Réflexions en cours

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dimanche 16 janvier 2011

Si c'est vivant, taxez-le, si c'est mort, subventionnez-le

Il y a quelques jours, la commission sur la rémunération pour copie privée a décidé d'étendre sa taxe sur les tablettes tactiles, partant du principe que ces appareils disposent des mémoires. Elle a aussi déplafonné la taxation sur les clés USB, les cartes mémoires, et créé deux nouvelles tranches pour les disques durs. Même les appareils GPS sont désormais taxés, et la prochaine Freebox ne devrait pas échapper à une taxe de plusieurs dizaines d'euros par unité. La taxe peut monter jusqu'à 120 € pour un disque dur externe. Au fur et à mesure de cette frénésie fiscale, son poids devient assommant. Le dispositif est ancien, puisqu'il date de 1985, où il était alors question de taxer les cassettes. Sa logique est de taxer tous les supports où des produits culturels peuvent être potentiellement copiés sous le droit à la copie privée (pourtant de plus en plus réduit). Peu importe que vous ne copiez jamais de musique sur la carte mémoire de votre appareil photo : il sera quand même lourdement taxé. Plus surprenant, cette taxation ne varie pas en fonction de la loi. Ce ne sont pas les parlementaires élus par le peuple qui déterminent le barème de cette taxe. C'est une commission "indépendante", composée de représentant des ayants droit. Elle a le pouvoir de lever l'impôt, qualifié pudiquement de "rémunération" ou de "redevance". C'est parfaitement abusif, antidémocratique, et illégitime.

75 % de l'argent récolté sert à rémunérer les sociétés d'auteurs, dont la très riche SACEM. Ceux-ci ont donc le pouvoir de déterminer ce qui est prélevé, et d'empocher le résultat. Le reste sert à subventionner diverses manifestations culturelles, tels que des festivals dont la grande majorité n'a que faire. Bref, les artistes et ceux qui les produisent sont les seuls bénéficiaires de toute cette taxation, martelée pourtant sur ce qui est censé un droit (la possibilité de copier pour son propre usage un produit culturel que l'on a acheté). Tout cela est scandaleux, et pour bien faire, devrait être entièrement aboli au plus vite.

Comment en est on arrivé là ? A la base, le législateur voit un secteur économique qui marche bien. Dans les années 80, les cassettes vierges étaient populaires. Ensuite, il y a un secteur économique en difficulté. A la même époque, les maisons de disques s'émouvaient (déjà) que la copie illégale pouvaient leur créer du tort. Elles ont fait du lobbying auprès du législateur, qui a voulu se montrer généreux en permettant à la population d'être prélevée, via cette nouvelle taxe sur le secteur économique qui fonctionne bien.

C'est en fait intemporel. Encore de nos jours, cela arrive tous les mois. Un député ou le gouvernement trouve qu'il est impérieux de lancer telle ou telle nouvelle mesure, qui invariablement, coûtera de l'argent. Comme les finances publiques sont déjà totalement dévastées, il faut quand même se soucier de trouver une source de financement. Qu'à cela ne tienne, on s'intéressera à ceux qui ne sont pas encore trop écrasés par les taxes. On l'a encore vu récemment avec la "taxe Google", sur la taxation de la publicité en ligne, un nouveau secteur en plein boom. Cela permettra aux entreprises en croissance de l'être beaucoup moins, et en bonus, de se voir frappée par une complexité fiscale et judiciaire supplémentaire.

En 1986, le Président américain Ronald Reagan expliquait lors d'une conférence sur les petites entreprises que traditionnellement, "la façon de voir du gouvernement à propos de l'économie pouvait être résumée en quelques phrases courtes : Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue de bouger, régulez-le. Et si ça s'arrête de bouger, subventionnez-le." On ne pourrait mieux résumer la situation en France. Un artiste veut financer son festival qui ne trouvera pas assez de spectateurs ? Il suffit de taxer les tablettes tactiles ! C'est si simple. Et si bête. Une subvention peut-être utile lorsqu'elle est temporaire, pas lorsque les difficultés d'une entreprise ou d'un secteur sont structurelles, et que le flux d'argent ponctionné sur le reste de l'économie ne servira qu'a prolonger indéfiniment une honteuse agonie. Parce que pendant ce temps, tout cet argent taxé ne servira qu'à pousser d'autres entreprises ou secteur à les rejoindre au cimetière. Mais en France, c'est visiblement la dernière expertise qui nous restera.

jeudi 13 janvier 2011

Des contrats longs pour lutter contre la volatilité des produits agricoles

Il y a encore quelques mois, les médias s'intéressaient beaucoup à la condition des producteurs de lait, qui voyaient le cours du lait baisser dramatiquement. Subissant la pression des acheteurs, ils n'arrivaient plus à assumer leurs investissements. Les producteurs de lait avaient notamment alerté le Président de la République en direct à la télévision sur leur sort, et monté une opération spectaculaire dans les rayons d'un supermarché pour pointer du doigt les entreprises qui achetaient du lait à de mauvaises conditions. Deux ans auparavant, on semblait pourtant manquer de lait, et les journaux mettait l'accent sur la hausse prévisible du prix des yaourts. Actuellement encore, on s'alarme de la hausse du prix du blé, à la faveur de la reprise de la demande dans les pays en voie de développement. La hausse du prix de la baguette est un thème sensible chez nous, et d'une manière générale les fluctuations du prix des matières premières est handicapant pour tout le monde.

Car personne n'est jamais satisfait de ce système. Lorsque les prix baissent, les agriculteurs trinquent. Quand les prix augmentent, ce sont les consommateurs qui doivent payer l'addition. Les industriels qui les transforment se plaignent des prix dictés férocement par la grande distribution, et insuffisamment répercutés. Il y aurait d'ailleurs bien des choses à dire sur ce secteur. Mais au-delà, cette volatilité est-elle forcément une fatalité ? Celle-ci est amplifiée du fait de la "financiarisation" des matières premières, puisque certains intervenants sur les marchés agricoles ne sont pas du milieu, et interviennent pour spéculer sur la hausse ou la baisse à la faveur d'événements climatiques ou politiques, ce qui amplifie ces variations. Dans ce cas, la bonne idée serait de ne pas passer par cette étape.

Pour de nombreux produits transformés, la demande finale reste quand même assez stable, elle ne variera pas brusquement d'un mois à l'autre sur des marchés matures. En France, les acheteurs de baguette, de pâtes et de yaourts ne changent pas d'habitudes de consommation facilement. Alors, pour les industriels qui doivent acheter leurs matières premières au coup par coup sur les marchés, préférer des contrats d'approvisionnement longs (sur un grand nombre d'années) et stables (à un prix fixe convenu à l'avance) serait préférable pour tout le monde. L'industriel n'aurait plus à se couvrir contre une hausse des matières premières, l'agriculteur ou l'éleveur pourrait également respirer en sachant son revenu prévisible, et le consommateur bénéficierait d'une stabilité des prix qui ferait diminuer l'inflation globale.

Bien sûr, cette bonne idée est déjà en place dans certaines entreprises, par exemple pour certaines marques de légumes en conserve. Mais elle pourrait être généralisée à d'autres, comme les meuniers. Pourquoi le prix de la baguette devrait forcément augmenter si la Chine demande davantage de blé, quand la France (ou l'Union Européenne) en produit largement assez pour sa consommation ? Des contrats longs d'approvisionnement pourrait être la solution dans de nombreux cas à la volatilité des marchés de produits agricoles.

Ensuite, il y a une étape supplémentaire possible. Celle de l'intégration verticale, avec de vrais liens entre producteurs et transformateurs. Quand les producteurs de lait s'insurgeaient contre des industriels achetant le lait à des conditions scandaleuses, ils ont mis à l'index Lactalis ou Bongrain, mais pas les produits de Sodiaal. Et pour cause : Sodiaal, qui vend notamment ses produits sous les marques Yoplait ou Candia, est en fait une émanation de coopératives laitières. Les producteurs de lait qui fournissent la matière première ont donc forcément leur mot à dire dans la politique d'approvisionnement. Ces marques ont parfaitement trouvé leurs places sur leur marché, une partie du lait est même exporté, et les marques sont opérées sous franchise à l'étranger (Yoplait est par exemple présent aux Etats-Unis). Il est donc tout à fait possible de rencontrer le succès sans s'appuyer sur ses fournisseurs de façon erratique. Alors que le secteur agricole est en grande partie dans le désarroi depuis des décennies, il reste donc une voie séduisante pour sortir de ces situations par le haut.

dimanche 9 janvier 2011

La bourse, le meilleur des placements ?

En matière de gestion de patrimoine, un adage couramment répété est que la bourse peut être risquée et très volatile à court terme, mais qu'elle restera le placement aux meilleures performances à long terme. Le secret de la réussite serait alors de garder ses valeurs en portefeuille suffisamment longtemps, un laps de temps elles varieront beaucoup, subiront parfois des chutes importantes, mais qu'au final le gain restera tout de même notable. Mais il faudrait savoir dans ce cas quel est exactement le long terme dont il est question. Car lorsque l'on observe avec recul les performances passées de la bourse, c'est une autre histoire qui se joue.

A la dernière clôture enregistrée à la bourse de Paris, le CAC 40 était ainsi de 3865 points. C'est d'ores et déjà moins qu'il y a un an, où il était à 4045 points. Et en regardant plus loin, on s'aperçoit que sur les deux dernières décennies, l'indice phare de la place de Paris a monté et baissé de façon importante, pour toujours se retrouver dans les mêmes eaux où l'on se trouve actuellement. Pour s'en convaincre, quelques exemples : le 30 mars 1998, le CAC 40 arrivait à 3875 points pour la première fois. En presque 13 ans, le CAC 40 a donc... perdu 10 points. Si l'on s'en tient au 13 années pile, le 7 janvier 1998, on était à 2954 points, ce qui représente donc une croissance moyenne annuelle de 2,05 %. En comparant avec un investissement sans risque, le livret A, on se rend compte que celui-ci à l'avantage, avec un taux annuel moyen tournant autour des 2,7 % sur la même période.

Et le CAC 40 a tellement oscillé sur la dernière décennie que la plupart des comparaisons lui sont défavorables. Il y a 10 ans pile, le CAC 40, en pleine bulle de la "nouvelle économie", était à 5539 points (le plus haut sera de 6922 en septembre 2000). Nous sommes évidemment dans le rouge en comparaison. En fait, par rapport à chaque point de repère depuis début 1997, la performance actuelle sera soit en retrait, soit faible par rapport au temps passé. Le CAC 40 tournait autour des 2400 points en janvier 1997, il y est retourné à deux occasions, d'abord en mars 2003, puis plus récemment en mars 2009. Lorsqu'il a dépassé les 6000 points, c'était à chaque fois annonciateur de chute imminente. La fourchette reste donc la même. Où est la croissance durable à long terme ? 13 ou 14 ans ne suffisent pas ?

Ce n'est donc pas la durée le problème. Bien sûr, il faudrait aussi tenir compte du niveau des dividendes pour juger au mieux de l'argent généré par un placement en actions. Mais en finance, une action qui s'apprécie mais ne verse pas de dividende pourra être considérée comme rentable quand même. Et vue les variations extrêmes de celles-ci, et le caractère incertain du niveau de dividende, celui-ci apparaît un peu comme le parent pauvre de la valorisation. Et surtout, lorsque l'on juge de la performance d'un placement, on actualise ses revenus en fonction non seulement du temps, mais aussi du risque pris. Alors si les actions sont moins ou autant performantes qu'un placement sans risque, cela ne vaut plus le coup du tout.

Apparaît alors une autre réalité : dans bien des cas, la vraie façon de gagner en bourse est d'être actif, ce qui veut dire observer attentivement des arbitrages à faire dans le portefeuille pour tenter de surperformer le marché (ou en tout cas gagner davantage que ce que l'indice de référence le laisserait supposer). Ce qui veut tout bêtement dire spéculer à la hausse ou à la baisse... On comprend mieux dans ce cas l'importance prise dans les salles de marchés de produits financiers complexes, ou de méthodes de trading sophistiquées.

Quoi qu'il en soit, la conclusion est donc l'inverse que le présupposé initial. La bourse n'est pas forcément le meilleur des placements à long terme, le risque pris n'en vaut pas la chandelle à long terme, et les actions sont avant tout un moyen de parier son argent sur des durées plus courtes. Les entreprises ont pourtant besoin de financements et d'investisseurs. Les variations erratiques de ces cours de bourse sont par ailleurs en bonne partie plus le résultat de ces mouvements brusques de capitaux sur les différentes actions que de transformations majeures de chacune de ces entreprises à chaque année. Les cours évoluent plus vites que les situations des entreprises, quelque soit le sens. Au bout du compte, les entreprises et les investisseurs à long terme ne peuvent que regretter cette démence financière, et le fait que la variation de la valeur de l'action prenne le pas sur le dividende, le revenu normal d'un investissement dans une entreprise.

mardi 4 janvier 2011

Le sandwich hollandais de Google

Le sénateur Philippe Marini a fait voter une loi taxant l'achat de publicités en ligne, une façon pour lui de trouver un moyen de ponctionner les sites web qui opèrent en France mais sont basés à l'étranger, et échappent ainsi à l'impôt français. Cet impôt supplémentaire fut rapidement affublé du sobriquet "taxe Google", en référence au leader de la recherche sur internet et de la publicité en ligne (entre autres), dont le centre de profit est en effet basé en Irlande. Avec un taux d'impôt sur les sociétés de 12,5 %, l'Irlande est en effet un pays bien plus attractif pour les entreprises étrangères souhaitant s'implanter en Europe que la France, où ce taux est de 33 %. La loi en question semble bien difficile à appliquer, et suscite les protestations du monde de l'internet. Mais si ça peut consoler Philippe Marini, le dumping fiscal de l'Irlande ne lui rapporte pas beaucoup en taxes sur ce coup là. C'est ce qu'a découvert l'agence Bloomberg en octobre dernier, en révélant que par un montage financier, Google ne payait que 2,4 % d'impôts sur la quasi-totalité des bénéfices réalisés en dehors des Etats-Unis. Le mécanisme en question arbore la pittoresque appellation de "sandwich hollandais".

Bien que complexe, Bloomberg l'explique assez bien sur le site de Business Week. La maison mère américaine créé une société irlandaise, Google Ireland Holdings, puis celle-ci en crée une autre, Google Ireland Ltd. Cette dernière est le centre d'activité, qui engrange le chiffre d'affaires en commercialisant les mots clés, et réalise donc les profits. Sauf que pour éviter l'imposition irlandaise, bien que réduite, Holdings fait payer un coût énorme à Ltd pour le droit d'utiliser la technologie Google, un artifice qui fait passer les bénéfices pour des frais, et donc non taxable. L'artifice en question est encore plus détaxé en faisant passer ce flux d'argent via une troisième société, basée cette fois-ci aux Pays-Bas, Google Netherland Holdings BV, qui n'a aucun employé. La clé de l'affaire, celle qui permet à Google Ireland Holdings de ne pas payer d'impôt, est d'affirmer que celle-ci a en fait son management (en l'occurrence, trois hommes de pailles d'un cabinet de juristes) basé à l'étranger... comme par hasard dans un paradis fiscal, les Bermudes.

Aux Etats-Unis, les comptes sont consolidés en ne prenant en compte que les impôts effectivement payés. Dans le sandwich hollandais, les deux tranches de pain sont les deux sociétés irlandaises, et se trouve au milieu la société fantôme hollandaise. Ce mécanisme aurait permis à Google de ne pas payer 3,1 milliards de dollars d'impôts sur les trois dernières années. Et bien sûr, de nombreuses autres entreprises américaines de haute technologie emploieraient un procédé analogue.

Ce n'est pas de la fraude, c'est légal. De tels grands groupes ont les moyens de faire appel à des bataillons d'avocats fiscalistes qui trouveront bien des vides juridiques pour ne pas payer des sommes importantes. C'est légal, mais c'est tout à fait immoral. L'impôt sur les sociétés est une façon pour chaque entreprise de contribuer à la société en payant sa part. Les simples particuliers, eux, pourront à raison s'estimer lésé en voyant qu'ils sont en fin de compte les seuls à payer. Lorsqu'on parle de moralisation du capitalisme, on est en plein dans le sujet avec cet exemple. Ceux qui prennent ce genre de décisions contourne l'esprit de la loi, le savent, et s'en félicitent. Comment s'étonner après des réactions hostiles que ce type de comportements engendrent ?

L'Irlande a beau défendre son bas taux d'impôts sur les sociétés pour préserver sa compétitivité, elle restera quand même battue par rapport à d'autres. Elle ne peut accepter de voir de telles sommes disparaître, surtout lorsqu'elle est dans un si piètre état financier. Elle a deux choses à faire. D'une part, faire en sorte que toute entreprise irlandaise y paye ses impôts, où que se trouve son management effectif. D'autre part, il faut remettre la question des paradis fiscaux sur la table, et c'est indispensable pour qu'il n'y ait pas par la suite d'entreprises qui serait taxée aux Bermudes en ayant son management en Europe. Les paradis fiscaux sont toujours de micro-États qui vivent du parasitisme sur le dos du reste du monde. On peut s'en passer. La solution radicale serait donc d'empêcher les transactions entre sociétés opérants en Europe, en Amérique, etc. et celles faussement basées dans ces paradis fiscaux. Quitte à tout couper.
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