Réflexions en cours

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mercredi 26 septembre 2007

L'idéal méritocratique

Au fond, quel est le principal problème de notre société ? Les inégalités répondront bon nombre de gens. Or ce n'est pas tant les inégalités qui posent problème, mais plutôt le fait qu'elles soient vues comme une fatalité, inévitable, qu'une naissance dans un milieu défavorisé soit considérée comme une condamnation à y passer sa vie. Que ce soient les questions de couleurs de peau, d'accès au logement, au travail, à la réussite financière ou de systèmes de retraites, l'important est qu'il n'y ait pas de milieux clos. A ce titre, le principe fondamental qui devrait régir notre société devrait être l'égalité des chances. Un enfant devrait pouvoir envisager toutes les carrières et choisir son propre destin, où son succès dépendra de son talent, des compétences qu'il aura acquises et de ses éventuelles prises de risque. Aujourd'hui, ce n'est pas vraiment le cas. La reproduction sociale est encore très forte, peut-être même plus forte qu'autrefois si l'on en croit les statistiques de la catégorie socio-professionnelle des parents des élèves de classes préparatoires. Moins de 10 % d'entre eux sont enfants d'ouvriers, ce qui est considérablement moins qu'après guerre. Divers mécanismes sociologiques participent à ce phénomène. Le manque de capital social ou culturel, le fait que l'école demande aux enfants d'être performants dans des domaines qu'elle n'enseigne pas, mais qui sont transmis par le milieu familial, ou bien les effets de ghetto dus aux regroupements de foyers modestes dans les mêmes zones géographiques, avec un mécanisme de cercle vicieux quant aux prix des logements qui y sont pratiqués.

Techniquement, la réussite dans les études supérieures repose bien sur la méritocratie. Les élèves des grandes écoles sont recrutés à partir de concours difficiles, mais dont chacun a accès. Les classes préparatoires sont gratuites dans l'enseignement public, et les élèves y sont recrutés à partir de leurs notes scolaires au lycée. A l'université, il suffit d'avoir le baccalauréat pour s'inscrire en DEUG. Mais les taux d'échecs y sont conséquents. On parle d'une possible sélection des étudiants en faculté, elle se ferait alors essentiellement sur le dossier scolaire. Mais dès le niveau du lycée, les taux d'accès au baccalauréat des enfants issus des différents milieux sociaux varient énormément. Ces différences se font dès la primaire, peut être même avant, et continuent de se faire tout au long de la vie professionnelle.

Alors ce problème fondamental est effectivement bien ancien. Mais il faut le garder constamment à l'esprit, pour continuer à chercher comment combattre le scandale qu'est l'inégalité des chances, pour faire valoir l'idéal méritocratique qui doit devenir la règle. Est-ce par la discrimination positive, c'est-à-dire donner plus de chances à ceux qui en ont moins au départ ? Pourquoi pas. Les symboles ont aussi un certain rôle dans la conscience collective. En l'occurrence, la nomination de Rachida Dati, fille d'immigrés maghrébins, au ministère de la Justice a représenté un grand coup qui a marqué les esprits, et ce d'autant plus qu'elle en avait les compétences techniques, en étant magistrate, et politique, en ayant été porte-parole de Nicolas Sarkozy lors de l'élection présidentielle. Ce symbole, visible, aurait été moins fort si à la place cela aurait été Patrick Devedjian qui avait été à ce poste comme il y était pressenti, alors que lui aussi, il est fils d'immigré (arménien), connaisseur du droit (en tant qu'avocat) et de la chose politique (par une grande expérience au sein des partis de droite).

Quoi qu'il en soit, au-delà des baronnies ou des castes, ce souci de récompenser l'effort et les compétences doit prédominer. C'est une approche différente que de considérer les inégalités en général comme en soi mauvaises et injustifiées, les égalités importantes sont celles des chances, et du traitement devant la loi, il doit rester possible d'améliorer sa propre position par ses efforts.

mardi 18 septembre 2007

Le poujadisme

De nos jours, le mot est lancé facilement, comme une insulte. Est poujadiste celui qui trouve qu'il y a trop de fonctionnaires et le niveau d'imposition trop élevé. A l'origine, le mot vient de Pierre Poujade, un libraire qui se lança en 1953 dans une croisade contre la fiscalité, et qui fut rapidement rejoint par de nombreux autres petits commerçants. Le mouvement, d'abord syndical, devint ensuite politique, et remporta un succès surprenant aux élections législatives de 1956, en réunissant plus de 11 % des suffrages, ce qui fit élire 52 députés sous les couleurs de l'Union et fraternité française, et en premier lieu Pierre Poujade lui-même. Ce mouvement avait sans conteste bénéficié des errements de la IVème République, de la médiocrité des gouvernements qui se succédaient rapidement, tant et si bien que le slogan "sortez les sortants" suffisait à fédérer la colère contre la classe politique en place. Il faut d'ailleurs noter que ce succès électoral fut très limité dans le temps, le mouvement de Pierre Poujade ne retrouvant pas les faveurs de l'électorat lorsque celui constatera à partir de 1958 qu'il y a à nouveau un capitaine sur le bateau, en la personne du Général de Gaulle.

A l'époque comme aujourd'hui, le poujadisme était vu comme un populisme. En effet, les thématiques déployées par ce mouvement étaient souvent démagogiques, mais les critiques contre l'inefficacité du Parlement de l'époque ou contre la fiscalité excessive ne peuvent disqualifier dès le départ celui qui émet un tel message. Après tout, le système parlementaire de la IVème République était bel et bien catastrophique. Et le niveau de la fiscalité française reste élevé, et décourage parfois les créateurs de richesse. A ce titre, Pierre Poujade apparaît comme le représentant d'un trait très français, le fait de râler et de protester de façon véhémente. La France est habituée à ce que des syndicalistes de gauche usent de telles postures pour défendre leurs revendications, et plus personne ne s'en étonne. Mais lorsqu'il s'agit d'un syndicaliste défendant le petit commerce, le voilà classé comme un réactionnaire extrémiste. Surtout que le reproche de populisme est bien souvent une manière pour ceux qui sont élitiste de rejeter d'un geste l'opinion de la population qui n'est pas d'accord avec eux.

Néanmoins, les positions des poujadistes (refus de la construction européenne, défense de l'Algérie française) les classent tout de même bien à droite sur l'échiquier politique de l'époque. Il avait hébergé le jeune Jean-Marie Le Pen, alors plus jeune député de France, qui reprit ensuite à son compte une partie des thèmes du mouvement poujadiste. Cette forme de pensée constitue d'ailleurs toujours l'une des composantes du Front National, avec les catholiques traditionalistes et les authentiques racistes. Mais dans l'analyse historique du mouvement poujadiste des années 50, ce qui apparaît en fin de compte comme le plus gênant est son corporatisme forcené, alors que l'intérêt général doit toujours le seul but à rechercher. C'est, du reste, un trait commun à tous les syndicats. Et c'est justement la raison pour laquelle ceux-ci ne doivent pas entrer sur le terrain politique, dans les échéances électorales.

Photo : Hulton Archive/Getty Images

lundi 10 septembre 2007

En finir avec le marxisme

Après ses dernières défaites, le Parti Socialiste est à nouveau en phase de rénovation. La principale question est de savoir s'il arrivera à régler le dilemme qu'il n'a pas voulu trancher ces cinq dernières années : doit-il rester fidèle au socialisme énoncé lors du congrès d'Epinay, ou bien doit-il assumer une ligne politique sociale démocrate ? A force de croire que les deux tendances pouvaient cohabiter, les socialistes se sont forcés à ne rien trancher et à ne pas avoir de vision claire des politiques à mettre en œuvre. La principale difficulté est de mettre un terme définitif à la doctrine marxiste, qui continue toujours de former les esprits d'un grand nombre de citoyens et de responsables politiques. Les habitudes sont ancrées de façon si profonde que leurs remises en cause ne semble pas aller de soi. Ainsi, François Hollande, lors de la dernière université d'été, annonce que "le Grand Soir, c'est fini" juste avant d'entonner l'Internationale avec le reste des participants à la réunion. D'une manière générale, la thématique de la lutte des classes continue de constituer le socle de pensée idéologique d'une large partie de la gauche, qui croit que le pouvoir d'achat s'accroît à travers la lutte sociale, qu'il y a toujours suffisamment d'argent pour exaucer tous les désirs, à condition de le prendre dans la poche du patron, et que ceux qui sont riches exploitent les pauvres travailleurs. Déjà fortement répandue en France, cette pensée est même dominante chez les syndicats, leur empêchant ainsi d'avoir un comportement crédible et responsable. Ainsi, le syndicat Sud Rail n'hésite pas actuellement à proclamer que plutôt que de faire revenir les régimes spéciaux de retraites au niveau de ceux du reste de la population, il faut que tout le monde redescende à 37 années et demi de cotisation, vu que, selon leur raisonnement, "la France produit suffisamment de richesse qu'il faut prendre là où elles sont".

La rhétorique marxiste continue donc de durer. Elle est certes séduisante : c'est le seul système politico-économique complet conçu comme alternative au capitalisme. Mais d'une part il a montré son inefficacité, d'autre part l'analyse de Karl Marx de la vie économique du XIXème siècle n'est plus de tout à fait de mise aujourd'hui. La "classe moyenne" est de nos jours celle qui domine largement les autres, et ce d'autant plus qu'il n'y pas de conscience de classe où que ce soit dans la société. De ce fait, la lutte des classes n'est pas possible. Et plutôt que de vouloir persévérer dans une vision conflictuelle des rapports sociaux, il vaudrait mieux privilégier une approche apaisée des négociations. Car de toutes façons, l'internationale des travailleurs est moins que jamais d'actualité, comme les entreprises sont en concurrence mondiale les unes avec les autres. La France est l'un des derniers pays à conserver une aussi forte dose de marxisme dans son approche des choses, et cela la dessert quotidiennement, ne serait-ce que pour faire les réformes structurelles nécessaires à sa remise en état. Il s'agit là d'un véritable conservatisme, de corporatismes tenaces qui immobilisent la société française et l'empêche d'avancer. Voilà pourquoi il faut arrêter de toujours considérer les choses sous l'angle des protestations sociales, car il est nécessaire de solder une bonne fois pour toutes la lutte des classes, d'en finir définitivement avec le marxisme.

Il est donc souhaitable que les syndicats représentent mieux une société qui a, pour une bonne part, reconnu l'inutilité des vieilles recettes qui promettaient le bonheur pour tous à condition de s'en prendre à celui qui réussit dans la vie. De même, le Parti Socialiste ne doit pas hésiter à rejeter franchement ceux qui, parmi ses membres, continuent de croire que tout ce qui est à leur droite représente le mal et souhaitent abolir le capitalisme. Des gens comme Jean-Luc Mélenchon et Henri Emmanuelli ne doivent plus être capables d'influencer la ligne politique de leur parti, quitte à ce qu'ils le quittent pour rejoindre le moribond Parti Communiste qui défend les mêmes positions qu'eux. Et c'est, au final, une prise de conscience généralisée qu'il faut souhaiter voir s'accomplir : la lutte des classes et la rhétorique marxiste sont des visions dépassées de la société, qu'elles n'ont jamais servie. Malheureusement, cela constitue désormais une partie de notre culture, cette idéologie pouvant même se retrouver facilement parmi les jeunes générations ou certaines catégories de salariés du secteur public. Ce n'est pas pour cela qu'il faille s'en contenter pour autant.

dimanche 2 septembre 2007

Le sarkozysme

D'un point de vue idéologique, le regroupement et la disparition du RPR, d'une partie de l'UDF et de Démocratie Libérale de par la création de l'UMP n'ont pas été neutres. Le RPR était auparavant qualifié de parti gaulliste, un qualificatif que l'UMP n'a jamais eu, alors que François Bayrou essayait de se revendiquer comme le seul héritier du centrisme. De ce fait, en laissant cohabiter les idées, l'UMP n'a pas vraiment de socle idéologique naturel. Fondé pour soutenir la politique d'un Président de la République, Jacques Chirac, il a progressivement changé de braquet à mesure que le but devenait surtout de soutenir la candidature de celui qui deviendra le suivant, Nicolas Sarkozy. Celui-ci prend le contrôle de l'UMP à l'automne 2004 sans aucune difficulté. Depuis des mois il était évident qu'aucun autre candidat ne ferait le poids face à lui pour diriger la droite. En effet, avec son accession au ministère de l'Intérieur, il s'est forgé une popularité extrêmement forte auprès des Français, et encore plus pour ceux de droite pour qui il incarne un nouvel espoir. Nicolas Sarkozy était prêt à quitter le gouvernement pour prendre l'UMP car il savait qu'un grand parti politique acquis à sa cause serait nécessaire pour la campagne présidentielle. Sa candidature à l'investiture suprême, évidente, lui donne d'emblée une autorité sur la droite, et les thématiques qu'il déploie permettent de renouveler la pensée de ce mouvement.

Entré en politique pour défendre la candidature de Jacques Chaban-Delmas, Nicolas Sarkozy a probablement dès le départ voulu agir pour sa propre ascension et son propre succès. D'abord élevé dans le champ du gaullisme interprété par Jacques Chirac, il se montre par la suite attiré par les idées libérales. Le fait qu'il devienne balladurien en 1993 tient sans doute de cette conjonction de facteur : la possibilité de concilier le gaullisme du RPR, le libéralisme d'Edouard Balladur, et la satisfaction de son ambition, le Premier ministre de l'époque étant alors le grand favori de la présidentielle de 1995. Le plus balladurien des balladuriens, Nicolas Sarkozy est rejeté par son propre camp lors de la défaite de son mentor, et même aujourd'hui, ses relations avec Jacques Chirac restent ambiguës. Il revient dans le jeu après la dissolution, à la faveur d'une alliance avec Philippe Séguin pour prendre le RPR, puis mène la campagne des européennes de 1999, où il ne parle quasiment pas d'Europe, et où il échoue. Il arrive néanmoins à se rendre suffisamment incontournable pour qu'en 2002, Jacques Chirac accepte de le nommer numéro deux du gouvernement. A l'Intérieur, l'application des promesses de campagne du Président sur une approche sévère de la criminalité lui apporte enfin la popularité. Surtout, son discours politique, qui est d'assumer le fait d'être de droite plutôt que de s'en excuser, le rend audible auprès de toute une partie d'une population.

Si, dans les faits, il n'est pas si libéral qu'on le croit, c'est qu'il ne se prive pas d'être pragmatique, tout en gardant un discours clair et ambitieux pour la France. Et à vrai dire, son positionnement idéologique a beau être assez équilibré et inhabituel, ce qui le différencie surtout, c'est sa façon de faire. Pendant les cinq dernières années, pendant la campagne et pendant sa présidence, c'est une démarche volontariste qu'il applique. Son plus grand atout réside dans sa croyance que la politique ne doit pas se considérer comme vaincue d'avance par la force des choses, et qu'elle peut amener de grands résultats. Montrant le même activisme que Jacques Chirac dans sa jeunesse, il n'entend pas se retirer dans une posture prudente comme l'avait fait son aîné. Son énergie revendiquée doit lui permettre de changer la France, comme il considère que ses seuls efforts l'ont permis de monter au plus haut poste.

Lorsque l'on lit la biographie qu'a fait Max Gallo sur Napoléon Bonaparte, la comparaison vient facilement à l'esprit. Tous deux ont utilisé le même type d'énergie, d'abord pour monter les échelons, construire leur renommé par le mérite, prendre le pouvoir et imprimer leur marque sur la société. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que Max Gallo ait soutenu Nicolas Sarkozy à la présidentielle. Evidemment, l'idée de ravoir un Napoléon pour diriger la France ne plait pas à tout le monde, les conséquences pouvant être graves. Mais au moins celui-ci évolue de manière quand même plus apaisé, dans un cadre de droit. Cela montre surtout ce qui a fait la force de Nicolas Sarkozy : son volontarisme, le fait d'apparaître comme un recours, une énergie sur laquelle on devrait pouvoir compter pour changer les choses. Car pour celui qui est ambitieux, l'ambition ultime est de réussir dans la tâche qui a été si longtemps attendue.

Image : The Economist
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