Le porte-avions français Charles de Gaulle vient de rentrer au port de Toulon, et sera dans une indisponibilité programmée qui durera 18 mois. Une période longue pendant laquelle la France n'aura donc plus de porte-avions à disposition, alors que la situation internationale peut changer en des temps bien plus brefs. Ainsi, entre l'attaque contre les Etats-Unis le 11 septembre 2001 et le début des opérations alliées en Afghanistan, il n'y eut que quelques semaines. Le porte-avions français venait alors à peine de rentrer en service, et est intervenu à partir de décembre 2001. En 18 mois, la France a donc le temps de voir passer un bon nombre de trains, voire de se mettre en danger, en ne disposant pas de cet élément de puissance fondamental. Un porte-avions est en effet le meilleur moyen de projeter des forces aériennes partout dans le monde dans un temps raisonnable, à une époque où la maîtrise des airs est une étape fondamentale à toute opération. Outre l'incomparable apport militaire qu'il représente, il apporte aussi un élément de puissance psychologique, qui peut jouer dans la diplomatie et dans l'équilibre des forces. Alors que les Etats-Unis peuvent compter sur une flotte de plus d'une douzaine de porte-avions, la France doit donc se contenter d'un seul. Evidemment, la France n'est pas l'hyperpuissance américaine, mais si elle veut tenir le rang qu'elle souhaite sur la scène internationale, si elle veut rester l'une des premières puissances militaires en Europe (ou plutôt si l'Europe doit assumer le fait d'avoir une puissance militaire), il serait bon qu'il y ait au moins un porte-avions français qui puisse être en activité à tout moment. Et au vu des temps d'entretiens qu'un bâtiment peut connaître, cela suppose donc d'en avoir deux.

Il y a évidemment le débat technique sur la conception et sur le coût d'investissement et d'exploitation d'un tel outil. Ce débat avait d'ailleurs été amené pendant la dernière campagne présidentielle. En effet, pour la gauche, les dépenses militaires sont souvent comme inutiles, car servant à faire la guerre et à enrichir les marchands de canon. Malheureusement, la guerre n'est pas toujours quelque chose que l'on souhaite, et qu'on peut être amené par nécessité, le pacifisme n'ayant pas tout résolu dans l'Histoire. A court comme à long terme, la situation géopolitique peut changer grandement, c'est pourquoi il faut se préparer de telle façon à ce que l'on soit toujours prêt pour le pire. Moins l'on sera pris au dépourvu, et plus le risque encouru sera faible. On peut évidemment compter sur la constitution d'une Europe de la défense. Et dans ce cadre, il faut que la France prenne sa part dans l'effort à réaliser. La coopération inter-étatique peut par exemple être réalisée dans un partage des coûts de conception entre Français et Britanniques, si de chaque côté de la Manche l'on décide des modèles à peu près semblables de porte-avions. Il est par contre plus difficile, voire négligent, de vouloir partager l'exploitation d'un seul porte-avions entre la France et le Royaume-Uni, comme le voulait Ségolène Royal, alors que les degrés de coopération sont encore très loin de permettre une collaboration aussi poussée.

Une telle décision est bien évidemment un choix de priorité budgétaire, et donc politique. La défense ne peut être une variable d'ajustement. Si le niveau de dépenses militaires qui est en général considéré comme le bon est de 2 % du PIB, le budget du ministère de la défense ne doit pas être diminué. Alors que Michèle Alliot-Marie avait été remarquable à la tête de ce ministère, Hervé Morin devra, pour réussir à ce poste, garder cette nécessité à l'esprit. Car la défense est un domaine régalien, une obligation première pour un Etat. En matière de priorité budgétaire, il faut donc que les budgets de l'armée et de la police soient maintenus au niveau actuel, que celui de la justice (prisons et système judiciaire) soit largement réévalué (avec celui de la recherche et de l'enseignement supérieur), et, mis à part l'environnement et certaines infrastructures à financer, le reste peut être soumis à l'effort de réduction des dépenses publiques nécessaire pour assainir les finances de l'Etat. Mais le second porte-avions ne doit pas être négligé pour l'intérêt de la France.