On peut se poser la question : d'où peuvent bien sortir tous les apôtres de l'extrême gauche qui agissent dans les syndicats, certains partis politiques et qui se plaisent dans la fonction publique, jamais assez développée à leur goût ? La réponse est logique : ils sortent tout simplement du lycée, où ils se politisent. C'est ainsi devenu un rituel pour chaque génération. A l'arrivée au lycée, une partie des étudiants croit découvrir l'âge adulte dans une lutte quelconque, et la plus facile d'accès est celle contre le gouvernement du moment. Si ce dernier agit d'une quelconque manière sur l'Education Nationale, le signal du changement sera invariablement interprété comme une agression par la fraction militante des lycéens ou des étudiants de faculté. Heureusement pour ceux-ci, il existe des syndicats étudiants dont la fonction principale est d'organiser la riposte, et de créer un mouvement lycéen ou étudiant qui sera l'occasion pour eux d'exprimer toute la révolte qu'ils portent contre l'ordre établi, de dénoncer les injustices et d'avoir le sentiment qu'ils peuvent mettre en échec un gouvernement qui ne représente que des électeurs mal éclairés. Les mouvements de protestation étudiants à la régularité implacable sont donc devenus des rites initiatiques pour la partie de la jeunesse qui cherche un sens à la vie, et qui le trouvera dans le militantisme politique à gauche. Et à cette période, la gauche rêvée est plus à gauche que celle que l'on trouve dans les gouvernements.

Cela recommence aujourd'hui. Le mouvement des facultés a fini par s'éteindre, après avoir pris comme prétexte la réforme des universités (pourtant bien peu ambitieuse) pour bloquer les facultés dans un grand exercice de démocratie biaisée. Cette fois-ci, le prétexte du jour est la diminution de 8 500 du nombre de professeurs, ce qui ne représente qu'environ 1 % des effectifs. Cette réduction est pourtant bien inférieure à celle qui aurait été à l'ordre du jour si Nicolas Sarkozy avait appliqué à l'Education Nationale son mot d'ordre de ne replacer qu'un départ à la retraite sur deux. Les Français comprennent la nécessité de réduire le déficit budgétaire, mais chacun devient hargneux dès que cet objectif s'applique d'un peu trop près. Et pour les lycéens, peu importe le fait que le nombre des élèves est en train de diminuer actuellement pour des raisons démographiques. L'occasion est trop belle de se payer la politique de "rigueur" du gouvernement, laissant ainsi penser qu'une gestion rigoureuse du budget de l'Etat est une mauvaise chose en soi.

Pendant les prochaines semaines, le mouvement lycéen va probablement prendre encore de l'ampleur comme d'habitude. Le gouvernement serait bien inspiré de ne pas reculer. Si la minorité militante restera toute sa vie à faire de l'agitation pour faire valoir ses vues, la majorité des élèves finit par se lasser, ne connaissant que mal le fond des dossiers et voyant surtout dans ces "grèves" une occasion de sécher les cours en se sentant important. Les responsables syndicaux ont eux un avenir tout tracé : après le syndicalisme lycéen, vient celui étudiant en fac, puis celui en entreprise publique ou même directement la carrière d'apparatchik politique, à l'instar de Bruno Julliard, passé en un temps record de leader de l'UNEF à adjoint de Bertrand Delanoë.