Réflexions en cours

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jeudi 31 août 2006

La crise du Liban

Mis à part la coupe du monde de football, l'autre événement marquant de cet été fut la crise au Liban. Nouvel épisode des nombreuses guerres qui accablent le proche orient, elle a été marquée par la culpabilité de tous les protagonistes. En effet, si les actions pouvaient être légitimes, leur mise en application s'est révélée désastreuse.

Reprenons depuis les origines immédiates : le retrait d'Israël du sud du Liban, et ce sans contrepartie. Ce geste de paix ne fut pas reconnu par le Hezbollah, et même mal interprété : les militants du "parti de Dieu" y virent un signe de faiblesse de la part de l'Etat hébreu devant la résistance armée qu'ils orchestraient. Déterminés par une haine tenace d'Israël, ils prirent comme prétexte le fait que les terres occupées par les fermes de Chebaa restaient sous gestion israélienne pour continuer les hostilités en envoyant des roquettes sur des zones peuplées de civils israéliens. Cette situation était intolérable pour Israël, mais la goutte d'eau qui fit déborder la vase fut l'enlèvement de soldats de l'armée israélienne par le Hezbollah, et leur détention au Liban dans l'optique d'un hypothétique échange de prisonniers. Evidemment, l'idée était dénuée de sens dans la mesure où accepter de négocier lors de prise d'otages revient à les encourager. Mais Israël ne pouvait pas se permettre de laisser perdurer des attaques aussi sournoises. C'est ainsi que la décision d'entrer dans le Sud Liban afin de neutraliser le Hezbollah fut prise.

Ces opérations furent fortement soutenues par les Etats-Unis au nom du droit de chaque pays de se défendre face aux agressions extérieures, et ici Israël était bien en situation de légitime défense. Le Hezbollah est bien un groupe terroriste : ce parti islamiste dispose d'une branche armée dont l'usage de la force n'est pas décidé par le gouvernement d'un pays. En effet, l'armée libanaise, la seule légitime pour défendre le territoire n'a pas été du tout impliquée ni avant, ni pendant la crise. La milice du Hezbollah elle se montre hyperactive sur la zone dont elle détient le contrôle, et n'hésite pas à s'en prendre aux civils, considérant que chaque Israélien est coupable d'être présent sur ces terres autrefois arabes. L'objectif est donc bien de répandre la terreur parmi la population israélienne, ce qui constitue la définition même du terrorisme. Celui-ci étant basé dans une zone frontalière, il devenait nécessaire pour Tsahal d'intervenir pour démanteler la partie armée de cette organisation hostile.

Mais ce qui a causé problème fut le mode opératoire de l'intervention. Depuis la dernière décennie, il semble régner une idéologie selon laquelle il est possible de mener une guerre "propre", sans perte de troupes, par l'usage intensif et précis de la force de frappe aérienne. Le malheur est que les bombardements sont loin d'être aussi précis qu'on le souhaite, et cela même lorsqu'il s'agit d'objectifs militaires clairement déterminés. Alors dans le cas du Hezbollah, qui utilise la stratégie de la guérilla, et donc est constamment caché et dissimulé dans la population civile, il est presque impossible de toucher l'un sans toucher l'autre. Cette façon de faire entraîne donc nécessairement la mort de nombreux innocents, ce qui est une faute morale. C'est aussi une faute stratégique, dans la mesure où la médiatisation de ces carnages amène la désapprobation des opérations par l'opinion publique internationale, relayée par les différents gouvernements. Il aurait été préférable d'opérer par commandos hautement mobiles et adaptables, plus adaptés à la lutte contre la guérilla et à la neutralisation de tels groupes armés. Mais l'inconvénient cette fois sont les nombreuses pertes militaires inéluctables au combat rapproché. C'est un prix à payer pour s'assurer de l'efficacité du démantèlement des forces ennemies.

Toute l'affaire a ainsi évolué de la façon la plus sale. Les Libanais apportèrent leur soutien au Hezbollah à 80 %, réduisant à néant les progrès enregistrés lors de la révolution du cèdre, et relativisant aussi l'apparence de peuple libanais pacifique. Du côté d'Israël, l'utilisation de bombes à fragmentations, proches des mines antipersonnelles, a montré un côté odieux de la part de forces censées seulement protéger une nation démocratique agressée. Dès lors, tout cela devait prendre fin. Mais autant faire en sorte que tout n'ait pas été vain. Il s'agissait de démanteler la partie armée du Hezbollah, mais en faisant les choses de façon nette et éthique, en toute transparence par des personnes les plus impartiales possibles. D'où le recours au multilatéralisme, à travers les Nations Unies. Dès le départ, le Conseil de Sécurité de l'ONU s'est saisi de la crise. Mais comme d'habitude, les dissensions furent grandes entre les Etats-Unis et la Grande Bretagne d'un côté, la Russie et la Chine de l'autre, et entre les deux le camp de la demi-mesure. Si la crise fut aussi longue, c'est qu'il fut difficile d'arriver à un compromis, qui fut finalement trouvé sur l'application de la résolution 1559, prônant le désarmement du Hezbollah. Pour mettre fin à la crise, un accord a été trouvé sur l'envoi de casques bleus en grand nombre pour faire respecter la fin des hostilités. Ceux-ci, provenant d'Europe et de pays musulmans non situés au Proche Orient, doivent désormais assurer la difficile mission de calmer les choses. L'armée régulière libanaise entrera cette fois en action pour désarmer le Hezbollah, ce qui aurait dut être fait depuis longtemps.

Dernière péripétie, une courte polémique sur le nombre de militaires envoyés par la France. La France, disposant d'un lien fort et ancien avec le Liban, a été l'architecte des négociations. Il eut donc été incompréhensible qu'elle n'assure pas sa part d'interventions. Lorsque 200 Français ont été envoyés, le nombre parut insuffisant pour assurer la mission et entraîner d'autres pays à intervenir. Un nouveau procès en couardise fut intenté par les médias étrangers à la France, procès d'autant plus injuste que la France était le premier pays à envoyer des forces en urgence pour permettre le retrait des forces israéliennes, juste le temps pour l'ONU de mettre au point un mandat clair et précis au déploiement des troupes de la FINUL élargie. Ce mandat était nécessaire pour connaître le type de troupes à envoyer, et une fois qu'il a été établi, la France a fait le nécessaire en envoyant des troupes et du matériel en force suffisante.

Au final, si tout se passe comme prévu par l'ONU, chacun pourra se réjouir d'une baisse de tension sur ce théâtre. Mais les événements qu'il aura fallu traverser pour y arriver sont de parfaits contre-exemples de méthodes à appliquer. On ne peut malheureusement qu'espérer que les leçons seront retenues pour les inévitables prochaines crises dans cette partie du monde.

Photo : AFP/Getty Images

mercredi 30 août 2006

Une belle coupe du monde pour la France

La coupe du monde fut belle pour la France, certes pas en tant que trophée, mais en tant que compétition. Et ce d'autant plus que l'équipe tricolore n'était pas attendue en finale de la compétition, à l'instar de l'Italie d'ailleurs. Le Brésil, grand favori de la compétition, a été éliminé en quart de finale par les Bleus, provoquant une déception semblable à celle que connut la France en 2002. Zinedine Zidane, Franck Ribéry et Lilian Thuram furent les héros français de la compétition, mais ils n'arrivèrent pas à emporter la victoire face à une équipe italienne pourtant soucieuse des démêlés judiciaires où se trouvaient les équipes de certains de leurs joueurs. La fin du match fut même marquée par la provocation et la riposte de Materrazzi et de Zidane, spectacle déplorable de la part des deux joueurs. Bien que son rôle fut probablement mineur dans les succès de l'équipe de France, Raymond Domenech est parvenu à garder sa place, reprenant du service pour les deux prochaines années minimum. Il faudra à nouveau reconstruire l'équipe, ou tout du moins lui insuffler du sang neuf si le sélectionneur finit par accepter les demandes de retraites des joueurs les plus expérimentés. En tous cas, l'espace d'un mois, la France entière a rêvé et a espéré la victoire, les succès des Bleus faisant oublier un instant aux Français leurs soucis quotidiens.

Faut-il se contenter d'un commentaire sportif de l'événement ? Probablement. Inutile d'y voir plus de symboles, de faire trop couler d'encre à faire des métaphores éphémères et discutables, il est préférable d'éviter les parallèles entre la France et son équipe de football. Le surplus de croissance apporté par les succès est inexistant, et l'exemple de la victoire de 1998 a montré qu'il est inutile de s'enflammer et d'étendre à 60 millions de personnes les performances d'une vingtaine de personnes. Le slogan d'équipe "black blanc beur", représentative d'une France "riche de sa diversité" et victorieuse n'a pas duré. D'une part parce qu'il était faux à la base, d'autre part car depuis la France a continué de connaître bien des problèmes de racisme, de difficulté d'intégration et de communautarisme, malgré tous les espoirs de l'époque. La coupe du monde permet tout au plus temporairement d'apporter de la bonne humeur et une hausse de la consommation, mais ça se limite à ça. Pourtant, la notion de prestige et de fierté ne doit pas être forcément dévalorisée. Il faut simplement être conscient de la juste portée des succès. S'il n'est donc pas nécessaire d'analyser les résultats sportifs d'un point de vue politique, cela ne veut pas dire qu'il faille que la politique se désintéresse du sport.

En l'occurrence, le rôle du système politique dans ce domaine consiste à l'organiser. Ce sont bien les Etats qui décident de l'organisation des grands événements sportifs, en coopération avec les fédérations concernées. Et cette année, le rôle de l'Allemagne fut admirable dans le succès de l'événement. La France a encore en mémoire le retentissement de la coupe du monde organisée sur son territoire en 1998. Par la suite l'idée de l'organisation des Jeux Olympiques d'été par la France avait fait consensus, mais les candidatures de Paris ont été rejetées pour l'organisation des Jeux de 2008 et de 2012. La France n'a pas eu les Jeux Olympiques d'été depuis 1924 ce qui pour un pays de cette taille et de cette importance dans l'olympisme est ahurissant. On ne compte pourtant plus le nombre de fois où ont été organisés les Jeux Olympiques aux Etats-Unis ou d'une manière plus générale dans un pays anglophone depuis. Les conditions du dernier refus en date permettent de penser que le sérieux et l'honnêteté ne sont plus récompensés dans le jugement des dossiers, laissant place aux lobbyings les plus sombres et les plus douteux. Si l'idée olympique est bonne et généreuse, sa gestion par le Comité International Olympique et le mépris affiché par celui-ci vis-à-vis de la France font redouter la naissance d'une prise de distance par les Français envers l'événement.

mardi 29 août 2006

Interdiction de fumer dans les lieux publics

Il semble que le ministre de la santé Xavier Bertrand ait enfin pris sa décision en annonçant qu'il souhaitait faire passer par décret l'interdiction de fumer dans les lieux publics. C'est une bonne nouvelle, et ce d'abord sur le plan de la santé publique. En effet, la lutte contre le cancer est un des chantiers présidentiels de Jacques Chirac, et elle passe nécessairement par la lutte contre le tabagisme. Tout ce qui peut donc aider à diminuer la consommation de tabac est une bonne chose. On aura ainsi des chances de diminuer le nombre de cancers des fumeurs. Mais on aura également la possibilité de diminuer les cancers des poumons des non-fumeurs, qui sont nombreux à souffrir des conséquences néfastes du tabagisme passif. Les restaurateurs se targuent aujourd'hui de proposer des salles fumeurs et des salles non-fumeurs. La séparation n'est pourtant pas forcément étanche, et les salles non-fumeurs sont souvent débordées. Car il y a une forte demande de la clientèle de ne plus être gênée par le tabac, et ce même des fumeurs. C'est ainsi que la SNCF a été amenée à décider la suppression des compartiments fumeurs, vu l'air irrespirable qui s'y trouvait et qui forçait les fumeurs à préférer les compartiments non-fumeurs. C'est donc une très grande partie de la population qui est favorable à cette interdiction. Voilà qui devrait rassurer les propriétaires d'établissements qui craignent une fuite de leur clientèle avec l'application de la loi : au contraire, une telle mesure peut faire revenir dans les cafés tous ceux qui ne peuvent supporter la fumée de tabac, et donc apporter une hausse du chiffre d'affaire appréciable pour les cafetiers et les restaurateurs. L'adoption de cette mesure a été un véritable succès à New York, et de façon plus proche en Irlande. Il n'y a donc pas de crainte à avoir.

Sous l'angle du tabagisme passif, ce n'est pas seulement du côté des clients qu'il faut se réjouir, mais également du côté du personnel de ces établissements. Eux n'ont pas le choix de la salle où ils travaillent, et sont bien obligés de passer de longs moments dans des endroits enfumés. A la longue, ils sont particulièrement exposés déjà aux mêmes cancers que ceux qui fument, mais aussi à toutes les diminutions de la condition physique des fumeurs. La fumée de cigarette est malsaine pour tous, il est normal que l'Etat veuille en protéger les citoyens. Cette interdiction sera donc une avancée appréciable dans la lutte contre le cancer et contre tous les effets néfastes du tabac. Mais elle ne doit pas être la dernière, et il faudra continuer d'agir avec comme objectif la fin de la consommation du tabac à long terme, au vu de ses dangers.

Photo : © www.spirit-of-paris.com

lundi 28 août 2006

Le phénomène médiatique Royal

Ségolène RoyalSondages après sondages, elle apparaît comme le phénomène médiatique du moment. Son principal mérite ? Etre populaire. Ségolène Royal pourrait bien être désignée candidate du Parti Socialiste pour ce seul motif, sans qu'on ne ce soit jamais demandé ce qu'il se passerait une fois l'élection passée.

Les militants socialistes ont été traumatisés par le résultat du 21 avril 2001, et le mot est faible. Leur souci principal n'est donc plus de savoir quoi faire du pouvoir, mais avant tout d'être élu. Il reste que nombreux sont les candidats de gauche à l'élection présidentielle, et le paysage politique actuel semble favoriser une gauche peu centriste après le non à la constitution européenne. En théorie, le candidat de gauche devrait donc essayer de fléchir son discours vers la gauche et appeler au rassemblement sur son nom en prônant une doctrine très marquée dans cette direction. En limitant la division, le premier tour peut être franchi, ce qui peut être suffisant si la droite est elle suffisamment divisée pour permettre à son tour à l'extrême droite d'arriver en finale. C'est en tous cas la stratégie qu'a adopté très cyniquement Laurent Fabius. Malgré une impopularité persistante dans les sondages, il compte sur ce positionnement et son expérience du pouvoir pour mobiliser la gauche autour de lui. Mais si l'on pouvait prévoir que l'absence de popularité serait un handicap, il était toutefois inattendu que la désignation du candidat socialiste ne se ferait que sur ce critère.

Jour après jour, Ségolène Royal engrange de nouveaux soutiens. Ceux qui la rejoignent ont un raisonnement simple "elle a les meilleures chances de l'emporter, donc il faut la soutenir et arrêter de se diviser". En prônant l'"arrêt des divisions", c'est tout simplement de l'arrêt des débats dont il s'agit. Il faut dire qu'à ce niveau là, la candidate n'a même pas commencé. Elle refuse les échanges d'idée, et se contente d'évoquer dans ses discours des idées creuses que personne ne peut contredire, et quelque fois des propositions absurdes où elle feint de jouer à l'agressée lorsqu'on lui reproche. Elle parle des problèmes des gens d'autant mieux qu'elle ne fait que répéter ce qu'ils lui disent (entre autre par son site internet), mais sans en proposer la solution. Le fait qu'elle soit une femme suffit de toutes façons à intéresser les médias, et toute personne qui lui met des bâtons dans les roues est qualifiée de machiste. A vrai dire, la discrimination dont souffraient les femmes en politique joue là à contre sens. En mettant en avant ses états de mère et de femme, elle veut laisser penser qu'elle aurait une pratique du pouvoir différente des hommes, alors que l'exemple de Margaret Thatcher suffit pour démontrer l'inverse.

Bref, en jouant du tambour médiatique elle arrive à faire oublier son manque d'expérience au plus haut niveau (alors que d'autres femmes sont justement mieux placées à ce niveau là) et son refus du débat, compréhensible dans la mesure où elle souhaite éviter d'afficher son manque de préparation pour les questions économiques ou géopolitiques les plus complexes. En répétant ce que disent les électeurs, elle en devient un reflet. En cela, elle se rapproche de la situation de Jean-Pierre Raffarin qui, à son arrivée au pouvoir, était présenté comme quelqu'un venant de la campagne, avec l'apparence de Monsieur Tout le Monde, ancien ministre de second plan, président de la région Poitou-Charentes et donc ancré dans les préoccupations des gens ordinaires, de la France d'en bas. Si cela a pu représenter une bouffée d'oxygène au niveau de la communication politique pendant une année environ, il n'en reste pas moins qu'il n'était probablement pas préparé à un tel niveau de difficulté dans la gestion des affaires. Ségolène Royal en est la version féminine, et cette fois-ci c'est pour un poste encore plus élevé qu'il est proposé un tel profil, celui de Président de la République.

Alors si la communication politique permet d'obtenir des scores élevés dans les sondages sans impliquer l'adoption aux idées, il serait pertinent de s'interroger sur la pérennité de ces scores. Et surtout de craindre le moment où l'erreur aura lieu, et sa gravité. Sans expérience et sans conviction, celle-ci se produire nécessairement lorsqu'il lui sera demandé plus qu'une allure et une creuse empathie. Si l'erreur se produit dans la campagne électorale contre Nicolas Sarkozy, il sera trop tard pour le Parti Socialiste. Si elle se produit une fois qu'elle sera arrivée à la Présidence, il sera trop tard pour la France. C'est donc une responsabilité particulière qui incombe aux militants socialistes, celle de se soucier d'abord de l'intérêt de la France, plutôt que de ne tenir compte que de simples conjectures électorales. Car il ne faut pas oublier que le meilleur candidat doit être le meilleur Président.

Photo : Libération

dimanche 27 août 2006

La politique agricole commune

Les agriculteurs français représentent une catégorie non négligeable de l'électorat. Pas forcément en terme de masse de population, mais davantage en termes d'influence sur le débat et d'impact sur la vie des campagnes. Leur métier exige une grande capacité de travail, et de gagner suffisamment pour vivre et rembourser les emprunts des lourds investissements qu'ils doivent faire pour s'implanter et renouveler leur matériel. Leur production se vend au prix du marché qui varie quotidiennement selon les critères d'offre et de demande. Ils n'ont pas la liberté de fixer leur prix, ils sont souvent obligés de vendre au prix du marché car leurs productions sont périssables et peuvent être difficilement stockées indéfiniment. C'est pourquoi lorsque les prix de vente descendent dramatiquement, ils sont rapidement acculés financièrement, n'ayant à peine de quoi couvrir leur frais de fonctionnement. L'injustice perçue est d'autant plus grande, qu'ils n'ont pas ménagé leurs efforts pour cultiver leurs terres. Voilà pourquoi ils entrent dans de telles révoltes lors des crises agricoles.

La baisse des prix provient de deux facteurs possibles. En premier lieu, la surproduction fait que l'offre étant supérieure à l'offre, les prix baissent pour tous les producteurs pour attirer des acheteurs attirés par une marchandise bon marché. Des conditions climatiques optimales, des gains de productivité ou l'arrivée de nouveaux producteurs sur le marché ou la disparition de certains acheteurs peuvent expliquer l'apparition d'une surproduction. L'autre facteur de baisse des prix est la concurrence de produits provenant de pays étrangers, où les salaires étant moins élevés permettent de proposer de bas prix, et ce d'autant plus que les barrières douanières sont basses et les coûts de transports peu élevés. Les agriculteurs français doivent ainsi faire face aujourd'hui à la concurrence de pays d'autres concurrents, tels que l'Argentine ou l'Australie.

Avec la mondialisation, l'importance des importations et des exportations en matière de produits agricoles n'est plus à démontrer. Ainsi, au XIXème siècle, l'essentiel du commerce mondial reposait sur des produits agricoles et leur commerce avait une grande influence sur le niveau de vie des agriculteurs. Par exemple, lors du blocus britannique sur la France de Napoléon, les fermiers anglais avaient pu bénéficier d'un débouché garanti à travers leur marché domestique. Avec la fin des guerres napoléoniennes et l'abondance de céréales provenant de l'étranger, ils exigèrent l'adoption d'une loi renchérissant le prix des céréales étrangères et se protéger de cette concurrence qui mettaient à mal leurs profits. Il fallut une trentaine d'années avant que les corn laws ne soient abrogées, permettant alors à la Grande Bretagne de régner sur le commerce mondial une fois adoptée la doctrine du libre échange. Mais à la différence de la situation actuelle, les fermiers anglais étaient de riches propriétaires fonciers, des aristocrates bien différents de nos agriculteurs. Et leur survie parait essentielle pour certains territoires ruraux déjà fortement désertifiés.

De part l'étendue de son territoire et la clémence de son climat, la France a toujours eu une vocation agricole importante. C'est pourquoi le Général De Gaulle a vu l'agriculture comme un avantage français à préserver dans le cadre du commerce mondial. Lors de la création de la Communauté Economique Européenne, il comprenait que faire une zone de libre échange avec un pays aussi industriellement développé que l'Allemagne risquait de fortement mettre à mal la balance commerciale française. Pour compenser l'inévitable augmentation des importations de produits manufacturés allemands qui suivraient, il comptait sur l'existence d'un système favorisant l'agriculture à travers une politique agricole commune, structurellement à l'avantage des Français afin de préserver l'intérêt national français dans la construction européenne. La Politique Agricole Commune (ou PAC), créée dès le Traité de Rome de 1957, se voulait productiviste, pour assurer à la CEE l'autosuffisance de la production alimentaire, et protectionniste, pour assurer la survie d'un tissu agricole dense. Divers mécanismes permettaient de stabiliser les cours des denrées, et impliquaient une gestion très administrée de l'agriculture.

Le succès de la PAC fut telle que l'autosuffisance alimentaire fut rapidement atteint, puis dépassée. Afin d'éviter une chute des cours due à la surproduction, la CEE dut acheter à des niveaux élevés de grandes quantités de produits agricoles, en les stockant en espérant pouvoir les revendre lorsque les cours seraient trop élevés. Malheureusement, la nature structurellement productiviste de l'agriculture européenne fit que pour certains produits les stocks devinrent durables, la seule solution à leur écoulement devint l'exportation. Au fil du temps la PAC se transforma ainsi en subventions aux exportations, provoquant l'ire des industries agricoles des autres pays en dehors du continent européen, comme ceux du groupe de Cairns, réunis pour défendre leurs intérêts dans les négociations du GATT. Les pays en voie de développement sont particulièrement en difficulté, ne pouvant exporter facilement leur production en Europe, mais aussi devant affronter la concurrence de prix artificiellement bas des produits européens du fait des subventions. Les Etats-Unis, eux, subventionnent également leur agriculture malgré la colère du reste du monde. Mais ce n'est pas un point constitutif d'infraction aux règles de l'OMC, vu que l'Union Européenne, les Etats-Unis, le groupe de Cairns et les pays en voie de développement ont constamment failli à trouver un accord sur les règles à adopter depuis la création du GATT. Encore aujourd'hui, la question agricole reste l'obstacle à la réussite du cycle de négociation de Doha de l'OMC. Et dans ces négociations, la France veille particulièrement à ce que la PAC soit la moins remise en cause possible.

Une telle politique n'est pourtant soutenable sur le long terme. D'une part, selon les critères du développement durable. D'autre part d'un point de vue financier, la PAC étant devenue une charge disproportionnée dans budget européen, qui profite beaucoup à la France, mais cela au grand dam de ses partenaires qui souhaiteraient qu'une partie de ces sommes soit attribuée à des programmes bénéficiant à plus de personnes. Pour diminuer la surproduction, l'Union Européenne a déjà des politiques de promotion des terres en jachères, d'aides à la baisse de la production ou de remise en cause des prix garantis. Cela provoque le désarroi des agriculteurs qui ont le sentiment d'être payés pour ne pas produire, alors qu'ils souhaitent avant tout pouvoir vendre honnêtement leur production. Mais avec la surproduction, le libre jeu des cours ne l'assurent même plus un revenu suffisant, et cela même avec de très grandes quantités produites. Ce désarroi se traduit de façon régulière par des manifestations d'agriculteurs, voire par des opérations spectaculaires et parfois violentes de destruction de leur production ou de mise à sac de ce qui contrevient à leurs intérêts.

Si la solidarité nationale peut s'exprimer avec les agriculteurs en cas de mauvaises conditions climatiques, il est malsain de soutenir un système à bout de souffle. Vu qu'il y a manifestement un problème avec la quantité produite, peut être est-il temps de promouvoir davantage la qualité ? Le fort taux de nitrates de nos terres et de l'eau de bon nombre de rivières démontrent qu'un effort doit être fait quant à l'utilisation d'insecticides et d'engrais. Certains pesticides ont même représenté un danger pour les abeilles, alors qu'elles sont un maillon essentiel de la biosphère. Il convient alors de s'intéresser sans a priori sur les effets de l'agriculture selon les normes biologiques, ou au moins de faire un pas vers elles. Les produits qui en sont issus ne sont pas forcément de meilleure qualité, ou meilleurs pour la santé. Le gain principal est surtout à observer dans la moindre pollution que ces normes entraînent. Peut être l'Union Européenne peut elle changer son fusil d'épaule, et promouvoir la diminution des produits chimiques dans l'agriculture. Certes, elle devrait faire face aux pressions de l'industrie chimique, mais cette diminution entraînerait une inévitable diminution des quantités produites et une meilleure préservation de notre environnement. D'un point de vue international, les pays qui n'appartiennent pas à l'UE pourraient se féliciter de ne plus subir la concurrence de produits subventionnés en dehors du marché européen, mais ils devraient comprendre également que si l'UE venait à adopter une telle politique, ce ne serait pas pour ouvrir massivement son marché à des produits qui ne prennent pas en compte les mêmes contraintes de préservation de l'environnement. L'autosuffisance alimentaire est souhaitable si elle se fait à un prix raisonnable pour les consommateurs, mais les subventions aux exportations sont coûteuses et injustes. Une fois celles ci remises en cause, les autres pays ne devront pas demander plus à l'Union Européenne quant à l'ouverture de leur marché. C'est un équilibre qu'il faudra adopter.

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