Lorsqu'à l'été 2007, les Européens décidèrent de nommer Dominique Strauss-Kahn à la tête FMI, c'était en souhaitant qu'il exerce l'intégralité de son mandat. Bien sûr, cela arrangeait Nicolas Sarkozy, qui aurait alors vu un concurrent potentiel à la présidentielle de 2012 s'écarter, mais c'était un vœu plus large. Les deux précédents directeurs du FMI avaient en effet démissionné avant la fin de leur mandat de cinq ans, et si cela aurait du se répéter une troisième fois, cela aurait posé un problème de crédibilité. Cela voudrait dire que les Européens ne prennent pas la direction du FMI. En 2004, l'Allemand Horst Köhler quitta le FMI moins de quatre ans passés à sa tête pour devenir candidat à la présidentielle allemande (poste qu'il obtint). En 2007, l'Espagnol Rodrigo Rato quitta le FMI à son tour, pour "raisons personnelles". Si peu de temps l'annonce officielle, il n'est plus possible d'en douter : DSK allait démissionner avant l'été. Dans son esprit, c'était pour faire comme Horst Köhler, et devenir Président de la République de son pays. Et s'il reste accusé d'ici la fin de la semaine, il devra démissionner pour des raisons que l'on qualifiera de personnelles, ce qui est moins glorieux.

L'opportunité d'un FMI décapité était de toute façon douteuse, alors que la crise financière de 2008 n'est toujours pas terminé, et que plusieurs pays d'Europe font face à de graves difficultés relevant de la compétence du FMI. La Grèce en particulier est actuellement particulièrement malmenée. L'absence d'un directeur au FMI tombe mal, et des réunions importantes ont d'ores et déjà pas pu avoir lieu. Quoi qu'il en soit, ce genre d'aléas est toujours possible, et une institution doit être conçue pour continuer à fonctionner en l'absence d'un de ses responsables : personne n'est à l'abri d'un souci de santé.

La sortie de Dominique Strauss-Kahn du jeu politique français et international est quand même vécu comme un drame pour de nombreuses personnes. Et dès qu'il se passe quelque chose de spectaculaire, on trouve des gens qui se croient plus malins que les autres, et décèlent la véritable nature des événements qu'ils croient cachées. Cette fois-ci, le choc est si grand que, d'après un sondage CSA, 57 % des Français pensent que DSK est certainement ou probablement victime d'un complot. Il était prévisible que les partisans de celui-ci le défendraient pied à pied envers et contre tout. Mais que la théorie du complot soit brandie par autant de gens, cela laisse pantois.

Il ne s'agit pas de dire que DSK est forcément coupable. Par le passé, on a vu de nombreux rebondissements judiciaires, certains même très spectaculaires. Il y a eu des lynchages médiatiques ne reposant sur rien, des faux témoignages, des erreurs crasses, des enquêtes erratiques... Tout cela peut être à l'œuvre, comme dans chaque affaire, et ce sera au tribunal d'y voir clair. Mais cela n'en ferait pas un complot pour autant. Le complot, tel qu'il est envisagé dans ce genre de situation, est une manœuvre secrète et consciente de plusieurs personnes puissantes pour établir un mensonge qui s'imposera au monde, souvent en ayant des conséquences spectaculaires. Des théories faisant état d'éventuels complots de ce type, il y en a énormément. Il y a le fait que l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy ait été l'acte de quelqu'un d'autre que Lee Harvey Oswald, la dissimulation des extraterrestres dans la zone 51, l'organisation des attentats du 11 septembre 2001 par le gouvernement américain, la survie d'Elvis Presley après sa mort officielle, la fuite d'Oussama Ben Laden alors que le gouvernement américain prétend l'avoir tué, la création de faux camps de la mort pour faire croire à un génocide des juifs...

La liste des théories du complot n'en finit pas. Elles sont toutes délirantes, au mieux symptomatique d'une logique viciée, au pire d'une paranoïa aiguë. Depuis le début du XXème siècle, peut être même avant même, on ne trouve pas trace d'une seule théorie du complot qui se soit révélée vraie au final. La vérité, c'est que personne n'a assez de pouvoir pour fomenter une conspiration qui soit à la fois secrète, effective, et aux conséquences importantes. Il est de toute façon difficile de réunir plusieurs personnes ayant exactement les mêmes intérêts, et de tels complots nécessiteraient un très grand nombre de conspirationnistes se partageant des secrets redoutables. Cela ne fonctionne que dans les fictions.

En fait, les théories du complot véhiculent peut-être une vision volontariste de la vie, qui consiste à croire qu'il y a toujours une explication rationnelle, qu'il y a toujours quelqu'un de responsable. Dans bien des cas, ce sont des dizaines de décisions personnelles séparées qui forment le cours des événements, un flot qui génère ce qu'on appelle ensuite le hasard ou la fatalité des choses. On peut se sentir démuni devant de telles forces incontrôlées, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'il faille faire porter la responsabilité de certains événements à des gens qui n'ont rien à voir.