne aux Flamands le sentiment que les Wallons ne prennent jamais la peine de faire l'effort que eux sont prêts à consentir.

Mais au delà de ça, le pays est aussi nettement divisé économiquement parlant. Alors que la Flandre sont prospères, la Wallonie est durement touchée par le chômage et les difficultés économiques. En conséquence, la Wallonie a besoin de forts transferts financiers de la part de la Flandre, ce qui est au fil des années, est encore une fois très mal vu. Les Flamands se demandent pourquoi la Wallonie n'arrive pas à faire les réformes sociales qui rendraient à nouveau cette région compétitive, et pourquoi la Flandre devrait être celle qui devrait payer pour ça. Et en fait, cette question est tout à fait pertinente.

Il y a un problème d'état d'esprit en Wallonie. Il n'est pas si différent de celui de la France, mais lorsqu'on peut le comparer si facilement à celui d'entrepreneur de la Flandre, il devient manifeste. La Wallonie se complait depuis des décennies dans le traitement des effets du chômage, sans s'attaquer vraiment à ses causes profondes. Alors que la Flandre a des gouvernements libéraux ou de centre droit la plupart du temps, la Wallonie enchaînent les gouvernements de gauche. Le Parti Socialiste est ainsi à la tête de la région wallonne depuis 1979, mis à part trois années dans les années 80. Cette politique a des effets nocifs sur la santé économique de la région, mais la population wallonne continue d'apporter sa confiance aux mêmes personnes qui l'enterre malgré tout à grand coup de générosité. Quelques personnes suggèrent que la Wallonie pourrait être rattachée à la France, mais celle-ci la voudrait-elle dans cet état ? Même si ce n'est pas pour plaire à la Flandre, la Wallonie aurait en fait tout intérêt pour elle-même à changer nettement de direction dans la gestion de ses affaires courantes. Cela passe par une prise de conscience des Wallons.

mercredi 2 février 2011

Supprimons le régime des intermittents du spectacle

Le quotidien économique Les Echos a révélé il y a quelques jours que 105 826 personnes ont été indemnisées par le régime des intermittents du spectacle, ils ont touché 1,276 milliard d'euros, alors que les cotisations s'élevaient à 223 millions d'euros. D'où un déficit de plus d'un milliard d'euros. Le régime de chômage des intermittents du spectacle n'est donc financé qu'à 17 %, laissant place à un trou béant dans les finances publiques. Du côté de l'Etat, on est pourtant prêt à ce que cela perdure. Il y a bien eu deux réformes en 2003 et 2007, mais si elles ont créé beaucoup d'agitations de la part des intermittents, elles n'ont rien changé concrètement. La Fédération CGT du Spectacle se dit elle prête à une nouvelle "véritable réforme", mais c'est en fait la question de l'opportunité du maintien de ce régime qui se pose.

En effet, quelle est la raison d'être du régime des intermittents du spectacle ? Avec aussi peu de cotisations par rapport aux indemnisations, il est peu probable qu'une quelconque réforme le mette à l'équilibre. Cet énorme déficit est donc d'ordre structurel. Cela veut aussi dire qu'il est voulu. Ce serait un moyen pour l'Etat de financer la politique culturelle en renflouant annuellement ce trou. D'après les intermittents eux-mêmes, ces indemnisations généreuses serait un moyen pour faire financer par la collectivité les répétitions et permettre des périodes d'inactivité aux artistes. Sauf que le régime des intermittents est loin de ne financer que les artistes.

Dans les chaînes de télévision, la très grande majorité de ceux qui assurent les tâches de production bénéficient du régime des intermittents. Caméramans, preneurs de son, infographistes... tous sont intermittents. Des entreprises stables usent et abusent quotidiennement du régime des intermittents, qui permet de diminuer leurs coûts, et qui est aussi très arrangeant pour les employés. Le seul grand perdant, c'est la collectivité qui finance tout cela indistinctement, soit le plus grand nombre. Et même dans les spectacles vivants, pourquoi les répétitions ne seraient-elles pas payées par le producteur, alors que cela fait partie du travail ?

Le régime des intermittents du spectacle est une spécificité française. Dans les autres pays, être acteur ou infographiste est un métier comme un autre, donc obéissant aux mêmes contraintes, et bénéficiant des mêmes droits. Ce déficit structurel est trop lourd pour pouvoir être pris en charge par l'Etat indéfiniment. Des négociations entre patronat et syndicats commencent sur l'assurance chômage, le gouvernement devrait en profiter pour annoncer qu'il ne renflouera plus ce déficit. Il y aurait alors de grande chances que cela signe l'arrêt de ce régime. Evidemment, reversés dans le régime général, ceux qui étaient autrefois intermittents représenteraient probablement encore un coût, mais au moins celui-ci serait largement moins important.

mardi 1 février 2011

Mélenchon ou le retour de la violence en politique

La scène se passe au Parti de Gauche. Deux caméras sont braquées sur Jean-Luc Mélenchon. Il a un micro cravate accroché à la chemise, et un micro perche au dessus de sa table. On lui montre un extrait du journal télévisé de France 2, où des syndicalistes mettent à sac les locaux de leur entreprise. David Pujadas pose des questions sur la légitimité de ces actes au leader CGT local. "Salaud !", "larbin !", tels sont les mots dont Jean-Luc Mélenchon se sert devant les caméras pour qualifier le journaliste. Il est coutumier de ce cette façon de s'exprimer basée sur l'insulte et le mépris. En titrant son livre "Qu'ils s'en aillent tous !", il montre en effet jusqu'à quel point il se considère supérieur à tous les autres. Il est peu probable en effet qu'il montre l'exemple en s'en allant le premier. D'une manière générale, ceux qui ne pensent pas comme lui ne risquent pas de trouver grâce à ses yeux.

Cela pose problème, car cela rend le débat politique bien plus compliqué. Comment, en effet, discuter avec des gens qui ne montrent que mépris et lancent les insultes facilement, lorsque apparaissent des désaccords ? L'insulte, le mépris, ou la censure, voilà l'alternative, le sort réservé explicitement à celui qui osera disconvenir face à la parole mélenchonniste. C'est d'autant plus regrettable que ce genre de procédés n'incite pas de bienveillance en retour, et pousse surtout à l'appauvrissement de la discussion. Sans être vraiment surpris, on y retrouve les techniques oratoires traditionnelles de l'extrême gauche.

A la base, il y a avant tout le manichéisme. Le camp défendu l'est toujours, malgré tout, car il a toujours raison, et les autres ont en conséquence toujours tort. De ce fait, tout acte douteux ou scandaleux se trouvera parfaitement justifié, au pire en affirmant que c'est le résultat de l'opposition hostile dont ce camp est la victime. Enfin, cette opposition est très mal comprise. Elle sera considérée comme un manque d'informations, ou bien comme le résultat d'une détestable malhonnêteté. Dans les deux cas, cette opposition sera refusée, disqualifiée d'un revers de main. D'où le mépris, l'insulte et la censure.

C'étaient les façons de faire des communistes il y a quelques décennies. Le quotidien L'Humanité défendait le Parti Communiste Français et l'URSS envers et contre tout. L'URSS elle-même procédait ainsi de façon étatique. Si un dissident avait une bonne image, et ne pouvait à ce titre être conspué facilement, il était envoyé à l'asile. Ne pas arriver à comprendre la supériorité du système soviétique était alors vu comme une marque de folie, et le dissident, parfois éminent scientifique, était envoyé chez les fous. Si le dissident ne bénéficiait pas de telles marques d'estime, il était supprimé plus brutalement, en étant envoyé dans les goulags. Mais dans les deux cas, l'expression est censurée. La propagande d'Etat se chargeait d'expliquer la vision des autorités, et de condamner celles dissidentes si jamais elles étaient reconnues.

Jean-Luc Mélenchon a quitté le Parti Socialiste pour créer le Front de Gauche avec le Parti Communiste. A la suite de la chute de l'empire soviétique, ce dernier avait beaucoup moins d'espaces d'expressions, car il est totalement discrédité par l'Histoire. Mais à travers Jean-Luc Mélenchon et le Front de Gauche, on retrouve toute cette violence qui habitait la vie politique jusque dans les années 70. La violence verbale d'une part, à travers les discours tenus par Jean-Luc Mélenchon et ses militants. La violence physique d'autre part, légitimée lorsqu'elle est qualifiée d'"action syndicale". Dans les deux cas, c'est une évolution funeste. Mais ce n'est pas étonnant de la part de Jean-Luc Mélenchon, qui a seulement trouvé un porte-voix plus puissant en s'éloignant du Parti Socialiste. On peut d'ailleurs se demander ce qu'il y faisait jusque là...

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