Depuis que les troupes françaises sont en Afghanistan, des voix s'élèvent pour demander leur retour. En fait, dès que l'on envoie des troupes quelque part, des gens remettent en cause l'opportunité de le faire, et ils ont bien le droit de le faire. En l'occurrence, si une intervention en Irak aurait été une faute majeure, l'intervention en Afghanistan se justifiait parfaitement. Il s'agissait d'aider nos alliés américains, gravement attaqués sur son territoire, à faire tomber le régime qui protégeait l'organisation à l'origine de ce crime. Si le régime des talibans tomba rapidement face à l'offensive des alliées occidentaux et de l'Alliance du Nord locale, les dirigeants d'Al Qaida et des talibans réussirent à prendre la fuite à travers la célèbre frontière poreuse du Pakistan. Le chef d'Al Qaida et à ce titre principal responsable des attentats du 11 septembre 2001, Oussama Ben Laden, réussit à échapper aux forces américaines pendant de longues années.

Il est mort désormais. C'est une victoire majeure dans la lutte contre le terrorisme. C'est aussi un objectif de guerre qui est accompli. Al Qaida n'est certes pas détruite, mais son organisation informelle et fluctuante empêche qu'elle le soit un jour d'un seul coup. Quant aux talibans, ils continuent d'être dangereux en Afghanistan. Ils agissent par le biais d'une guérilla contre les troupes occidentales, mais aussi contre le pouvoir civil afghan. Celui-ci se défend comme il peut. De toute évidence, on n'est pas prêt de voir la fin d'un tel conflit. Mais la présences des forces occidentales est-elle toujours justifiée ?

La question est plutôt de savoir quelles sont les conditions d'un départ. Fin 2008, le général américain Douglas Lute avait remis un rapport sur les opérations en Afghanistan au président américain. Il ne fut pas rendu public à l'époque, mais on peut en découvrir certains aspects dans le livre Obama's Wars de Bob Woodward. Il explique que "nous ne perdons pas, mais nous ne gagnons pas non plus", et que le Pakistan est un pays bien plus stratégique dans la guerre contre Al Qaida, la principale menace contre les Etats-Unis. Selon ce rapport, les Etats-Unis ne pourraient prévaloir en Afghanistan sans résoudre trois problèmes majeurs :
  • les difficultés de l'administration afghane, et la corruption généralisée
  • le trafic de l'opium, qui profite aux talibans et aux insurgés
  • la protection offerte par le Pakistan aux bases arrières talibanes.
En tant que tel, il n'y a pas de raisons pour que les forces régulières afghanes ne puissent être formées de la même façon que les irakiennes l'ont été. Le Pakistan est aujourd'hui au cœur des débats : la présence tranquille d'Oussama Ben Laden sur son territoire renforce tous les soupçons que l'on avait à son égard. Le fait que le débat politique pakistanais se porte davantage sur l'intervention américaine que sur ce point ne manque pas d'inquiéter également.

La mort d'Oussama Ben Laden offre quand même une opportunité. Sur chacun des points cités par le général Lute, il n'y aura pas de victoire subite spectaculaire. La décapitation d'Al Qaida en est une en revanche. La tentation est forte de s'en servir comme point de départ à une transition offrant davantage de contrôle à l'administration afghane. Aux Etats-Unis, il avait été question d'un départ de l'Afghanistan en juillet 2011, mais ces derniers temps, c'était plutôt 2014 qui était l'horizon évoqué. Avec les derniers événements, on peut difficilement faire l'impasse sur une réflexion à ce sujet. Selon le ministre des Affaires étrangères français Alain Juppé, un retrait avant 2014 est désormais une option. Les Américains y réfléchiraient à l'instar des Français. Il ne s'agit pas d'évacuer l'Afghanistan à la hâte, mais peut-être est-il temps d'organiser un tel départ. Et si l'on pouvait y voir plus clair à ce sujet avant les prochaines élections présidentielles françaises et américaines, ce ne serait pas un mal pour nos deux pays.