La nomination de Bernard Kouchner a gouvernement a pu étonner, au vu du clivage partisan qui empêchait normalement une personnalité politique de gauche d'entrer dans un gouvernement de droite. Mais au vu de la proximité qu'il y a entre le nouveau ministre des Affaires étrangères et le nouveau Président de la République en matière de politique internationale, la surprise est déjà moins grande. Pendant toute la campagne électorale, Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir ne plus s'appuyer sur la "realpolitik", où l'on cache les dossiers qui fachent pour "vendre des avions". Il préfère ainsi aborder de front les autres chefs d'Etat, y compris sur leurs affaires internes qui posent problème notamment en matière de droits de l'homme. Dès lors, il n'est plus question de feindre une amitié avec la Russie comme l'a fait Jacques Chirac, l'heure est plutôt à discuter avec Vladimir Poutine de la condition des Tchétchènes. Nicolas Sarkozy promet ainsi de ne pas enterrer les dossiers délicats, en ouvrant l'information sur l'assassinat du juge Borrell quitte à fâcher la , ou bien en prenant en main la question du Darfour, où la France n'a rien à gagner. De son côté Bernard Kouchner a longtemps été un partisan de l'ingérence humanitaire, déclarant qu'il était souhaitable que l'on intervienne lors des drames qui se passent chez les autres, sous peine de faire de faire tout simplement de la non assistance à personnes en danger. Dans le domaine des affaires étrangères, les deux hommes sont donc sensiblement sur la même ligne, et jusqu'ici leur collaboration a bien fonctionné, alors que de nombreuses initiatives ont été lancées.

En rejetant la bassesse de la realpolitik, Nicolas Sarkozy pose la France dans ce qu'elle considère être sa spécificité, celle d'être à part dans le concert mondial, puisqu'elle est la patrie des droits de l'homme. L'idée est donc d'assumer cela dans les actes dans la politique internationale. Si le degré d'ingérence augmente, il reste tout de même limité : après tout, il est très peu probable que le gouvernement français reconnaisse le Dalaï Lama comme dirigeant du Tibet. Mais la question de la moralité en matière de relations internationales est quand même posée. Le concept de droit d'ingérence donne à un pays qui n'est pas concerné par une affaire extérieure la possibilité de s'y imiscer pour y faire cesser des souffrances. S'il reste à la discretion de chaque Etat, cela devient une porte ouverte à chacun pour élargir sa propre influence et mépriser la légitimité des autres Etats. C'est même un prétexte courant pour envahir un pays voisin : une minorité y serait opprimée, il faudrait alors faire cesser cela. Pour pallier à cette faille, il faudrait avoir un mandat international pour pouvoir interférer dans des affaires intérieures. C'est alors la cmmunauté internationale, voire l'humanité dans son ensemble qui estime qu'elle est agressée en un point précis par un gouvernement particulier et qui appelle à l'aide. Pour ne pas avoir eu cet appui international, les Etats Unis voient niée toute légitimité à leur présence en Irak. Car, si une fois l'absence d'armes de destruction massive dans ce pays établie, les responsables américains ont essayé de faire valoir qu'ils avaient débarassé l'Irak d'un dictateur sanguinaire, le reste du monde goûte peu un système où chaque puissance pourrait intervenir à sa guise pour se défaire d'un régime qui n'est pas à son goût. C'est précisemment de là que vient l'accusation d'impérialisme envers les Etats-Unis.

Si la question relève vraiment du domaine de la moralité, alors il faut parler de devoir d'ingérence. En passant d'un droit à un devoir, l'idée de libre arbitre, d'incertitude est effacée, il y a alors une véritable obligation d'agir qui s'impose à chacun. Néanmoins, sur ces questions graves aux conséquences tragiques, une intervention nécessitée par une obligation morale ne peut pas toujours être une solution. Elle est déjà difficilement compréhensible par tous, dans la mesure où la notion même de droits de l'homme n'est pas unanimement partagée à travers le monde. De plus, une intervention n'équivaut pas forcément à une solution, avec ou sans l'usage de la force. Quand bien même l'Irak a été débarassée de Saddam Hussein, cette élimination n'a fait que mettre à jour d'autres problèmes dont les conséquences deviennent dramatiques : la guerre civile ravage désormais le pays. Elle était auparavant contenue par la terreur du dictateur, en changeant de régime l'Irak est ainsi allée de Charybde en Scylla. Les situations peuvent avoir des aspects très variables, mais il faut garder à l'esprit que l'impératif moral peut parfois faire du mal là où il voudriat faire du bien. C'est une vision évidemment cynique des choses, mais il faut la garder à l'esprit, pour pouvoir garder en réserve l'option d'actions faites en délicatesse, une délicatesse certes peu flatteuse, mais parfois efficace.