L'Estonie n'est pas riche, mais au moins, ses comptes publics sont sains. En janvier dernier, elle a adopté l'euro comme monnaie. Le budget est équilibré, et il n'y a quasiment pas de dette publique (seulement 8 % environ du PIB). Bien sûr, avec la crise économique, les rentrées fiscales ont diminuées, mais un plan d'austérité a permis de garder des finances publiques rigoureuses. Ce plan n'a pas été rejeté par la population, lorsqu'à l'ouest, ils ont tendance à être très mal vus. Dans un article de l'hebdomadaire The Economist, le Président estonien, Toomas Ilves, explique que les gens du nord sont nécessairement économes, ils doivent emmagasiner de la nourriture en été pour survivre à l'hiver très rude. L'article note que son voisin letton a eu besoin par le passé de l'aide du FMI. Cela remet directement en cause cette explication... Mais on voit quand même que l'idée du déterminisme climatique a la vie dure.

C'est une analyse qui a longtemps eu cours à travers les pays et les siècles. Montesquieu est particulièrement connu pour avoir exploré ce terrain. Dans son Esprit des lois, il consacre quatre livres sur trente-et-un, soit presque une partie entière sur six, sur l'influence de la nature du climat sur les lois et la servitude. Selon lui, le climat rend les hommes différents. "L'air froid resserre les extrémités des fibres extérieures de notre corps ; cela augmente leur ressort, et favorise le retour du sang des extrémités vers le coeur. Il diminue la longueur de ces mêmes fibres; il augmente donc encore par là leur force. L'air chaud, au contraire, relâche les extrémités des fibres, et les allonge; il diminue donc leur force et leur ressort." Ce serait donc un processus physiologique qui changerait les caractères. Le même homme serait vigoureux et courageux en milieu froid, faible et lâche en milieu chaud. Les sciences naturelles expliqueraient alors les natures humaines, les systèmes politiques et in fine, les différences de développement.

Travailleurs au nord, paresseux au sud, les choses sont dites telles quelles dans Montesquieu. Ce n'est pas du racisme authentique, puisque cela ne dépend pas de données corporelles innées, par ailleurs fortement critiquées par le philosophe. C'est un déterminisme climatique qui apparaît bien commode pour justifier des inégalités. On le retrouve en quelque sorte lorsque des personnes habitant le nord de l'Europe vantent leur rigueur budgétaire, obtenue après de difficiles sacrifices, et critiquent le laxisme budgétaire des pays du sud, parlant avec condescendance des pays du "Club Med". Les pays scandinaves, l'Allemagne ou les Pays Bas privilégient leur prospérité à long terme de la fourmi quand l'Italie, la France, la Grèce ou l'Espagne vivent à crédit comme la cigale. En Belgique même, on retrouve un nord rigoureux (les Flamands) reprochant au sud (les Wallons) leur paresse.

Certains pourraient objecter qu'il s'agit là de différences essentiellement culturelles. Mais il pourrait alors être répondu que les cultures sont influencées par les conditions climatiques. Montesquieu préconise d'imposer des lois allant contre les défauts créés par le climat : la politique publique doit ainsi encourager le travail plus activement dans les pays chauds. Néanmoins, le déterminisme climatique ne peut être une analyse satisfaisante. En fait, tout déterminisme rigide pose problème : celui de nier le libre arbitre. Chacun doit pouvoir garder la responsabilité de son sort. Bien sûr, le climat influe sur les conditions de vie, et la culture a un rôle dans les sociétés. Mais faire face à la chaleur extrême est aussi difficile que de faire face au froid extrême, le travail et l'investissement personnel sont nécessaires dans toutes les situations.