La séparation des pouvoirs distingue nettement le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif. Elle permet d'éviter une dangereuse concentration des pouvoirs dans les mains d'une seule personne, et donc protège le peuple du totalitarisme. Mais ces derniers temps, de nombreuses polémiques éclatent, où le pouvoir judiciaire reproche à l'exécutif de tenter d'interférer dans son fonctionnement, et de ne pas respecter de fait cette séparation. Le torchon brûlait déjà entre les magistrats et Nicolas Sarkozy, lorsque celui-ci était ministre de l'Intérieur. Depuis que ce dernier est devenu Président de la République, et donc Président de la République, les mêmes récriminations perdurent, surtout depuis que Rachida Dati est devenue ministre de la Justice en voulant appliquer la volonté présidentielle. Il faut dire que les syndicats de magistrats ont des avis sur tout ce qui touche la justice française : après avoir vaillamment défendu le juge Burgaud lorsqu'il s'est avéré que celui-ci avait mené une instruction exclusivement à charge dans l'affaire d'Outreau, ils ont combattu la plupart des lois demandées par Nicolas Sarkozy pour combattre l'insécurité, et contestent farouchement le fait que l'on puisse ne pas être d'accord avec une décision de justice. Ainsi, chaque remarque faite par un membre du Parlement ou un ministre sur les décisions rendues par les tribunaux est considérée comme une tentative d'influencer le système judiciaire français, et donc de ne pas respecter la séparation des pouvoirs. En même temps, la loi de la peine plancher sur les multi-récidives est combattue dans la mesure où les juges ont moins de latitude pour fixer la peine, certains juges préfèrent même ne pas reconnaître consciemment certains faits pourtant avérés pour ne pas voir cette nouvelle loi s'appliquer, et lorsqu'un procureur exprime sa volonté de ne pas appliquer la loi, les syndicats de magistrats s'émeuvent que l'on puisse considérer cela comme anormal.

Les juges peuvent alors se demander pour quelle raison leurs concitoyens commencent à se méfier de plus en plus de leur système judiciaire. Car en agissant ainsi, les magistrats laissent penser qu'ils ne sont plus là pour appliquer la loi, mais pour mettre en œuvre leur propre vision de la Justice. Or s'ils veulent s'attribuer un véritable pouvoir politique, encore faudrait-il qu'ils en aient la légitimité. Dans ce cas, quelle est la légitimité des magistrats pour agir ? En partant du principe que la légitimité est issue du peuple, le lien n'est pas toujours évident. Pour les magistrats du parquet, il s'agit de représentants du ministère public. Ils ne sont pas formellement indépendants, leur légitimité venant de l'administration du ministère de la justice. Dans les cours d'assises, les conseils de prud'hommes ou les tribunaux de commerce, les décisions rendues sont prises par respectivement des membres de jurys tirés au sort dans le corps électoral et des personnalités élues par leurs pairs, au sein de la société civile. Pour d'autres juridictions, telles que les tribunaux correctionnels, il n'y a qu'un juge professionnel, nommé par une hiérarchie dirigée par des juges eux-mêmes élus par la base de leurs pairs. Les magistrats professionnels du siège sont donc un corps qui s'auto-gère et s'auto-contrôle, sans que le peuple n'y soit représenté d'une quelconque façon. Alexis de Tocqueville, dans la Démocratie en Amérique, évoquait le cas des juges élus qu'il avait rencontré dans son voyage de l'autre côté de l'Atlantique. Une telle possibilité n'est évidemment pas possible de nos jours en France, de par la taille du pays d'une part, de par les luttes d'influences malsaines que cela entraînerait d'autre part. Il est donc difficile de vouloir renforcer la représentation du peuple dans ce corps de magistrats professionnels du siège.

En conséquence il y a bien un manque de légitimité pour qu'ils puissent constituer un pouvoir politique. Ils n'ont donc pas à vouloir mettre en œuvre leurs propres considérations sur la société, et doivent davantage s'attacher à appliquer la loi. Le fait qu'il y ait des bornes supérieures et inférieures pour les peines à prononcer contre les multi-récidivistes n'empêche pas qu'ils ont toujours la liberté de juger de ce qu'il s'est passé, du moment qu'ils le font avec leur véritable intime conviction, et de choisir la peine dans l'éventail qui est disponible. De ce fait, leur indépendance n'est menacée d'aucune manière. Et si eux refusent que les personnalités politiques critiquent leurs propres décisions, pourquoi vouloir interférer dans le domaine politique en voulant y exercer une influence ? Il serait même possible de dire alors que l'indépendance des pouvoirs exécutifs et législatifs et judiciaires est menacée par les débordements du pouvoir judiciaire. Il est vrai que cette volonté d'appliquer son propre agenda qui apparaît chez les magistrats vient surtout de leurs syndicats. Les deux principaux, le Syndicat de la Magistrature et l'Union Syndicale de la Magistrature, sont respectivement de gauche d'un côté, et clairement pas de droite de l'autre. A prendre en permanence la parole dans les médias, ils laissent penser que la magistrature est orientée politiquement, et donc que les décisions rendues par le système judiciaire français sont biaisées ou orientées d'une certaine façon. Voilà qui n'est sûrement pas pour servir la sérénité de la justice. Il ne leur est pourtant demandé que d'appliquer la loi.