Réflexions en cours

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mardi 15 février 2011

Et si tous les pays étaient riches ?

En fin de compte, l'une des chances des pays en développement est précisément leur pauvreté. Grâce au libre échange, leur main d'œuvre bon marché représente un avantage compétitif qui attire les industries. Si les pays développés perdent des emplois par les délocalisations, celles-ci fournissent un revenu à une population qui en manque désespérément. Les pays qui accueillent les délocalisations sont tellement attractifs qu'ils en connaissent une croissance économique forte, et les revenus qui en découlent se transmettent à l'ensemble de l'économie locale. Dans les pays qui sont à peu près sains, cela créé des opportunités pour les entrepreneurs locaux, pour une amélioration des formations, et in fine sur l'amélioration des condition de vie. Les salaires des ouvriers augmentent, ils travaillent de plus en plus pour des champions économiques locaux, qui à terme, doivent délocaliser leur propre production pour rester compétitif.

Le Japon, considéré comme un pays de productions bon marché après guerre, est devenu un concurrent redoutable pour les pays occidentaux dans les années 80. La Corée du Sud a suivi le même chemin, et arrive à vendre ses propres voitures et produits électroménagers à travers le monde aujourd'hui. La Chine est obligée de chercher sa main d'œuvre bon marché toujours plus à l'ouest, celle des premières zones industrielles proches des ports devenant de plus en plus aisée. Il n'est pas dit que la croissance des pays émergents dure toujours au même rythme : le Japon, une fois devenu la deuxième économie mondiale et ayant rattrapé les pays occidentaux, fut frappé par un net ralentissement dans lequel il se trouve toujours. C'est donc une sorte de point d'arrivée à atteindre. Cela risque de prendre du temps, mais on peut imaginer un monde dans lequel il n'y aurait plus de pays émergents, seulement des pays émergés. Qu'est-ce que cela changerait ?

A priori, pour un pays comme la France, ce ne serait pas une mauvaise situation. Si le coût de la main d'œuvre est finalement à peu près le même partout, l'intérêt de délocaliser s'évanouirait. Vu les coûts de transports, il serait même probablement raisonnable de rapatrier une bonne partie des industries qui ont quitté le pays. En plus, le haut niveau de vie de populations autrefois pauvres ouvrirait de nouveaux débouchés pour nos entreprises. Mais tout cela aurait également une répercussion immédiate pour tout le monde : l'impossibilité de faire fabriquer ses produits par des salariés payés à des tarifs vraiment ridicules provoquerait forcément une augmentation des prix. On arriverait donc rapidement à une inflation généralisée (dont on a en quelque sorte les prémices) qui saperait le pouvoir d'achat de l'ensemble de la population.

Si les pays industrialisés souffrent de la mondialisation du fait des délocalisations nombreuses, ils ne doivent pas oublier qu'ils en profitent également en bénéficiant de produits de consommation à prix très réduits. Au supermarché, un consommateur choisira le moins cher entre deux produits équivalents. Il tire là un gain qui se traduit par du chômage pour ceux dont les emplois sont délocalisés. Tant qu'il reste employé, le consommateur reste nettement bénéficiaire, puisque ses revenus seront peu impactés par son choix. En revanche, cela rend plus difficile la création d'emplois pour ceux qui n'en occupent pas. En conclusion, si tous les pays étaient riches, il y aurait probablement moins de chômage dans les pays occidentaux, davantage de chômage dans les pays actuellement émergents, et surtout des biens de consommations plus chers pour tous.

mardi 8 février 2011

Le faux prétexte de la hausse de la TVA sur la télé en ligne

Lorsqu'il y a six mois, le gouvernement fut amené à relever le taux de la TVA sur les services de télévision en ligne, les fournisseurs d'accès à internet (FAI) se sont immédiatement insurgés, l'un d'entre eux (Free) allant même jusqu'à parler de "taxe Baroin-Sarkozy". Les FAI se sont tour à tour plaints de la charge colossale que cela représentait, et qu'ils seraient poussés à augmenter nettement le prix de leurs tarifs. Probablement dans un but de lobbying (faire peur aux consommateurs pour qu'ils se retournent vers le gouvernement), ils parlaient d'augmentations très nettes (supérieures à 3 euros), alors que Bercy affirmait que cela ne pouvait décemment dépasser deux euros.

C'est en fait mathématique. A la base, les FAI partaient du principe que les services télévisés représentaient la moitié du prix, quand ils ne formaient qu'une petite part des coûts. Dans ce cas, le prix du forfait triple play emblématique de 29,90 € découlait de la formule suivante : 1,196y +1,055y =29,90. Chaque moitié du service (la télévision d'une part, l'accès à internet et la téléphonie fixe d'autre part) avait donc un coût HT de 13,28 € environ. Avec l'unification du niveau de TVA, le nouveau prix devait donc être de 2 x 1,196 x 13,28 = 31,77 €. Toute hausse supérieure ne serait qu'une augmentation des prix pour augmenter la marge.

Ces hausses de tarifs représentent un changement des conditions commerciales, et donc une opportunité de rompre son contrat. Cela fut mis en avant par des associations de consommateurs telles que l'UFC-Que Choisir, et encouragea les FAI à limiter leurs hausses. Le nouveau tarif du triple play se stabilise à 31,90 €, soit 13 centimes d'augmentation de marge par mois. 1,52 € de gain par abonné et par an, comme il y a des millions d'abonnés, ce n'est pas négligeable. Cette modération dans les augmentations est une conséquence de la concurrence existante. Dans la téléphonie, les opérateurs ont même décidé de ne pas augmenter du tout leurs tarifs.

Mais en creusant plus profondément, il s'avère que toute cette affaire est scandaleuse, et ce à plusieurs niveaux. Le taux de TVA réduit sur les services de télévision ne date que de mars 2007, il avait été mis en place par le ministre de la Culture de l'époque Renaud Donnedieu de Vabres, dans le cadre de la loi "Télévision du futur". A l'époque, aucun tarif n'avait diminué pour l'occasion, alors que les gains étaient très importants pour les opérateurs. Ensuite, ce taux avait été appliqué à tort et à travers. Sur une part bien trop importante des forfaits du triple play, sur une proportion difficile à connaître des forfaits de téléphonie mobile... tout cela s'apparentait bien à une façon de truander le fisc. Car le pire, c'est que la hausse des tarifs est désormais aussi appliquée à des services d'accès à internet qui ne fournissaient même pas la télévision.

En conséquences, toutes ces hausses ne sont absolument pas justifiées, et révèle une double arnaque. Arnaque à la fiscalité d'une part, entre 2007 et 2010, où par des artifices comptables fallacieux, FAI et opérateurs mobiles ont économisé des sommes importantes en TVA, sans bien sûr en faire bénéficier le consommateur d'une quelconque façon. Arnaque des consommateurs d'autre part depuis début février, où la suppression de cette possibilité est plus que répercutée sur les abonnés, l'arnaque se faisant désormais à leurs dépends plutôt qu'à ceux de l'Etat. Dans cette affaire, les consommateurs n'ont jamais été gagnants, les FAI étaient et restent des coupables.

dimanche 6 février 2011

Le rapport de la Commission d'Enquête sur la Crise Financière

En mai 2009, le président américain Barack Obama a créé une commission d'enquête chargée d'enquêter sur les origines de la crise financière qui a frappé les Etats-Unis puis le monde. Celle-ci fut formée sur des bases bipartisanes, chaque parti ayant à nommer des membres la composant. Les leaders de la majorité démocrate au Sénat et à la Chambre eurent à en nommer trois chacun, ceux de la minorité démocrate deux, soit dix membres en tout. Leur rapport a été publié il y a une dizaine de jours. Il est très long (dans les 600 pages), mais alors que les raisons de la crise ont été contestées de part et d'autres, les conclusions qui sont présentées dès le début sont très tranchées. "Nous concluons que la crise financière était évitable" peut-on y lire. La bulle immobilière était anormale et malsaine, les taux d'intérêts trop bas (Alan Greenspan, autrefois déifié pour son travail à la tête de la Fed, a un bilan bien plus mitigé aujourd'hui), et surtout, la déréglementation continue depuis de nombreuses années a permis l'émergence d'un système où plus personne comprend bien ce qu'il se passe, où les transactions à très court terme sont traitées automatiquement par des algorithmes et des ordinateur, où les produits financiers sont tellement sophistiqués que rien n'est vraiment contrôlé par qui que ce soit.

Tout cela a provoqué une forte augmentation des prises de risques, soigneusement cachées par des montages. Les agences de notation se sont montrées à cette occasion inefficaces, certifiant "sans risque" des produits financiers particulièrement douteux. Ces prises de risques, financées par l'emprunt, ont permis la contamination du risque à toutes les institutions, d'où la contagion rapide et l'ampleur de la crise. L'incapacité des autorités à prévenir puis à à contrecarrer les premiers effets de cette crise est alors forcément fatal. La politique immobilière d'accession à la propriété menée via les instituts de crédit Fanny Mae et Freddy Mac est aussi en cause, étant bien placée dans les causes premières.

Le rapport est long, mais bien écrit, dans un style facile à lire, multipliant faits et anecdotes. Mais une surprise attend le lecteur à la fin : la présence d'opinions discordantes, délivrées à part du propos principal. Deux textes dont les auteurs ne sont autres que les quatre membres de la commission qui avaient été nommés par les républicains. Cela veut tout simplement dire que si la commission était bipartisane, le rapport, lui, ne l'est pas. Le rapport est la conclusion des démocrates (puisqu'ils étaient alors majoritaires au Congrès), les républicains ont eux une vision bien plus économiquement libérale de la crise. En quelques mots : d'abord, la bulle était selon eux difficile à détecter. En effet, à chaque éclatement de bulle on souhaite pouvoir identifier les prochaines bulles a priori, mais on n'y arrive jamais. Ce serait la preuve que ce n'est pas possible. Ensuite, la faute est immédiatement (et presque entièrement) placée sur la politique d'accession à la propriété des plus modestes, intervention étatiste dans l'économie aux effets pervers. Enfin, il n'y aurait selon eux aucune preuve de l'impact de la déréglementation dans la crise financière.

Bien sûr, l'intérêt de ce rapport demeure, par la présence de faits précis et d'analyses poussées sur la finance de chaque côté. Mais le fait que démocrates et républicains soient chacun restés sur leurs positions, interventionnistes d'une part, libérales d'autre part, fait que cette commission n'aura pas totalement atteint son but. Comme les leçons tirées sont immédiatement mises en doute, il ne peut y avoir ni de certitude, ni sur le passé, ni sur ce qu'il faut faire. Néanmoins, les arguments déployés restent légitimes et intéressants.

mercredi 2 février 2011

Supprimons le régime des intermittents du spectacle

Le quotidien économique Les Echos a révélé il y a quelques jours que 105 826 personnes ont été indemnisées par le régime des intermittents du spectacle, ils ont touché 1,276 milliard d'euros, alors que les cotisations s'élevaient à 223 millions d'euros. D'où un déficit de plus d'un milliard d'euros. Le régime de chômage des intermittents du spectacle n'est donc financé qu'à 17 %, laissant place à un trou béant dans les finances publiques. Du côté de l'Etat, on est pourtant prêt à ce que cela perdure. Il y a bien eu deux réformes en 2003 et 2007, mais si elles ont créé beaucoup d'agitations de la part des intermittents, elles n'ont rien changé concrètement. La Fédération CGT du Spectacle se dit elle prête à une nouvelle "véritable réforme", mais c'est en fait la question de l'opportunité du maintien de ce régime qui se pose.

En effet, quelle est la raison d'être du régime des intermittents du spectacle ? Avec aussi peu de cotisations par rapport aux indemnisations, il est peu probable qu'une quelconque réforme le mette à l'équilibre. Cet énorme déficit est donc d'ordre structurel. Cela veut aussi dire qu'il est voulu. Ce serait un moyen pour l'Etat de financer la politique culturelle en renflouant annuellement ce trou. D'après les intermittents eux-mêmes, ces indemnisations généreuses serait un moyen pour faire financer par la collectivité les répétitions et permettre des périodes d'inactivité aux artistes. Sauf que le régime des intermittents est loin de ne financer que les artistes.

Dans les chaînes de télévision, la très grande majorité de ceux qui assurent les tâches de production bénéficient du régime des intermittents. Caméramans, preneurs de son, infographistes... tous sont intermittents. Des entreprises stables usent et abusent quotidiennement du régime des intermittents, qui permet de diminuer leurs coûts, et qui est aussi très arrangeant pour les employés. Le seul grand perdant, c'est la collectivité qui finance tout cela indistinctement, soit le plus grand nombre. Et même dans les spectacles vivants, pourquoi les répétitions ne seraient-elles pas payées par le producteur, alors que cela fait partie du travail ?

Le régime des intermittents du spectacle est une spécificité française. Dans les autres pays, être acteur ou infographiste est un métier comme un autre, donc obéissant aux mêmes contraintes, et bénéficiant des mêmes droits. Ce déficit structurel est trop lourd pour pouvoir être pris en charge par l'Etat indéfiniment. Des négociations entre patronat et syndicats commencent sur l'assurance chômage, le gouvernement devrait en profiter pour annoncer qu'il ne renflouera plus ce déficit. Il y aurait alors de grande chances que cela signe l'arrêt de ce régime. Evidemment, reversés dans le régime général, ceux qui étaient autrefois intermittents représenteraient probablement encore un coût, mais au moins celui-ci serait largement moins important.

free hit counter