Réflexions en cours

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mardi 31 mai 2011

Le Cachemire, l'autre poudrière mondiale

Le conflit israélo-palestinien est souvent considéré comme déstabilisateur pour l'ensemble du proche orient, et par extension, pour le monde entier. Les relations entre l'occident et le monde arabe dépendent en grande partie de celles entre Israël et de ses voisins. Ce n'est donc pas par pur altruisme que les Etats-Unis et l'Europe tentent régulièrement de faire avancer la paix dans cette région : une plus grande stabilité au proche orient leur serait également bénéfique à terme. Néanmoins, ce n'est pas la seule zone de crise qui soit importante au niveau mondiale.

En occupant l'Afghanistan, les alliés cherchaient à mettre à mal le terrorisme islamique qui y avait trouvé refuge. Assez rapidement, celui-ci s'est déplacé vers le Pakistan, comme l'a montré la présence d'Oussama Ben Laden. Bien avant l'intervention armée contre celui-ci, le Pentagone avait parfaitement conscience que le théâtre d'opération critique n'était pas l'Afghanistan, mais le Pakistan. Ce pays, très peuplé, n'est pas loin de l'anarchie. Bien que disposant d'un Président de la République élu, Asif Ali Zardari, pas grand chose n'a changé par rapport à l'époque où Pervez Musharraf : dans les faits, c'est toujours l'armée qui dirige. Celle-ci a un poids totalement disproportionné qui n'est justifié que par la hantise d'une guerre avec l'Inde. Les hostilités entre hindous et musulmans avaient entraîné la séparation de l'Inde et du Pakistan lors de la décolonisation. Dès cette époque, le cas de la région du Cachemire avait posé problème. Alors que les deux pays étaient encore dans l'expectative quant au tracé définitif des frontières, des forces pakistanaises ont envahi cette région, puis les forces indiennes ont contre-attaqué. La frontière actuelle reste essentiellement la ligne de front de l'époque, mais chacun revendique l'intégralité de la région.

Plusieurs guerres après, l'Inde et le Pakistan se font toujours face, et se méfient toujours autant l'un de l'autre. Rien que ce fait est assez inquiétant, vu qu'ils disposent tous deux de l'arme nucléaire, ce qui établit les principes d'une guerre froide à bout portant. Mais cela n'est pas tout. L'armée pakistanaise, obsédée par l'Inde, néglige totalement la menace fondamentaliste islamique. Le Président Asif Ali Zardari a beau expliquer que le Pakistan est victime du terrorisme, lui-même ayant perdu sa femme Benazir Bhutto dans un attentat, il s'avère que l'Etat joue à double jeu sur la question d'Al Qaida et des talibans. Par exemple, le Pakistan n'a pas forcément intérêt à s'engager pour un Afghanistan stable. Etre trop allié des Etats-Unis pourrait s'avérer un handicap lorsque ceux-ci partiront de l'Afghanistan. Et surtout, le Pakistan se méfie de l'ethnie tadjik, du nord de l'Afghanistan, qui s'oppose aux talibans, et qui est considérée comme proche des Indiens. En comparaison, les Pachtounes sont beaucoup plus sûrs en cas de nouveau conflit avec l'Inde.

En fin de compte, toutes les analyses sur l'Afghanistan amènent la question du Pakistan, et toutes les analyses sur le Pakistan amènent la question de l'Inde et du Cachemire. La conclusion tombe d'elle-même : pour désamorcer cette poudrière mondiale, il faudrait trouver un moyen pour que le Pakistan et l'Afghanistan s'engagent pour une paix durable et sans arrière pensée. Pour commencer, il faudrait mettre de côté toutes les hostilités religieuses, ce qui n'est pas une mince affaire. Mais il faudrait surtout une vraie issue sur le Cachemire. Vu comment on arrive à rien sur la Palestine, il n'y a pas de quoi être optimiste sur ce dossier là.

Idéalement, il faudrait que les habitants des différentes provinces du Cachemire décident du pays auquel ils veulent être attachés, conformément au principe d'auto-détermination. Hors vu qu'ils sont très majoritairement musulmans, une telle solution est rejetée par l'Inde. Un pis-aller serait tout simplement de transformer la ligne de séparation entre les deux pays comme frontière définitive, et de demander aux deux pays d'abandonner leurs revendications sur l'autre partie. Après tout, les deux morceaux sont d'une taille comparable, c'est un peu la solution "on fait moitié-moitié". L'urgence est bien de mettre fin à cette éternelle suspicion qui les handicape mutuellement, et rend le monde entier plus instable. Il faudrait pour cela de la bonne volonté. Seulement que ferait ensuite une armée pakistanaise obèse privée de sa raison d'être ? Quoi qu'il en soit, le problème reste épineux, mais au vu de ses implications, la communauté internationale serait légitime pour demander tenter de faire avancer les choses. Dans une telle situation, une réussite du "soft power" aurait de formidables répercussions à très long terme.

dimanche 29 mai 2011

Le nombre de licences de taxi

Cette semaine, les taxis ont manifesté leur colère en organisant des "opérations escargots" dans plusieurs villes de France. Ils veulent recommencer, quitte à tout bloquer d'ici quelques semaines. Ils l'ont déjà fait, et en sont donc capables. De fait, le lobby des taxis est réputé pour son pouvoir de nuisance. Cette fois-ci, les revendications sont assez classiques. D'une part, l'augmentation du prix de l'essence devient une charge intolérable, et ils aimeraient pouvoir bénéficier d'une exonération de la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers). D'autre part, ils souhaitent davantage de réglementation, pour ne plus souffrir la concurrence de nouveaux venus : des voitures avec chauffeurs réservables par internet, qui ne sont pas comptabilisés comme taxis. Plus de réglementation, voilà qui n'est pas conforme avec l'air du temps. En effet, en 2008, la commission Attali pour "libérer la croissance" avait fait de nombreuses propositions relatives à cette profession, et elles allaient globalement dans le sens de la dérégulation. Cela avait d'ailleurs provoqué leur colère.

La commission Attali préconisait une ouverture du marché des taxis et des "voitures de petite remise", afin d'augmenter leur nombre, créer des emplois et mieux répondre à la demande. Les chauffeurs de taxis, eux, considèrent qu'une telle mesure augmenterait la concurrence, et réduirait leurs revenus, alors que leurs charges sont très élevés. Le nombre de licences données chaque année étant extrêmement limité, la plupart doivent en acheter une, et les prix deviennent vite prohibitifs en agglomération. C'est alors un emprunt qu'il faut rembourser, et également un actif au moment de la sortie de l'activité. Les taxis ont beau être protégés de la concurrence par ce système, ils n'en doivent pas moins travailler de très longues heures pour générer un gain acceptable. C'est également le cas lorsqu'un chauffeur doit louer une licence, ou est salarié : il faut rembourser l'investissement initial.

En fait, c'est tout le système de licences cessibles qui est à revoir. Les métiers dont l'établissement dépendent d'une charge, comme les notaires ou les taxis, favorisent l'établissement de corporations voués à défendre la valeur de cet actif. Toutefois, il faudra bien briser cette spirale infernale un jour. Alors que les Français sont résignés à cet état de fait, les étrangers qui voyagent en France ne peuvent s'empêcher de remarquer l'insuffisance du nombre de taxis et la mauvaise qualité de leur accueil. Une augmentation du nombre de taxis (et donc de la concurrence) est donc souhaitable. Si la formation doit toujours être demandée, il faut augmenter largement et progressivement le nombre de licences accordées gratuitement, et que celles-ci ne puissent plus être revendues. A terme, c'est l'ensemble des licences qui ne pourront plus être cédées. Certaines difficultés locales (telle que l'aménagement des abords de l'aéroport de Roissy) peuvent également être mises sur le tapis, mais il faudra bien aborder un jour le problème plus général du nombre de licences.

jeudi 26 mai 2011

La Fin de l'Histoire, selon Francis Fukuyama

Quand la quatrième de couverture d'un livre annonce d'entrée qu'il a "suscité de multiples polémiques" et qu'"on a cru le réfuter avec facilité", on est d'ores et déjà prévenu de son caractère particulièrement hasardeux. Ainsi se présente La Fin de l'Histoire et le dernier homme, ouvrage du professeur américain en sciences politiques Francis Fukuyama, publié en 1992. Le célèbre livre de Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, a eu comme point de départ le livre de Francis Fukuyama, dans le but de s'y opposer. Il faut dire que son propos est pour le moins audacieux. D'après lui, l'humanité arriverait au bout de l'Histoire avec l'inéluctable généralisation des démocraties libérales. La supériorité de ce système politique sur tous les autres lui assurerait sa prédominance à terme, et la fin de la plupart des conflits importants.

L'une des preuves de ce mouvement serait les chutes successives de dictatures à travers le monde. Les dictatures européennes occidentales (Espagne, Portugal, Grèce) ont pris fin sans grande difficultés à partir des années 70. Les pays du bloc soviétique se sont également convertis à la démocratie à partir de 1989. Même en Chine, le mouvement des étudiants place Tian'anmen de 1989 montra que les Chinois aspiraient à davantage de démocratie. In fine, l'ensemble du monde basculera donc du côté de la démocratie libérale. Cette théorie optimiste, marquée par l'effondrement du bloc soviétique, nécessite une démonstration solide. Et c'est là qu'on est surpris : alors qu'on s'attendait à une analyse géopolitique poussée, c'est en fait une vraie thèse de philosophie que découvre le lecteur.

Francis Fukuyama recherche ainsi à la suite de Hegel si l'Histoire a un but, et quel est ce but. Il recherche donc l'état du monde dans lequel celui-ci ne souffrirait plus de contradictions à résoudre, instant qui signifierait la fin de l'Histoire. Il constate que parmi tout ce qu'a entrepris l'homme, le principal domaine où le progrès ne peut être discuté est celui des sciences physiques. En effet, alors que les mérites comparés de tel ou tel art peuvent amener des réactions différentes, les progrès scientifiques s'accumulent sans discussion possible sur leur rationalité. Ces découvertes scientifiques apportent des changements dans les sociétés, les nouvelles technologies, une fois implémentées, apportant la même aide à chaque peuple. Pour bénéficier de ces progrès, il faut disposer d'une industrie performante. Et il s'avère que pour avoir une industrie vraiment performante, le système économique doit être capitaliste. La propriété privée est un élément puissant de l'efficacité économique, même les pays communistes l'ont reconnu en la réintroduisant.

Jusque là, tout va bien. La démonstration avance de façon à peu près convaincante. Mais c'est à partir de ce moment là que ça coince. Pour passer du capitalisme à la démocratie libérale, c'est plus compliqué. Francis Fukuyama avance quelques arguments économiques ou sociologiques, mais reconnaît leur faiblesse. Il faut dire que les contre exemples sont emblématiques. Les régimes autoritaires maintenant ou défendant même la propriété privée des moyens de production n'ont pas forcément des performances économiques honteuses. Et les populations de certaines cultures semblent s'accommoder facilement de régimes peu démocratiques du moment que ceux-ci répondent à leurs principales préoccupations. L'exemple du Japon, qui depuis la seconde guerre mondiale peut choisir ses représentants mais reconduit presque invariablement les mêmes, est à ce titre assez troublant.

C'est alors que Francis Fukuyama embraye sur l'analyse philosophique, s'en servant comme bouée de sauvetage. Il repart sur l'origine de la vie en société, invoquant Locke et Hobbes. Chacun à leur façon, ils théorisent le passage à la démocratie libérale comme un but à atteindre. Il introduit également, à la suite de Platon, la notion de "thymos", soit le désir de reconnaissance, un élément constitutif de chaque homme au même titre que le sentiment ou la raison. Les systèmes autoritaires pèchent car ils ne parviennent pas à assouvir ce désir : les dominés ne sont pas reconnus, et les dominants n'ont que faire de la reconnaissance des plus faibles. La démocratie libérale, en assurant une reconnaissance mutuelle entre citoyens égaux en droits, permet de sortir de cette impasse. Francis Fukuyama considère en effet que même bien nourri et protégé, les individus voudront toujours au bout d'un moment être reconnus par le pouvoir, ce qui passe par y participer. C'est de cette façon qu'il surmonte son dernier obstacle, et arrive à la conclusion que les démocraties libérales finiront par prévaloir. Contrairement aux autres régimes, ils ne sont pas sérieusement contestés, et même si des égos démesurés nietzschéens s'en accommodent mal, un mode de vie apaisé est selon lui en train de se généraliser.

Le livre, à vrai dire, s'avère très stimulant intellectuellement parlant. Ses concepts sont bien expliqués et ses exemples pertinents. Néanmoins, en étant obligé de s'appuyer sur des raisonnements philosophies qui n'ont rien de prouvé, il ne peut vraiment convaincre le lecteur. Audacieuse à l'époque, les évolutions mondiales depuis une vingtaine d'années rendent cette thèse pour le moins douteuse. Depuis 1992, la Chine n'a ainsi vu aucune évolution sur le plan des libertés. L'économie capitaliste chinoise fleurit sans qu'il n'y ait eu une contestation sérieuse du pouvoir politique autoritaire.

Plus grave, après avoir liquidé le communisme, l'auteur ne reconnaît aucun autre système politique concurrent à la démocratie libérale. La théocratie islamique à l'Afghane ou l'Iranienne est écartée d'un revers d'un main en un seul paragraphe. L'Islam n'aurait d'attrait que pour les pays actuellement islamiques, le temps de ses conquêtes culturelles serait passé, et il succomberait lui aussi à terme aux valeurs de l'Occident libéral. Au vu des deux dernières décennies, c'est son contradicteur Samuel Huntington qui apparaît plus convaincant. Sa propre thèse a aussi des défauts, mais son analyse présente du monde (publiée quatre ans plus tard) est bien plus pertinente. Mais dans les deux cas, c'est leur volonté de prédire l'avenir en caricaturant leur propre vision du monde qui affaiblit leur propos.

mercredi 25 mai 2011

L'oubli facile des récidivistes

Un sondage CSA publié la semaine dernière par l'"Institut pour la Justice" montre que 70 % des Français pensent que la justice française est trop indulgente à l'égard des récidivistes. 50 % d'entre eux répondent même "oui tout à fait" à cette question. Ce sentiment est donc largement répandu. La suite de l'étude est consacrée à d'éventuelles mesures à adopter pour la sécurité, notamment vis-à-vis des criminels sexuels. Mais elle n'aborde pas la définition de la récidive. D'un point de vue purement juridique, c'est assez précis. Ce que tout le monde ne sait peut-être pas, c'est que suivant les délits, il y a un délai de prescription, à la suite duquel une personne n'est pas considérée comme récidiviste, quand bien même elle venait à recommencer le même délit. Par exemple, quelqu'un qui commet un délit passible de dix ans d'emprisonnement, puis commet un délit identique plus de cinq ans après avoir purgé sa première peine, sera jugé comme s'il n'était pas récidiviste.

De toute façon, même si cette personne était encore dans le délai de surveillance pour la récidive, il faudrait que le ministère public prenne l'initiative de viser la récidive, et apporter cet aspect au procès. Ce n'est pas du tout automatique, et cette démarche n'est pas si fréquente qu'on pourrait le penser. On trouve donc de nombreuses personnes qui commettent à plusieurs reprises les mêmes actes, mais qui ne sont pas jugées comme récidivistes par le tribunal pour ce genre de raisons. De même, lorsqu'un tribunal condamne quelqu'un à une peine avec sursis, ce qui rajoute une pression par rapport au simple devoir de ne pas récidiver, eh bien il ne s'agit encore une fois que d'une obligation de ne pas récidiver dans une période de cinq ans. Mis à part le récent mécanisme des peines planchers, la peine avec sursis ne s'applique de toute façon pas en cas de nouvelle condamnation, cela dépend de la condamnation en elle-même (être déclaré coupable ne suffit pas).

Cette philosophie judiciaire est très contestable. Le principe du sursis ou des peines aggravées en cas de récidive se justifie selon l'idée que l'on peut faire une erreur, et que l'on peut avoir le droit à une seconde chance. La loi devrait être plus sévère envers ceux qui s'acharnent à ne pas la respecter. Pourtant, dans la plupart des cas, on voit que la justice française considère qu'une personne qui est restée tranquille pendant cinq années est devenue quelqu'un de neuf, libre d'avoir non plus une seconde chance, mais une nouvelle première chance. Un tel signal donné à d'anciens délinquants n'est pas le bon. Certes, cela permet de réduire le taux de récidivistes, en oubliant volontairement les actes passés des délinquants. Mais une leçon donnée par la justice doit être retenue toute une vie, et non pas pour quelques années seulement. Si on devait à nouveau réviser les lois pénales, il serait donc judicieux d'attaquer la récidive sous cet angle là : quelle soit considérée automatiquement et indéfiniment pour ceux qui se rendent à nouveau coupable. Le message envoyé à ces personnes serait bien plus clair.

mardi 24 mai 2011

Jules Ferry sur la colonisation

Nous sommes le 28 juillet 1885. Alors que l'Assemblée Nationale est écrasée par une forte chaleur, Jules Ferry fait son retour à la tribune. Jusqu'en mars dernier, il était président du conseil et ministre des Affaires étrangères. Aujourd'hui, il va donner un discours sur la colonisation (l'Assemblée débattant initialement du financement de l'envoi de troupes à Madagascar), un long discours de 3 heures 30, si long qu'aucun orateur ne pourra prendre la parole après lui ce jour-ci. La séance n'est pourtant ouverte que depuis un quart d'heure. Le sujet est brulant, et beaucoup d'agitations ponctueront le discours. "On nous a reproché une politique d'aventures" dit-il, "il est des aventures, messieurs, qui sont nécessaires aux intérêts, à l'honneur, à la bonne renommée d'un pays." Il explique que la France s'est bien portée des colonisations précédentes, faites un peu par hasard. Il développe par la suite trois arguments en faveur de la poursuite des colonisations.

Le premier est économique. Selon lui, la fondation d'une colonie, c'est la création d'un débouché. "Les traités de 1860, dit-il, ont transformé et activé la production industrielle en France. L'industrie française ne peut plus se passer d'exportations ; or tandis que les nécessités d'exportations s'imposaient à nous, l'Allemagne s'entourait de barrières, les Etats-Unis se défendaient contre l'immigration des produits d'Europe, partout les traités de commerce devenaient de plus en plus difficiles à négocier et à conclure. De là, l'obligation de résoudre cette question vitale : la question des débouchés."

Le deuxième argument est celui relatif à la liberté des populations concernées. Ses réponses sont stupéfiantes. "Il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures..." "Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures..." "De nos jours, je soutiens que les nations européennes s'acquit­tent avec largeur, avec grandeur et honnêteté, de ce devoir supérieur de civilisation." Il refuse vigoureusement les comparaisons avec l'esclavage, aboli une quarantaine d'années plus tôt, et préfère mettre en avant la moralisation des régions colonisées, et l'apport du droit européen.

Le troisième argument a trait au prestige de la France. Celle-ci, blessée, doit continuer à avancer malgré tout. En comparaison, le Royaume-Uni est la puissance dominante mondiale. "L'univers actuel est ainsi fait qu'une politique de recueillement effacé ne serait autre chose qu'une politique de décadence. Ce n'est pas par le pur rayonnement pacifique que les nations sont et se maintiennent grandes. Rayonner ne suffit pas, il faut agir." Il conclut en prétendant que la France n'en veut pas à ceux qui recherchent sa grandeur.

Plus de cent après, un tel discours apparaît au mieux inopportun, au pire funeste. Mais à l'époque déjà, Jules Ferry était très fortement contesté. Il n'était approuvé que par la gauche, soit les républicains modérés. A droite (les monarchistes) comme à l'extrême gauche (les radicaux), les parlementaires se déchainaient contre lui. Comme il avait voulu éduquer les enfants français par l'école obligatoire, Jules Ferry voulait éduquer les peuples qu'il considérait comme inférieur par la force. L'opposition faisait remarquer à juste titre que ce que la République proposait, c'était la guerre, la guerre à des gens qui n'avaient rien demandé, et dont on n'était même pas sûrs qu'ils étaient si inférieurs que ça. Tout cela ne faisait que détourner l'attention du pays de la préparation de la revanche face à l'Allemagne. Quant à l'argument économique, il est particulièrement discrédité, l'affaire coûtant bien plus chère qu'elle n'a rapporté.

Si ce discours de Jules Ferry est resté célèbre, la réponse qui lui fit faite par son ennemi juré Georges Clemenceau deux jours plus tard l'est encore davantage. La pertinence de celle-ci résonne encore aujourd'hui. Jules Ferry s'est lourdement trompé en croyant que la France ne lui en voudrait pas de rechercher sa grandeur. A l'époque, il y avait un débat avec des opinions diverses, et c'est la mauvaise décision pour de mauvaises raisons qui fut prise. Sur bien des aspects, la colonisation a apporté l'opprobre sur la France. Il ne s'agit pas de mortifier la France sur son passé. Mais certaines personnes se sont gravement fourvoyées, et ne peuvent être des exemples pour nous. Tout bien pesé, le bilan politique de Jules Ferry est négatif. Le culte dont il est parfois l'objet aujourd'hui n'est pas justifié et nous devons en être conscient.

lundi 23 mai 2011

Agressé par un bouclier

Lorsque la Secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton rencontra pour la première fois le ministre russe des affaires étrangères, elle lui présenta un gros bouton rouge, destiné à réinitialiser symboliquement les relations russo-américaines. Si celles se portaient bien au début du mandat de George W. Bush (lui et Vladimir Poutine étant tous deux farouchement hostiles au terrorisme islamique), elles se dégradèrent progressivement, notamment à cause du dossier du bouclier anti-missile. Les Etats-Unis souhaitaient en effet installer des installations antimissiles dans certains pays de l'est (la Pologne et la République Tchèque), afin de protéger le territoire européen de toute menace balistique iranienne.

A l'époque déjà, les Russes avaient très mal pris cette initiative. Surveillant jalousement les anciens pays du bloc soviétique, ils vivent l'influence militaire américaine comme une menace. Et c'est assez bizarrement que la Russie a commencé à décrire ce bouclier antimissile comme une agression envers elle. Un général russe déclara qu'en acceptant ces installations, la Pologne deviendrait une cible pour les forces armées russes. Avec la nouvelle administration américaine, le plan changea. Barack Obama essaya d'associer les Russes à sa démarches, diminua la taille du projet et le positionna également en Roumanie. Depuis la signature le 3 mai dernier d'un accord avec ce pays, la Russie ne décolère pas. Peu importe que les parties prenantes répètent inlassablement que ce système antimissile ne se préoccupe pas de la Russie. Celle-ci enrage à l'idée que les pays de l'Europe de l'est puisse... se défendre face à elle.

Lorsque les Européens augmentent leurs défenses, les Russes déclarent vouloir augmenter leurs moyens offensifs par rétorsion. Le Président russe Medvedev a ainsi récemment affirmé que ce plan les pousserait à revenir sur leurs engagements de diminution de leur arsenal nucléaire, et même à augmenter le "potentiel offensif de [leurs] capacités nucléaires". Voilà qui est inquiétant. Et démontre une logique particulièrement tordue. Ainsi, que des pays européens puissent se défendre face à une agression serait une mauvaise chose. Le message implicite est très clair : ils doivent toujours se montrer vulnérables et envahissables par le voisin russe.

D'une façon ou d'une autre, cela relève bien une logique guerrière de la part de la Russie. Avec des dispositifs antimissiles, les pays de l'Est ne menacent personne. Personne en Europe n'a envie d'attaquer la Russie. Visiblement, le contraire n'est pas vrai. En prétendant se sentir agressé par un bouclier, la Russie n'agite qu'un prétexte pour signifier à son ancienne zone d'influence qu'elle ne doit pas se sentir trop libre et indépendante.

dimanche 22 mai 2011

Pas de deux mortel au Parlement sur la sécurité routière

Les députés UMP ne sont pas contents après les dernières mesures annoncées par le gouvernement pour améliorer la sécurité routière. La suppression des panneaux annonçant les radars automatiques n'est pas populaire. Les "automobilistes mécontents" ne veulent plus perdre de points et payer des amendes, le font savoir bruyamment à des députés qui se soucient moins d'intérêt général que de réélections, et ceux-ci s'en prennent ensuite au gouvernement. Commençons par reconnaître que les "automobilistes mécontents" sont ceux qui visiblement, roulent fréquemment au dessus des limitations de vitesse, et veulent continuer à le faire en toute impunité. Dans leur esprit, ils ne sont pas dangereux. A les écouter, ce sont toujours les autres qui sont dangereux. C'est à se demander comment ça se fait qu'il y ait autant d'accidents mortels... En fait, ceux qui ne se croient pas dangereux sont bien ceux qui créent des accidents, mais sont soit moins volubiles, soit morts après l'accident dont ils sont responsables.

La prévention peut arriver à des résultats, mais ce n'est pas automatique. A force de campagnes, le port de la ceinture de sécurité est à peu près rentrée dans les mœurs. Mais en ce qui concerne la vitesse, on en n'est pas là. La seule façon dont les autorités ont réussi à diminuer la vitesse sur les routes fut en installant de nombreux radars automatiques sur les routes. La peur du gendarme s'est avéré de très loin comme le meilleur moyen de sauver des vies. Avec le permis à point, la menace de perdre son permis forçait une prise de conscience pour les automobilistes qui roulaient trop vite : ils devaient changer de comportement. Le procédé fonctionnait : depuis la mise en place des radars automatiques, le nombre de morts sur la route diminuait. En 2010, encore, le nombre de victimes était pour la première fois sous les 4000, à 3994.

Lorsqu'à l'automne dernier, le sénateur de la Vienne Alain Fouché et le député des Bouches du Rhône Bernard Reynès ont déposé un amendement visant à assouplir les règles du permis à points, les associations de prévention routière ont immédiatement prévenu des conséquences. Faciliter la récupération des points envoyait un signal indiquant que les excès de vitesse étaient davantage tolérés (et c'est bien le but conscient de l'opération). Cela entrainerait une dégradation des comportements sur la route qui causerait une recrudescence du nombre de morts.

Et c'est exactement ce qui s'est passé. Depuis que cet assouplissement a été mis en œuvre le 1er janvier dernier, le nombre de morts est constamment plus élevé qu'au même mois de l'année précédente. C'est d'ores et déjà 134 victimes de plus que nous devons déplorer. Si l'on continue au même rythme, c'est près de 500 personnes de plus qui mourront sur les routes cette année par rapport en 2010. Fin 2007, le Président de la République avait annoncé vouloir arriver à moins de 3000 morts d'ici 2012. On s'en éloigne de plus en plus. Voilà comment il faut aujourd'hui faire passer de nouvelles mesures punitives pour contrebalancer celles laxistes voulues par le Parlement.

Respecter les limitations de vitesse n'a pourtant rien de compliquer, et la très grande majorité des automobilistes n'est pas menacée de perdre leur permis pour des excès de vitesse. Les députés qui se font l'avocat des automobilistes les plus dangereux ont donc entraîné ce pas de deux mortel qui ne les satisferont pas. Et au cours de cette séquence, c'est des dizaines de morts qu'ils peuvent avoir sur la conscience.

jeudi 19 mai 2011

Y a-t-il une seule théorie du complot qui se soit révélée vraie ?

Lorsqu'à l'été 2007, les Européens décidèrent de nommer Dominique Strauss-Kahn à la tête FMI, c'était en souhaitant qu'il exerce l'intégralité de son mandat. Bien sûr, cela arrangeait Nicolas Sarkozy, qui aurait alors vu un concurrent potentiel à la présidentielle de 2012 s'écarter, mais c'était un vœu plus large. Les deux précédents directeurs du FMI avaient en effet démissionné avant la fin de leur mandat de cinq ans, et si cela aurait du se répéter une troisième fois, cela aurait posé un problème de crédibilité. Cela voudrait dire que les Européens ne prennent pas la direction du FMI. En 2004, l'Allemand Horst Köhler quitta le FMI moins de quatre ans passés à sa tête pour devenir candidat à la présidentielle allemande (poste qu'il obtint). En 2007, l'Espagnol Rodrigo Rato quitta le FMI à son tour, pour "raisons personnelles". Si peu de temps l'annonce officielle, il n'est plus possible d'en douter : DSK allait démissionner avant l'été. Dans son esprit, c'était pour faire comme Horst Köhler, et devenir Président de la République de son pays. Et s'il reste accusé d'ici la fin de la semaine, il devra démissionner pour des raisons que l'on qualifiera de personnelles, ce qui est moins glorieux.

L'opportunité d'un FMI décapité était de toute façon douteuse, alors que la crise financière de 2008 n'est toujours pas terminé, et que plusieurs pays d'Europe font face à de graves difficultés relevant de la compétence du FMI. La Grèce en particulier est actuellement particulièrement malmenée. L'absence d'un directeur au FMI tombe mal, et des réunions importantes ont d'ores et déjà pas pu avoir lieu. Quoi qu'il en soit, ce genre d'aléas est toujours possible, et une institution doit être conçue pour continuer à fonctionner en l'absence d'un de ses responsables : personne n'est à l'abri d'un souci de santé.

La sortie de Dominique Strauss-Kahn du jeu politique français et international est quand même vécu comme un drame pour de nombreuses personnes. Et dès qu'il se passe quelque chose de spectaculaire, on trouve des gens qui se croient plus malins que les autres, et décèlent la véritable nature des événements qu'ils croient cachées. Cette fois-ci, le choc est si grand que, d'après un sondage CSA, 57 % des Français pensent que DSK est certainement ou probablement victime d'un complot. Il était prévisible que les partisans de celui-ci le défendraient pied à pied envers et contre tout. Mais que la théorie du complot soit brandie par autant de gens, cela laisse pantois.

Il ne s'agit pas de dire que DSK est forcément coupable. Par le passé, on a vu de nombreux rebondissements judiciaires, certains même très spectaculaires. Il y a eu des lynchages médiatiques ne reposant sur rien, des faux témoignages, des erreurs crasses, des enquêtes erratiques... Tout cela peut être à l'œuvre, comme dans chaque affaire, et ce sera au tribunal d'y voir clair. Mais cela n'en ferait pas un complot pour autant. Le complot, tel qu'il est envisagé dans ce genre de situation, est une manœuvre secrète et consciente de plusieurs personnes puissantes pour établir un mensonge qui s'imposera au monde, souvent en ayant des conséquences spectaculaires. Des théories faisant état d'éventuels complots de ce type, il y en a énormément. Il y a le fait que l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy ait été l'acte de quelqu'un d'autre que Lee Harvey Oswald, la dissimulation des extraterrestres dans la zone 51, l'organisation des attentats du 11 septembre 2001 par le gouvernement américain, la survie d'Elvis Presley après sa mort officielle, la fuite d'Oussama Ben Laden alors que le gouvernement américain prétend l'avoir tué, la création de faux camps de la mort pour faire croire à un génocide des juifs...

La liste des théories du complot n'en finit pas. Elles sont toutes délirantes, au mieux symptomatique d'une logique viciée, au pire d'une paranoïa aiguë. Depuis le début du XXème siècle, peut être même avant même, on ne trouve pas trace d'une seule théorie du complot qui se soit révélée vraie au final. La vérité, c'est que personne n'a assez de pouvoir pour fomenter une conspiration qui soit à la fois secrète, effective, et aux conséquences importantes. Il est de toute façon difficile de réunir plusieurs personnes ayant exactement les mêmes intérêts, et de tels complots nécessiteraient un très grand nombre de conspirationnistes se partageant des secrets redoutables. Cela ne fonctionne que dans les fictions.

En fait, les théories du complot véhiculent peut-être une vision volontariste de la vie, qui consiste à croire qu'il y a toujours une explication rationnelle, qu'il y a toujours quelqu'un de responsable. Dans bien des cas, ce sont des dizaines de décisions personnelles séparées qui forment le cours des événements, un flot qui génère ce qu'on appelle ensuite le hasard ou la fatalité des choses. On peut se sentir démuni devant de telles forces incontrôlées, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'il faille faire porter la responsabilité de certains événements à des gens qui n'ont rien à voir.

mercredi 18 mai 2011

Climat et systèmes politiques

L'Estonie n'est pas riche, mais au moins, ses comptes publics sont sains. En janvier dernier, elle a adopté l'euro comme monnaie. Le budget est équilibré, et il n'y a quasiment pas de dette publique (seulement 8 % environ du PIB). Bien sûr, avec la crise économique, les rentrées fiscales ont diminuées, mais un plan d'austérité a permis de garder des finances publiques rigoureuses. Ce plan n'a pas été rejeté par la population, lorsqu'à l'ouest, ils ont tendance à être très mal vus. Dans un article de l'hebdomadaire The Economist, le Président estonien, Toomas Ilves, explique que les gens du nord sont nécessairement économes, ils doivent emmagasiner de la nourriture en été pour survivre à l'hiver très rude. L'article note que son voisin letton a eu besoin par le passé de l'aide du FMI. Cela remet directement en cause cette explication... Mais on voit quand même que l'idée du déterminisme climatique a la vie dure.

C'est une analyse qui a longtemps eu cours à travers les pays et les siècles. Montesquieu est particulièrement connu pour avoir exploré ce terrain. Dans son Esprit des lois, il consacre quatre livres sur trente-et-un, soit presque une partie entière sur six, sur l'influence de la nature du climat sur les lois et la servitude. Selon lui, le climat rend les hommes différents. "L'air froid resserre les extrémités des fibres extérieures de notre corps ; cela augmente leur ressort, et favorise le retour du sang des extrémités vers le coeur. Il diminue la longueur de ces mêmes fibres; il augmente donc encore par là leur force. L'air chaud, au contraire, relâche les extrémités des fibres, et les allonge; il diminue donc leur force et leur ressort." Ce serait donc un processus physiologique qui changerait les caractères. Le même homme serait vigoureux et courageux en milieu froid, faible et lâche en milieu chaud. Les sciences naturelles expliqueraient alors les natures humaines, les systèmes politiques et in fine, les différences de développement.

Travailleurs au nord, paresseux au sud, les choses sont dites telles quelles dans Montesquieu. Ce n'est pas du racisme authentique, puisque cela ne dépend pas de données corporelles innées, par ailleurs fortement critiquées par le philosophe. C'est un déterminisme climatique qui apparaît bien commode pour justifier des inégalités. On le retrouve en quelque sorte lorsque des personnes habitant le nord de l'Europe vantent leur rigueur budgétaire, obtenue après de difficiles sacrifices, et critiquent le laxisme budgétaire des pays du sud, parlant avec condescendance des pays du "Club Med". Les pays scandinaves, l'Allemagne ou les Pays Bas privilégient leur prospérité à long terme de la fourmi quand l'Italie, la France, la Grèce ou l'Espagne vivent à crédit comme la cigale. En Belgique même, on retrouve un nord rigoureux (les Flamands) reprochant au sud (les Wallons) leur paresse.

Certains pourraient objecter qu'il s'agit là de différences essentiellement culturelles. Mais il pourrait alors être répondu que les cultures sont influencées par les conditions climatiques. Montesquieu préconise d'imposer des lois allant contre les défauts créés par le climat : la politique publique doit ainsi encourager le travail plus activement dans les pays chauds. Néanmoins, le déterminisme climatique ne peut être une analyse satisfaisante. En fait, tout déterminisme rigide pose problème : celui de nier le libre arbitre. Chacun doit pouvoir garder la responsabilité de son sort. Bien sûr, le climat influe sur les conditions de vie, et la culture a un rôle dans les sociétés. Mais faire face à la chaleur extrême est aussi difficile que de faire face au froid extrême, le travail et l'investissement personnel sont nécessaires dans toutes les situations.

mardi 17 mai 2011

Arès, dieu... du centre

Dans la mythologie grecque, Arès est le brutal dieu de la guerre, particulièrement apprécié à Sparte. Il pâlit de la comparaison avec Athéna, déesse qui s'occupe également de la guerre, mais de façon plus sage, plus posée, protectrice d'Athènes. Mais il va pouvoir se reconvertir en dieu... du centre. ARES (Alliance Républicaine Ecologique et Sociale) est en effet le sigle adopté pour désigner la confédération des centres en cours de construction. Une semaine après le Nouveau Centre, le Parti Radical a décidé en congrès ce week-end de rallier cette confédération des centres. Pour le Parti Radical, cela implique de quitter l'UMP. Et la suite, ce serait une candidature à la prochaine présidentielle.

Dans cette "ARES", il y a deux logiques différentes. Il y a d'abord celle de Hervé Morin. Lorsqu'il était bayrouiste, il attaquait durement l'UMP et Nicolas Sarkozy. Puis, lorsqu'en 2007, François Bayrou le laissa en rase campagne lui et les autres députés UDF pour leur réélection, il choisit de rallier la majorité de droite. Il devint lui-même ministre de la Défense de Nicolas Sarkozy. Ayant réuni dans le Nouveau Centre les députés dans une situation semblable, il déclara constamment que son parti avait vocation à présenter un candidat à la présidentielle. On comprenait bien qu'il parlait de lui-même. Il n'y avait pourtant pas vraiment de désir des électeurs pour une candidature de Hervé Morin, l'homme restant encore mal identifié. Après avoir quitté le gouvernement, il travaille à cette candidature, ayant même récemment publié un livre où, en attaquant le gouvernement, il s'attaque lui-même. On peut rester circonspect sur cette approche.

Il y a ensuite la logique de Jean-Louis Borloo. Recruté par le Parti Radical en 2005, il avait grimpé les échelons du gouvernement sous Jacques Chirac, et en 2007, il fut l'un des derniers de l'UMP à annoncer son soutien à Nicolas Sarkozy avant le second tour. Toute la question des radicaux, de droite comme de gauche, est d'avoir suffisamment d'influence au sein de leurs alliances respectives. Jean-Louis Borloo s'est donc efforcé de diffuser les idées centristes au sein de l'UMP et du gouvernement, travaillant sur ses dossiers (le Grenelle de l'environnement) et à la promotion de son parti. Toujours populaire, il croyait arriver au but lorsqu'il fut question de le nommer Premier ministre. Cela aurait du être la consécration du centre. Néanmoins, cela se transforma en humiliation lorsque les centristes se firent sortir du gouvernement, et lui-même choisit de ne pas y rester dans ces conditions. Alors que l'heure était aux Nadine Morano, Frédéric Lefebvre et Jean-François Copé, le signal était clair : le centre n'était plus le bienvenu au pouvoir.

Jean-Louis Borloo, ancien ministre d'Etat et premier-ministrable, président de son propre parti, avait donc toutes les cartes en main pour se présenter à la présidentielle. Seulement, deux candidatures de centre droit (avec Hervé Morin), cela aurait été une de trop. Voilà pourquoi le Nouveau Centre et le Parti Radical se sont unis. Quelque soit ses velléités, Hervé Morin pourra difficilement être candidat à la place de Jean-Louis Borloo, qui a bien plus de légitimité. Il faut toutefois rester réaliste : Jean-Louis Borloo a peu de chances de devenir Président. Il n'est même pas dit que ce soit vraiment son objectif. Une candidature centriste est redoutée par Nicolas Sarkozy, qui craint la dispersion des voix au second tour.

Le ralliement des centristes devra être une séquence soigneusement étudiée pour qu'il soit efficace. D'ores et déjà, Jean-Louis Borloo assume l'ensemble du bilan gouvernemental et refuse d'attaquer le Président et le gouvernement comme a pu le faire Hervé Morin. Ce dont il est question ici, c'est donc bien de Matignon en 2012, en cas de victoire de la droite. En 2007, Nicolas Sarkozy avait réussi à faire le grand écart pour réunir les voix tant d'une bonne part des centristes que d'anciens électeurs de l'extrême droite. Face aux difficultés de l'exercice du pouvoir, l'un des enjeux de la présidentielle pourrait être la réconciliation entre le centre et la "droite populaire". Et alors, le but d'Arès serait d'œuvrer pour la paix entre ces familles politiques.

lundi 16 mai 2011

La présidentielle américaine de 2012

Il y a quatre ans, la campagne électorale pour la présidentielle américaine de 2012 était déjà bien entamée en mai. Dès janvier et février, les candidats se déclaraient, et consacraient par la suite leur temps à lever des fonds, à participer à des débats et à sillonner l'Iowa et le New Hampshire. Rien de tout cela cette année. Déjà, seuls les républicains se cherchent un candidat cette fois-ci, ce qui diminuera déjà l'activité de moitié. Mais peu d'entre eux se sont formellement déclarés à ce stade de l'année. Quasiment personne dans les candidatures définitives, quelques uns dans les "créations de comités exploratoires en vue d'une candidature", plus d'autres dont on ne sait rien de leurs intentions. A 18 mois de l'élection proprement dite, il est forcément très compliqué d'anticiper correctement les choses. Ce blog en sait quelque chose, puisqu'il douta autrefois de la possibilité pour Barack Obama d'obtenir l'investiture, et déclara carrément John McCain fini avant même la fin des primaires. Et si cela ne suffisait pas, le cours actuelle de la présidentielle française montre bien que tout est toujours possible. Tentons quand même de voir où on en est actuellement.

Après la présidentielle précédente, trois ou quatre candidats semblaient évidents. Il y avait d'abord les "finalistes" de la primaire républicaine, Mike Huckabee et Mitt Romney. Mike Huckabee n'ira pas. Le cœur n'y est pas, et ce d'autant moins que cela voudrait dire renoncer à un salaire confortable d'animateur, pour des chances de réussite finale assez minces. Mitt Romney ira, et sera même l'un des favoris. Son bilan en tant que gouverneur du Massachusetts est d'ores et déjà attaqué par ceux qui le trouvent pas assez à droite. Sarah Palin, l'ancienne candidate à la vice-présidence, doit toujours annoncer sa décision sur cette échéance. Lorsqu'elle a démissionné de son mandat de gouverneure de l'Alaska, cela lui dégageait du temps pour des activités politiques nationales. Néanmoins, son manque flagrant de fond et ses sorties médiatiques erratiques semblent l'avoir proscrite auprès d'une large frange de la population. Tim Pawlenty, alors gouverneur du Minnesota, fut envisagé comme possible colistier de John McCain en 2008. Il semble aujourd'hui l'un des plus déterminés à devenir Président. Il impressionne peu de monde, mais n'est rejeté par personne, ce qui est un bon début. Il a toutes les qualités d'un candidat honorable.

Les candidatures suivantes sont plus compliquées. Deux candidats ont été sortis du jeu politique actif il y a longtemps : Newt Gingrich, l'ancien opposant numéro 1 à Bill Clinton, veut accéder à la Maison Blanche, après s'être fait sortir il y a plus de douze ans dans l'opprobre. Rick Santorum, un ancien sénateur conservateur, se verrait bien également à ce poste malgré une défaite marquante il y a quatre ans. Il y a aussi l'inénarrable milliardaire Donald Trump et le chantre du libertarianisme Ron Paul, qui ont tous deux peu de chance d'être désignés par le Parti Républicain. Le reste des participants est composé de personnalités mineures, sauf si le gouverneur de l'Indiana Mitch Daniels, décrit comme très raisonnable, finit par se décider.

En fait, les républicains ne disposent pas de candidats vraiment marquants, comme on pu l'être Hillary Clinton ou Barack Obama en leur temps. Et même si ce dernier subit une lourde défaite lors des élections de mi-mandat, ses chances restent très bonnes pour novembre 2012. Déjà, il est rare qu'un Président américain ne se voit pas accordé deux mandats. Au cours des cent dernières années, ce n'est arrivée qu'à trois d'entre eux, Herbert Hoover, Jimmy Carter et George H. W. Bush. Ensuite, Barack Obama a démontré lors de la dernière présidentielle son charisme et un sens politique certain. Ses anciens supporters, bien que déçus, peuvent se remobiliser plutôt que de prendre le moindre risque. Alors que bon nombre de candidats républicains potentiels préfèreront attendre 2016, l'opposition ne devrait pas être la plus forte jamais vue. A cela se rajoute sa récente victoire marquante contre le terrorisme, avec la mort d'Oussama Ben Laden.

En fait, le principal espoir des républicains est le fait que Bill Clinton ait réussi à gagner dans des circonstances semblables en 1992. Rien n'est impossible, mais celui-ci fut lui-même avantagé par la présence d'un troisième candidat, Ross Perot. Sinon, cette primaire républicaine ressemble fort à une compétition pour savoir qui se fera battre par Barack Obama.

dimanche 15 mai 2011

Il voulait être César, il ne fut que Pompée

On aurait pu s'attendre à ce que ce matin, les journaux radiophoniques titrent sur la victoire de Lille en coupe de France, une équipe qui devient digne du très beau stade qu'on est en train de lui construire. Ils auraient également pu titrer sur la nouvelle débâcle de la France à l'Eurovision, et constater que la France étant somme toute assez mal vue en Europe, elle ne risquera en fait jamais de gagner. Mais non, surprise au réveil : le directeur du FMI Dominique Strauss-Kahn a été interpellé à New-York pour agression sexuelle sur la femme de ménage d'un hôtel, et évidemment c'est le principal titre de l'actualité. Bien sûr, comme tout à chacun Dominique Strauss-Kahn a le droit à la présomption d'innocence. L'accusation est grave, mais rien ne permet d'être certain sur la façon dont ça impactera sa carrière politique, alors qu'il allait se présenter à la présidentielle française. Si l'interpellation avait eu lieu en France, le principal accusé aurait évidemment été le Président français Nicolas Sarkozy, qui se serait vu reprocher d'éliminer un adversaire par la puissance publique. Et même si ça se passe à New York, on trouvera sans nul doute des partisans de la théorie du complot (il y en a sur tous les sujets) pour affirmer que le bras du Président va jusque là.

Toujours est-il que cela commence à faire beaucoup pour un seul homme. En 2006 déjà, il se disait en privé dans les milieux politiques que le Parti Socialiste ne prendrait pas le risque de désigner Dominique Strauss-Kahn comme candidat à la présidentielle de 2007, ses "problèmes de mœurs" étant considérés comme un risque trop lourd. Le livre Sexus Politicus, sans révéler de nom, ferait référence à lui de façon appuyée. En juillet 2007, lorsqu'il fut nommé directeur de FMI, le journaliste Jean Quatremer fut le premier à évoquer ouvertement cette question, expliquant : "Le seul vrai problème de Strauss-Kahn est son rapport aux femmes. Trop pressant, il frôle souvent le harcèlement. Un travers connu des médias, mais dont personne ne parle (on est en France)".

Il pronostiquait des difficultés avec la mentalité anglo-saxonne, très à cheval sur ce genre de choses, ce qui fut confirmé quand en 2008, DSK fut dans la tourmente pour avoir trompé sa troisième femme, Anne Sinclair, avec l'une de ses collaboratrices du FMI. Les rumeurs, elles, demeuraient. Sur le net, la vidéo d'une jeune journaliste prétendant lors d'une émission chez Thierry Ardisson avoir subie des avances trop agressives d'une personnalité politique dont le nom fut coupé au montage continue de circuler. Il s'agirait de Dominique Strauss-Kahn, mais personne n'a vraiment eu envie d'enquêter sur cette histoire, de peur d'amener le débat politique dans le caniveau. Et maintenant, il y a cette affaire new-yorkaise, qui est d'autant plus spectaculaire qu'elle est révélée quelques heures seulement après les faits reprochés...

Des hommes politiques infidèles, il y en a toujours eu, DSK n'est ni le premier, ni le dernier. Certains de nos anciens Président de la République sont connus pour leurs (més)aventures, seulement cela intéresse bien peu les Français. Le Président Félix Faure est resté célèbre pour être mort à l'Elysée en compagnie intime de sa maîtresse. Aux Etats-Unis, Bill Clinton fut carrément menacé de destitution pour avoir trompé sa femme et avoir tardé à l'avouer. Tout cela reste assez anecdotique, mais il reste quand même la question du consentement de la femme abordée. Et c'est ce qui est susceptible de transformer un vaudeville dans un théâtre de boulevard en un épisode de New-York : Unité Spéciale. Le viol est un crime, et si prouvé, ce serait désastreux non seulement pour la carrière de l'homme politique, mais aussi pour l'image de la France dans le monde. Et bien sûr, le pire dans tout cela, c'est l'état de la victime.

Il semble que l'on peut être quelqu'un de grand talent mais être quand même susceptible de comportements douteux. Victor Hugo, d'abord chantre du romantisme, se transforma progressivement en vieillard lubrique, prompt à exiger de ses servantes qu'elles lui prodiguent telle ou telle faveur. Certains vers tardifs évoquaient son attachement modéré au consentement de la femme :

L'amour aime les yeux fâchés de la pudeur ;
Et rien n'est plus charmant qu'un paradis boudeur...

Les temps ont changé, et ce qui, il y a un siècle, faisait passer pour un coureur de jupons, est aujourd'hui du harcèlement sexuel pur et simple. Ces derniers jours, Dominique Strauss-Kahn était l'objet d'attaques parfaitement ridicules sur son train de vie. Cette fois, l'accusation est plus grave et plus précise, et il serait préférable pour tout le monde qu'il puisse repousser ces graves accusations de façon convaincante.

mercredi 11 mai 2011

Supprimer les grandes écoles : la gauche en faveur du nivellement par le bas

En analysant le projet socialiste en décembre dernier, ce blog avait relevé le reproche qui y était fait à la concurrence "stérile" faite par les classes préparatoires et les grandes écoles aux universités. De ce constat, le projet socialiste tirait comme conclusion qu'il fallait les "rapprocher". Cela peut dire deux choses. Cela peut être de faire participer les deux institutions à des regroupements visant à la coopération en matière de recherche. C'est en fait la politique actuelle du gouvernement. Mais ce peut également être le fait de faire passer les grandes écoles dans le giron des universités, et les faire "fusionner". Ce qui voudrait bien évidemment dire la suppression du modèle des grandes écoles, et donc leur suppression in fine.

Il semble bien que c'est cette deuxième voie qui est privilégiée par la gauche. Lorsque les Jeunes Socialistes font huit propositions pour la présidentielle de 2012, l'une d'entre elle est cette "fusion" des grandes écoles et des universités. L'explication brève : "Mutualiser les moyens des grandes écoles et des universités pour donner la meilleure formation à tous les étudiants." Dans le détail, le crime est que la formation des étudiants en classes préparatoires coûte plus cher que celle des étudiants à l'université. En fusionnant tout ça, on augmenterait le budget des étudiants à l'université. Evidemment, comme les effectifs de l'université sont bien plus importants que ceux des classes préparatoires, l'augmentation de moyen par étudiant ne permettrait pas les progrès substantiels envisagés.

On se rend vite compte que pour les Jeunes Socialistes, le vrai problème est ailleurs : "Des années de politique de droite n'ont cessé d'améliorer la structure de ces établissements d'élite (création des classes préparatoires aux grandes écoles, système toujours plus sélectif, budget sans cesse grandissant...)". Les classes préparatoires datent du XIXème siècle, les effectifs des étudiants aux grandes écoles tendent à augmenter avec le temps, et bon nombre d'entre elles sont privées et ne reçoivent pas de subsides de l'Etat. Mais peu importe, le problème, c'est la politique de droite. La sélection à l'entrée des grandes écoles est le sceau de leur inégalité, et donc de leur philosophie droitière. Et c'est pour ça qu'elles doivent être supprimées.

Eva Joly, candidate des Verts à la présidentielle, s'est également prononcée en faveur de la suppression des grandes écoles. "Les grandes écoles sont au centre de l’inégalité française" a-t-elle dit récemment. Elle constate que bien des gens qu'elle n'aime pas, comme "les grands patrons des banques françaises" sont issus des grandes écoles, et forment donc une oligarchie française qu'il faut détruire, les grandes écoles étant coupables de former "une élite qui a perdu de vue l’intérêt général". Le raisonnement est tout bonnement d'une stupidité sans nom. Ce n'est pas la formation supérieure que l'on reçoit qui créé les idées des personnes qui y passent. Si Eva Joly a du mal à s'en convaincre, elle n'a qu'a demander à Cécile Duflot, qui est elle-même passée par une grande école de commerce, et qui ne semble pas avoir des idées si différentes des siennes.

Toute la question peut en fin de compte être résumée en un constat : alors que les universités peinent sur certains aspects, la réussite des grandes écoles semble insupportable. Pourtant, chaque lycéen peut demander à s'inscrire en classe préparatoire, et dans certaines filières, les concours servent surtout à distribuer les étudiants entre les écoles suivant leur niveau. La volonté de supprimer les classes préparatoires s'apparente à une philosophie qui souvent cours à gauche, celle du nivellement par le bas. Plutôt que d'avoir les meilleurs élèves bénéficier d'une bonne formation, il faut que tous les élèves bénéficient d'une formation standardisée. C'est plus égalitaire, mais est-ce vraiment plus juste ? Plutôt que de vouloir la peau des grandes écoles pour qu'elles ne fassent plus d'ombre aux universités, ne faudrait-il pas plutôt chercher à vraiment améliorer ces dernières ? Le secret de la réussite des grandes écoles est bien connu : c'est la sélection à l'entrée. Et c'est ce dont les universités ont besoin.

mardi 10 mai 2011

Mitterrand, le terrible échec

Depuis des semaines déjà, des mois peut-être, on nous abreuve de sujets de reportages, d'interviews, de documentaires ou de reconstitutions sur François Mitterrand, avec comme motif l'anniversaire des 30 ans de son élection à l'Elysée. Un concert public est même prévu. On s'étend longuement sur les espoirs soulevés, cette frénésie collective qui avait mobilisé une frange de la population, sur la nostalgie de cette ère nouvelle qui s'ouvrait. Et ainsi, on découvre que ce qu'il reste de Mitterrand, c'est son élection. Pas ses deux mandats. Cette célébration de l'époque et qu'on nous ressert aujourd'hui, c'est l'aveu d'une grande confusion : en politique, arriver au pouvoir ne doit être qu'une première étape, ce qui compte, c'est ce qu'on en fait. Le 10 mai 1981, en fêtant si bruyamment l'élection de François Mitterrand, ses électeurs oubliaient que le plus dur restait à venir. Et la suite, ce fut un terrible échec.

Trente ans après, on peut désormais le dire : la France se serait certainement mieux portée si Valéry Giscard d'Estaing était resté au pouvoir. Alors que les politiques économiques de l'offre mises en place au Royaume-Uni, en Allemagne ou aux Etats-Unis portaient leur fruit dans les années 80 et signifiaient le retour de la confiance, en France, les effets de la politique socialiste de la demande se sont évaporées dans les importations. Résultat : nous n'avons jamais eu vraiment l'impression de sortir de la crise des années 70 quand nos voisins faisaient bien mieux. L'augmentation brutale du salaire minimum et des autres allocations ne fit qu'augmenter le taux d'inflation, ce qui se traduisit par de nombreuses dévaluations et un blocage des prix en guise de cache misère. Ce n'est certainement pas le pouvoir d'achat qui en a profité.

Autre exemple de cette politique économique aveugle : la retraite à 60 ans, dont nous payons actuellement le prix par le déficit des caisses de retraite. Présentée comme un "progrès social", cette mesure restera emblématique de la vision à court terme que peut avoir le pouvoir politique. Et il en va ainsi de toutes ces lois qui prétendaient transformer la société, et qui en fin de compte, n'ont fait que bien la plomber. Le renchérissement du coût travail amplifia le chômage, les nationalisations s'avérèrent économiquement injustifiées, et la compétitivité globale de la France déclina. Lors de la première législature socialiste, le taux de chômage augmenta de 2,8 points, soit une augmentation de 46 %. Lors de la deuxième législature socialiste (1988-1993), ce taux augmenta encore de 1,3 point, soit une augmentation de plus de 14 %. En comparaison, le taux de chômage resta stable pendant le gouvernement Chirac de 1986-1988, et il diminua pendant le gouvernement Balladur de 1993-1995.

Si le pouvoir socialiste, confronté à une déroute économique et idéologique, dut prendre le tournant de la rigueur en 1983, il ne l'assuma pas. Cela aurait pu être l'opportunité d'une conversion résolue à la social démocratie, mais ce fut présenté comme une pause sur la route vers les grands idéaux socialistes auxquels le PS s'accroche toujours désespérément. Lorsque François Mitterrand comprit que la politique mise en place par son camp était parfaitement désavouée par les Français, il n'hésita pas : il décida de jouer la carte de l'extrême droite. Et c'est tout à fait intentionnellement et consciemment qu'il fit tout pour faire grimper le Front National, dans le but de gêner la droite. Encore à l'heure actuelle, Jean-Marie Le Pen s'en souvient avec nostalgie. François Mitterrand donna des instructions pour faciliter l'accès du président du FN dans les médias, et mis en place la proportionnelle aux législatives de 1986 pour limiter les pertes de sièges socialistes et diminuer l'ampleur de la victoire de la droite au profit de l'extrême droite.

Aujourd'hui, les mitterrandôlatres décrivent volontiers François Mitterrand comme quelqu'un de profondément cultivé, notamment dans les domaines des lettres et de l'histoire. Il ne s'agit pas d'en douter. Seulement, François Mitterrand, c'était aussi le cynisme érigé en principe de vie, l'art de la manipulation florentine comme principal talent. Cela donna l'impression d'une faillite morale. On découvrit sur le tard qu'il fut, comme bien d'autres, un adepte du retournement de veste pendant la seconde guerre mondiale. Mais ce qui étonna plus, c'est que ses liens avec les anciens vichystes perduraient des décennies après, y compris lorsqu'il était chef de l'Etat. Il ne devint socialiste qu'au moment où il prit la tête du Parti Socialiste, et n'hésita pas à mener la politique du pire lorsque cela servait ses intérêts immédiats. Michel Rocard, le moins mauvais de ses Premiers ministres socialistes, fut ainsi viré sans ménagement sans aucun motif avoué, car il lui faisait de l'ombre. Et de la même façon, François Mitterrand favorisa l'ascension politique de Bernard Tapie pour handicaper ce même Michel Rocard, toujours coupable de lui déplaire. On bascula également dans le franchement sordide, avec la mise en place en place d'écoutes illégales de journalistes et de personnalités diverses au bon vouloir du Président...

Alors que le premier mandat de François Mitterrand fut celui des dégâts portés à la France, le second fut celui du grand immobilisme. C'était une espèce d'amélioration, mais rien ne fut vraiment fait pour retourner à un état satisfaisant. Ce fut donc beaucoup de temps perdu. Dans les urnes, lors des élections législatives de 1993, la gauche souffrit la pire défaite connue depuis l'avènement de la Vème République. François Mitterrand peut au moins se targuer d'avoir mené une bonne politique en matière de construction européenne. Mais en matière de politique intérieure, et en particulier de politique économique, le bilan est résolument négatif. Encore en 2011, nous payons les conséquences de ce qui fut fait et de ce qui ne fut pas fait. Alors bien sûr, s'il n'avait jamais été élu Président de la République, on continuerait de se demander s'il aurait pu apporter tous les changements bénéfiques qu'il promettait. Eh bien, maintenant, on sait, et qu'au moins ça nous serve de leçon.

Photo : Reuters

dimanche 8 mai 2011

Combien de temps encore en Afghanistan ?

Depuis que les troupes françaises sont en Afghanistan, des voix s'élèvent pour demander leur retour. En fait, dès que l'on envoie des troupes quelque part, des gens remettent en cause l'opportunité de le faire, et ils ont bien le droit de le faire. En l'occurrence, si une intervention en Irak aurait été une faute majeure, l'intervention en Afghanistan se justifiait parfaitement. Il s'agissait d'aider nos alliés américains, gravement attaqués sur son territoire, à faire tomber le régime qui protégeait l'organisation à l'origine de ce crime. Si le régime des talibans tomba rapidement face à l'offensive des alliées occidentaux et de l'Alliance du Nord locale, les dirigeants d'Al Qaida et des talibans réussirent à prendre la fuite à travers la célèbre frontière poreuse du Pakistan. Le chef d'Al Qaida et à ce titre principal responsable des attentats du 11 septembre 2001, Oussama Ben Laden, réussit à échapper aux forces américaines pendant de longues années.

Il est mort désormais. C'est une victoire majeure dans la lutte contre le terrorisme. C'est aussi un objectif de guerre qui est accompli. Al Qaida n'est certes pas détruite, mais son organisation informelle et fluctuante empêche qu'elle le soit un jour d'un seul coup. Quant aux talibans, ils continuent d'être dangereux en Afghanistan. Ils agissent par le biais d'une guérilla contre les troupes occidentales, mais aussi contre le pouvoir civil afghan. Celui-ci se défend comme il peut. De toute évidence, on n'est pas prêt de voir la fin d'un tel conflit. Mais la présences des forces occidentales est-elle toujours justifiée ?

La question est plutôt de savoir quelles sont les conditions d'un départ. Fin 2008, le général américain Douglas Lute avait remis un rapport sur les opérations en Afghanistan au président américain. Il ne fut pas rendu public à l'époque, mais on peut en découvrir certains aspects dans le livre Obama's Wars de Bob Woodward. Il explique que "nous ne perdons pas, mais nous ne gagnons pas non plus", et que le Pakistan est un pays bien plus stratégique dans la guerre contre Al Qaida, la principale menace contre les Etats-Unis. Selon ce rapport, les Etats-Unis ne pourraient prévaloir en Afghanistan sans résoudre trois problèmes majeurs :
  • les difficultés de l'administration afghane, et la corruption généralisée
  • le trafic de l'opium, qui profite aux talibans et aux insurgés
  • la protection offerte par le Pakistan aux bases arrières talibanes.
En tant que tel, il n'y a pas de raisons pour que les forces régulières afghanes ne puissent être formées de la même façon que les irakiennes l'ont été. Le Pakistan est aujourd'hui au cœur des débats : la présence tranquille d'Oussama Ben Laden sur son territoire renforce tous les soupçons que l'on avait à son égard. Le fait que le débat politique pakistanais se porte davantage sur l'intervention américaine que sur ce point ne manque pas d'inquiéter également.

La mort d'Oussama Ben Laden offre quand même une opportunité. Sur chacun des points cités par le général Lute, il n'y aura pas de victoire subite spectaculaire. La décapitation d'Al Qaida en est une en revanche. La tentation est forte de s'en servir comme point de départ à une transition offrant davantage de contrôle à l'administration afghane. Aux Etats-Unis, il avait été question d'un départ de l'Afghanistan en juillet 2011, mais ces derniers temps, c'était plutôt 2014 qui était l'horizon évoqué. Avec les derniers événements, on peut difficilement faire l'impasse sur une réflexion à ce sujet. Selon le ministre des Affaires étrangères français Alain Juppé, un retrait avant 2014 est désormais une option. Les Américains y réfléchiraient à l'instar des Français. Il ne s'agit pas d'évacuer l'Afghanistan à la hâte, mais peut-être est-il temps d'organiser un tel départ. Et si l'on pouvait y voir plus clair à ce sujet avant les prochaines élections présidentielles françaises et américaines, ce ne serait pas un mal pour nos deux pays.

samedi 7 mai 2011

Le grand jeu du ni blanc, ni n...





Aujourd'hui, cela ne se passe plus dans le Cirque Maxime, mais dans le grand cirque politico-médiatique. Les règles du jeu restent les mêmes : il est formellement interdit de prononcer les mots "blanc" ou "noir", ou même quoi que ce soit de signifiant, quitte à ce qu'on ne comprenne plus grand chose. La pénalité en cas de non respect de cette règle (même si cela découle d'une manipulation), c'est d'avoir un mirmillon quel qu'il soit qui demandera votre exclusion. Laurent B**** en fait actuellement l'amère expérience. Amusant un instant, mais il serait temps qu'on mette fin à ce jeu...

Extrait d'Astérix Gladiateur

jeudi 5 mai 2011

Les dépenses de R&D en France

Du Conseil Européen de Lisbonne en mars 2000, on a surtout retenu la nécessité d'achever le marché intérieur. Cela fut reproché au gouvernement socialiste. Mais ce n'était pas le seul point abordé. Le but général était de fonder une société de croissance fondée sur la connaissance. En conséquence, plusieurs objectifs précis avaient été décidés. L'"objectif de Barcelone" était ainsi d'arriver en 2010 à un niveau de dépenses de 3 % du PIB en recherche et développement (R&D) : 1 % financé par les administrations, 2 % financés par les entreprises. Par la suite, ce fut une des promesses de campagne de Jacques Chirac en 2002. En 2002, ce taux de dépenses fut de 2,22 %. Il baissa, puis remonta, mais l'ordre de grandeur des évolutions annuelles restait dans les quelques centièmes de point. L'objectif n'aura pas été tenu en 2010, puisqu'en fin de compte, c'est une certaine stabilité qui prime. Les statistiques publiées pour 2008 sont néanmoins intéressantes.

En 2008 donc, la dépense nationale de R&D est donc de 42,2 milliards d'euros, soit 2,16 % du PIB. Les administrations représentent 46 % de ces dépenses, soit 0,99 % du PIB. Avec 22,9 milliards d'euros, les entreprises ne dépensent donc que 1,17 % du PIB en R&D. Le premier constat est alors assez simple : à travers ses administrations publiques, l'Etat respecte donc le niveau de dépenses dans la recherche qu'il s'était fixé. En comparaison, les Etats-Unis, qui dépensent 2,77 % de leur PIB en R&D en 2008, n'ont un niveau de dépenses publiques que de 0,7 % environ. Cela veut dire que leur secteur privé a bien un niveau de 2 % du PIB en dépenses de R&D. C'est donc loin d'être impossible. Le taux global est de 3,42 % pour le Japon, 3,37 % pour la Corée du Sud, et 2,64 % en Allemagne.

En France, la dépense privée est surtout porté par des grandes entreprises, appartenant principalement à trois secteurs d'activités : l'automobile, l'industrie pharmaceutique et la construction aéronautique et spatiale. On voit immédiatement des quels groupes il s'agit. Faute d'assise financière et de taille critique, les petites entreprises ont évidemment beaucoup moins de possibilités de monter des services de R&D véritablement déterminants.

L'Etat aide beaucoup la R&D se faisant dans le secteur privé. Il y a un flux financier de 3,1 milliards d'euros, ce qui fait que le privé exécute 63 % de la recherche française, quand les administrations (universités comprises) en exécutent 37 %. Ce financement public du privé passe par des crédits incitatifs (Oséo), des grands programmes technologiques ou bien le financement de la recherche en matière de défense. On se rend ainsi compte que l'Etat aide la R&D des PME. L'inverse est moins prononcé : les PME pourraient également déléguer à des laboratoires publics (nombreux dans les facultés) des efforts de recherche qu'elles ne peuvent mener seules. Mais l'argent privé dépensé par les administrations publiques dans ce cadre ne sont que de 700 millions d'euros. C'est probablement un point d'amélioration : de telles solutions peuvent être avantageuses tant pour les universités, qui peinent à se financer, que pour les PME, qui peuvent alors bénéficier directement des retombées de cette recherche et développement.

A part cela, comment faire en sorte pour que les entreprises se préoccupent davantage de R&D, quelque chose qui leur est profitable à long terme ? C'est plus une question d'état d'esprit que de pure volonté politique. Il y a bien des dispositifs fiscaux, comme le statut de Jeune Entreprise Innovante ou le Crédit Impôt Recherche. Ce dernier a été déplafonné en 2008, mais il n'est pas certain que les conséquences soient vraiment positives. Le coût pour l'Etat a explosé : il est passé de 1,8 à 4,2 milliards d'euros. Le nombre d'entreprises bénéficiaires est pourtant loin d'avoir augmenté dans les mêmes proportions. Récemment, le Crédit Impôt Recherche a été mis en cause, accusé de constituer une niche fiscale abusive, où les entreprises défiscalisent tout et n'importe quoi, faisant passer la création d'une nouvelle version de leur site internet comme une dépense de R&D. Ce n'est pas vraiment l'objectif recherché par la puissance publique.

On peut également chercher à améliorer l'efficacité des dépenses publiques en R&D. Par exemple, 20 % des dépenses (le deuxième poste en ordre d'importance) prévues par la mission interministérielle de recherche et d'enseignement supérieur étaient dédiées aux "sciences humaines et sociales, vie en société". Cela représente quand même 2,82 milliards d'euros, pour une utilité qui, il faut bien l'avouer, s'avère quasi-nulle. Les sciences de la vie, l'énergie et l'environnement sont des domaines qui méritent en revanche d'être encore plus soutenus face aux défis actuels.

mercredi 4 mai 2011

Schengen, faux problème

Heureux d'avoir libéré leur pays de la dictature, des dizaines de milliers de Tunisiens tentent d'en sortir au plus vite. Ils traversent la Méditerranée pour débarquer en France, le but ultime étant la France, visiblement largement considéré comme un eldorado financier. Certains flux migratoires ont pour destination la Grande-Bretagne. C'est pourquoi la France a toujours veillé à ce que ces migrants ne puissent arriver sur le territoire d'outre-Manche. Mais en Italie, ce n'est pas exactement le genre d'idées qui ont cours. Partant du principe que cette vague migratoire a une ampleur telle qu'ils ne peuvent l'encaisser seule, elle cherche à se débarrasser généreusement du problème sur ses voisins. Aujourd'hui, un immigrant clandestin tunisien sera donc accueilli par les autorités italiennes, qui lui donneront un titre de séjour temporaire de six mois (le temps maximal où l'Italie est obligé de reprendre les clandestins qui sont arrivées dans l'Union Européenne par elle) et lui offriront même un billet de train pour la France.

La colère de la France face à une telle attitude peut se comprendre. Celle de l'Italie un peu moins. Elle reproche aux autres pays européens de devoir faire face seule à ce flux presque incessant de clandestins. Mais elle oublie qu'en comparaison, elle n'accueille pour l'instant que bien peu d'immigrants. La France et l'Italie ont fini par se mettre d'accord sur un texte visant à modifier les règles de l'espace Schengen, qui permet de se déplacer librement dans 25 pays européens. Le but est de pouvoir rétablir plus facilement le contrôle aux frontières intérieures. Vu les données de la question, ce n'est pas vraiment une solution.

Ce que montre de telles vagues migratoires, ce n'est pas le besoin de contrôler le territoire européen, mais ses frontières. En conséquence, ce n'est pas moins d'Europe qu'il faut sur ce dossier, mais davantage. Ce sont d'ores et déjà des axes de travail des institutions européennes : d'abord, avoir une véritable politique migratoire commune. La proximité idéologique de bon nombre de gouvernements européens rendent possible cet approfondissement. Ensuite, avoir de véritables frontières européennes. C'est un point également abordé par la déclaration franco-italienne, l'agence européenne Frontex doit pouvoir bénéficier de possibilités qui s'adaptent en fonction des vulnérabilités de tel ou tel point des frontières européennes.

Se demander comment accueillir autant de personnes en situation illégale, c'est déjà ne pas se poser la bonne question. Ces populations n'ont tout simplement pas vocation à rester et doivent être renvoyées dans leur pays d'origine. Or dès qu'elles posent le pied sur le territoire européen, elles deviennent prises en charge par l'Etat (ce qui est bien leur objectif). Il doit donc d'abord y avoir un travail de dissuasion avant même l'embarquement, puis il faut pouvoir être en mesure de renvoyer les bateaux arrivants dans le sens inverse avant qu'ils ne débarquent. C'est un vrai travail de garde frontière. Ce doit être la priorité, plutôt que de s'en prendre aux libertés des citoyens européens et immigrants légaux en rétablissant de bien pénibles contrôles aux frontières intérieures. Avouons néanmoins que la mise en avant de l'espace Schengen comme thème de discussion reste du domaine de l'affichage, comme le montrent les propositions finalement bien modérées de réformes faites par la France et l'Italie...

mardi 3 mai 2011

Go-Go-Gadget à 1 000 euros !

Qui a bien pu penser le premier à cette prime de 1 000 euros, et qu'est-ce qui a bien pu lui passer par la tête à ce moment-là ? Cela reste flou, mais on peut tenter de retrouver quelques éléments de cette réflexion...
  1. Les gens se plaignent que leur pouvoir d'achat n'augmente pas.
  2. Les caisses de l'État sont vides, donc absolument aucune marge de manœuvre de ce côté-là.
  3. Si quelqu'un doit augmenter les salaires, c'est donc le privé.
  4. Seules les entreprises qui vont bien peuvent se permettre d'augmenter leur masse salariale. Mais cela ne doit pas se faire au détriment de l'investissement.
  5. Il faut donc pousser (par des défiscalisations qui se révéleront quand même coûteuses pour les finances publiques) ou forcer les entreprises qui vont bien à rémunérer davantage son personnel.
  6. La mesure doit être spectaculaire, pour que les gens aient vraiment l'impression d'en avoir plus dans leur portefeuille.
Voilà comment on s'est retrouvé avec une annonce grandiloquente de prime à 1 000 euros pour tous les salariés travaillant dans des entreprises de plus de 50 salariés qui augmentent leurs dividendes. Les dirigeants d'entreprises sont consternés : ce n'est ni plus ni moins qu'une nouvelle usine à gaz qui se créé devant eux, et dont ils sont les dindons de la farce. Après tout, c'est bien le rôle d'une entreprise d'allier capital et travail pour permettre une production qui rémunérera tant le capital que le travail. Ce n'est pas le rôle de l'Etat de forcer l'entreprise de moins rémunérer le capital pour rémunérer davantage le travail. Normalement, il y a la négociation entre l'employeur et l'employé pour décider de ce genre de choses. Et décider d'une telle mesure à si brève échéance, alors que des plans d'affaires sont réalisés bien à l'avance, c'est vraiment se moquer du monde économique.

Mais le pire, c'est que cette mesure ne déchaîne pas l'enthousiasme des salariés non plus. Comme il s'agit d'un moule unique pour tout le monde, le nombre d'entreprises pouvant encaisser un tel coût est assez faible. Les critères décidant de ces entreprises sont réducteurs, et forcément, peu de salariés bénéficieront de cette prime à 1 000 euros. En outre, si la prime est pérenne, les entreprises sauront ce qu'une augmentation de leurs dividendes impliquera comme coûts salariaux, et préféreront peut-être ne rien augmenter, quitte à vouloir rémunérer les actionnaires par la seule augmentation de la valeur de l'action. Si la prime n'est pas pérenne, ce sera un dispositif un peu ridicule dont on ne souviendra pas. Dans les deux cas, le risque est que les entreprises prenne sur les augmentations ou autre crédits de toute façon prévue pour les salariés, ce qui n'en feront pas des gagnants.

Nous voilà donc face à cas évident de mesure gadget qui ne satisfera personne, ne réglera rien et sapera un peu plus le climat économique. Quelle nécessité d'une intervention de l'Etat à ce niveau-là ? Quelle confiance est-elle possible entre agents économiques avec de telles conceptions économiques ? Si les salariés doivent bénéficier des bénéfices par l'entreprise, les dispositifs d'intéressement qui existent déjà sont de bien meilleurs vecteurs. Moins spectaculaire que ses concepteurs l'ont cru, la prime de 1 000 euros ne leur bénéficiera probablement pas non plus.

lundi 2 mai 2011

Se réjouir de la mort de quelqu'un

Des milliers d'Américains chantent et dansent dans les rues, levant fièrement leur drapeau en pleine nuit. D'une certaine façon, les images sont semblables à celles d'une victoire en coupe du monde de football, mais les Etats-Unis se moquent bien du football. S'il y a autant de joie cette nuit aux Etats-Unis, c'est que leur plus grand ennemi, Oussama Ben Laden, a été tué par les forces spéciales américaines au Pakistan. En l'annonçant, Barack Obama a remporté une victoire pour son pays, mais aussi une victoire personnelle.

Normalement, il est assez mal vu de se réjouir de la mort de quelqu'un. Bien sûr, il y a des criminels dont le décès nous touche beaucoup moins que celle d'innocents. Généralement, c'est le moment pour passer à autre chose. Mais dans le cas de Ben Laden, le soulagement est si grand qu'il est difficile de ne pas adhérer à cette joie communicative.

Oussama Ben Laden, c'était d'abord un symbole d'impunité. Responsable direct de la plus meurtrière des opérations terroristes, les attaques du 11 septembre 2001, il avait réussi à fuir l'Afghanistan lorsque les forces alliées sont intervenues dans ce pays. Sa protection par le régime des talibans avait été l'élément déclencheur de ces opérations dans lesquelles nous sommes toujours engagés. Il était déjà un responsable terroriste reconnu lorsqu'il dut quitter le Soudan dans les années 90. Recherché depuis, il bénéficia de complicités et de la loi du silence pour vivre dans le secret pendant des années.

Oussama Ben Laden, c'était aussi une menace. Il avait acquis un certain prestige auprès des terroristes, et était devenu le symbole de toute une culture de mort. Ses appels répétés aux attentats pour les prétextes les plus abscons créaient un risque direct pour la paix mondiale. Comme le disent d'ores et déjà autorités et analystes, son décès ne signifie pas la fin de la menace terroriste. Mais au moins le message est clair : tout sera fait, notamment par les Américains, pour combattre cette menace.

Oussama Ben Laden était un criminel qui n'a apporté que du malheur au monde. Nous nous porterons bien mieux sans lui. Malgré notre légitime bonheur de nous en être débarrassé, nous devrons tenter de rester mesuré dans nos manifestations de satisfaction, pour que ça ne ressemble pas à de l'acharnement. Seulement, lui qui était si croyant, il pourra désormais constater par lui-même le sort qui lui est réservé dans l'au-delà.

dimanche 1 mai 2011

Scandale à la FFF : la nationalité française exigée pour entrer en équipe de France

Voilà le genre de titres qui feront bientôt la une des journaux... L'équipe de France de football pratique une horrible discrimination envers ceux qui n'ont pas la nationalité française ! La préférence nationale lepéniste d'ores et déjà appliquée dans les plus hautes instances du sport tricolore ! Quelle honte ! Quel scandale ! Au moins cela reposerait sur une affirmation exacte. Ce qui n'est même pas le cas de "l'affaire" révélée par les militants idéologiques du site Mediapart. Ceux-ci se rengorgent de pouvoir à nouveau démarrer une polémique parfaitement stupide, qu'ils pourront alimenter pendant des semaines en ne donnant qu'au compte-goutte les "éléments" vaguement accusateurs qu'ils ont accumulé, plutôt que d'y voir clair en mettant tout d'un coup sur la table. Au final, tout cela ne fera qu'exposer le bien glauque climat général français, fait d'accusations péremptoires de racisme et de chasses à l'homme. D'ores et déjà, les "preuves" apportées par ce site ne font que saborder ses propres affirmations, mais permettent néanmoins de rallumer la braise malsaine de la confusion des valeurs.

A la base, une réunion de travail à la Direction Technique Nationale (DTN) du football français vieille de six mois. Le sujet des joueurs possédant une double nationalité est évoquée. Les participants constatent que nombre de ces joueurs passés par une formation française (l'Institut National du Football de Clairefontaine, qui s'occupe de la préformation de futurs espoirs de l'équipe de France pour le compte de la Fédération Française de Football) choisissent in fine de jouer pour des équipes étrangères. C'est d'ailleurs un point qui avait déjà été abordé devant les caméras par Laurent Blanc, qui regrette ce qui s'apparente à des comportements de mercenaires. Pour pouvoir limiter ces défections, plusieurs idées sont lancées en l'air : essayer de détecter les jeunes joueurs pour qui jouer pour la France compte vraiment, ou bien ne pas dépasser un quota de 30 % de joueurs binationaux. Cette dernière possibilité est rejetée, considérée comme discriminatoire par l'un des participants.

Autre sujet abordé dans cette réunion : les qualités des joueurs acceptés en pré-formation. Selon Laurent Blanc, le recrutement français se ferait selon un stéréotype, les joueurs "grands, costauds, puissants". Les performances athlétiques sont privilégiées au détriment des qualités techniques, ce qui élimine un certain nombre de talents qui seraient mieux acceptés par d'autres sélections européennes. La qualité général du football français serait la conséquence de tels choix. Pendant tout la discussion, Laurent Blanc répète qu'il ne veut pas que les critères relèvent du racisme et qu'il serait parfaitement satisfait de joueurs respectant ces nouvelles orientations, quelle que soit leur couleur de peau.

En fait, ni Laurent Blanc ni même le milieu du football français ne peuvent sérieusement être suspectés de racisme. C'est d'ailleurs le domaine où les personnes de couleurs sont les mieux représentées. Les blancs sont régulièrement minoritaires dans nombre d'équipes, y compris celle de France. Laurent Blanc, dans ses choix de sélectionneur, a lui-même montré qu'il ne faisait aucune discrimination à ce niveau-là. La conversation citée ne permet pas de tenir les propos qu'a tenus Mediapart sur Laurent Blanc ou la DTN.

Le texte introductif de l'article est parfaitement faux : "Moins de noirs et moins d'arabes sur les terrains de foot ! Plusieurs dirigeants de la Direction technique nationale de la Fédération française de football, dont le sélectionneur des Bleus, Laurent Blanc, ont approuvé dans le plus grand secret, fin 2010, le principe de quotas discriminatoires officieux dans les centres de formation et les écoles de foot du pays. Objectif: limiter le nombre de joueurs français de type africains et nord-africains." Comme dit, il ne s'agit pas de limiter les joueurs français de type africains ou nord-africains, mais de privilégier des joueurs plus techniques (qu'ils soient noirs ou blancs) et de limiter les défections en équipe de France.

Cette opération médiatique relève donc de la malhonnêteté intellectuelle crasse. Leurs auteurs mélangent intentionnellement la notion de quota, abordée rapidement pour les joueurs binationaux (qui peuvent être autant d'origine européenne qu'africaine ou nord africaine), et le fait que les joueurs athlétiques sont moins appréciés. Pire, on s'aperçoit que n'importe quel propos lancé en l'air dans une discussion ordinaire peut être manipulée et jugée pour porter les pires accusations. Ce qui est frappant, c'est que dans la polémique actuelle, on ne se soit jamais soucié du caractère fondé ou non des affirmations des uns et des autres. Le fait même d'avoir abordé les notions de "quota" et de nationalité est un acte d'accusation. Laurent Blanc est poussé à présenter des excuses sans bien comprendre pourquoi, et le directeur technique national est suspendu par une secrétaire d'Etat qui veut éviter d'être accusée à son tour.

Cela commence à être une habitude. Un chroniqueur a d'ores et déjà été condamnée pour avoir des propos susceptibles de justifier une discrimination, sans que personne ne se pose la question de savoir si le fond de son propos était exact ou faux. Alors qu'on s'enorgueillit de bénéficier d'une certaine liberté d'expression, on s'aperçoit que des tabous sont érigés et appliqués férocement. On ne juge pas un propos sur le fait qu'il soit vrai ou non, mais sur l'opportunité de le tenir. Comment envisager une telle évolution sans faire le rapprochement avec la police de la pensée orwellienne ? Mais essayer de crucifier Laurent Blanc pour un prétexte aussi ahurissant ne fera que le transformer en un martyr.

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