Alors qu'elle avait adhéré à l'Union Européenne depuis cinq années, l'Autriche faisait figure de membre ordinaire, qui aurait du intégrer l'Union plus tôt si sa neutralité ne l'avait pas empêché tant que l'opposition entre les blocs capitaliste et soviétique continuait. Mais en février 2000, l'Autriche fit événement en Europe : le gouvernement se formait sur la base d'une coalition entre les chrétiens démocrates de l'ÖVP et les nationalistes du FPÖ, oubliant ainsi la pratique du cordon sanitaire qui était de règle à travers le continent. Le FPÖ, parti nationaliste formant l'extrême droite du paysage politique autrichien, obtenait l'accès au pouvoir, et de ce fait acquis une influence dans la gestion des affaires du pays. Pourtant, dans chacune des quatorze autres démocraties membres de l'Union Européenne, l'influence de l'extrême droite était amoindrie par le refus des autres partis de "collaborer" avec elle. Seulement, en Autriche, le nombre de possibilités de coalition n'était pas très élevé. Le système, là-bas, est celui d'une démocratie parlementaire, ce sont donc les élections législatives qui importent. Celles-ci se font à la proportionnelle, et comme aucun parti ne fait plus de 50 % des voix, les coalitions sont obligatoires pour diriger le pays. Historiquement, c'est donc une grande coalition entre les chrétiens démocrates et les sociaux démocrates qui a gouverné l'Autriche la plupart du temps depuis l'après guerre. Avec une telle alliance, perdurant bien plus longtemps qu'une union sacrée pour le bien du pays, s'est formée l'impression d'un parti unique au pouvoir dans l'esprit de nombreux Autrichiens. Aussi modérés soient-ils, le système politique rendait le changement de ligne directrice difficile.

L'alternative s'est présentée sous la forme de Jörg Haider, le chef du FPÖ, qui étant exclu du pouvoir, avait lui tout loisir de critiquer l'action du gouvernement. Et il ne s'en privait pas, faisant de ses diatribes sa marque de fabrique, s'en prenant de façon simpliste à tout ce qui n'allait pas en Autriche, et prenant pour première cible la classe politique en place. Ceux qui, parmi les Autrichiens, voulaient tenter quelque chose d'autre, n'avait plus beaucoup le choix, et exprimaient leur volonté de renouvellement en votant pour le FPÖ. Celui-ci se retrouvait alors avec un nombre de députés important au parlement, le rendant incontournable. Au point de pousser l'ÖVP à faire une coalition avec lui pour former le gouvernement.

La fureur des autres pays d'Europe s'est révélée contre-productive, apparaissant comme une tentative maladroite d'ingérence dans les affaires intérieures de l'Autriche par les Autrichiens. Dès lors, le retour à la normale fut rapide. Au fil du temps, le FPÖ prouva qu'il n'avait pas les solutions aux problèmes autrichiens, qu'il n'était qu'un parti d'opposition et n'avait pas vraiment vocation à gouverner le pays. Mais un parti d'extrême droite n'arrive pas au pouvoir sans qu'il y ait un risque vis-à-vis de la nature des politiques menées ou du maintien de la démocratie. L'Autriche en est arrivée là à cause de son système politique, qui en cherchant le consensus, affaiblit l'action politique. Parlementarisme et proportionnelle ne favorisent pas l'efficacité et donne une influence énorme aux extrêmes. Au moins, l'expérience autrichienne aura servi de leçon pour les autres pays européens : la recherche du consensus entre les partis est difficile à tenir sur le long terme, et fait des extrêmes la seule alternative, alors que la base d'une démocratie est de pouvoir choisir.

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