Réflexions en cours

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mardi 29 avril 2008

La démocratie japonaise

Le 25 septembre dernier, Shinzo Abe démissionnait de son poste de Premier ministre du Japon après un an passé à ce poste. L'événement, pourtant notable dans la mesure où l'une des plus grandes puissances économiques du monde change de dirigeant, est pourtant largement passé inaperçu en France. Rares sont d'ailleurs ceux qui connaissent le nom de son successeur, le Premier ministre Yasuo Fukuda. Certes, le Japon est considéré comme étant à l'autre bout de la terre. Il est dès lors difficile d'imaginer que tout le monde se tienne informé de la vie politique japonaise alors que presque tout le monde ignore qui est à la tête de la Suisse. Ces deux pays ont en commun le fait d'être peu présents sur la scène internationale. Mais ce qui est un choix pour la Suisse est plutôt une décision imposée par les Américains, qui fait que le Japon n'a plus le droit d'opérer des forces militaires à l'étranger, ceci étant inscrit dans sa constitution. Le passage du Japon à la démocratie est d'ailleurs entièrement dû aux Américains qui ont remis le pays sur les rails après sa défaite pendant la deuxième guerre mondiale, et pendant son occupation.

Si la démocratie fut imposée d'en haut sur le Japon, force est de constater que la greffe a pris, sur un pays qui n'y était pourtant pas enclin auparavant. Le Japon avait en effet traversé les siècles sous un régime féodal, avait de voir un pouvoir central autoritaire naître dans les mains du shogun pendant près de trois siècles, puis dans celles de l'Empereur à partir de la révolution Meiji. Les codes et les mentalités japonaises, asiatiques tout en ayant une vraies particularités, ne laissaient pas forcément envisager la possibilité d'un partage du pouvoir entre tous et la forme d'humanisme qui avait servi de terreau à l'éclosion des idées démocrates en Occident. Et si le Japon a su remarquablement intégrer des pensées étrangères dans son propre mode de vie, il était difficile d'envisager une reproduction à l'identique des schémas rythmant les vies politiques des pays y étant accoutumés depuis parfois des siècles. Mais tout s'est bien passé. Seulement, la démocratie, tout à fait effective au Japon, y a été adaptée : une chose qui parait très curieuse en Europe ou en Amérique du Nord est le fait que depuis les années cinquante, ce soit presque toujours le même parti (le libéral démocrate) qui ait été au pouvoir.

Cela n'empêche pas les élections de donner des informations provenant de la population sur la politique menée. Et la popularité du gouvernement reste un facteur important dans la possibilité de celui-ci à gérer les affaires du pays. Mais les grands conflits de personnes et d'idées se font simplement au sein de ce parti : ce sont alors des factions de députés qui s'affrontent en son sein. Et souvent avec l'intérêt général en ligne de mire. Il arrive que des Premiers ministres soient plus charismatiques et populaires que d'autres, comme ce fut le cas avec Jun'ichirô Koizumi entre 2001 et 2006. Mais la vie politique locale favorise surtout des politiciens austères ayant réussi à se frayer un chemin dans les compliquées luttes de fractions. Ils ont souvent la même origine, dans la mesure où il n'est pas rare d'être entré dans la vie politique via un contact, qui ressemble parfois à de la cooptation.

Il n'en reste pas moins que l'électeur est l'arbitre en dernier ressort en élisant la Diète qui sera le théâtre de ces affrontements. Et le Premier ministre a des responsabilités très importantes, mettant notamment en œuvre la politique étrangère du Japon, un dossier sensible en Asie, et devant faire face à des enjeux économiques tels que les retraites, avec le vieillissement de la population. Globalement, si cette forme de démocratie peut étonner en Occident, elle semble être l'équilibre qu'ont trouvé les Japonais, avec un régime qui est surtout la conséquence d'une pratique résultant de leur propre culture. Aujourd'hui, nombreux sont les Chinois qui n'arrivent tout simplement pas à imaginer comment une démocratie pourrait être le régime de leur pays. Cela pourrait très bien l'être à la Japonaise, plutôt que sous la forme plus spectaculaire des Etats-Unis.

samedi 26 avril 2008

L'impuissance de la loi face aux troubles alimentaires

La députée Valérie Boyer a réussi à faire adopter un projet de loi visant à réprimer l'incitation aux troubles alimentaires, ciblant ainsi les sites internet faisant l'apologie de l'anorexie. La démarche peut légitimement surprendre dans la mesure où elle amène à s'en prendre pénalement à ce qui n'est que des symptômes de troubles psychologiques. Car dans le domaine de la boulimie ou de l'anorexie, personne n'a quoi que ce soit à gagner. Les sites "pro-ana" ne visent pas à réaliser un quelconque gain ou à mettre en place une nouvelle société, ce sont surtout des manifestations de personnes victimes de ces troubles. A force de vivre ainsi, elles ont leur propre logique, leur propre univers. Ces troubles alimentaires ne viennent pas d'un désir réfléchi, d'une conviction issue d'un raisonnement logique, ils sont surtout l'expression de troubles psychologiques graves pré-existant l'apparition de ces symptomes. Les jeunes filles qui plongent dans l'anorexie ne le font pas à la suite d'incitations directes de la société, mais en conséquence de leur propre mal être. D'autres se droguent, d'autres se scarifient...

Ce n'est évidemment pas une raison de rester inactif. Les personnes souffrant de tels psychologiques doivent être soignées et aidées à retrouver le chemin d'une vie plus soutenable. Les auteurs de sites mettant en valeur l'anorexie sont des malades qui s'adressent à d'autres malades, et tous doivent être aidés, car ils se font du mal à eux et non au reste de la société. Il reste néanmoins l'énorme désarroi créé chez tout à chacun par de telles situations qui semblent incompréhensibles. En adoptant ce projet de loi, le parlement a voulu croire être capable de changer les choses dans des domaines qu'il ne maitrise pas. C'est là l'expression d'une stupeur parmi les responsables politiques.

Car lorsque qu'une adolescente se fait vomir tout en sachant qu'elle met en péril sa santé, que sa maigreur sera considérée comme laide par le reste des gens, et qu'au fond d'elle elle sait que cela ne lui apporte aucun bonheur, on n'est définitivement plus dans le domaine du rationnel. Lorsqu'une jeune personne se taillade la peau comme conséquence d'une crise d'angoisse, elle sait qu'elle n'en tirera rien. Mais elle le fait quand même. Dès lors, que peut faire un projet de loi visant à cacher davantage les symptomes des troubles psychologiques souvent tenus secrets par ceux qui sont concernés ?

mercredi 23 avril 2008

Quelques questions posées par la grève des sans-papiers

Des sans papiers font grève dans l'espoir d'être régularisés. Voilà un fait qui pose un bon nombre de questions : pour commencer, pourquoi en parle-t-on autant ? Ils ne sont que quelques centaines dans la région parisienne, mais ils ont réussi leur happening médiatique, en attirant la presse toujours à la recherche de quelque "lutte sociale". Après tout, rien ne les empêche de le faire, et en faisant cela ils ne gênent pas grand monde. C'est donc de bonne guerre. La question qui suit est plus fondamentale : pourquoi faudrait-il faire quelque chose face à cette situation ? A vrai dire, cela amène également la question "comment cela est-il possible ?". Car si le droit de grève est légal, il suppose de travailler pour l'exercer. Or les sans papiers n'ont justement pas le droit de travailler en France. En fait, et c'est même la définition de leur condition, ils n'ont de toute façon pas le droit de résider en France. Dès lors, comment en arrive-t-il à avoir un travail qu'ils n'exercent plus pour demander à rentrer dans l'illégalité ?

Ce genre de questions est peu posé dans les reportages qui leurs sont consacrés. On apprend néanmoins qu'ils ont généralement eu leur emploi en produisant de faux papiers, ce qui ne semble émouvoir personne, et ne leur pose aucun cas de conscience quant à l'augmentation du nombre de lois enfreintes. D'une façon assez intéressante, l'employeur est présenté comme le responsable de cette situation car il a accepté ces faux papiers lors de l'embauche. Son rôle se révèle d'ailleurs être trouble, car il apparait en effet qu'un certain nombre d'employeurs de sans papiers les soutiennent, accréditant l'idée selon laquelle ils sont leurs complices. Dans toute cette affaire la loi est ainsi bafouée en long, en large et en travers. Car le terme de sans papiers désigne bien des personnes qui sont dans l'illégalité permanente, et ici, elles veulent obtenir de l'État qu'il contourne la loi pour leur offrir leur motif de revendication. Cela revient à cette disposition ahurissante qui avait cours il y a quelques temps, qui donnait des papiers à tous ceux qui pouvaient prouver plus de 10 ans de présence sur le territoire français en étant en situation irrégulière, donnant ainsi une récompense à ceux qui persistaient à être hors-la-loi.

Les grévistes actuels peuvent donc bien faire grève, mais il ne doit pas être répondu favorablement à leur revendication. Leurs employeurs peuvent de même se plaindre de la main d'œuvre ainsi perdue, mais tant que le chômage restera d'actualité, les sans papiers seront remplaçables dans l'économie française. Car après tout, ce n'est plus une question de formation, dans la mesure où ce n'est pas l'atout principal de la main d'œuvre illégale. Les employeurs doivent surtout de se préoccuper de maintenir des conditions de travail décentes dans leurs entreprises, et cela fait, l'État doit veiller à ce que des chômeurs ne rechignent pas à travailler dans des métiers certes peu valorisants, mais ayant le mérite de nourrir ceux qui les occupent.

Une dernière question sur tout cela porte sur la gestion de l'affaire par le gouvernement : comment se fait-il qu'il n'y ait pas de règle claire sur ces questions, ou que les règles soient visiblement respectées de façon aléatoire, alors qu'un ministère entier y est désormais consacré ? En fait, Brice Hortefeux a pu être dépeint comme le bourreau impitoyable d'une politique ultra-répressive initiée par Nicolas Sarkozy, mais il est surtout le continuateur d'une politique en fin de compte assez arrangeante, sur laquelle les sans papiers fondent justement tous leurs espoirs.

vendredi 18 avril 2008

La présidence française de l'Union Européenne

A partir du 1er juillet 2007, la France prendra la présidence du Conseil Européen. La dernière, en 2001, ne fut pas très fructueuse, vu qu'elle accoucha du Traité de Nice, institutions européennes bancales et peu satisfaisantes qui ont eu dès le départ le sérieux besoin d'être améliorées grandement. En 2008, outre les questions institutionnelles qui mettront certainement encore pas mal de temps à être correctement traitées par tous les pays, la présidence française devra prendre en main plusieurs dossiers, des dossiers qui à vrai dire hantent constamment l'Union Européenne.

Ce sera en premier lieu l'environnement : si Angela Merkel avait déjà beaucoup fait avancer les projets de diminution des gaz à effet de serre pendant la dernière présidence allemande en 2007, Nicolas Sarkozy devra reprendre le flambeau pour traiter de tous les types de pollution, maritimes comme atmosphériques, puisque la pollution n'a pas de frontière. Chaque ministre du gouvernement français devenant le chef de projet au niveau européen pendant la présidence, ce sera donc à Jean-Louis Borloo de saisir pleinement ces thèmes. Il en a la carrure, et les solutions concerneront certainement un autre dossier important de l'Europe : l'énergie. L'Allemagne est en avance en matière d'énergies renouvelables, mais sa dépendance au pétrole et au charbon la met en retard en matière d'émissions de CO2. D'une manière générale, l'idée est de faire en sorte que chaque pays copie sur les autres ses meilleurs pratiques environnementales et fasse la promotion d'une industrie exigeante en la matière, quitte à demander une exigence semblable aux autres pays du monde, et à en tenir compte dans les négociations du commerce international.

Autre question pouvant être pertinemment traitée au niveau européen : l'immigration. Les flux de population entrant illégalement sur le territoire sont importants, et ce d'autant plus qu'il se fait en Afrique notamment une idée fausse de l'Europe, comme celle d'un eldorado, alors qu'il n'y a qu'une autre sorte de misère qui attend les immigrés illégaux. Plutôt que de quitter leur pays, ces clandestins doivent se concentrer à le rendre meilleur. Il ne doit donc pas y avoir d'appel d'air pour l'immigration illégale, et cela justifie une politique coordonnée en la matière. La plupart des pays européens sont en face aux mêmes difficultés, seule l'Espagne s'étonne encore des flux continuels d'hommes débarquant sur son territoire du fait de sa politique laxiste.

L'un des points majeurs de la politique étrangère de Nicolas Sarkozy concerne la politique de défense. Il souhaite en effet pouvoir compter sur une Europe de la Défense forte, c'est la raison pour laquelle il a voulu que la France réintègre l'OTAN, pour y avoir une influence. Mais cette Europe de la Défense ne peut être purement synonyme d'OTAN, cela nécessite donc une véritable prise de conscience des différents pays européens de l'importance de l'indépendance européenne en la matière.

L'Europe ne doit également pas se désintéresser de la politique économique. L'Europe de la recherche n'est pas négligeable à ce niveau-là, car elle permet un échange des connaissances qui ne peut qu'être profitable à l'ensemble de l'économie. Les progrès seront en revanche plus difficiles à obtenir en matière d'uniformisation de la fiscalité ou de la protection sociale, les modèles économiques différant très largement entre l'Irlande et la Suède par exemple. Cela ne signifie pas qu'il faille relâcher ses efforts pour autant.

Enfin, la France pourra profiter de sa présidence pour fixer un agenda sur le nécessaire débat sur les frontières de l'Europe. C'est même fortement souhaitable, dans le cadre des futures adhésions. Si les négociations avec la Croatie peuvent légitimement se poursuivre, celles avec la Turquie doivent cesser, ou basculer exclusivement vers le projet d'Union Méditerranéenne défendue justement par Paris. Avec le pouvoir d'initiative que confère la présidence de l'Union Européenne, la France devra faire au mieux pour faire avancer ce dossier capital, peut-être celui qui changera le plus fondamentalement le monde. Pour les autres questions, la France n'est qu'un porteur de relais.

De toute façon, l'exercice ne permet pas des ambitions trop démesurées, le laps de temps est court et les leviers disponibles assez limités en fin de compte. C'est une des raisons pour laquelle une présidence fixe de l'Union Européenne serait avantageuse, comme il l'est prévu dans le Traité de Lisbonne. Il n'est pas question pour la France de résorber à elle seule le déficit d'affection dont souffre l'Union Européenne, mais au moins devra-t-elle veiller à faire partager les projets européens avec ses citoyens, pour que l'Union Européenne soit davantage politique que technocratique.

mercredi 16 avril 2008

Des demi-réformes

Nicolas Sarkozy s'est fait élire Président de la République en annonçant qu'il disait avant l'élection tout ce qu'il ferait après. Son programme en bandoulière, il a donc été élu. Il a maintenant beaucoup à faire, et ses ministres doivent enchaîner les réformes. Mais la quantité ne doit pas les pousser à bâcler chacune d'entre elle, et à ne les accomplir à moitié. Les mois passent, et chaque texte de loi semble comporter sa part de renonciation. Ce n'est pourtant pas cela qui contentera les opposants politiques du gouvernement, ni ce qui favorisera la popularité. Personne ne l'ignorait, mettre en œuvre un tel programme garantissait l'impopularité, même si le gouvernement avait toute la légitimité pour le faire. Or accomplir ces réformes à moitié ne protège nullement de l'impopularité, au contraire, cela la renforce dans la mesure où cela provoque une déception chez ceux qui ont voulu leur pleine application effective, et surtout, l'intérêt général souffre de ne voir appliqué que des mesures affaiblies lorsque la France aurait besoin de changements plus profonds.

C'est par exemple ce qu'il s'est passé lors de la réforme des universités menées à l'été 2007 par Valérie Pécresse. Elle n'a fait que proposer des mesures timides d'orientation des étudiants, sans jamais se poser la question de la sélection des étudiants au premier cycle, ou d'assumer le fait de privilégier des universités par rapport à d'autres, faisant ainsi persister le mythe selon les diplômes de toutes les universités se valent. Même avec les changements tièdes qui ont été apportés (tels que le renforcement des compétences des présidents d'université), des étudiants ont trouvé le moyen de créer de l'agitation, bloquant les facultés pour une énième fois (la fois précédente étant lors de l'élection de Nicolas Sarkozy, avant même la mise en place du gouvernement). A ce niveau là, réduire vraiment la taille des conseils d'administration des universités n'aurait pas favorisé une plus grande protestation, et aurait vraiment bénéficié aux universités.

Autre exemple : le service minimum. Bien que nécessaire depuis longtemps, il a été fait de façon assez faible. Il ne consiste qu'en la déclaration à l'avance des grévistes, et le vote à bulletin secret sur la poursuite de la grève au bout de huit jours. Et ce, uniquement dans les transports en commun. Pourtant, l'ensemble des services publics est géré par l'État car la France ne peut justement pas se permettre de les voir s'interrompre. La conséquence n'en est pas tirée, en réglementant la grève sans se donner d'en limiter véritablement les effets pour la population.

Ces reculs n'interviennent pas uniquement dans le domaine de la politique intérieure. Ainsi, la volonté de Nicolas Sarkozy de faire supprimer de la constitution l'approbation obligatoire par référendum de chaque nouvelle adhésion à l'Union Européenne apparait comme un volte-face facilitant grandement l'arrivée de la Turquie au sein de cette dernière. Pourtant, le candidat Nicolas Sarkozy s'était montré catégorique sur le sujet : pas d'adhésion sur la Turquie, quelles qu'en soient les modalités. Or les discussions relatives à cette adhésion. N'est-ce pas irresponsable de laisser les Turcs espérer lorsque l'on prévoit de leur barrer l'accès à l'Union Européenne au dernier moment ? Il n'y a d'ailleurs aucune certitude sur le fait que Nicolas Sarkozy soit encore au pouvoir à ce moment-là. En fait, toute l'opération se révèle être un renoncement total de la part du Président de la République.

En fin de compte, le sarkozysme devient une nouvelle voie, originale, si on la considère comme étant l'héritière de la volonté de changement affiché par le candidat de l'UMP pendant la campagne présidentielle, plutôt que la gestion à vue menée dans une certaine mesure. Car alors que les reculs s'enchaînent, la majorité perd son temps avec des lubies absurdes telles que la suppression de la publicité à la télévision publique. Il reste certes encore beaucoup de temps pour appliquer le programme présidentiel dans son intégralité, mais il serait utile de le faire au plus vite.

dimanche 13 avril 2008

Arche de Zoé : jusqu'au bout de la pantalonnade

La semaine a été marqué par le plan média d'Eric Breteau, le chef de l'organisation "l'Arche de Zoé", qui faisait la promotion de son livre, et de sa façon de faire d'une façon générale. Le but de son association était de ramener des orphelins de la guerre du Darfour en France, et de les faire héberger par des familles d'accueil, créant ainsi de fait une filière d'adoption non conventionnelle. Il se donnait le beau rôle, celui d'humanitaire luttant contre la guerre et protégeant les orphelins. Il savait tout à fait que ce qu'il faisait ne respectait pas les règles, mais il est persuadé que cela était nécessaire pour permettre une prise de conscience de la part des occidentaux, et faire en sorte qu'ils s'engagent enfin pour mettre fin au conflit. A vrai dire, cet objectif semblait être le plus important pour lui. Dès lors, il s'est moins soucié de la nature des orphelins à ramener, qui se sont révélés être de simples enfants pauvres qui lui ont été confiés par des familles tchadiennes, sans que cela soit pour autant de véritables adoptions. En découvrant cela, le Tchad a pris les devants et a stoppé net le projet, a incarcéré toute l'équipe et la justice tchadienne a condamné les huit principaux membres à huit ans de travaux forcés, relâchant infirmières et journalistes qui les accompagnaient.

Malgré tout, la France est venue à leur secours. Elle a demandé le transfert des prisonniers sur son territoire, ainsi que la grâce du président du Tchad. Le transfert eut lieu, et la protection accordée opportunément par la France au président tchadien, menacé d'être renversé, a facilité la décision d'Idriss Déby d'accorder cette grâce. Reste à payer les six millions d'euros de dommages et intérêts auxquels l'Arche de Zoé a été condamnée. Sur ce sujet au moins, la France ne veut pas s'en charger. Et donc tout cela permet à Eric Breteau de faire son autopromotion à la télévision.

Fallait-il vraiment faire tout cela pour le sauver ? Certains de ses co-équipiers sont peut être sincères lorsqu'ils affirment qu'ils croyaient vraiment sauver des orphelins dans cette affaire. Lui ne pouvait pas ignorer les approximations qu'il commettait. Actuellement, sa principale cible est l'État français, qui ne lui aurait pas fourni la complicité qu'il espérait, qu'il croyait qu'il allait bénéficier. Il a pourtant été très bien servi. Fallait-il en faire autant ? Il est peu probable que l'État français ait vraiment fait les yeux doux au projet d'Eric Breteau avant son départ au vu de la ligne très réaliste adoptée par le gouvernement actuel en matière de politique internationale. Eric Breteau ne parle d'ailleurs que de conseillers, et d'une façon assez vague, lorsqu'il explique qu'il se sentait investit des pleins pouvoirs. Seulement la manie française qui est de vouloir protéger ses ressortissants lorsqu'ils se sont mis tous seuls dans des situations inextricables est certes touchante, mais peut-être dommageable, dans la mesure où elle permet à des gens comme lui de prévoir l'aide qui lui sera apporté d'une manière ou d'une autre par le Quai d'Orsay. A ce niveau-là, c'est de la déresponsabilisation. Et quand il en arrive à parler à faire un film de ses aventures, l'impression donnée est surtout celle d'assister à une pantalonnade.

mardi 8 avril 2008

L'autosuffisance alimentaire en Europe

Le prix des denrées alimentaires augmente. La raison est bien connue : l'augmentation de la demande mondiale, due à l'élévation du niveau de vie des pays en développement. L'offre est plus faible que la demande, donc les prix augmentent. C'est notamment le cas pour les céréales et du lait, dont la consommation augmente fortement en Asie. Les céréales et le lait sont la base de l'alimentation occidentale, directement ou même indirectement, dans la mesure où ils servent soit pour l'alimentation du bétail, soit dans les produits transformés. Le problème frappe directement l'Europe, et cette hausse des coûts entraîne une inflation, en partie à l'origine du mécontentement actuel autour du pouvoir d'achat.

Pourtant, l'Europe est riche en champs céréaliers et en vaches laitières. Il n'y a pas si longtemps, la principale difficulté agricole que traversait l'Union Européenne était la surproduction. La PAC avait d'abord favorisé une logique productiviste en matière agricole, l'Europe se démarquait en étant une grande exportatrice de céréales, et la production de lait était telle que l'Union Européenne était obligée de garder en réserve des stocks énorme que le marché ne pouvait absorber. Afin de mettre un terme à la surproduction, l'Union Européenne a fait évoluer la logique de la PAC, en incitant par des aides les agriculteurs à diminuer leur production.

Cette politique a couté cher à l'Union Européenne, et continue d'être un point de friction entre les différents pays la composant. Mais aujourd'hui, le marché mondial n'est plus le même. Ce lait et ces céréales qui étaient en trop autrefois, on en a besoin désormais. Il est a priori simple de remettre en cause la politique européenne de diminution de la production, et le processus est probablement déjà en cours. Seulement il faudrait être sûr que cette production bénéficie à l'Europe. A l'origine, la PAC avait été encouragée car elle avait notamment l'objectif d'assurer l'autosuffisance alimentaire de l'Europe, lorsqu'elle était en manque à ce niveau-là. Il faudrait donc revenir à cette base, en faisant en sorte que la production issue des sols européens puissent être préemptées pour l'alimentation du continent. Ce serait une façon de moins souffrir de la hausse de la demande d'autres pays, qui se répercutent sur les prix des produits européens. De plus, ce ne serait que justice dans la mesure où l'Union Européenne a pendant des années dépensé des sommes astronomiques pour maintenir les cours et permettre la survie de nombreux agriculteurs. Il est donc temps que le mécanisme joue désormais à notre avantage et permette de limiter la hausse des prix des produits agricoles venant d'Europe, pour la consommation de ses habitants. L'exportation vient quand l'autosuffisance alimentaire est réalisée, l'Europe produit certainement plus qu'elle ne consomme, mais elle n'a pas à souffrir automatiquement des hausses des cours provenant de pays dont la production ne suit pas l'envol de la consommation.

samedi 5 avril 2008

Les manifestations lycéennes

On peut se poser la question : d'où peuvent bien sortir tous les apôtres de l'extrême gauche qui agissent dans les syndicats, certains partis politiques et qui se plaisent dans la fonction publique, jamais assez développée à leur goût ? La réponse est logique : ils sortent tout simplement du lycée, où ils se politisent. C'est ainsi devenu un rituel pour chaque génération. A l'arrivée au lycée, une partie des étudiants croit découvrir l'âge adulte dans une lutte quelconque, et la plus facile d'accès est celle contre le gouvernement du moment. Si ce dernier agit d'une quelconque manière sur l'Education Nationale, le signal du changement sera invariablement interprété comme une agression par la fraction militante des lycéens ou des étudiants de faculté. Heureusement pour ceux-ci, il existe des syndicats étudiants dont la fonction principale est d'organiser la riposte, et de créer un mouvement lycéen ou étudiant qui sera l'occasion pour eux d'exprimer toute la révolte qu'ils portent contre l'ordre établi, de dénoncer les injustices et d'avoir le sentiment qu'ils peuvent mettre en échec un gouvernement qui ne représente que des électeurs mal éclairés. Les mouvements de protestation étudiants à la régularité implacable sont donc devenus des rites initiatiques pour la partie de la jeunesse qui cherche un sens à la vie, et qui le trouvera dans le militantisme politique à gauche. Et à cette période, la gauche rêvée est plus à gauche que celle que l'on trouve dans les gouvernements.

Cela recommence aujourd'hui. Le mouvement des facultés a fini par s'éteindre, après avoir pris comme prétexte la réforme des universités (pourtant bien peu ambitieuse) pour bloquer les facultés dans un grand exercice de démocratie biaisée. Cette fois-ci, le prétexte du jour est la diminution de 8 500 du nombre de professeurs, ce qui ne représente qu'environ 1 % des effectifs. Cette réduction est pourtant bien inférieure à celle qui aurait été à l'ordre du jour si Nicolas Sarkozy avait appliqué à l'Education Nationale son mot d'ordre de ne replacer qu'un départ à la retraite sur deux. Les Français comprennent la nécessité de réduire le déficit budgétaire, mais chacun devient hargneux dès que cet objectif s'applique d'un peu trop près. Et pour les lycéens, peu importe le fait que le nombre des élèves est en train de diminuer actuellement pour des raisons démographiques. L'occasion est trop belle de se payer la politique de "rigueur" du gouvernement, laissant ainsi penser qu'une gestion rigoureuse du budget de l'Etat est une mauvaise chose en soi.

Pendant les prochaines semaines, le mouvement lycéen va probablement prendre encore de l'ampleur comme d'habitude. Le gouvernement serait bien inspiré de ne pas reculer. Si la minorité militante restera toute sa vie à faire de l'agitation pour faire valoir ses vues, la majorité des élèves finit par se lasser, ne connaissant que mal le fond des dossiers et voyant surtout dans ces "grèves" une occasion de sécher les cours en se sentant important. Les responsables syndicaux ont eux un avenir tout tracé : après le syndicalisme lycéen, vient celui étudiant en fac, puis celui en entreprise publique ou même directement la carrière d'apparatchik politique, à l'instar de Bruno Julliard, passé en un temps record de leader de l'UNEF à adjoint de Bertrand Delanoë.

mercredi 2 avril 2008

Capitalisme contre capitalisme

En 1991, Michel Albert, président des AGF, publie le livre Capitalisme contre capitalisme. Il y expose sa thèse, une différentiation entre deux types de capitalisme, le capitalisme anglo-saxon et le capitalisme rhénan. Le capitalisme anglo-saxon est présenté comme extrêmement libéral, ne reposant que sur les critères d'offre et de demande. Les actionnaires font la loi dans les entreprises, et ils ne demandent qu'une chose : de la rentabilité. Peu importe les moyens, l'essentiel est de maximiser les bénéfices, quitte à ne voir qu'à court terme. Le capitalisme anglo-saxon s'accommode mal des réglementations qui empêchent les entreprises d'agir à leur guise. C'est pour cela que Margaret Thatcher et Ronald Reagan ont tant oeuvré pour dérèglementer l'économie à tous les niveaux. L'autre approche du capitalisme est celle rhénane : en Allemagne comme au Japon, l'économie est tout à fait capitaliste, mais l'État est plus présent, les entreprises sont gérées dans le souci d'un dialogue permanent avec les employés. En Allemagne, cela se fait par le dialogue social avec des syndicats puissants, respectés et responsables. Au Japon, les travailleurs font partie de cercles de qualité, visant à améliorer les produits et à faire remonter l'information du bas vers le haut, selon le modèle célèbre du toyotisme. Les banques sont également influentes dans la définition des plans d'entreprise, et elles sont prêtes à préférer les objectifs de plus long terme que les actionnaires venant de la Bourse. Au bout du compte, Michel Albert établit que le capitalisme rhénan est non seulement plus juste socialement, mais plus efficace économiquement.

Et si cette thèse a eu beaucoup de succès lors de sa sortie, c'est qu'en 1991, elle paraissait expliquer l'ordre économique mondial de l'époque et celui à venir. Pendant le mandat de George H. W. Bush, les Etats-Unis traversent une crise économique troublante. L'Amérique semble subir le contrecoup du libéralisme triomphant apporté par Ronald Reagan. Elle s'inquiète même des performances économiques incroyables d'autres pays alors qu'elle connait une croissance amoindrie. L'Allemagne et le Japon ont eux des performances économiques époustouflantes, des balances commerciales largement bénéficiaires lorsque la balance commerciale américaine est grandement déficitaire. Les entreprises japonaises se permettent même d'avoir des vues sur celles américaines, et les constructeurs d'automobiles américains sont mis à genou par la concurrence des voitures japonaises sur le territoire américain. Sorti en 1988, le film Retour vers le futur 2 peint un avenir dominé par les entreprises japonaises, de la même manière que les Etats-Unis dominaient le monde économique auparavant...

Mais depuis, les performances économiques de l'Allemagne et du Japon ont été bien moins bonnes, voire même très mauvaises. Les deux pays ont traversé dans les années 90 des crises graves, d'origine immobilière pour le Japon, à la suite de la réunification pour l'Allemagne. Le chômage y a fortement augmenté alors que la croissance y était en berne. Pendant ce temps, l'Amérique connaissait une forte période de croissance, un chômage inexistant, et continue de faire la pluie et le beau temps dans l'économie mondiale. L'Allemagne et le Japon se sont depuis résolus à emprunter des éléments du capitalisme anglo-saxon pour remonter la pente, ce qui a été symbolisé par une certaine déreglementation ces dernières années en Allemagne, ou l'arrivée de PDG étrangers à la tête des entreprises nippones.

Ainsi, la thèse de Michel Albert selon laquelle le capitalisme serait plus efficace économiquement parlant s'est rapidement retrouvé invalidée. Séduisante à l'époque, elle donne une analyse intéressante d'une situation donnée, mais l'écueil arrive quand vient le parti pris, qui découle sur une certaine forme de prophétisme hasardeux, qui repose essentiellement sur un souhait personnel. Evidemment, le capitalisme rhénan apparait attrayant comme semblant moins violent que celui anglo-saxon. Mais il met moins l'accent sur le risque, pourtant nécessaire. Du reste, il n'est pas question de faire là l'apologie du capitalisme anglo-saxon par rapport à celui rhénan, mais plutôt de remettre en cause les analyses qui partent de la conclusion pour faire une démonstration biaisée, et rapidement périmable. Au moins peut-on éviter de faire d'une situation particulière la preuve insurmontable de la façon dont tourne le monde.

free hit counter