Lorsque le général de Gaulle débarque sur la scène politique en 1940, c'est avant tout pour ses compétences militaires. Le président du conseil, Paul Reynaud, le connaissait bien pour avoir défendu les vues stratégiques de celui qui n'était alors que colonel vis-à-vis de l'utilisation des chars d'assaut dans les années 30. C'est donc à ce titre que Charles de Gaulle est nommé sous-secrétaire d'Etat à la défense dans le gouvernement de Paul Reynaud, ce dernier prenant en charge également le ministère de la défense. Pourtant, plus qu'un stratège militaire, le désormais général est aussi homme d'Etat, et en se déclarant "chef de la France libre" à Londres, il souhaite défendre une "certaine idée de la France", qui s'accompagne d'une véritable vision politique. Et cette vision est constituée d'une réapparition de la méthode bonapartiste. Ainsi, le gaullisme constituera le retour du bonapartisme, un bonapartisme totalement démocratique grâce à la Vème République, alors que Napoléon Bonaparte et Louis-Napoléon Bonaparte s'étaient fait proclamer empereurs pour appliquer leur politique.

Qu'est-ce alors que le bonapartisme ? Il s'agit avant tout d'une priorité accordée à l'exécutif : l'action politique doit surtout être efficace, plutôt que de faire l'objet d'interminables discussions et compromissions qui en annihilent la portée. Dès lors, le but est que le gouvernement et le chef de l'Etat disposent des moyens d'accomplir leur action, et de grands pouvoirs leur sont en conséquence accordés. Il leur faut pour cela une légitimité forte, que le peuple doit accorder directement au chef de l'Etat. Le peuple peut également être amené à trancher une question, et lorsqu'il le fait, sa légitimité est toujours supérieure à celle des parlementaires élus qui n'en sont que des représentants. Le bonapartisme relève donc d'une logique référendaire, ou plutôt plébiscitaire : les pouvoirs accordés sont grands, mais ils sont accordés directement par le peuple. Napoléon Ier était d'abord Premier consul, Napoléon III Président de la République, mais tous deux n'ont pas résisté aux pouvoirs qui leur étaient offerts, et en devenant empereurs ont renoncé à faire renouveler régulièrement et explicitement leur maintien aux responsabilités. Le Général de Gaulle, en instaurant l'élection du Président de la République au suffrage universel pour un mandat limité, a lui réussi à trouver la formule pour qu'une telle philosophie de l'action soit applicable de façon durable, et par son exemple, il a réussi à fonder une nouvelle République où l'alternance est compatible avec un exécutif fort.

En voulant fonder la légitimité de l'action politique par l'expression politique directe du peuple, le bonapartisme et le gaullisme privilégient le rassemblement des Français autour de son chef, au-delà des partis politiques. Pour cela, les questions de positionnement à droite ou à gauche seront souvent floues pour ceux qui se réclament de ces mouvements. René Rémond affilie le bonapartisme à la droite, parce que comme d'autres mouvements, il a été débordé par sa gauche par de nouveaux partis. Pourtant, ces traditions valorisent une forte politique sociale, et surtout une grande implication de l'Etat dans tous les domaines, contrairement aux principes relevant du libéralisme économique. Enfin, il ne faut pas oublier que le bonapartisme encourage une France forte en Europe et dans le monde en gardant un souci constant de son influence. Sans nécessairement aller jusqu'aux conquêtes de Napoléon Ier, il s'agit au moins pour la France de garder un poids important dans les affaires étrangères, et de rester indépendante. C'est ce principe qui justifie que certaines personnalités politiques se déclarent gaullistes soient tellement sur une ligne souverainiste par rapport à l'Union Européenne. Elles oublient toutefois que de Gaulle, sur bon nombre de sujets, agissait souvent avec pragmatisme, et qu'être gaulliste sans de Gaulle est un peu vain. A contrario, le bonapartisme n'est plus lié à la famille impériale et ne vise pas son retour au pouvoir. C'est bel et bien une pratique du pouvoir, qui a trouvé son application dans la Vème République.

Comme le plus grand héritage de Napoléon Ier aura été le Code civil, celui du général de Gaulle aura été notre Constitution qui fonde la Vème République. Alors que les IIIème et IVème Républiques s'enlisaient dans les jeux politiciens des partis quitte à sombrer dans l'immobilisme, nos institutions actuelles nous ont permis de surmonter toutes les crises jusqu'à présent. Si pouvoir et responsabilités sont corrélées, il ne faut pas oublier que ces notions sont dans les systèmes politiques liées à celle de légitimité. La force des pouvoirs donnés directement par le peuple permet une action politique ambitieuse, et c'est bien là que la philosophie bonapartiste révèle son intérêt.