Lors du sommet européen des 21 et 22 juin dernier, la Présidence allemande de l'Union Européenne s'est évertuée à trouver une porte de sortie à la crise engendrée par les "non" français et néerlandais dans leurs référendums respectifs quant à l'adoption du Traité Constitutionnel Européen. Si le "traité simplifié" proposé par Nicolas Sarkozy fut une base de travail qui finit par être approuvée par tous, les négociations ont tout de même été très compliquées. Car là où ce traité simplifié visait essentiellement à reprendre les avancées institutionnelles du TCE, et à laisser la définition des politiques menées aux autres traités en vigueur, certains pays, avec en premier lieu la Pologne, ont essayé d'en profiter pour revenir sur ces avancées institutionnelles, en particulier sur le point délicat du système des droits de vote. Les frères Kaczynski ont utilisé des arguments stupéfiants pour défendre leur souhait d'avoir des droits de vote plus que proportionnels au poids de leur pays, en montrant ainsi une germanophobie qui ne devrait plus être d'actualité maintenant que Pologne et Allemagne font tous deux partie de l'Union Européenne. Il a fallu que des pays considérés comme moins hostiles par la Pologne aillent en première ligne convaincre ses dirigeants, quitte à ce que Nicolas Sarkozy appelle Jaroslaw Kaczynski, le Premier ministre polonais resté à Varsovie, et lui proposer de faire lui-même un discours devant le parlement. Angela Merkel, elle, a su user de suffisament de diplomatie pour que ces attaques irrespectueuses n'empêchent pas la conclusion d'un accord. La Présidence portugaise qui débute actuellement, est chargée de formaliser ce nouveau cadre qui vient d'être décidé.

Si l'aboutissement des discussions à un accord fait que le sommet a été de fait un succès vu ses enjeux, nombreux sont ceux qui en sont repartis avec une forte amertume. En effet, la Pologne avait obtenu de retarder l'application de ce nouveau système de vote et la Grande-Bretagne n'est pas obligée de voir s'appliquer sur son territoire la charte des droits fondamentaux. En fait ce sommet a été le théatre d'une pièce où chaque pays venait défendre son intérêt national, devant rendre compte ensuite devant son opinion publique sur ce qui a pu être obtenu à la bataille, sans jamais se soucier de l'intérêt général européen. C'est ainsi l'idée européenne en elle même qui a été mise à mal. Dès lors, comment vouloir la mise en place d'une véritable politique européenne ? Si l'Europe manque cruellement de démocratie dans son fonctionnement, le chemin est encore très long avant qu'une structure fédérale, rendant compte directement au peuple, puisse être mise en place. Il apparaît alors que l'idée d'une "constitution européenne" est venue bien trop tôt, et quelle que ce soit la façon dont on l'observe aujourd'hui, il semble clair a posteriori que les chances de succès de cette entreprise à l'échelle européenne étaient minimes. L'expérience nous a au moins permis de le comprendre.

Le coup est dur, et c'est une véritable désillusion qui accable les partisans de la construction européenne. Plusieurs pays ont adhéré à l'Union Européenne simplement pour entrer dans une zone de libre échange, sans se préoccupper de l'efficacité supplémentaire que pouvait procurer des politiques concertées dans de nombreux domaines. Le refus de reconnaître les symboles de l'Union Européenne est en cela emblématique de la méfiance envers le fonctionnement européen. Pourtant, rien n'indique que les pays qui frennent aujourd'hui des quatres fers soient à jamais perdus pour la cause de la construction européenne. En fin de compte, ils ne font que refléter l'état de leurs opinions publiques respectives qui peuvent évoluer. L'Histoire nous a appris que s'il y a certaines constantes dans les volontés de chaque peuple, celles-ci ne permettent pas de faire un trait définitif sur une véritable ambition européenne. Seulement voilà : il est encore bien trop tôt.

L'illusion, c'était de croîre que l'on pouvait arriver à une structure fédérale dès maintenant. L'illusion tenait en fait surtout dans les symboles, l'utilisation des mots "convention" et "constitution", alors que le TCE n'avait pas grand chose à voir avec une véritable constitution. Seulement rien n'est perdu, si l'on s'en donne le temps. Il ne faut pas se voiler la face, cela prendra certainement plusieurs décennies pour que le projet européen arrive à terme. La construction européenne fête actuellement son cinquantenaire, il lui en faudra probablement un deuxième pour aboutir véritablement. Et pendant tout ce temps, le travail devra rester constant. Il apparaît alors que les partisans de la construction européenne traversent davantage un découragement temporaire, plutôt qu'une désillusion fondamentale. Ils peuvent en profiter pour s'interroger sur les meilleures voies pour continuer ce travail, et sur la manière dont leur vision doit prendre forme. Mais en tout cas, il est hors de question pour eux d'abandonner la partie.