Il y a quelques jours, les conglomérats Unilever (marques Omo, Sun, Skip...) et Procter & Gamble (Ariel, Mr Propre, Bonux...) ont été condamnés à une amende totale de 315 millions d'euros pour avoir constitué un cartel. A l'origine, avec Henkel (Le Chat, Mir...), ils avaient constitué une association à objectifs environnementaux pour le marché des détergents. L'une des mesures adoptées avait été de diminuer la taille des paquets, mais ils s'étaient aussi entendu pour ne pas baisser les prix à cette occasion. C'était donc bien une entente illégale sur les prix, nuisible à la concurrence et donc aux consommateurs. Ils avaient été dénoncé à la Commission Européenne par Henkel qui, du coup, s'est vu dispensé de peine.

Sur le marché de la farine en sachet (destinée aux particuliers), et peut-être aussi sur le marché de la farine en vrai (pour les professionnels), les principaux meuniers français et allemands sont soupçonnés par l'Autorité de la Concurrence de s'être en quelque sorte partagés les marchés, ce qui mécaniquement favorise des prix élevés. C'est le meunier allemand Werhahn qui a dénoncé ce cartel auquel il prenait part, espérant la clémence des autorités.

Ce n'est que deux cas parmi d'autres, mais ils illustrent bien le sort que connaissent les cartels. D'un point de vue économique, il est tout à fait rationnel pour une entreprise de constituer un cartel avec ses concurrents. Dans le cas des oligopoles, où quelques entreprises seulement s'affrontent pour un marché, il est plus facile de s'entendre que lorsqu'il y a un très grand nombre de concurrents. Et il est particulièrement tentant de s'entendre sur les prix : la marge de chaque entreprise est préservée, au détriment des consommateurs. Il n'est donc pas surprenant qu'il y ait fréquemment de nouveaux cartels qui se forment, bien qu'ils soient interdits car contraires à l'intérêt général.

Paradoxalement, il est aussi tout à fait rationnel pour une entreprise de trahir le cartel dont elle fait partie. Théoriquement, dans un cartel, chaque participant doit respecter les règles sur lesquelles ils se sont collectivement entendus. Mais comme ils sont interdits, il peut difficilement y avoir de sanction envers celui qui ne le fait, un procès étant évidemment exclus. Et si tout le monde vend ses produits à un prix élevé, il est rationnellement intéressant d'essayer de récupérer l'ensemble du marché en vendant un peu moins cher. L'augmentation des volumes compense alors largement la baisse de la marge unitaire. Et si en plus, les amendes contre les participants sont de plus en plus élevées comme c'est le cas actuellement, il devient alors très intéressant d'affaiblir de la sorte ses co-conspirateurs, qui sont toujours restés des cibles.

On retrouve alors un cas classique de dilemme du prisonnier : tout le monde à intérêt à trahir le cartel, et chacun le sait. Les autorités épargnent celui qui dénonce le cartel en premier. La confiance entre membres reste faible, puisque l'intérêt individuel de chacun n'est pas certain dans cette affaire. La vraie question est donc : qui dénoncera le cartel le premier ? Henkel et Werhahn l'ont fait, et vu les montants des amendes, s'en porteront très bien. Gare aux autres. Le cartel est donc un procédé que chacun a intérêt à mettre en place, mais que chacun a également intérêt à couler. Ce sont les joies du marché... Et in fine, c'est au bénéfice du consommateur.