En cette période d'actualité relativement faible, les journalistes se préoccupent beaucoup des "marchés", et commentent les évolutions de l'indice Dow Jones et du CAC 40 avec une ardeur redoublée. Ce dernier fait les montagnes russes au gré des rumeurs et des annonces diverses. On se rend compte à nouveau qu'en fin de compte, les actions ne sont pas forcément le meilleur placement à long terme, mais on se préoccupe beaucoup quand même de l'état d'esprit des marchés, devenus une entité désincarnée à la volonté fluctuante. Tant que ce ne sont que les actions qui fluctuent ainsi, il n'y a pas de quoi fouetter un chat. La valeur d'une entreprise ne change pas aussi vite que sa valorisation. Les variations brusques du cours d'une action concernent davantage les spéculateurs au jour le jour que ceux qui attendent principalement des dividendes. Si une entreprise est saine, elle dégagera des bénéfices, et la variation du CAC 40 changera peu cela. Mais bizarrement, calmer les marchés financiers est subitement devenu une priorité, plus médiatique que politique.

C'est ainsi que l'on arrive au sommet franco-allemand d'hier. Les journaux l'ont présenté comme très important pour apporter des réponses aux marchés financiers, sans que les Allemands ou les Français aient vraiment une telle perspective de court terme. Certes, il s'agissait de voir les mesures à adopter pour renforcer la gouvernance de l'euro, mais le but n'était certainement pas de permettre les indices boursiers de grimper à nouveau. Et dans ce contexte, on a vu tout aussi bizarrement arriver le débat sur les euro-obligations ou eurobonds). Les journaux nous ont affirmé que la question était dans l'air du temps... sauf qu'il n'était pas du tout au programme de ce sommet. Ils tendent à confondre leurs propres idées avec celles qui ont cours au pouvoir. S'ils sont déçus ensuite, ils ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes.

Les euro-obligations sont actuellement inopportunes. Il s'agit mettre en commun la dette, pour que le taux d'intérêt des pays dont les finances publiques sont les moins rigoureuses diminue, et que celui des pays les plus rigoureux augmente. En bref, il s'agirait de récompenser le laxisme et de punir la rigueur. Il n'est pas étonnant que les Allemands, qui ont subi des réformes très durs pour construire des fondamentaux sains à leur économie, y soient absolument opposés. Et si l'on sous-estime leur opposition, il suffit de lire la presse locale pour s'en convaincre. Contrairement à tous les mécanismes mis en place jusqu'à présent pour aider les pays en difficulté, les euro-obligations auraient un coût direct pour les Allemands, et équivaudrait bel et bien à un transfert financier.

Le concept d'euro-obligations n'est pas inepte en soi. Mais ce doit être un point d'aboutissement d'une politique économique commune, et non un point de départ. On ne peut avoir une dette européenne qu'à condition que celui qui l'émet soit bien identifié dans sa capacité à rembourser. Un éventuel Etat fédéral, aux ressources propres, pourrait légitimement émettre des euro-obligations. Si elles doivent venir de plusieurs Etats, alors il faut une convergence économique effective. On ne peut pas avoir d'un côté un Etat qui a un déficit public de 8 % du PIB et de l'autre un Etat qui a un surplus de 0,5 %. Sans convergence, le taux d'intérêt serait artificiel, peu transparent, et ressemblerait à du vol pour les méritants.

On a beaucoup glosé sur une éventuelle politique économique commune, mais celle-ci commence par une véritable convergence des politiques économiques individuelles. Et cela suppose de s'aligner sur la meilleure, c'est à dire celle de la rigueur budgétaire. Un Etat ne peut pas vivre indéfiniment avec des déficits publics conséquents. Le traité de Maastricht devait pousser les Etats d'Europe à prendre ce chemin, mais il fut insuffisamment respecté, notamment par la France. L'Allemagne a inscrit dans sa Loi Fondamentale une interdiction des déficits (en période ordinaire). Ce moyen de se restreindre soi-même peut être une meilleure voie pour arriver enfin à l'équilibre budgétaire.

C'est avec ce raisonnement qu'Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont voulu faire inscrire une telle règle dans les Constitutions de tous les pays de la zone euro. Dans le cas de la France, cela paraît déjà mal entamé, les socialistes ne voulant pas renoncer à leurs traditionnelles relances keynésiennes de l'économie en tout temps. Mais ce serait pourtant une première base pour une politique économique commune. D'autres mesures ont été évoqués, mais restent encore largement à préciser. Un gouvernement économique de la zone euro, avec les chefs de gouvernement, ne changerait pas grand chose en l'état. Une taxe sur les transactions financières est un vieux serpent de mer, mais reste un casse-tête sur les façons d'y arriver concrètement. Plus intéressant est la possibilité d'une harmonisation du taux et de l'assiette de l'impôt sur les sociétés entre l'Allemagne et la France. Cette dernière doit de toute façon restructurer toute sa politique fiscale, ce serait une bonne occasion pour une harmonisation avec ses voisins. Il serait néanmoins politiquement compliqué d'arriver à des taux d'imposition communs à toute l'Europe.

La route pour une convergence des politiques économiques sera longue et compliquée. Elle passe d'abord par une rigueur budgétaire partagée. Mais lorsqu'on y sera, les euro-obligations auront toute la légitimité qu'elles exigent.