Le sénateur Philippe Marini a fait voter une loi taxant l'achat de publicités en ligne, une façon pour lui de trouver un moyen de ponctionner les sites web qui opèrent en France mais sont basés à l'étranger, et échappent ainsi à l'impôt français. Cet impôt supplémentaire fut rapidement affublé du sobriquet "taxe Google", en référence au leader de la recherche sur internet et de la publicité en ligne (entre autres), dont le centre de profit est en effet basé en Irlande. Avec un taux d'impôt sur les sociétés de 12,5 %, l'Irlande est en effet un pays bien plus attractif pour les entreprises étrangères souhaitant s'implanter en Europe que la France, où ce taux est de 33 %. La loi en question semble bien difficile à appliquer, et suscite les protestations du monde de l'internet. Mais si ça peut consoler Philippe Marini, le dumping fiscal de l'Irlande ne lui rapporte pas beaucoup en taxes sur ce coup là. C'est ce qu'a découvert l'agence Bloomberg en octobre dernier, en révélant que par un montage financier, Google ne payait que 2,4 % d'impôts sur la quasi-totalité des bénéfices réalisés en dehors des Etats-Unis. Le mécanisme en question arbore la pittoresque appellation de "sandwich hollandais".

Bien que complexe, Bloomberg l'explique assez bien sur le site de Business Week. La maison mère américaine créé une société irlandaise, Google Ireland Holdings, puis celle-ci en crée une autre, Google Ireland Ltd. Cette dernière est le centre d'activité, qui engrange le chiffre d'affaires en commercialisant les mots clés, et réalise donc les profits. Sauf que pour éviter l'imposition irlandaise, bien que réduite, Holdings fait payer un coût énorme à Ltd pour le droit d'utiliser la technologie Google, un artifice qui fait passer les bénéfices pour des frais, et donc non taxable. L'artifice en question est encore plus détaxé en faisant passer ce flux d'argent via une troisième société, basée cette fois-ci aux Pays-Bas, Google Netherland Holdings BV, qui n'a aucun employé. La clé de l'affaire, celle qui permet à Google Ireland Holdings de ne pas payer d'impôt, est d'affirmer que celle-ci a en fait son management (en l'occurrence, trois hommes de pailles d'un cabinet de juristes) basé à l'étranger... comme par hasard dans un paradis fiscal, les Bermudes.

Aux Etats-Unis, les comptes sont consolidés en ne prenant en compte que les impôts effectivement payés. Dans le sandwich hollandais, les deux tranches de pain sont les deux sociétés irlandaises, et se trouve au milieu la société fantôme hollandaise. Ce mécanisme aurait permis à Google de ne pas payer 3,1 milliards de dollars d'impôts sur les trois dernières années. Et bien sûr, de nombreuses autres entreprises américaines de haute technologie emploieraient un procédé analogue.

Ce n'est pas de la fraude, c'est légal. De tels grands groupes ont les moyens de faire appel à des bataillons d'avocats fiscalistes qui trouveront bien des vides juridiques pour ne pas payer des sommes importantes. C'est légal, mais c'est tout à fait immoral. L'impôt sur les sociétés est une façon pour chaque entreprise de contribuer à la société en payant sa part. Les simples particuliers, eux, pourront à raison s'estimer lésé en voyant qu'ils sont en fin de compte les seuls à payer. Lorsqu'on parle de moralisation du capitalisme, on est en plein dans le sujet avec cet exemple. Ceux qui prennent ce genre de décisions contourne l'esprit de la loi, le savent, et s'en félicitent. Comment s'étonner après des réactions hostiles que ce type de comportements engendrent ?

L'Irlande a beau défendre son bas taux d'impôts sur les sociétés pour préserver sa compétitivité, elle restera quand même battue par rapport à d'autres. Elle ne peut accepter de voir de telles sommes disparaître, surtout lorsqu'elle est dans un si piètre état financier. Elle a deux choses à faire. D'une part, faire en sorte que toute entreprise irlandaise y paye ses impôts, où que se trouve son management effectif. D'autre part, il faut remettre la question des paradis fiscaux sur la table, et c'est indispensable pour qu'il n'y ait pas par la suite d'entreprises qui serait taxée aux Bermudes en ayant son management en Europe. Les paradis fiscaux sont toujours de micro-États qui vivent du parasitisme sur le dos du reste du monde. On peut s'en passer. La solution radicale serait donc d'empêcher les transactions entre sociétés opérants en Europe, en Amérique, etc. et celles faussement basées dans ces paradis fiscaux. Quitte à tout couper.