Au fond, quel est le principal problème de notre société ? Les inégalités répondront bon nombre de gens. Or ce n'est pas tant les inégalités qui posent problème, mais plutôt le fait qu'elles soient vues comme une fatalité, inévitable, qu'une naissance dans un milieu défavorisé soit considérée comme une condamnation à y passer sa vie. Que ce soient les questions de couleurs de peau, d'accès au logement, au travail, à la réussite financière ou de systèmes de retraites, l'important est qu'il n'y ait pas de milieux clos. A ce titre, le principe fondamental qui devrait régir notre société devrait être l'égalité des chances. Un enfant devrait pouvoir envisager toutes les carrières et choisir son propre destin, où son succès dépendra de son talent, des compétences qu'il aura acquises et de ses éventuelles prises de risque. Aujourd'hui, ce n'est pas vraiment le cas. La reproduction sociale est encore très forte, peut-être même plus forte qu'autrefois si l'on en croit les statistiques de la catégorie socio-professionnelle des parents des élèves de classes préparatoires. Moins de 10 % d'entre eux sont enfants d'ouvriers, ce qui est considérablement moins qu'après guerre. Divers mécanismes sociologiques participent à ce phénomène. Le manque de capital social ou culturel, le fait que l'école demande aux enfants d'être performants dans des domaines qu'elle n'enseigne pas, mais qui sont transmis par le milieu familial, ou bien les effets de ghetto dus aux regroupements de foyers modestes dans les mêmes zones géographiques, avec un mécanisme de cercle vicieux quant aux prix des logements qui y sont pratiqués.

Techniquement, la réussite dans les études supérieures repose bien sur la méritocratie. Les élèves des grandes écoles sont recrutés à partir de concours difficiles, mais dont chacun a accès. Les classes préparatoires sont gratuites dans l'enseignement public, et les élèves y sont recrutés à partir de leurs notes scolaires au lycée. A l'université, il suffit d'avoir le baccalauréat pour s'inscrire en DEUG. Mais les taux d'échecs y sont conséquents. On parle d'une possible sélection des étudiants en faculté, elle se ferait alors essentiellement sur le dossier scolaire. Mais dès le niveau du lycée, les taux d'accès au baccalauréat des enfants issus des différents milieux sociaux varient énormément. Ces différences se font dès la primaire, peut être même avant, et continuent de se faire tout au long de la vie professionnelle.

Alors ce problème fondamental est effectivement bien ancien. Mais il faut le garder constamment à l'esprit, pour continuer à chercher comment combattre le scandale qu'est l'inégalité des chances, pour faire valoir l'idéal méritocratique qui doit devenir la règle. Est-ce par la discrimination positive, c'est-à-dire donner plus de chances à ceux qui en ont moins au départ ? Pourquoi pas. Les symboles ont aussi un certain rôle dans la conscience collective. En l'occurrence, la nomination de Rachida Dati, fille d'immigrés maghrébins, au ministère de la Justice a représenté un grand coup qui a marqué les esprits, et ce d'autant plus qu'elle en avait les compétences techniques, en étant magistrate, et politique, en ayant été porte-parole de Nicolas Sarkozy lors de l'élection présidentielle. Ce symbole, visible, aurait été moins fort si à la place cela aurait été Patrick Devedjian qui avait été à ce poste comme il y était pressenti, alors que lui aussi, il est fils d'immigré (arménien), connaisseur du droit (en tant qu'avocat) et de la chose politique (par une grande expérience au sein des partis de droite).

Quoi qu'il en soit, au-delà des baronnies ou des castes, ce souci de récompenser l'effort et les compétences doit prédominer. C'est une approche différente que de considérer les inégalités en général comme en soi mauvaises et injustifiées, les égalités importantes sont celles des chances, et du traitement devant la loi, il doit rester possible d'améliorer sa propre position par ses efforts.