Question posée : qu'est-ce que le centre ?

Quand l'analyse de la pensée politique est une part importante de ce blog, il est difficile de ne pas se répéter. Commençons par une vision large, celle de l'électeur centriste. Sa nature est d'être modéré. Conscient de l'art de la nuance, il voudra être gouverné au plus juste sur chaque dossier, plutôt que d'avoir une politique taillée à grands coups de hache. Il sera favorable à un certain interventionnisme de l'État dans l'économie, mais pas trop car il sait que cela peut avoir des effets pervers. Il est soucieux de l'ordre public, mais pas au prix de toutes les libertés fondamentales. Il croit au dialogue entre les pays, et ne pense pas que la guerre règle les difficultés. Bref, il est pondéré sur tout, et rejette avant tout les extrêmes. Aux élections, suivant les circonstances, son vote pourra se porter sur toute la partie haute du cercle de la politique. Il aura tendance à moins s'encarter dans les partis politiques, se considérant comme essentiellement indépendant dans l'exercice de son jugement (il sera aussi plus souvent noté comme indécis dans les enquêtes d'opinion avant les échéances électorales).

Et puis il y a les mouvements politiques. La gauche, la droite et le centre ne sont que des positionnements à des moments donnés pour des courants de pensée qui survivent à leurs déplacements dans l'hémicycle. Historiquement, il y a une poussée de ceux-ci vers la droite avec l'arrivée régulière de nouveaux mouvements à leur gauche, provoquant une glissade globale de la majorité vers la "gauche" si l'on s'en tient à l'axe initial. Au départ, en 1871, il y avait des royalistes (à droite) et des républicains (à gauche). Puis, quand les royalistes sont devenus moins influents, les divisions entre républicains se sont accentuées, avec les républicains modérés (au centre), et les républicains radicaux (à gauche). Puis, vers les années 1890, sont arrivés les socialistes, qui formèrent l'extrême gauche, repoussant les radicaux au centre gauche, les modérés au centre droit, et les conservateurs à l'extrême droite. Avec l'apparition de l'URSS, le congrès de Tours de 1920 fit naître la distinction entre le communisme révolutionnaire (à l'extrême gauche) et le socialisme réformateur (à gauche). A ce moment-là, Georges Clemenceau, ardent partisan d'un républicanisme féroce, considéré comme très à gauche à ses débuts, est vu comme un odieux briseur de grève par les socialistes et le sauveur de la patrie par la majorité, y compris la droite.

Par la suite, les républicains modérés se distinguèrent par leur libéralisme (ce cheminement permet de comprendre le changement assez récent -1997- de nom, du Parti Républicain vers Démocratie Libérale). Un libéralisme qui avait toujours été leur nature depuis Louis-Philippe, mais qui devint une caractéristique marquante, alors que la gauche ne parlait plus que contrôle de l'économie ou même dictature du prolétariat. Au début du XXème siècle, la démocratie chrétienne prit également plus d'importance, quelque part entre les radicaux et les modérés. Le "gaullisme", en fait bonapartisme, fut lui d'abord caricaturé comme une émanation de l'extrême droite.

Et c'est là qu'intervient le fonctionnement des institutions. Dans les régimes parlementaires des IIIème et IVème Républiques, le centre comme positionnement politique avait un rôle fondamental. Un simple différent politique permettait de faire chuter un gouvernement, ce qui arrivait souvent. Le scrutin à la proportionnelle fut particulièrement redoutable lors de la IVème République, favorisant les alliances de circonstances. Les radicaux et les chrétiens démocrates en ont beaucoup profité. Le passage à la Vème République, avec son scrutin uninominal et son exécutif fort, changea les choses. Les majorités devenant stables, il fallut choisir son camp. Ce n'était plus possible d'être comme l'électeur centriste, à voter au coup par coup en fonction de la question posée.

Chez les radicaux, cela aboutit à une scission, avec les radicaux de droite et ceux de gauche, qui demeure aujourd'hui. La distinction entre les deux se fait sur le choix de l'alliance. Les démocrates chrétiens se sont alliés avec les libéraux (donc la droite de facto) dans l'UDF, mais la "deuxième gauche" (de Jacques Delors et Michel Rocard), au sein du Parti Socialiste, est proche sur de nombreux aspects de la démocratie chrétienne (en particulier sur la foi européenne). François Bayrou a voulu tous les rassembler dans son Mouvement Démocrate (rayant le "chrétien" au passage), mais faute de choisir d'alliance, se condamne à ne pas avoir d'influence sur la politique française.

Le système empêche donc qu'il y ait un centre pur et dur, hier cela consistait uniquement à alterner les alliances frénétiquement, aujourd'hui, les mêmes sont divisés en fonction de leurs préférences d'alliance. Mais lorsque l'on considère qu'aux États-Unis, la gauche américaine correspond à notre droite française, ou même que l'on contemple notre propre histoire politique, on est surtout amené à relativiser l'aspect absolu de tels découpages.