Dans la célèbre sitcom des années 80 ALF, le héros éponyme est un extraterrestre burlesque squattant chez une famille de la classe moyenne américaine. Dans un épisode, Alf ne cesse de cesse de poser des questions naïves à Kate, la mère, sur la politique. Celle-ci lui répond que les choses sont plus compliquées qu'il ne le pense, mais la nuit venue, elle a le sommeil agité. Elle finit par rêver qu'Alf est subitement devenu Président des Etats-Unis, et qu'elle lui rend visite dans le bureau ovale. Kate considère qu'il s'agit d'un travail sérieux, et finit par l'interroger :
"Kate : Que comptes-tu faire à propos des sans abris ?
Alf : C'est réglé !
Kate : Qu'est-ce qui est réglé ?
Alf : Il y a des maisons qui sont construites pour chacun d'entre eux.
Kate : D'accord. Et qu'est-ce que tu fais à propos du chômage ?
Alf : Il n'y en a pas. Tout le monde construit des maisons.
Kate : Et je suppose que les gens ne font plus de guerres...
Alf : Qui a le temps pour ça ? Ils sont tous en train de choisir le papier peint de leurs nouvelles maisons !
Kate : Alf, je ne crois pas que les problèmes de ce pays peuvent être réglés aussi facilement...
Alf : Bien sûr que si. Regarde dehors.
Kate se lève, et regarde, troublée : Tout le monde danse dans les rues..."

Tout l'épisode repose sur l'humour provoqué entre les visions compliquées de Kate, et le don d'Alf pour tout simplifier. Et si, justement, c'était aussi simple que ça ? Peut-on appliquer le programme d'Alf pour régler les problèmes du logement et du chômage, et qu'on finisse par tous danser dans les rues ?

Regardons comment ça se passerait concrètement. Pour que tout le monde puisse construire des maisons, il faudrait déjà qu'ils en aient les qualifications. Après tout, à l'époque de la colonisation américaine, chaque pionnier se construisait sa propre maison (qui ressemblait certes plus à une cabane) sur le terrain vierge qu'il trouvait. Aux Etats-Unis, les maisons en bois sont encore souvent prédominantes, et permettent un coût de l'immobilier moins élevé. En France, cela se traduit par le rêve de la maison en kit à 100 000 €. Le principal obstacle devient alors le besoin de capital : il n'est pas question d'abattre les arbres de la forêt du coin pour se construire sa maison. Les outils ne tombent pas du ciel. Et il reste également la question du terrain...

On peut imaginer plusieurs solutions alors. Des taux d'intérêts faibles peuvent aider les moins favorisés à emprunter le capital minimum pour faire aboutir la construction de leur propre maison. Sinon, le gouvernement peut attribuer des terrains, à condition d'en garder la propriété tant qu'ils ne sont pas dument achetés. C'est un peu la raison d'être des HLM. En fait, le coeur des difficultés immobilières est la volonté de la population d'habiter à un endroit précis. En France, certaines régions souffrent de désertification rurale, et il y aurait même des dizaines de milliers de logements sociaux vides dans les départements les moins attractifs. La question est plutôt celle de l'évolution du nombre de sans abris et de leur mobilité.

Le problème des sans abris n'est donc pas insurmontable. Mais construire des maisons indéfiniment ne peut pas être sain économiquement. Aux Etats-Unis et en Espagne, la fièvre immobilière fut très intense, à croire qu'Alf était déjà au pouvoir sans qu'on le sache. Mais cela finit par créer une bulle dont l'éclatement a forcé l'expulsion de centaines de milliers de personnes en Amérique, et ramena l'Espagne à son taux de chômage de 20 % du début des années 90. Même en France, on peut créer des logements pour les plus pauvres dans les communes où les terrains sont les moins chers, mais cela n'aboutit qu'à créer de nouveaux ghettos. L'exode rural eut lieu car à l'époque il n'y avait plus d'emplois dans les campagnes. Et si l'on ne peut construire indéfiniment des maisons, comment créer les emplois de ceux qui viennent d'obtenir leur logement ?

Admettons que l'on crée un village ex nihilo d'anciens sans abris dans un désert rural. Ils forment alors une communauté qui a besoin à la fois d'emplois et de de travail. Si sur 100 personne, 60 sont actives (taux pris au hasard), il faudra parmi ces 60 personnes qu'une fasse office de boulanger, une autre d'enseignants pour les enfants, que quelqu'un entretienne le bâti, etc. Est-il possible que ces 60 personnes aient tous un travail liés à l'entretien de cette communauté ? A cette petite échelle, c'est en fait un problème économique fondamental qui se pose. La première question est celle des économies d'échelle : par exemple, la présence d'un cardiologue est certainement utile, mais s'il n'a que 100 personnes à surveiller, ce n'est pas assez pour que cela soit une activité à plein temps. La deuxième question est celle des échanges avec l'extérieur : la communauté cultive-t-elle elle-même les champs pour créer sa nourriture, ou bien doit-elle l'acheter au reste du monde, qui aura certainement des produits moins chers au vu d'une meilleure productivité ? Dans le deuxième cas, comment créer les richesses permettant un tel échange ? Encore une fois, on retombe sur l'exemple du village du far west, un peu isolé de tout. Par contre, si la communauté est ancrée dans le milieu urbain, le risque est de recréer les ghettos formés par nos villes nouvelles des années 60.

N'en déplaise à Alf, les choses sont donc bel et bien plus compliquées qu'il ne l'envisage. Les sans abris manquent de logement car ils n'ont pas d'emploi, et dans la plupart des cas, ce n'est pas le fait d'avoir un toit qui le leur en donnera un. Mais il reste la solution (temporaire ?) de construire des maisons à bas prix, dans les campagnes : cela les soulagerait déjà d'une grande peine...