Réflexions en cours

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dimanche 26 juin 2011

Le projet de paix perpétuelle de Kant

En 1795, après que l'Europe se soit embrasée à l'occasion des guerres révolutionnaires, Emmanuel Kant publie un très court ouvrage, ou plutôt une brochure, énonçant un projet de paix perpétuelle. Il y explique chacun des points qu'il mentionne, et évidemment, pour qu'un traité de paix ait une telle portée, il faut qu'il s'adresse à tous les pays ensemble, plutôt que de n'être qu'un traité de paix bilatéral. Il commence par des articles préliminaires :
  1. Nul traité de paix ne peut être considéré comme tel, si l'on s'y réserve secrètement quelque sujet de recommencer la guerre.
  2. Aucun État indépendant (petit ou grand, cela ne fait rien ici) ne peut être acquis par un autre, par voie d'héritage, d'échange, d'achat ou de donation.
  3. Les armées permanentes doivent entièrement disparaître avec le temps.
  4. On ne doit point contracter de dettes nationales en vue des intérêts extérieurs de l'État.
  5. Aucun État ne doit s'immiscer de force dans la constitution et le gouvernement d'un autre État.
  6. Nul État ne doit se permettre, dans une guerre avec un autre, des hostilités qui rendraient impossibles, au retour de la paix, la confiance réciproque, l'emploi d'assassins, d'empoisonneurs, la violation d'une capitulation, l'excitation à la trahison dans l'État auquel il fait la guerre, etc...
Le cœur du projet tient en trois articles, trois principes indispensables, le non respect de l'un suffisant à faire s'écrouler l'édifice.

D'abord, "la constitution civile de chaque État doit être républicaine", ce qui suppose la liberté des membres de la société, la soumission de tous à une législation unique et commune et la l'égalité de tous les citoyens. Le terme "républicain" (ici, où il y a séparation des pouvoirs) est utilisé comme antonyme de "despotique" (où la volonté particulière se substitue à la volonté publique), le terme de démocratie n'est pas retenu, mais une république ne peut être qu'une démocratie représentative (l'adjectif est important pour permettre cette séparation du pouvoir). Dans cette logique, le peuple pèse lui-même les graves conséquences d'une entrée en guerre dans la mesure où c'est lui qui combattra et subira, et ne prendra donc pas ce genre de décisions à la légère.

Ensuite, "il faut que le droit des gens soit fondé sur une fédération d'États libres". Il ne s'agit pas de faire un seul État, mais de les réunir les peuples indépendants dans une fédération. De la même façon qu'on sort de la barbarie en acceptant la contrainte légale (et préférer ainsi une "liberté raisonnable" à une "folle liberté") au sein des États, les États doivent eux-mêmes accepter cette même contrainte légale entre eux. On se fait la guerre pour des questions de droit, mais la guerre ne les règle pas. Une alliance de paix entre républiques garantirait l'absence de guerres.

Enfin, "le droit cosmopolitique [commun à tous] doit se borner aux conditions d'une hospitalité universelle". Ici, l'hospitalité est défini comme le droit qu'a tout étranger de ne pas être traité en ennemi dans le pays où il arrive, et comme un droit de visite (et non un droit à être admis au foyer). C'est nécessaire pour établir des relations amicales entre les peuples.

Par la suite, Emmanuel Kant revient sur les façons de procéder pour arriver à de tels buts. En philosophe politique, il considère que les difficultés de mises en place d'une république peuvent être surmontées en faisant en sorte que les penchants personnels contraires se fassent obstacles de telle façon à ce qu'ils ne gênent pas la conduite publique. On en déduit que la meilleure façon est de les incorporer au mécanisme institutionnel, ce qui justifie les contre pouvoirs. Il conclue assez longuement sur la nécessité pour les représentants de consulter les philosophes, mettant un avant qu'il est possible de concilier politique et morale (un thème sur lequel il revient dans d'autres ouvrages).

Ce projet de paix perpétuelle a très certainement inspiré le Président américain Woodrow Wilson lorsqu'il désira créer la Société Des Nations en sortant de la première guerre mondiale. On y retrouve l'idée de la fédération, du cadre supra-étatique dans lequel se retrouvaient les différentes nations. L'ONU en est le successeur. Néanmoins, on n'y compte pas que des "républiques" (ou démocraties représentatives), et c'est bien là la principale cause de son efficacité très relative. L'Union Européenne, en revanche, a réussi à réunir les trois principes fondamentaux évoqués par Emmanuel Kant. Celui-ci mettait lui-même en avant l'efficacité du commerce pour diminuer les tensions guerrières, et avec la Communauté Économique Européenne, c'est cet angle là qui fut privilégié. 50 ans après, le résultat est magnifique, et on peut aujourd'hui rêver à une paix perpétuelle, au moins entre les États membres de l'Union.

mercredi 1 juin 2011

L'effet de cliquet

Pour favoriser la croissance économique française, la principale recette de la gauche, et même d'une bonne partie de la droite, c'est de vouloir relancer la consommation. Pour 2012, les socialistes prévoient que la croissance sera relancée par la hausse du pouvoir d'achat qu'ils prévoient. En 2007, le paquet fiscal de Nicolas Sarkozy avait pour but de relancer la croissance par l'augmentation du pouvoir d'achat généré. En 1997, la semaine de 35 heures devait améliorer les conditions de vie des Français, la hausse globale des revenus en découlant devant favoriser la consommation, et donc la croissance. En 1981, la relance socialiste basée sur la stimulation avait été un terrible échec. A la base, tout cela est l'application de principes keynésiens stipulant qu'une relance de la demande permettra le retour de la croissance économique. Par le mécanisme du multiplicateur, de l'argent injecté par l'Etat dans l'économie générera une activité économique supplémentaire bien supérieure au montant initial. L'idée d'une sortie de crise "par le haut" fut au centre du New Deal de Franklin Roosevelt, et s'imposa dans les esprits après la seconde guerre mondiale.

La conclusion qu'en ont tiré bon nombre de responsables politiques est qu'il suffit donc que l'Etat relance la consommation pour permettre l'accélération de la croissance économique. D'une part, les électeurs sont contents parce qu'ils consomment plus, d'autre part, l'ensemble de l'activité économique en profite par répercussion. D'une manière générale, tout ce qui améliorera directement les conditions de vie de la population sera vu de façon positive. Cela se comprend aisément. Mais est-ce que l'effet est aussi positif que ça ?

Les accords de Grenelle de mai 68 prévoyaient ainsi une augmentation forte des salaires (+ 10 %, et + 35 % sur le salaire minimum) et une quatrième semaine de congés payés. Ce choc brutal sur l'économie ne put être absorbé sans une dévaluation importante l'année suivante, et les gains de pouvoir d'achat furent rapidement effacés par l'inflation générée. L'augmentation du nombre de congés aboutit également à une augmentation du coût du travail, et il n'est dès lors pas étonnant qu'après un autre choc de la même nature en 1981, le chômage augmenta fortement.

L'appareil productif français n'est pas en mesure de répondre pleinement à une augmentation de la demande intérieure. En outre, la menace de l'inflation et du chômage pousse les ménages à ne pas consommer inconsidérément, la consommation française étant déjà à un niveau très convenable. Il peut y avoir des cas où une relance économique fondée sur la demande peut être pertinente, mais ce n'est pas vraiment le cas pour la France depuis plus de trente ans. Une bonne partie des "mesures prises" ne font que handicaper l'appareil industriel français sans que cela ait des répercussions en terme de croissance.

Sans tenir compte des conséquences économiques à long terme, les politiciens préfèrent promettre des cadeaux aux électeurs, afin de bénéficier de retombées à court terme. Le plus problématique dans tout cela, c'est qu'il est absolument impossible de revenir en arrière, quelque soit les enjeux. Tout le discours sur les "acquis sociaux" vise à empêcher formellement tout recul, quitte à sacrifier l'avenir. C'est exactement le principe du cliquet, ce mécanisme visant à empêchant tout retour en arrière. Il peut apparaître rassurant, mais se priver de choix reste suicidaire. On l'a vu pendant la réforme des retraites. Il est extrêmement compliqué de revenir à un âge de départ à la retraite de 65 ans (pour l'instant, il n'est qu'à 62). Si François Mitterrand n'avait pas voulu baisser l'âge de départ à la retraite, les problèmes actuels de financement des retraites ne se poseraient pas de la même façon. Il semble impossible de le faire remarquer, l'effet de cliquet bloquant toute adaptation aux changements du monde. Au moins peut-on être plus précautionneux avant d'en rajouter davantage.

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