Réflexions en cours

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jeudi 23 décembre 2010

A propos du centre

Question posée : qu'est-ce que le centre ?

Quand l'analyse de la pensée politique est une part importante de ce blog, il est difficile de ne pas se répéter. Commençons par une vision large, celle de l'électeur centriste. Sa nature est d'être modéré. Conscient de l'art de la nuance, il voudra être gouverné au plus juste sur chaque dossier, plutôt que d'avoir une politique taillée à grands coups de hache. Il sera favorable à un certain interventionnisme de l'État dans l'économie, mais pas trop car il sait que cela peut avoir des effets pervers. Il est soucieux de l'ordre public, mais pas au prix de toutes les libertés fondamentales. Il croit au dialogue entre les pays, et ne pense pas que la guerre règle les difficultés. Bref, il est pondéré sur tout, et rejette avant tout les extrêmes. Aux élections, suivant les circonstances, son vote pourra se porter sur toute la partie haute du cercle de la politique. Il aura tendance à moins s'encarter dans les partis politiques, se considérant comme essentiellement indépendant dans l'exercice de son jugement (il sera aussi plus souvent noté comme indécis dans les enquêtes d'opinion avant les échéances électorales).

Et puis il y a les mouvements politiques. La gauche, la droite et le centre ne sont que des positionnements à des moments donnés pour des courants de pensée qui survivent à leurs déplacements dans l'hémicycle. Historiquement, il y a une poussée de ceux-ci vers la droite avec l'arrivée régulière de nouveaux mouvements à leur gauche, provoquant une glissade globale de la majorité vers la "gauche" si l'on s'en tient à l'axe initial. Au départ, en 1871, il y avait des royalistes (à droite) et des républicains (à gauche). Puis, quand les royalistes sont devenus moins influents, les divisions entre républicains se sont accentuées, avec les républicains modérés (au centre), et les républicains radicaux (à gauche). Puis, vers les années 1890, sont arrivés les socialistes, qui formèrent l'extrême gauche, repoussant les radicaux au centre gauche, les modérés au centre droit, et les conservateurs à l'extrême droite. Avec l'apparition de l'URSS, le congrès de Tours de 1920 fit naître la distinction entre le communisme révolutionnaire (à l'extrême gauche) et le socialisme réformateur (à gauche). A ce moment-là, Georges Clemenceau, ardent partisan d'un républicanisme féroce, considéré comme très à gauche à ses débuts, est vu comme un odieux briseur de grève par les socialistes et le sauveur de la patrie par la majorité, y compris la droite.

Par la suite, les républicains modérés se distinguèrent par leur libéralisme (ce cheminement permet de comprendre le changement assez récent -1997- de nom, du Parti Républicain vers Démocratie Libérale). Un libéralisme qui avait toujours été leur nature depuis Louis-Philippe, mais qui devint une caractéristique marquante, alors que la gauche ne parlait plus que contrôle de l'économie ou même dictature du prolétariat. Au début du XXème siècle, la démocratie chrétienne prit également plus d'importance, quelque part entre les radicaux et les modérés. Le "gaullisme", en fait bonapartisme, fut lui d'abord caricaturé comme une émanation de l'extrême droite.

Et c'est là qu'intervient le fonctionnement des institutions. Dans les régimes parlementaires des IIIème et IVème Républiques, le centre comme positionnement politique avait un rôle fondamental. Un simple différent politique permettait de faire chuter un gouvernement, ce qui arrivait souvent. Le scrutin à la proportionnelle fut particulièrement redoutable lors de la IVème République, favorisant les alliances de circonstances. Les radicaux et les chrétiens démocrates en ont beaucoup profité. Le passage à la Vème République, avec son scrutin uninominal et son exécutif fort, changea les choses. Les majorités devenant stables, il fallut choisir son camp. Ce n'était plus possible d'être comme l'électeur centriste, à voter au coup par coup en fonction de la question posée.

Chez les radicaux, cela aboutit à une scission, avec les radicaux de droite et ceux de gauche, qui demeure aujourd'hui. La distinction entre les deux se fait sur le choix de l'alliance. Les démocrates chrétiens se sont alliés avec les libéraux (donc la droite de facto) dans l'UDF, mais la "deuxième gauche" (de Jacques Delors et Michel Rocard), au sein du Parti Socialiste, est proche sur de nombreux aspects de la démocratie chrétienne (en particulier sur la foi européenne). François Bayrou a voulu tous les rassembler dans son Mouvement Démocrate (rayant le "chrétien" au passage), mais faute de choisir d'alliance, se condamne à ne pas avoir d'influence sur la politique française.

Le système empêche donc qu'il y ait un centre pur et dur, hier cela consistait uniquement à alterner les alliances frénétiquement, aujourd'hui, les mêmes sont divisés en fonction de leurs préférences d'alliance. Mais lorsque l'on considère qu'aux États-Unis, la gauche américaine correspond à notre droite française, ou même que l'on contemple notre propre histoire politique, on est surtout amené à relativiser l'aspect absolu de tels découpages.

mardi 14 décembre 2010

Le conservatisme : le sentiment plutôt que la raison

Il y a bien des formes de conservatisme. Aux Etats-Unis, être conservateur n'est pas du tout une qualification péjorative, c'est même une fierté pour ceux qui conspuent les "libéraux". Dans l'Angleterre actuelle, les conservateurs sont également des personnes attachées aux traditions, des traditions démocrates et en fin de compte, assez libérales économiquement parlant. En France, le conservatisme renvoie plutôt au conservatisme réactionnaire, le mouvement politique favorable à la restauration pendant la révolution et le premier Empire, à une politique ultra-royaliste ensuite, et au légitimisme après l'arrivée de Louis-Philippe au pouvoir. Pour en comprendre la philosophie, il faut se remettre dans le contexte de l'époque. Lorsque éclate la révolution, la noblesse est complètement prise au dépourvu. Si certains se rallient aux changements en cours (comme le père de Louis-Philippe, "Philippe Égalité"), d'autres préfèrent l'exil pour combattre le nouveau régime, d'une façon ou d'une autre.

Parmi eux, quelques uns (tels Louis de Bonald ou Joseph de Maistre) prennent leur plume pour s'opposer par le verbe aux nouvelles théories qui justifient la démocratie, et fondent ainsi la République honnie. Le contrat social cher à Jean-Jacques Rousseau ou la raison prônée par Voltaire ne trouvent pas grâce à leurs yeux. Bien au contraire, pour eux, la raison est une illusion. En brandissant sa raison comme instrument suffisant pour triompher de toutes les difficultés, l'homme ferait ainsi preuve d'un orgueil terrifiant. Particulièrement chrétiens, les penseurs conservateurs y voient là un instrument de défiance de Dieu, seul être apte à juger de toutes choses.

La monarchie absolue est elle le fruit de la tradition, elle bénéficie d'une autorité s'appuyant sur un passé de centaines d'années, elle est millénaire même. Chacun sait quel est sa place : le peuple est soumis au roi, et le roi est soumis à Dieu. Dans la société conservatrice, la vie menée n'est pas celle de bas calculateurs, toujours occupés à échafauder des manœuvres pour assouvir leur petit intérêt. L'honneur, la loyauté, par contre, y ont une place prééminente. Pour ceux dont l'idéal est la chevalerie, une vie réussie est celle où l'on a défendu son souverain avec bravoure et grandeur.

Là où le modernisme se voue à la raison, le conservatisme s'avère donc être un culte du sentiment. Le fondateur du journal Le Conservateur, François-René de Chateaubriand, s'était ainsi d'abord fait connaître en écrivant le Génie du Christianisme en exil. Il y faisait non seulement l'apologie de Dieu, mais y mettait en première place le sentiment, la conviction de son cœur. Il y avait d'ailleurs inclus deux romans, René et Atala, deux histoires d'amour tragiques, posant de fait les bases du romantisme français. Le jeune Victor Hugo en était un grand admirateur. Participant au courant littéraire romantique, il était lui-même ultra-royaliste, dédiant certaines œuvres à Charles X. Au début du XIXème siècle, la contemplation d'un glorieux passé et de faits extraordinaires satisfaisait davantage les âmes que la bien froide raison.

Fascinés par les tourments de l'âme, les conservateurs se rendirent compte que leur attachement à l'ultra-royalisme était également une tragique histoire d'amour. La raison, plus forte malgré tout, s'imposa peu à peu, et avec elle s'installèrent l'ère des négociations et des compromis, d'abord avec l'arrivée d'une monarchie libérale avec Louis-Philippe, ensuite avec la République. D'une façon globale, l'Europe se libéralisait petit à petit. La tradition dont se réclamaient les conservateurs fut alors brisée, la nouvelle tradition s'affirmant comme résolument démocrate. Mais il subsista tout de même un reliquat de tout cet amour pour le pays et cette grande volonté de faire les choses jusqu'au bout, quitte, une fois encore, à s'approcher de la tragédie. C'était le nationalisme.

dimanche 12 décembre 2010

Le cercle de la politique

Une petite polémique a lieu en ce moment sur le fait que Michel Drucker ne souhaite pas inviter Marine Le Pen dans son émission, alors qu'il y a déjà reçu Olivier Besancenot. En filigrane, se pose à nouveau la question de savoir si l'extrême gauche est plus "fréquentable" que l'extrême droite. Comme personne ne pose la question à l'extrême droite, on peut déjà entendre les réponses de la gauche et de l'extrême gauche. Et ces réponses sont assez simples : les deux extrêmes n'ont rien à voir l'un avec l'autre. L'un est raciste, lorsque l'autre est purement idéaliste ou simplement radical (dans le sens déterminé). Ainsi, les positions politiques s'étaleraient sur un axe gauche/droite, où l'extrême gauche serait le point des plus hauts et nobles idéaux (à commencer par l'égalité totale entre chacun), et tout déplacement vers la droite serait synonyme de compromission avec les bas sentiments (tel que l'égoïsme, l'individualisme), de corruption, ou même de vilénie absolue (normalement dans le cas de l'extrême droite, mais ça peut arriver assez vite avec les différentes visions personnelles).

Dans le cas de la scène politique française, cela donne une représentation assez traditionnelle, sur un axe, conformément à la disposition des parlementaires dans l'hémicycle. Voici donc l'axe de la politique française :



Mais cette représentation, pour traditionnelle qu'elle soit, oublie un élément important. Cela peut paraître comme une évidence, mais parfois, il peut être important de redire ce genre de choses : les extrêmes se rejoignent. Chaque bout de cet axe est en contact avec l'autre, formant un cercle qui est la véritable nature de la politique. Le voici :



Bien sûr, l'un des débats fondamentaux de la politique française est de savoir quel est le bon dosage entre liberté et égalité, ou plus concrètement, de savoir si la politique doit être plus interventionniste ou plus libérale. C'est la principale distinction entre l'UMP et le PS. Cela forme l'axe horizontal de ce cercle. Mais au delà du bipartisme, pour les autres partis ou courants politiques, il est aussi nécessaire de déterminer d'autres critères. En l'espèce, dans la partie supérieure du cercle, c'est peut-être le pragmatisme, ou plutôt la modération qui l'emporte sur le reste. Il est impossible d'être parfaitement au centre, cela s'est toujours vérifié. Mais il existe des formations de centre gauche ou de centre droit, en fonction de leurs choix d'alliance.

Par contre, dans la partie inférieure du cercle, c'est le radicalisme obtus qui l'emporte, la volonté de faire plier la réalité à sa vision des choses. Plus on descend sur cet axe vertical, et plus on est prêt à tout pour arriver à ses fins. C'est le moment où des privations de liberté sont décidées envers les opposants politiques, où la liberté de la presse est mise à mal, ou la démocratie n'est plus respectée. Et à cet égard là, Lutte Ouvrière ou le Nouveau Parti Anticapitaliste ne sont pas en reste avec le FN, loin de là. La "dictature du prolétariat", érigée en dogme, est la clé permettant tous les excès, tous les abus envers les "ennemis de classe". Pour créer une égalité factice, la liberté est purement et simplement supprimée.

L'Histoire fut riche d'enseignements sur la similitude entre extrême gauche et extrême droite. Dans les deux, on retrouve un État omniprésent, une dictature violente, une doctrine érigée en clé de voute de la société. Et cela a eu des répercussions concrètes. Alors que dans les années 30, les militants communistes et fascistes s'opposaient souvent violemment les uns aux autres, l'une des fiertés des communistes étaient justement d'être les plus éloignés possibles des fascistes sur un axe plat. Mais c'était justement oublier que les deux groupes, dans leurs folies, finissaient par se rejoindre. Le pacte Molotov/Ribbentrop, entre les ministres des Affaires étrangères de l'Allemagne nazie et de l'URSS communiste, en est le symbole évident. On aurait pu croire qu'ils n'avaient rien en commun, mais ils trouvaient parfaitement à s'entendre, d'abord pour ne pas se faire la guerre, ensuite pour se partager la Pologne, en l'envahissant par les deux bouts. Seule l'invasion de l'URSS décidée par Hitler permit plus tard aux communistes de se réveiller, et de se proclamer à nouveau comme champions de la lutte contre le fascisme.

Normalement, dans la théorie marxiste, après la dictature socialiste, il devrait y avoir la véritable société communiste. Dans ce cadre, tout devrait appartenir à tout le monde (et non seulement à l'État), et tout le monde serait parfaitement libre, libéré du joug des propriétaires du capital. Certains penseurs d'extrême gauche ont même mis en avant un idéal anarchiste, un monde libéré de toute obligation formelle. Cela rejoint d'ailleurs une autre forme d'extrémisme, celle des libertariens, qui rêvent également de libertés absolues et totales. La seule variation entre les deux étant la question de la propriété privée. Aucune de ces deux variantes n'a été mise en place au cours du passé, tout simplement parce que cela bloque auparavant. Au bout du compte, que ce soit en passant par l'extrême droite ou par l'extrême gauche, cela se termine à chaque fois par des camps meurtriers de prisonniers. Que l'extrême gauche fasse la même chose que l'extrême droite pour des idéaux supérieurs ou considérés comme plus nobles ne fait aucune différence. C'est toujours le même obscurantisme, la même haine de l'opposant. Et c'est pourquoi Besancenot vaut Le Pen et que le NPA vaut bien le FN.

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