Depuis des semaines déjà, des mois peut-être, on nous abreuve de sujets de reportages, d'interviews, de documentaires ou de reconstitutions sur François Mitterrand, avec comme motif l'anniversaire des 30 ans de son élection à l'Elysée. Un concert public est même prévu. On s'étend longuement sur les espoirs soulevés, cette frénésie collective qui avait mobilisé une frange de la population, sur la nostalgie de cette ère nouvelle qui s'ouvrait. Et ainsi, on découvre que ce qu'il reste de Mitterrand, c'est son élection. Pas ses deux mandats. Cette célébration de l'époque et qu'on nous ressert aujourd'hui, c'est l'aveu d'une grande confusion : en politique, arriver au pouvoir ne doit être qu'une première étape, ce qui compte, c'est ce qu'on en fait. Le 10 mai 1981, en fêtant si bruyamment l'élection de François Mitterrand, ses électeurs oubliaient que le plus dur restait à venir. Et la suite, ce fut un terrible échec.

Trente ans après, on peut désormais le dire : la France se serait certainement mieux portée si Valéry Giscard d'Estaing était resté au pouvoir. Alors que les politiques économiques de l'offre mises en place au Royaume-Uni, en Allemagne ou aux Etats-Unis portaient leur fruit dans les années 80 et signifiaient le retour de la confiance, en France, les effets de la politique socialiste de la demande se sont évaporées dans les importations. Résultat : nous n'avons jamais eu vraiment l'impression de sortir de la crise des années 70 quand nos voisins faisaient bien mieux. L'augmentation brutale du salaire minimum et des autres allocations ne fit qu'augmenter le taux d'inflation, ce qui se traduisit par de nombreuses dévaluations et un blocage des prix en guise de cache misère. Ce n'est certainement pas le pouvoir d'achat qui en a profité.

Autre exemple de cette politique économique aveugle : la retraite à 60 ans, dont nous payons actuellement le prix par le déficit des caisses de retraite. Présentée comme un "progrès social", cette mesure restera emblématique de la vision à court terme que peut avoir le pouvoir politique. Et il en va ainsi de toutes ces lois qui prétendaient transformer la société, et qui en fin de compte, n'ont fait que bien la plomber. Le renchérissement du coût travail amplifia le chômage, les nationalisations s'avérèrent économiquement injustifiées, et la compétitivité globale de la France déclina. Lors de la première législature socialiste, le taux de chômage augmenta de 2,8 points, soit une augmentation de 46 %. Lors de la deuxième législature socialiste (1988-1993), ce taux augmenta encore de 1,3 point, soit une augmentation de plus de 14 %. En comparaison, le taux de chômage resta stable pendant le gouvernement Chirac de 1986-1988, et il diminua pendant le gouvernement Balladur de 1993-1995.

Si le pouvoir socialiste, confronté à une déroute économique et idéologique, dut prendre le tournant de la rigueur en 1983, il ne l'assuma pas. Cela aurait pu être l'opportunité d'une conversion résolue à la social démocratie, mais ce fut présenté comme une pause sur la route vers les grands idéaux socialistes auxquels le PS s'accroche toujours désespérément. Lorsque François Mitterrand comprit que la politique mise en place par son camp était parfaitement désavouée par les Français, il n'hésita pas : il décida de jouer la carte de l'extrême droite. Et c'est tout à fait intentionnellement et consciemment qu'il fit tout pour faire grimper le Front National, dans le but de gêner la droite. Encore à l'heure actuelle, Jean-Marie Le Pen s'en souvient avec nostalgie. François Mitterrand donna des instructions pour faciliter l'accès du président du FN dans les médias, et mis en place la proportionnelle aux législatives de 1986 pour limiter les pertes de sièges socialistes et diminuer l'ampleur de la victoire de la droite au profit de l'extrême droite.

Aujourd'hui, les mitterrandôlatres décrivent volontiers François Mitterrand comme quelqu'un de profondément cultivé, notamment dans les domaines des lettres et de l'histoire. Il ne s'agit pas d'en douter. Seulement, François Mitterrand, c'était aussi le cynisme érigé en principe de vie, l'art de la manipulation florentine comme principal talent. Cela donna l'impression d'une faillite morale. On découvrit sur le tard qu'il fut, comme bien d'autres, un adepte du retournement de veste pendant la seconde guerre mondiale. Mais ce qui étonna plus, c'est que ses liens avec les anciens vichystes perduraient des décennies après, y compris lorsqu'il était chef de l'Etat. Il ne devint socialiste qu'au moment où il prit la tête du Parti Socialiste, et n'hésita pas à mener la politique du pire lorsque cela servait ses intérêts immédiats. Michel Rocard, le moins mauvais de ses Premiers ministres socialistes, fut ainsi viré sans ménagement sans aucun motif avoué, car il lui faisait de l'ombre. Et de la même façon, François Mitterrand favorisa l'ascension politique de Bernard Tapie pour handicaper ce même Michel Rocard, toujours coupable de lui déplaire. On bascula également dans le franchement sordide, avec la mise en place en place d'écoutes illégales de journalistes et de personnalités diverses au bon vouloir du Président...

Alors que le premier mandat de François Mitterrand fut celui des dégâts portés à la France, le second fut celui du grand immobilisme. C'était une espèce d'amélioration, mais rien ne fut vraiment fait pour retourner à un état satisfaisant. Ce fut donc beaucoup de temps perdu. Dans les urnes, lors des élections législatives de 1993, la gauche souffrit la pire défaite connue depuis l'avènement de la Vème République. François Mitterrand peut au moins se targuer d'avoir mené une bonne politique en matière de construction européenne. Mais en matière de politique intérieure, et en particulier de politique économique, le bilan est résolument négatif. Encore en 2011, nous payons les conséquences de ce qui fut fait et de ce qui ne fut pas fait. Alors bien sûr, s'il n'avait jamais été élu Président de la République, on continuerait de se demander s'il aurait pu apporter tous les changements bénéfiques qu'il promettait. Eh bien, maintenant, on sait, et qu'au moins ça nous serve de leçon.

Photo : Reuters