On aurait pu s'attendre à ce que ce matin, les journaux radiophoniques titrent sur la victoire de Lille en coupe de France, une équipe qui devient digne du très beau stade qu'on est en train de lui construire. Ils auraient également pu titrer sur la nouvelle débâcle de la France à l'Eurovision, et constater que la France étant somme toute assez mal vue en Europe, elle ne risquera en fait jamais de gagner. Mais non, surprise au réveil : le directeur du FMI Dominique Strauss-Kahn a été interpellé à New-York pour agression sexuelle sur la femme de ménage d'un hôtel, et évidemment c'est le principal titre de l'actualité. Bien sûr, comme tout à chacun Dominique Strauss-Kahn a le droit à la présomption d'innocence. L'accusation est grave, mais rien ne permet d'être certain sur la façon dont ça impactera sa carrière politique, alors qu'il allait se présenter à la présidentielle française. Si l'interpellation avait eu lieu en France, le principal accusé aurait évidemment été le Président français Nicolas Sarkozy, qui se serait vu reprocher d'éliminer un adversaire par la puissance publique. Et même si ça se passe à New York, on trouvera sans nul doute des partisans de la théorie du complot (il y en a sur tous les sujets) pour affirmer que le bras du Président va jusque là.

Toujours est-il que cela commence à faire beaucoup pour un seul homme. En 2006 déjà, il se disait en privé dans les milieux politiques que le Parti Socialiste ne prendrait pas le risque de désigner Dominique Strauss-Kahn comme candidat à la présidentielle de 2007, ses "problèmes de mœurs" étant considérés comme un risque trop lourd. Le livre Sexus Politicus, sans révéler de nom, ferait référence à lui de façon appuyée. En juillet 2007, lorsqu'il fut nommé directeur de FMI, le journaliste Jean Quatremer fut le premier à évoquer ouvertement cette question, expliquant : "Le seul vrai problème de Strauss-Kahn est son rapport aux femmes. Trop pressant, il frôle souvent le harcèlement. Un travers connu des médias, mais dont personne ne parle (on est en France)".

Il pronostiquait des difficultés avec la mentalité anglo-saxonne, très à cheval sur ce genre de choses, ce qui fut confirmé quand en 2008, DSK fut dans la tourmente pour avoir trompé sa troisième femme, Anne Sinclair, avec l'une de ses collaboratrices du FMI. Les rumeurs, elles, demeuraient. Sur le net, la vidéo d'une jeune journaliste prétendant lors d'une émission chez Thierry Ardisson avoir subie des avances trop agressives d'une personnalité politique dont le nom fut coupé au montage continue de circuler. Il s'agirait de Dominique Strauss-Kahn, mais personne n'a vraiment eu envie d'enquêter sur cette histoire, de peur d'amener le débat politique dans le caniveau. Et maintenant, il y a cette affaire new-yorkaise, qui est d'autant plus spectaculaire qu'elle est révélée quelques heures seulement après les faits reprochés...

Des hommes politiques infidèles, il y en a toujours eu, DSK n'est ni le premier, ni le dernier. Certains de nos anciens Président de la République sont connus pour leurs (més)aventures, seulement cela intéresse bien peu les Français. Le Président Félix Faure est resté célèbre pour être mort à l'Elysée en compagnie intime de sa maîtresse. Aux Etats-Unis, Bill Clinton fut carrément menacé de destitution pour avoir trompé sa femme et avoir tardé à l'avouer. Tout cela reste assez anecdotique, mais il reste quand même la question du consentement de la femme abordée. Et c'est ce qui est susceptible de transformer un vaudeville dans un théâtre de boulevard en un épisode de New-York : Unité Spéciale. Le viol est un crime, et si prouvé, ce serait désastreux non seulement pour la carrière de l'homme politique, mais aussi pour l'image de la France dans le monde. Et bien sûr, le pire dans tout cela, c'est l'état de la victime.

Il semble que l'on peut être quelqu'un de grand talent mais être quand même susceptible de comportements douteux. Victor Hugo, d'abord chantre du romantisme, se transforma progressivement en vieillard lubrique, prompt à exiger de ses servantes qu'elles lui prodiguent telle ou telle faveur. Certains vers tardifs évoquaient son attachement modéré au consentement de la femme :

L'amour aime les yeux fâchés de la pudeur ;
Et rien n'est plus charmant qu'un paradis boudeur...

Les temps ont changé, et ce qui, il y a un siècle, faisait passer pour un coureur de jupons, est aujourd'hui du harcèlement sexuel pur et simple. Ces derniers jours, Dominique Strauss-Kahn était l'objet d'attaques parfaitement ridicules sur son train de vie. Cette fois, l'accusation est plus grave et plus précise, et il serait préférable pour tout le monde qu'il puisse repousser ces graves accusations de façon convaincante.