Pour remporter les primaires socialistes, Martine Aubry compte sur sa "lettre aux Français". On y trouve rien de très original. Une description de sa France qui ressemble au paradis sur terre. Une critique de Nicolas Sarkozy. Une ébauche de programme, à base d'embauches massives de fonctionnaires, financées par une croissance miraculeusement retrouvée. Mais elle y glisse une référence qui n'est pas anodine. Dans ses valeurs, elle évoque "la fidélité au combat de mon père, Jacques Delors". Jusqu'à présent, au cours de sa carrière nationale, elle n'avait pas eu recours à la référence paternelle. Elle est certainement consciente que, contrairement à la plupart de ses concurrents à la prochaine présidentielle, elle n'est pas une "self made woman". Elle disposait du capital économique, culturel et surtout social dès son plus jeune âge. Et l'un de ses premiers emplois fut celui de conseillère au gouvernement auquel appartenait son père. On peut alors comprendre qu'elle souhaite rester discrète par humilité sur cet avantage dont elle a bénéficié par rapport aux autres. Mais cela a visiblement changé.

Il y a deux semaines, elle avait ainsi déjà sollicité son père pour qu'il participe à sa "cellule de crise économique", une opération de communication dans le cadre de sa campagne électorale. Alors qu'elle cherche à être élue aux plus hautes responsabilités, elle transforme son père en argument électoral. Celui-ci fut après tout très populaire en son temps, et son propre refus de se présenter à la présidentielle lui donne une aura de "celui qui aurait pu être Président s'il l'avait voulu". Dès lors, le message est clair : si vous n'avez pas pu avoir le père, vous pouvez encore avoir la fille. Tant pis si cela risque d'afficher au grand jour une dynastie.

Seulement, on ne peut pas vraiment dire que Martine Aubry soit sur la même ligne que Jacques Delors. Alors que ce dernier s'est toujours montré comme un défenseur d'une gauche modérée et raisonnable, faisant office de pompier lorsque le gouvernement Mauroy mettait le feu par ses mesures dépensières, la première est résolument dans le camp de la dépense comme principe de gouvernement. Les programmes publiés jusqu'ici par le PS, avant la déclaration de candidature de sa première secrétaire, se caractérisent par une frénésie dépensière inouïe.

Si l'on voulait un véritable héritier de Jacques Delors, alors il y aurait ici tromperie sur la personne. Jacques Delors veut certainement le mieux pour sa fille, et en conséquence cela ne le dérangera pas d'être utilisé à des fins électoralistes. Mais désormais, Martine Aubry rentre dans la catégorie de ceux qui font leur carrière sur le nom de leurs parents, à l'instar de Jean Sarkozy, George W. Bush ou Marine Le Pen.