Réflexions en cours

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mercredi 31 août 2011

Qu'est-ce que le AAA ?

Lorsque l'agence de notation Standard & Poors a décidé de baisser d'un cran la note des Etats-Unis, nombreux ceux qui se sont insurgés, et en premier lieu bien sûr, l'administration américaine. Cela a permis de refaire le procès des agences de notation. Leur incapacité à discerner les risques des produits financiers sophistiqués qui ont permis la contagion de la dernière crise financière a été remise sur le tapis. C'est bien normal, les agences étaient alors gravement en faute, et on ne peut pas dire que la moindre leçon a été tirée. Seulement, elles sont désormais à l'affut des pays occidentaux, chacun plus ou moins englué dans des problèmes de dette. Le plus terrible est que dans ces affaires, les agences de notation agissent tels des devins aux prophéties auto-réalisatrices : si elles annoncent qu'un pays aura du mal à rembourser sa dette, les taux d'intérêts de celle-ci augmentent, et en conséquence la dette deviendra bel et bien plus difficile à rembourser. Plusieurs pays européens sont actuellement malmenés dans cette spirale destructrice.

Dans le cas des Etats-Unis, la situation est quand même moins grave. Jusqu'à présent, les bons du trésor américains étaient très recherchés pour la confiance qu'ils inspiraient. Pour comprendre les tenants et les aboutissants, il faut revenir à la façon dont on détermine un taux d'intérêt (ou de rendement) que l'on exige pour un placement. D'une façon très simplifiée, il s'agit du taux de l'argent placé sans risque plus une rémunération supplémentaire dépendante du risque du placement. Il peut s'agir d'un risque de variation du rendement, ou bien de perdre l'argent placé. Dans le cas de la dette (qui demande les capitaux de prêteurs), le risque est que l'argent ne soit pas remboursé comme prévu, c'est-à-dire une situation de défaut.

Chacun détermine en fonction de ses propres critères quel est cette rémunération supplémentaire demandée liée au risque pour ses placements. Il regardera alors le marché, et placera son argent sur les placements qui correspondent à son opinion. L'un des rôles des analystes financiers est bien de faire ces évaluations pour aider les prises de décisions des institutions financières. Dans le cas des agences de notation, il s'agit alors en quelque sorte de sous-traiter l'analyse du risque de défaut d'emprunts. Normalement, les investisseurs ne sont pas obligés de suivre aveuglément les notes données par ces agences, mais elles gardent une influence certaine.

Dans le cas de pays, le AAA, la meilleure note possible, indique une certitude de remboursement. Les Etats-Unis était considéré comme un pays très sûr car malgré sa dette importante, son économie était dynamique et le taux de prélèvements obligatoires relativement bas. Logiquement, le pays pouvait donc encore considérablement augmenter les impôts au besoin pour se servir sur l'économie pour rembourser d'éventuelles nouvelles dettes. Seulement, la division idéologique au centre du débat politique américaine est désormais béante, et une telle perspective n'est plus si certaine. En effet, les impôts sont là-bas considérés comme un totalitarisme insupportable, presque vol contraire au droit à la liberté et à la propriété. Les républicains, à la suite de Ronald Reagan, sont très nombreux à s'appuyer sur un tel sentiment. L'association Americans for Tax Reform demande aux politiciens de s'engager à ne jamais augmenter les impôts, quelques soient les circonstances. Et c'est pris très au sérieux. En 1988, le candidat à la présidentielle George H. W. Bush s'était formellement engagé à ne pas augmenter les impôts en cas de victoire. A l'élection suivante, de nombreux électeurs le repoussèrent pour ne pas avoir tenu sa promesse.

Dans le Congrès actuel, avec la dernière victoire des républicains, pas moins de 235 représentants (sur 435) et 41 sénateurs (sur 100) ont signé le pacte de Americans for Tax Reform. Du coup, Barack Obama ne put obtenir une solution équilibrée entre baisses de dépenses et hausses de revenus pour permettre une hausse du plafond de la dette dernièrement. Et à cette occasion, on s'est rendu compte qu'il était bien moins probable que les institutions politiques américaines acceptent d'augmenter les impôts s'il fallait rembourser la dette plus rapidement. La croyance sur laquelle reposait le AAA américain fut donc ébréchée, et la conséquence fut la dégradation. Evidemment, pour éviter ce genre de soucis, mieux vaut émettre le moins de dettes possibles, et équilibrer ses comptes publics.

dimanche 28 août 2011

Un grand pas pour la Libye

Après six mois de révolution dont cinq d'intervention de l'OTAN autorisée par l'ONU, les rebelles libyens ont marqué une étape décisive en entrant récemment à Tripoli. Si des zones restent encore loyales à l'ancien régime, on ne peut que remarquer que cette étape change significativement la situation : aujourd'hui, Mouammar Kadhafi ne peut plus gagner cette guerre civile. Lorsqu'il déclare arriver à se promener incognito dans Tripoli, il l'avoue en quelque sorte lui-même : il ne peut se mouvoir qu'incognito. Il n'a pas plus le contrôle de la capitale que du reste du pays. Il n'a plus la main mise sur la technostructure qui permet de gouverner un pays. Il est désormais un homme recherché dont la tête est mise à prix, fuyant son palais. Les insurgés libyens ont donc atteint leur premier but : renverser le dictateur. C'est une victoire pour eux.

C'est une victoire pour eux, et c'est surtout leur victoire. Cette fois-ci au moins, les occidentaux ont retenu les leçons de leurs échecs passés, notamment en Irak. Le mouvement initial est venu du peuple libyen, et non des stratèges occidentaux. Quand la rébellion fut menacée d'être écrasée dans le sang grâce à l'emploi de tanks et d'avions, les occidentaux sont intervenus pour les aider sur le point qu'ils ne pouvaient maîtriser : la suprématie technique et aérienne. Les forces armées de l'OTAN sont intervenus sans combattre au sol. Les avions, les hélicoptères et les navires occidentaux pouvaient "à distance" neutraliser l'armée de l'air , les tanks et les infrastructures libyens. En même temps, le soutien de la Ligue Arabe aux insurgés leur a apporté un équipement militaire à peu près adapté. La quasi totalité des risques ont été pris par les Libyens, par leur propre volonté.

Ce sera évidemment un atout fort pour la suite. Contrairement à l'Irak, où il n'y avait rien pour remplacer Saddam Hussein, déchu par une intervention perçue comme illégitime, la Libye peut temporairement s'appuyer sur le Conseil National de Transition. Lorsque le Président français Nicolas Sarkozy prit le premier la décision de reconnaître cette entité comme gouvernant la Libye, il prit un risque qui ne fut pas immédiatement suivi par le monde entier. Nombreux sont ceux qui se méfiaient de ce groupuscule mal connu. Mais il est logique que la France ait eu cette démarche. Pendant la seconde guerre mondiale, le Comité national Français du Général de Gaulle fut aussi vu avec suspicion, notamment de la part des Américains, mais il fut considéré par les Britanniques suite à l'impulsion de Winston Churchill. A la libération de la France, sa transformation en gouvernement provisoire permit une transition efficace avec le régime précédent, sans chaos excessif. L'idéal est d'arriver à la même chose en Libye.

Si les Libyens ont été au cœur de leur révolution, ils savent quand même l'aide que leur a apporté le reste du monde, au premier titre desquels le Royaume-Uni et la France. De notre côté, nous pouvons être fiers que nos armées aient été à la hauteur, et que les choses se soient aussi bien déroulées. La France peut être cette fois-ci satisfaite de son rôle militaire et politique dans ces événements. Évidemment, le plus dur reste à venir pour les Libyens. Les motifs de division interne sont nombreux, et l'on ne peut même pas exclure un risque de guérilla de la part des anciennes forces loyales à Kadhafi. Celui-ci peut rester longtemps sans être pris, quitte à se cacher dans un trou comme son ancien collègue Saddam Hussein. En bref, le pays va encore traverser des épreuves redoutables. Mais cela aide déjà s'il part du bon pied, et en l'occurrence, les derniers événements représentent un grand pas vers le progrès.

Image : AFP

mercredi 24 août 2011

La fifille à son papa

Pour remporter les primaires socialistes, Martine Aubry compte sur sa "lettre aux Français". On y trouve rien de très original. Une description de sa France qui ressemble au paradis sur terre. Une critique de Nicolas Sarkozy. Une ébauche de programme, à base d'embauches massives de fonctionnaires, financées par une croissance miraculeusement retrouvée. Mais elle y glisse une référence qui n'est pas anodine. Dans ses valeurs, elle évoque "la fidélité au combat de mon père, Jacques Delors". Jusqu'à présent, au cours de sa carrière nationale, elle n'avait pas eu recours à la référence paternelle. Elle est certainement consciente que, contrairement à la plupart de ses concurrents à la prochaine présidentielle, elle n'est pas une "self made woman". Elle disposait du capital économique, culturel et surtout social dès son plus jeune âge. Et l'un de ses premiers emplois fut celui de conseillère au gouvernement auquel appartenait son père. On peut alors comprendre qu'elle souhaite rester discrète par humilité sur cet avantage dont elle a bénéficié par rapport aux autres. Mais cela a visiblement changé.

Il y a deux semaines, elle avait ainsi déjà sollicité son père pour qu'il participe à sa "cellule de crise économique", une opération de communication dans le cadre de sa campagne électorale. Alors qu'elle cherche à être élue aux plus hautes responsabilités, elle transforme son père en argument électoral. Celui-ci fut après tout très populaire en son temps, et son propre refus de se présenter à la présidentielle lui donne une aura de "celui qui aurait pu être Président s'il l'avait voulu". Dès lors, le message est clair : si vous n'avez pas pu avoir le père, vous pouvez encore avoir la fille. Tant pis si cela risque d'afficher au grand jour une dynastie.

Seulement, on ne peut pas vraiment dire que Martine Aubry soit sur la même ligne que Jacques Delors. Alors que ce dernier s'est toujours montré comme un défenseur d'une gauche modérée et raisonnable, faisant office de pompier lorsque le gouvernement Mauroy mettait le feu par ses mesures dépensières, la première est résolument dans le camp de la dépense comme principe de gouvernement. Les programmes publiés jusqu'ici par le PS, avant la déclaration de candidature de sa première secrétaire, se caractérisent par une frénésie dépensière inouïe.

Si l'on voulait un véritable héritier de Jacques Delors, alors il y aurait ici tromperie sur la personne. Jacques Delors veut certainement le mieux pour sa fille, et en conséquence cela ne le dérangera pas d'être utilisé à des fins électoralistes. Mais désormais, Martine Aubry rentre dans la catégorie de ceux qui font leur carrière sur le nom de leurs parents, à l'instar de Jean Sarkozy, George W. Bush ou Marine Le Pen.

lundi 22 août 2011

Sur le système éducatif américain

Le documentaire américain Waiting for Superman traite des questions d'éducation aux Etats-Unis. Son réalisateur, Davis Guggenheim, est proche des démocrates. Il fut le réalisateur du film Une Vérité qui dérange sur le réchauffement climatique autour d'Al Gore. Il réalisa des films courts pour la campagne de Barack Obama en 2008. Il réalisa également un documentaire qui suivait des élèves et leur professeur en première année d'école primaire publique. Dans Waiting for Superman, il constate les énormes différences qui peuvent exister entre écoles publiques et écoles privées, que ce soit en primaire ou au secondaire. Les différences de résultat peuvent être énormes, et la crainte d'une école publique devenue une usine à échecs pousse de nombreux parents à choisir les écoles privées... s'ils ont le choix.

L'éducation a pourtant l'une des priorité de tous les Présidents américains au cours des 35 dernières années. Les montants alloués pour l'éducation ont régulièrement augmentés, passant de 4300 $ par élève à 9000$ (chiffres corrigés de l'inflation). Pourtant, sur cette même période, les résultats en matière de lecture et de mathématique ont été parfaitement stables. Ces crédits supplémentaires n'ont donc eu aucune conséquence en termes de résultats concrets. En 2001, l'une des premières mesures du Président républicain George Bush fut de s'associer au sénateur démocrate Ted Kennedy pour faire adopter la loi "No Child Left Behind", qui fut donc votée de manière bipartisane. Celle-ci prévoyait des tests standardisées pour mieux analyser les résultats de chaque école, avec des plans d'aide (sous forme de carottes et de bâtons) pour celles dont les résultats sont insatisfaisants. Néanmoins, les résultats des écoles publiques restent très largement insatisfaisants, loin des objectifs prévus, malgré les moyens supplémentaires prévus par la loi. Aujourd'hui, alors que l'échéance du bâton se rapproche, les Etats cherchent à revenir sur la loi pour conserver les fonds fédéraux malgré leur échec.

Au bout d'un moment, il faut donc rechercher d'autres causes à ces échecs que le simple manque de moyens. Il s'avère que certaines écoles sont plus promptes à l'échec que d'autres. Sur la base du nombre d'élèves quittant le système sans diplôme, un chercheur les a comptabilisés. A ce moment-là, le documentaire surprend. Plutôt que d'accuser un environnement désavantagé pour expliquer les résultats de telles écoles, il se demande si ce n'est pas de telles écoles qui sont responsables d'environnements désavantagés. En effet, les anciens élèves de ces écoles deviennent sans qualification et sont plus facilement exclus de la société.

Les raisons de ces usines à échecs seraient alors structurelles. Pour commencer, les directives contradictoires des différentes autorités sont déconcertantes. Une bureaucratie qui perd de vue sa raison d'être ("produire des résultats pour les enfants") est alors pointée du doigt. Mais ce n'est pas tout. D'après des recherches, il y a des différences énormes entre les résultats de différents professeurs. Or les pires coûtent aussi chers que les meilleurs. Il n'y a aucun moyen de motiver les professeurs à ce que leurs élèves aient de meilleurs résultats, on ne peut compter que sur leur bonne volonté.

Un responsable explique qu'il ne pouvait virer un professeur qui se limitait à faire de sa classe une garderie. En effet, ceux-ci ont la sécurité de l'emploi, à la base pour échapper aux pressions politiques. Les syndicats d'enseignants sont puissants, et ont réussi à garder cet avantage au fil des décennies. Supprimer cette sécurité de l'emploi est ainsi devenu un tabou politique aux Etats-Unis. De même, il est impossible de récompenser un professeur individuellement. Michelle Rhee, responsable de l'éducation à Washington DC, où se trouvent les pires écoles, n'a ainsi pas réussi ne serait-ce qu'à faire discuter son projet de réforme. Celui-ci prévoyait aux professeurs de renoncer volontairement à la sécurité de l'emploi contre la possibilité d'augmenter substantiellement leur salaire s'ils avaient de bons résultats...

Pour passer au delà cette bureaucratie, des parents et des responsables inquiets ont choisi de créer une troisième voie entre les écoles publiques et celles privées. C'est comme ça que s'est formé le système des charter schools, des établissements du primaire ou du secondaire financées par l'Etat comme les écoles publiques, mais disposant de la même autonomie que les écoles privées. Leurs directeurs peuvent alors mettre en place leurs propres projets pédagogiques sans être limités par les contrats négociés avec les syndicats. N'importe qui peut demander à aller étudier dans une de ces charter schools, certaines d'entre elles étant bien meilleures que leurs voisines publiques voire privées. Seulement, elles n'ont commencé à opérer que dans les années 90, et leur nombre est encore bien insuffisant par rapport à la demande.

La loi exige que la sélection se fasse par tirage au sort. C'est ainsi qu'on nous montre des images hallucinantes de parents et d'enfants, assistant à de tels tirages au sort. Ils peuvent se faire par processus aléatoire informatique, par tirage de bouts de papier dans un panier, ou bien en faisant tourner des boules dans une roue comme dans une authentique loterie. Alors que les places sont attribuées progressivement, les enfants non retenus comprennent bien que leur espoir d'échapper à ces fameuses usines à échecs s'amenuisent. Ces parents et ces enfants rient ou pleurent selon les résultats de ce hasard qui fera le destin de la prochaine génération d'Américains...

Image tirée du film "Waiting for Superman"

mercredi 17 août 2011

Euro-obligations et convergence économique

En cette période d'actualité relativement faible, les journalistes se préoccupent beaucoup des "marchés", et commentent les évolutions de l'indice Dow Jones et du CAC 40 avec une ardeur redoublée. Ce dernier fait les montagnes russes au gré des rumeurs et des annonces diverses. On se rend compte à nouveau qu'en fin de compte, les actions ne sont pas forcément le meilleur placement à long terme, mais on se préoccupe beaucoup quand même de l'état d'esprit des marchés, devenus une entité désincarnée à la volonté fluctuante. Tant que ce ne sont que les actions qui fluctuent ainsi, il n'y a pas de quoi fouetter un chat. La valeur d'une entreprise ne change pas aussi vite que sa valorisation. Les variations brusques du cours d'une action concernent davantage les spéculateurs au jour le jour que ceux qui attendent principalement des dividendes. Si une entreprise est saine, elle dégagera des bénéfices, et la variation du CAC 40 changera peu cela. Mais bizarrement, calmer les marchés financiers est subitement devenu une priorité, plus médiatique que politique.

C'est ainsi que l'on arrive au sommet franco-allemand d'hier. Les journaux l'ont présenté comme très important pour apporter des réponses aux marchés financiers, sans que les Allemands ou les Français aient vraiment une telle perspective de court terme. Certes, il s'agissait de voir les mesures à adopter pour renforcer la gouvernance de l'euro, mais le but n'était certainement pas de permettre les indices boursiers de grimper à nouveau. Et dans ce contexte, on a vu tout aussi bizarrement arriver le débat sur les euro-obligations ou eurobonds). Les journaux nous ont affirmé que la question était dans l'air du temps... sauf qu'il n'était pas du tout au programme de ce sommet. Ils tendent à confondre leurs propres idées avec celles qui ont cours au pouvoir. S'ils sont déçus ensuite, ils ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes.

Les euro-obligations sont actuellement inopportunes. Il s'agit mettre en commun la dette, pour que le taux d'intérêt des pays dont les finances publiques sont les moins rigoureuses diminue, et que celui des pays les plus rigoureux augmente. En bref, il s'agirait de récompenser le laxisme et de punir la rigueur. Il n'est pas étonnant que les Allemands, qui ont subi des réformes très durs pour construire des fondamentaux sains à leur économie, y soient absolument opposés. Et si l'on sous-estime leur opposition, il suffit de lire la presse locale pour s'en convaincre. Contrairement à tous les mécanismes mis en place jusqu'à présent pour aider les pays en difficulté, les euro-obligations auraient un coût direct pour les Allemands, et équivaudrait bel et bien à un transfert financier.

Le concept d'euro-obligations n'est pas inepte en soi. Mais ce doit être un point d'aboutissement d'une politique économique commune, et non un point de départ. On ne peut avoir une dette européenne qu'à condition que celui qui l'émet soit bien identifié dans sa capacité à rembourser. Un éventuel Etat fédéral, aux ressources propres, pourrait légitimement émettre des euro-obligations. Si elles doivent venir de plusieurs Etats, alors il faut une convergence économique effective. On ne peut pas avoir d'un côté un Etat qui a un déficit public de 8 % du PIB et de l'autre un Etat qui a un surplus de 0,5 %. Sans convergence, le taux d'intérêt serait artificiel, peu transparent, et ressemblerait à du vol pour les méritants.

On a beaucoup glosé sur une éventuelle politique économique commune, mais celle-ci commence par une véritable convergence des politiques économiques individuelles. Et cela suppose de s'aligner sur la meilleure, c'est à dire celle de la rigueur budgétaire. Un Etat ne peut pas vivre indéfiniment avec des déficits publics conséquents. Le traité de Maastricht devait pousser les Etats d'Europe à prendre ce chemin, mais il fut insuffisamment respecté, notamment par la France. L'Allemagne a inscrit dans sa Loi Fondamentale une interdiction des déficits (en période ordinaire). Ce moyen de se restreindre soi-même peut être une meilleure voie pour arriver enfin à l'équilibre budgétaire.

C'est avec ce raisonnement qu'Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont voulu faire inscrire une telle règle dans les Constitutions de tous les pays de la zone euro. Dans le cas de la France, cela paraît déjà mal entamé, les socialistes ne voulant pas renoncer à leurs traditionnelles relances keynésiennes de l'économie en tout temps. Mais ce serait pourtant une première base pour une politique économique commune. D'autres mesures ont été évoqués, mais restent encore largement à préciser. Un gouvernement économique de la zone euro, avec les chefs de gouvernement, ne changerait pas grand chose en l'état. Une taxe sur les transactions financières est un vieux serpent de mer, mais reste un casse-tête sur les façons d'y arriver concrètement. Plus intéressant est la possibilité d'une harmonisation du taux et de l'assiette de l'impôt sur les sociétés entre l'Allemagne et la France. Cette dernière doit de toute façon restructurer toute sa politique fiscale, ce serait une bonne occasion pour une harmonisation avec ses voisins. Il serait néanmoins politiquement compliqué d'arriver à des taux d'imposition communs à toute l'Europe.

La route pour une convergence des politiques économiques sera longue et compliquée. Elle passe d'abord par une rigueur budgétaire partagée. Mais lorsqu'on y sera, les euro-obligations auront toute la légitimité qu'elles exigent.

samedi 13 août 2011

Alf Président

Dans la célèbre sitcom des années 80 ALF, le héros éponyme est un extraterrestre burlesque squattant chez une famille de la classe moyenne américaine. Dans un épisode, Alf ne cesse de cesse de poser des questions naïves à Kate, la mère, sur la politique. Celle-ci lui répond que les choses sont plus compliquées qu'il ne le pense, mais la nuit venue, elle a le sommeil agité. Elle finit par rêver qu'Alf est subitement devenu Président des Etats-Unis, et qu'elle lui rend visite dans le bureau ovale. Kate considère qu'il s'agit d'un travail sérieux, et finit par l'interroger :
"Kate : Que comptes-tu faire à propos des sans abris ?
Alf : C'est réglé !
Kate : Qu'est-ce qui est réglé ?
Alf : Il y a des maisons qui sont construites pour chacun d'entre eux.
Kate : D'accord. Et qu'est-ce que tu fais à propos du chômage ?
Alf : Il n'y en a pas. Tout le monde construit des maisons.
Kate : Et je suppose que les gens ne font plus de guerres...
Alf : Qui a le temps pour ça ? Ils sont tous en train de choisir le papier peint de leurs nouvelles maisons !
Kate : Alf, je ne crois pas que les problèmes de ce pays peuvent être réglés aussi facilement...
Alf : Bien sûr que si. Regarde dehors.
Kate se lève, et regarde, troublée : Tout le monde danse dans les rues..."

Tout l'épisode repose sur l'humour provoqué entre les visions compliquées de Kate, et le don d'Alf pour tout simplifier. Et si, justement, c'était aussi simple que ça ? Peut-on appliquer le programme d'Alf pour régler les problèmes du logement et du chômage, et qu'on finisse par tous danser dans les rues ?

Regardons comment ça se passerait concrètement. Pour que tout le monde puisse construire des maisons, il faudrait déjà qu'ils en aient les qualifications. Après tout, à l'époque de la colonisation américaine, chaque pionnier se construisait sa propre maison (qui ressemblait certes plus à une cabane) sur le terrain vierge qu'il trouvait. Aux Etats-Unis, les maisons en bois sont encore souvent prédominantes, et permettent un coût de l'immobilier moins élevé. En France, cela se traduit par le rêve de la maison en kit à 100 000 €. Le principal obstacle devient alors le besoin de capital : il n'est pas question d'abattre les arbres de la forêt du coin pour se construire sa maison. Les outils ne tombent pas du ciel. Et il reste également la question du terrain...

On peut imaginer plusieurs solutions alors. Des taux d'intérêts faibles peuvent aider les moins favorisés à emprunter le capital minimum pour faire aboutir la construction de leur propre maison. Sinon, le gouvernement peut attribuer des terrains, à condition d'en garder la propriété tant qu'ils ne sont pas dument achetés. C'est un peu la raison d'être des HLM. En fait, le coeur des difficultés immobilières est la volonté de la population d'habiter à un endroit précis. En France, certaines régions souffrent de désertification rurale, et il y aurait même des dizaines de milliers de logements sociaux vides dans les départements les moins attractifs. La question est plutôt celle de l'évolution du nombre de sans abris et de leur mobilité.

Le problème des sans abris n'est donc pas insurmontable. Mais construire des maisons indéfiniment ne peut pas être sain économiquement. Aux Etats-Unis et en Espagne, la fièvre immobilière fut très intense, à croire qu'Alf était déjà au pouvoir sans qu'on le sache. Mais cela finit par créer une bulle dont l'éclatement a forcé l'expulsion de centaines de milliers de personnes en Amérique, et ramena l'Espagne à son taux de chômage de 20 % du début des années 90. Même en France, on peut créer des logements pour les plus pauvres dans les communes où les terrains sont les moins chers, mais cela n'aboutit qu'à créer de nouveaux ghettos. L'exode rural eut lieu car à l'époque il n'y avait plus d'emplois dans les campagnes. Et si l'on ne peut construire indéfiniment des maisons, comment créer les emplois de ceux qui viennent d'obtenir leur logement ?

Admettons que l'on crée un village ex nihilo d'anciens sans abris dans un désert rural. Ils forment alors une communauté qui a besoin à la fois d'emplois et de de travail. Si sur 100 personne, 60 sont actives (taux pris au hasard), il faudra parmi ces 60 personnes qu'une fasse office de boulanger, une autre d'enseignants pour les enfants, que quelqu'un entretienne le bâti, etc. Est-il possible que ces 60 personnes aient tous un travail liés à l'entretien de cette communauté ? A cette petite échelle, c'est en fait un problème économique fondamental qui se pose. La première question est celle des économies d'échelle : par exemple, la présence d'un cardiologue est certainement utile, mais s'il n'a que 100 personnes à surveiller, ce n'est pas assez pour que cela soit une activité à plein temps. La deuxième question est celle des échanges avec l'extérieur : la communauté cultive-t-elle elle-même les champs pour créer sa nourriture, ou bien doit-elle l'acheter au reste du monde, qui aura certainement des produits moins chers au vu d'une meilleure productivité ? Dans le deuxième cas, comment créer les richesses permettant un tel échange ? Encore une fois, on retombe sur l'exemple du village du far west, un peu isolé de tout. Par contre, si la communauté est ancrée dans le milieu urbain, le risque est de recréer les ghettos formés par nos villes nouvelles des années 60.

N'en déplaise à Alf, les choses sont donc bel et bien plus compliquées qu'il ne l'envisage. Les sans abris manquent de logement car ils n'ont pas d'emploi, et dans la plupart des cas, ce n'est pas le fait d'avoir un toit qui le leur en donnera un. Mais il reste la solution (temporaire ?) de construire des maisons à bas prix, dans les campagnes : cela les soulagerait déjà d'une grande peine...

mardi 9 août 2011

Les encapuchonnés en Angleterre

En regardant les informations, les téléspectateurs français ont un curieux sentiment de déjà vu. Un délinquant a trouvé la mort à Londres à la suite de sa tentative d'interpellation. Des bandes ont provoqué une émeute dans son quartier, et très rapidement, des émeutes ont éclaté ailleurs, chaque soir depuis plusieurs jours. Il y a déjà un mort, les commerces sont méticuleusement pillés, et un pâté de maisons a été calciné. Evidemment, ceux qui mettent leurs villes à feu et à sang ne connaissaient pas la victime initiale, et à vrai dire, cela n'a plus d'importance. Le mouvement est lancé, et ce qui compte pour les jeunes encapuchonnés, c'est bien de se divertir en faisant régner la violence, et si possible, de profiter des occasions de larcins qui se présenteront. Pour les Français, ce n'est ni plus ni moins que le scénario des émeutes de 2005, de l'autre côté de la Manche cette fois-ci.

Alors comme il y a six ans, on revoit les inénarrables sociologues tenter d'apporter des explications. On va pouvoir deviser sur le mal être de la jeunesse, de ses perspectives d'avenir moribondes, ou de la société consumériste qui les incite à mettre la main sur des articles de marque quel qu'en soit le moyen. Alors que les Anglo-Saxons voyaient dans nos émeutes l'échec de notre modèle intégrationniste, on pourra aisément remarquer que celui multiculturaliste ne fait gère mieux, si jamais c'était ça la question. Mais en fait, il ne s'agit pas de chercher des excuses : il n'y en a aucune. Absolument rien ne justifie les actes qui sont actuellement commis en Angleterre. Il y a des individus qui prennent la décision de voler des petits commerçants, de brûler la maison de leurs concitoyens, et de tabasser les passants pour les détrousser. A notre époque, il est impossible d'ignorer qu'il s'agit d'actes ignobles, mais il les commettent quand même. Cachés sous leur capuche, ils profitent d'une bonne occasion pour se laisser aller à leurs envies, et ne font que montrer leur totale déliquescence morale.

Le Premier ministre britannique, David Cameron, a eu les mots qui s'imposaient à l'égard de ces délinquants : "Vous sentirez la pleine force de la loi. Et si vous êtes assez âgés pour commettre ces crimes, vous êtes assez âgés pour en subir les sanctions." Certains d'entre eux sont en effet mineurs. Dans ce cas, on peut se demander comment ils sont encadrés par leurs parents. La police anglaise demande d'ailleurs à tous les parents de s'assurer de l'endroit où sont leurs enfants. Dans un tel climat, aucun n'a à sortir, même pour sortir et ne faire qu'assister à de telles émeutes. Ils ne font alors que gêner le travail des forces de l'ordre. En France, on avait fini par en voir le bout en mettant en place un couvre-feu temporaire. Si ces événements ne perdent pas rapidement en intensité, le gouvernement britannique sera bien inspiré de prendre en compte cette option. Et bien sûr, les coupables devront comme annoncé faire face aux conséquences de leurs actes.

dimanche 7 août 2011

Hausse du déficit : où est passée la différence ?

Alors que Martine Aubry déclare vouloir augmenter le budget public de la culture de 50 %, le reste des pays occidentaux se préoccupe surtout de la gestion de la dette publique. L'Amérique a peiné pour augmenter le plafond de sa dette et ne pas faire défaut, alors qu'en Europe, chacun ne se soucie plus désormais que de réduction de déficits. En France, la présidence de Jacques Chirac s'est terminée sur une baisse des déficits, alors que ceux-ci ont augmenté avec la présidence de Nicolas Sarkozy. Nombreux sont ceux qui n'ont pas compris comment cela s'est passé. Sur son blog, Le Chafouin se demande ainsi : "Nicolas Sarkozy a réussi le tour de force de doper le déficit public, tout en taillant dans les services publics et en ne diminuant pas les impôts. C’est à se demander où est passée la différence."

La question est intéressante. On peut essayer de trouver la réponse en auscultant les budgets votés, ainsi que les rapports d'exécution de la Cour des Comptes. Celle-ci a été présidée dernièrement par Philippe Séguin et Didier Migaud, deux personnalités que l'on ne peut soupçonner de complaisance à l'égard du pouvoir en place. En 2008, le solde budgétaire s'est bien plus dégradé que ce qui n'était prévu par le budget voté par le Parlement (une différence de 14,5 milliards d'euros). C'est le résultat de dépenses publiques plus fortes que prévues, et surtout, d'une hausse tant des transferts de l'Etat vers d'autres administrations publiques que des allègements d'impôts.

En 2009, le déficit de l'Etat s'est aggravé de façon spectaculaire, passant de 56 à 138 milliards. C'est le montant exécuté, dans le budget voté, il était encore plus important, visiblement le gouvernement a réussi à faire quelques économies au cours de l'année. Dans ce bond, on peut distinguer plusieurs causes : 22,9 milliards dues à des mesures fiscales anciennes et nouvelles, 24,3 milliards de recettes manquantes du fait de la dégradation brutale de l'économie, et 15,7 milliards de dépenses dues au plan de relance de l'économie. C'est une somme conséquente, et l'on se souvient qu'à cette époque, Barack Obama faisait pression sur les pays européens pour qu'ils mettent en œuvre une relance encore plus importante (le plan de relance américain fut bien plus massif en proportion).

L'année suivante, tant les recettes que les dépenses ont augmenté. L'augmentation des recettes de 2010 vient notamment des intérêts des prêts accordés aux banques. L'augmentation des dépenses provient du programme d'investissements d'avenir, ce qui correspond aux dépenses engendrées par le grand emprunt (qui n'est pas comptabilisé comme une recette à proprement parler). Au bout du compte, c'est quand même 10 milliards de déficits en plus.

C'est ainsi qu'on peut répondre à la question initiale. Si on a l'impression que le gouvernement taille dans les services publiques, les charges de fonctionnement courant ne sont toujours pas maîtrisées, ce qui montre que l'effort est insuffisant à ce niveau là. Contrairement à ce que l'on peut penser également, les impôts ont été diminués, avec toutes les mesures mises en places ces dernières années. D'après l'INSEE, le taux de prélèvements obligatoires des administrations publiques a constamment diminué depuis 2006, passant de 44 % du PIB à 41,6 %. En outre, la crise économique mondiale a eu un effet très réel sur les finances publiques, d'abord sur le manque à gagner colossal au niveau des recettes, ensuite sur les charges plus importantes, qu'elles soient mécaniques (augmentation des indemnisations de chômeurs) ou bien par politique contra-cyclique (le plan de relance).

mardi 2 août 2011

L'art du rassemblement

Deux candidats socialistes à la présidentielle, Ségolène Royal et Manuel Valls, ont appelé à la création d'une large majorité de rassemblement, allant de l'extrême gauche jusqu'aux gaullistes. Cela pose quelques questions. En premier lieu, celle de savoir en quoi consiste un rassemblement. En 2007, Nicolas Sarkozy avait également prévenu dès la campagne électorale qu'il devait ouvrir la majorité au plus large. C'est ce qu'on a appelé l'ouverture, où certaines personnalités du centre et de la gauche ont rejoint le nouveau Président pour participer au gouvernement. Ce fut mal vécu par une partie de la droite, qui y voyait soit une compromission, soit des portefeuilles ministériels qui lui échappaient. Le procédé fut également abondamment critiqué par la gauche, qui le caractérisa comme un mensonge, une façon de faire croire que Nicolas Sarkozy allait mener une politique de gauche, alors qu'il restait un vil suppôt de la droite.

Si elle a fait l'unanimité contre elle, l'ouverture ne méritait pas tant d'opprobres. Il s'agissait en fait de réunir l'éventail de compétences pour appliquer un programme précis, celui de Nicolas Sarkozy. On ne pouvait pas aussi mettre de côté le coup purement politique, l'ouverture ayant déconcerté un moment la gauche. D'un point de vue idéologique, le grand écart n'était pas immense. Les personnalités de gauche débauchées se trouvant soit assez neutres en matière de politique générale, mais spécialisées dans des thèmes particuliers, ou bien elles étaient d'ores et déjà dans les franges les plus à droite de la gauche.

La proposition de Ségolène Royal et de Manuel Valls va plus loin. Pour commencer, il faudrait commencer par définir ce qu'un "gaulliste" de nos jours. Il y a quarante ans, c'était un partisan du général De Gaulle, mais celui-ci est désormais six pieds sous terre. Sans De Gaulle, plus de gaullisme. On trouve bien des gens capables de se qualifier de gaullisme, s'appuyant sur tel ou tel comportement du général à un moment donné. Le concept n'a plus de pertinence. Si le gaullisme est l'euroscepticisme forcené de Nicolas Dupont-Aignan, on peine à voir où sera la compatibilité avec le programme de la gauche. Si le gaullisme est en fait un paravent du villepinisme, le problème se résout facilement : cette tendance a pour seul fondement idéologique la haine de Nicolas Sarkozy, ce qui est parfaitement soluble dans la gauche.

Le plus embarrassant est certainement l'appel à l'extrême gauche. C'est en fait parfaitement scandaleux. Que ne dirait-on pas (et avec raison) si l'UMP appelait au rassemblement avec l'extrême droite ? L'outrage est exactement le même. Ce sont tous les extrémismes qu'il faut combattre, et promouvoir l'extrême gauche comme certaines personnalités socialistes veulent le faire montre à quel point elles peuvent se fourvoyer pour des raisons électoralistes.

Avec un tel rassemblement, il ne reste plus grand monde qui ne soit pas compris dedans. Pour ceux qui restent en dehors, le PS a la solution. Harlem Désir, qui dirige actuellement le Parti Socialiste, a ainsi demandé la dissolution de la "droite populaire", c'est-à-dire la droite de l'UMP, soit à peu près les seuls qui n'étaient pas inclus dans le rassemblement socialiste à part le FN. Voilà où en est : les socialistes veulent que presque tout le monde votent pour eux, et souhaitent faire disparaître ceux qui n'en seront pas. Avec une telle méthode de rassemblement, on pourra se demander à quoi serviront encore les élections.

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