L'Italie a été condamnée la semaine dernière par la Cour européenne des droits de l'homme au terme d'un long processus juridique. La plaignante s'était lancé depuis sept ans dans une croisade contre la présence de crucifix dans l'école publique où étudiaient ses enfants. Ces derniers ont eu le temps de grandir depuis, mais leur mère, systématiquement déboutée par le tribunal administratif italien puis par le Conseil d'Etat, a décidé quand même de porter l'affaire devant la cour de Strasbourg. Celle-ci a estimé que l'exposition de crucifix dans les salles de cour "restreint le droit des parents d'éduquer leurs enfants selon leurs convictions ainsi que le droit des enfants scolarisés de croire ou de ne pas croire", et en conséquence, à condamné l'Etat italien à verser à la plaignante 5 000 euros de dommages et intérêts.

En Italie, ce fut immédiatement la consternation générale. A l'exception des communistes, tous les partis se sont prononcés en faveur de la présence des crucifix, et le consensus est tel que 84 % des Italiens abondent dans ce sens, d'après un récent sondage. Si la présence de crucifix dans une école publique française serait un casus belli pour une grande partie de la population, vu la tradition spécifiquement laïque ayant cours en France, l'Italie relève elle d'une autre vision des choses. Le pays en lui-même est bien plus religieux, plus catholique, 90 % des Italiens se déclarant appartenir à cette confession. Mais au delà du simple fait religieux, les symboles catholiques font partie de la culture italienne. Ainsi, les crucifix se sont imposés dans les écoles italiennes dès le XIXème siècle, bien avant la création du régime actuel. Et jamais rien n'est venu les remettre en cause. C'était d'ailleurs le raisonnement qui avait poussé les juridictions italiennes à rejeter cette requête. Mais la décision de la Cour européenne des droits de l'homme est tombée sur l'Italie comme une grande surprise.

La France et l'Italie peuvent bien avoir des traditions différentes quant à leurs relations avec les religions. Le sujet est si délicat qu'il nécessite un équilibre forgé par le temps, et il serait périlleux de les remettre en cause. De la même manière que la France veillera avec force à ce que les religions ne dominent pas les affaires publiques, l'Italie peut bien afficher les symboles qu'elle désire comme l'expression de ses valeurs. Faut-il vraiment que ce genre de question soit déterminé de façon externe ? Si le principe de subsidiarité s'appliquait ici, l'affaire se serait réglée en Italie, comme l'entende les Italiens, sans aucun préjudice pour les autres pays.

Mais il faut quand même remarquer que la Cour européenne des droits de l'homme n'est pas une institution relevant de l'Union Européenne. Elle dépend en effet du Conseil de l'Europe, une organisation bien moins connue, mais comptant bien plus de membres. Les deux n'ont en fait aucun lien formel. Seulement, la confusion règne souvent, notamment parce que le Conseil de l'Europe peut être confondu avec le Conseil Européen (la réunion des dirigeants des pays membres de l'Union Européenne), et que les deux institutions ont des drapeaux semblables. Et si personne ne risque de s'en prendre au Conseil de l'Europe pour une décision prise par l'Union Européenne (vu son insignifiance générale), il est triste que l'Union Européenne soit atteinte par ricochet par certaines décisions douteuses de la part d'une institution relevant du Conseil de l'Europe. Ces nuances sont compliquées, et c'est pour cela qu'au final, chez bien des gens, cette décision sera ramenée à "encore une aberration décidée de façon lointaine par l'Europe". Malheureusement.