Réflexions en cours

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vendredi 12 janvier 2007

Analyse politique et économique de la société des Schtroumpfs

Les aventures des Schtroumpfs, ces petits lutins bleus pacifiques, ont connu un succès phénoménal à travers le monde, d'abord par la bande dessinée de Peyo, puis et surtout pas son adaptation en dessin animé par Hanna Barbera. Si cette adaptation a tendance à se concentrer sur l'affrontement entre les gentils Schtroumpfs et le méchant Gargamel, il y a quelques albums de la BD qui sont très intéressants à relire même en ayant quitté le stade de l'enfance. Dès le deuxième album, l'histoire du Schtroumpfissime montre les mécaniques de pouvoir, de politique, des liens entre démocratie et dictature. Le Schtroumpf financier pose la question du rôle de l'argent dans une société. Il y a aussi Schtroumpf vert et vert Schtroumpf qui se veut être le reflet de la division de la Belgique... A la lecture de ces différents albums, on se rend compte que la société schtroumpfe ne tient qu'à un fil, celui de l'irréalité. Celle de la taille constante de cette communauté, l'âge également constant des schtroumpfs, et la personnalisation marginale des individus, qui donnent à la société une certaine stabilité, ainsi que le rôle divin du Grand Schtroumpf.

Dans le Schtroumpfissime, celui-ci doit s'absenter du village. Très vite, un conflit apparaît pour savoir ce qu'il faut faire. Pour résoudre la question, il est décidé de nommer un chef lors d'une élection. Celui qui la remporte gagne en ayant tenu un discours de promesses démagogiques et contradictoires, flatteuses pour ses électeurs. Investi de ce pouvoir, il admet peu la contestation, et transforme le régime en une dictature. Il recrute une armée d'abord en promettant les honneurs, puis en passant par l'obligation. Celle-ci doit lutter contre les résistants qui refuse son commandement. En plein milieu de l'ultime bataille, le grand Schtroumpf intervient deus ex machina, et tout est réglé et pardonné. Une trame similaire est suivie dans le Schtroumpf financier : le Grand Schtroumpf, malade, laisse introduire par un Schtroumpf la monnaie, avec un système similaire aux humains. Pourtant habituellement, la nourriture est donnée à tout le monde, et chacun fournit à peu près sa fonction dans la société. Mais la monnaie révèle que l'utilité de chacun n'est cruellement pas la même dans la société schtroumpfe : le poète gagne beaucoup moins que l'agriculteur et le boulanger, qui nourrissent les autres. Quant au Schtroumpf feignant, sa survie même semble menacée. Plongés dans les tourments du besoin et de l'opulence, les Schtroumpfs en perdent la joie de vivre, et lorsque le Schtroumpf financier renonce à son rêve, le Grand Schtroumpf lui explique que ce qui est bon pour les humains n'est pas forcément bon pour eux.

Car en fait il apparaît que la société schtroumpfe est communiste. Mais vraiment communiste, au sens même rêvé par Marx. Les 100 Schtroumpfs jouent leur rôle, vivent ensemble joyeusement dans une cohésion qui amortit les éventuelles dissensions. Il n'y a pas d'Etat à proprement parler, tout juste un guide révéré en la personne du Grand Schtroumpf dont l'absence conduit immanquablement ses ouailles vers le chaos. Ils sont tous de la même classe sociale et conscients de leur égalité. Le village des lutins Schtroumpfs est utopique, et assumé comme tel. L'idée d'une telle société est séduisante sur le papier, mais totalement irréalisable chez les humains, où tout change chaque jour, où chacun voit le spectre du temps qui passe, et où les individualités sont autrement plus affirmées. Chez les humains, comme tout le monde n'a pas la chance d'avoir l'emploi qu'il souhaite, l'effort est souvent vu comme une torture. Et c'est bien là la différence avec la société schtroumpfe : personne n'y est jaloux du Schtroumpf feignant, épicurien qui vit libéré de l'effort car rien ne le pousse à en faire. Chez les humains, nombreux sont ceux qui souhaiteraient pouvoir adopter un tel comportement. C'est le principe du passager clandestin, où l'on espère profiter sans payer, sans se rendre compte que la généralisation d'un tel comportement empêche le service d'être réalisé. Dans le véritable communiste, il n'y aurait pratiquement plus que des passagers clandestins dans une société où aucun travail ne serait accompli. Aucun travail, donc aucune richesse, aucun confort, aucune nourriture. Si la véritable société communiste n'est jamais apparue sur Terre, c'est bien que le stade du "socialisme" ne voyait pas l'étape suivante possible dans les régimes gouvernés par des communistes. Rien ne laissait penser qu'autre chose que la dictature d'un Etat boursouflé pouvait remplacer l'initiative personnelle.

Quant au Grand Schtroumpf, dont on pourra discuter des ressemblances avec Dieu ou Marx lui-même au choix, il apparaît comme un être parfait, infaillible, un sauveur qui permet ce rêve. Où a-t-on déjà vu tel être dans la société humaine, un sage qui vient à bout de toutes les difficultés ? Nulle part. Les hommes sont décidément bien différents des Schtroumpfs, et le corollaire de la morale au Schtroumpf financier faite par le Grand Schtroumpf est "tout ce qui est bon pour les Schtroumpfs n'est pas forcément bon pour les humains". Le communisme idéal ne relève que de l'utopie, possible uniquement chez des lutins de bande dessinée au milieu d'un royaume imaginaire. Mais sur cette Terre, ce sont des humains biens réels avec tous leurs défauts qui doivent cohabiter, et il est autant illusoire que catastrophique que de vouloir les faire participer à un rêve d'enfant. Il faut bien voir la doctrine communiste pour ce qu'elle est : une impossibilité, un cul de sac. Et il est souhaitable que chaque humain en fasse le deuil désormais.

samedi 6 janvier 2007

Bipartisme

Les maires sont nombreux, mais pourtant très recherchés. Actuellement, chaque candidat potentiel à l'élection présidentielle recherche les 500 signatures d'élues nécessaires à valider une candidature officielle. Et si les favoris n'ont aucune difficulté à trouver ces signatures en s'appuyant sur les maires adhérents de leur parti, les autres connaissent davantage de problèmes pour y arriver. Ce sont les candidats issus de partis extrémistes, des partis mono-thématiques ou bien les illustres inconnus qui peinent actuellement à gagner leur ticket d'entrée à l'élection. Car les circonstances ne sont pas favorables pour eux : après le choc du 21 avril 2002, la tendance est clairement au vote utile. Et maintenant que le risque qu'un parti extrémiste arrive au second tour est avéré, les grands partis politiques passent clairement des consignes auprès de leurs élus pour ne pas apporter leur soutien à des personnalités extérieures. Les petits candidats (ou outsiders, si l'on trouve l'adjectif "petit" dépréciatif) se plaignent donc de l'obstacle qu'est devenue cette procédure, limitant de fait la représentativité et la démocratie, et se montrent comme étant bâillonnés. Si celui qui vitupère le plus sur ce point est Jean-Marie Le Pen, ce n'est pas celui qui a le moins de chance d'être présent au premier tour. En effet, en 2002, il s'était trouvé assez d'élus pour appuyer les candidatures de deux personnalités d'extrême droite. En revanche, le risque est réel pour les autres.

Au premier lieu, il y a la question des illustres inconnus. On en trouve un à chaque élection présidentielle qui arrive à être présent au premier tour contre toute attente, mais qui ne dépasse pas le 1 % de vote. Cette règle des 500 signatures est là déjà pour éliminer les candidatures fantaisistes, pour ne garder que des choix de sociétés clairement différents (et dans la mesure possible, crédibles ou cohérents). Déjà en 2002, avec 16 candidats qui s'étaient hissés au premier tour, il y avait un vrai problème de clarté, et entre certains candidats il n'y avait que des micro-différences. A quand l'équivalent de l'élection gouvernatoriale californienne de 2003, où plus d'une centaine de candidats (dont une bonne part farfelue) avaient réuni les maigres conditions d'entrée dans la course ?

La question se pose autrement pour les partis mono-thématiques. Leur existence peut se justifier lorsque les autres partis politiques ne prennent pas en charge une certaine question. L'idéal, c'est qu'au bout d'un moment la thématique en question soit réappropriée par chaque mouvement généraliste. Si c'est le cas, leur utilité est moindre. Mais en tous cas, on peut se demander quel est le rôle que doit jouer un parti comme Chasse, Pêche, Nature et Traditions, et cela pour n'importe quelle élection. Car il s'agit davantage d'un lobby, et un tel mouvement en agitant comme seul étendard la défense de la chasse, n'agit manifestement pas en faveur du seul intérêt général.

Au fur et à mesure que la restriction s'opère, on peut se demander jusqu'à quel point il doit y avoir une diversité de candidatures. Au plus poussé se pose la question du bipartisme. Aux Etats-Unis, il y a certes plus de deux partis, mais le système est décrit comme bipartiste car ce sont toujours soit les démocrates ou les républicains qui dominent les organisations politiques. Comme le constitutionnaliste Maurice Duverger l'a montré, c'est la conséquence du scrutin majoritaire à tour unique : celui qui a la majorité des voix après un tour est élu, sans avoir nécessairement 50 % des voix. Cela pousse très rapidement les différents camps à limiter les divisions pour que le candidat qui soit élu soit au moins un minimum proche des positions que l'on défend. Ainsi, si en France on disait traditionnellement qu'au premier tour on choisit et au second on élimine, aux Etats-Unis le choix se fait lors des primaires, et l'élimination dans l'élection générale. Pour une élection présidentielle américaine, il peut y avoir une dizaine de candidats à l'investiture de l'un des deux grands partis. Les autres partis sont vus comme une nuisance par les grands. En l'an 2000, la candidature verte de Ralph Nader a été ainsi accusée d'avoir privé Al Gore des quelques voix qui lui aurait assuré l'élection face à George Bush. La procédure peut aussi être contournée : aux dernières élections sénatoriales américaines, le sénateur Joe Lieberman n'a pas reçu l'investiture démocrate de la part du Connecticut. Les citoyens démocrates de cet Etat lui avaient préféré Ned Lamont, plus à gauche. Mais le sortant décida de rester dans la course, en se présentant en tant qu'indépendant. Il fut en fin de compte réélu grâce au vote d'une minorité des démocrates et d'une majorité des républicains (le candidat républicain ayant été réduit à faire de la figuration). Quoi qu'il en soit, le système bipartiste a une logique propre, où les primaires permettent de faire le tri.

Son application est-elle souhaitable en France ? Il est douteux que cela soit possible. La Vème République, qui a fait ses preuves, veut une rencontre entre un homme et un peuple depuis la révision constitutionnelle de 1962. Mais le Général de Gaulle ne voulait certainement pas non plus que l'élection présidentielle devienne une foire au n'importe quoi avec pléthore de candidatures. L'idéal serait donc d'avoir un nombre réduit de candidats, représentatifs de grandes tendances d'opinion. Pour éviter les divisions, il faudrait qu'il n'y ait qu'un candidat pour chacune de ces grandes tendances. Pour les sélectionner, il faut bien trouver un moyen. Primaires à l'italienne, ouverte à tous les citoyens ? Pourquoi pas. Ces primaires peuvent déjà se dérouler dans le cadre des partis politiques. Mais si le Général de Gaulle les détestaient, les voyant déconnectés de la population et concentrés à se préoccuper uniquement de leurs caciques, il s'est fortement appuyé sur son propre "rassemblement" dans ses combats. Pour qu'il puisse y avoir primaire au sein d'un parti, il faut donc que celui-ci soit fortement ouvert à la population, et qu'en même temps chaque citoyen se convainque qu'il s'agit là d'un moyen de participer à la démocratie et à la vie citoyenne. Car avec un nombre réduit de candidats forts, le débat démocratique y gagnera en puissance.

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