Le 25 septembre dernier, Shinzo Abe démissionnait de son poste de Premier ministre du Japon après un an passé à ce poste. L'événement, pourtant notable dans la mesure où l'une des plus grandes puissances économiques du monde change de dirigeant, est pourtant largement passé inaperçu en France. Rares sont d'ailleurs ceux qui connaissent le nom de son successeur, le Premier ministre Yasuo Fukuda. Certes, le Japon est considéré comme étant à l'autre bout de la terre. Il est dès lors difficile d'imaginer que tout le monde se tienne informé de la vie politique japonaise alors que presque tout le monde ignore qui est à la tête de la Suisse. Ces deux pays ont en commun le fait d'être peu présents sur la scène internationale. Mais ce qui est un choix pour la Suisse est plutôt une décision imposée par les Américains, qui fait que le Japon n'a plus le droit d'opérer des forces militaires à l'étranger, ceci étant inscrit dans sa constitution. Le passage du Japon à la démocratie est d'ailleurs entièrement dû aux Américains qui ont remis le pays sur les rails après sa défaite pendant la deuxième guerre mondiale, et pendant son occupation.

Si la démocratie fut imposée d'en haut sur le Japon, force est de constater que la greffe a pris, sur un pays qui n'y était pourtant pas enclin auparavant. Le Japon avait en effet traversé les siècles sous un régime féodal, avait de voir un pouvoir central autoritaire naître dans les mains du shogun pendant près de trois siècles, puis dans celles de l'Empereur à partir de la révolution Meiji. Les codes et les mentalités japonaises, asiatiques tout en ayant une vraies particularités, ne laissaient pas forcément envisager la possibilité d'un partage du pouvoir entre tous et la forme d'humanisme qui avait servi de terreau à l'éclosion des idées démocrates en Occident. Et si le Japon a su remarquablement intégrer des pensées étrangères dans son propre mode de vie, il était difficile d'envisager une reproduction à l'identique des schémas rythmant les vies politiques des pays y étant accoutumés depuis parfois des siècles. Mais tout s'est bien passé. Seulement, la démocratie, tout à fait effective au Japon, y a été adaptée : une chose qui parait très curieuse en Europe ou en Amérique du Nord est le fait que depuis les années cinquante, ce soit presque toujours le même parti (le libéral démocrate) qui ait été au pouvoir.

Cela n'empêche pas les élections de donner des informations provenant de la population sur la politique menée. Et la popularité du gouvernement reste un facteur important dans la possibilité de celui-ci à gérer les affaires du pays. Mais les grands conflits de personnes et d'idées se font simplement au sein de ce parti : ce sont alors des factions de députés qui s'affrontent en son sein. Et souvent avec l'intérêt général en ligne de mire. Il arrive que des Premiers ministres soient plus charismatiques et populaires que d'autres, comme ce fut le cas avec Jun'ichirô Koizumi entre 2001 et 2006. Mais la vie politique locale favorise surtout des politiciens austères ayant réussi à se frayer un chemin dans les compliquées luttes de fractions. Ils ont souvent la même origine, dans la mesure où il n'est pas rare d'être entré dans la vie politique via un contact, qui ressemble parfois à de la cooptation.

Il n'en reste pas moins que l'électeur est l'arbitre en dernier ressort en élisant la Diète qui sera le théâtre de ces affrontements. Et le Premier ministre a des responsabilités très importantes, mettant notamment en œuvre la politique étrangère du Japon, un dossier sensible en Asie, et devant faire face à des enjeux économiques tels que les retraites, avec le vieillissement de la population. Globalement, si cette forme de démocratie peut étonner en Occident, elle semble être l'équilibre qu'ont trouvé les Japonais, avec un régime qui est surtout la conséquence d'une pratique résultant de leur propre culture. Aujourd'hui, nombreux sont les Chinois qui n'arrivent tout simplement pas à imaginer comment une démocratie pourrait être le régime de leur pays. Cela pourrait très bien l'être à la Japonaise, plutôt que sous la forme plus spectaculaire des Etats-Unis.