Réflexions en cours

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vendredi 29 juin 2007

Quelle politique fiscale ?

Quelques jours après la formation du gouvernement, le nouveau ministre du budget (ou plutôt des "comptes publics") Eric Woerth s'est retrouvé dans une situation délicate. Il avait en effet annoncé que l'une des mesures annoncées par le candidat Nicolas Sarkozy, la déduction fiscale des intérêts des emprunts immobiliers ne serait effective que pour les achats de biens effectués depuis l'élection du nouveau Président. Cela entrait en contradiction avec le programme que ce dernier avait développé pour se faire élire, et dans la mesure où celui-ci compte tenir toutes ses promesses, son ministre a été désavoué. D'une manière générale, les différents ministres du gouvernement doivent accomplir les engagements du Président de la République, et la politique fiscale à mettre en place en représente une bonne partie. On peut s'interroger sur la politique fiscale la plus pertinente à mettre en oeuvre, mais le thème est extrêmement vaste, et peut s'assimiler à la question "quelle politique appliquer ?". Plutôt que de se laisser dépasser par l'ampleur de la question, on peut déjà commencer par examiner certains points.

La déduction des intérêts des emprunts immobiliers de la déclaration de revenus a été critiquée par certains économistes sur le fait que cette mesure augmenterait la demande immobilière, et favoriserait ainsi l'augmentation des prix des biens mis en vente. Cela peut paraître paradoxal : cela voudrait dire que pour faire baisser les prix et rendre les biens immobiliers accessibles à un plus grand nombre, il faudrait durcir les conditions du crédit. En poussant ce raisonnement à l'extrême, cela voudrait dire qu'il faudrait se réjouir de voir l'immobilier à un très faible prix alors que les conditions de paiement en serait très difficile. Pourtant, si l'on suit la théorie de l'offre et de la demande, une augmentation des prix immobiliers pousse à la construction de logements pour profiter des opportunités créées. Toujours est-il qu'à l'heure actuelle les prix sont déjà élevés, et cela a des répercussions sur les ménages qui peuvent difficilement devenir propriétaire. Ils doivent pour cela s'endetter fortement sur de très longues durées. Cette pénurie immobilière a aussi des conséquences pour les locataires, qui ont parfois des difficultés à trouver des appartements à louer, pour des loyers évidemment toujours plus élevés. Dès lors, la non imposition des montants déboursés pour les intérêts des emprunts réalisés pour acheter un logement principal ne peut qu'être une bouffée d'oxygène bienvenue. Celle-ci n'est bien sûr pas suffisante, et doit être accompagnée d'une véritable politique de construction de logements, comme l'avait engagée Jean-Louis Borloo au quinquennat précédent.

La question de l'impôt sur la fortune se pose depuis longtemps pour la droite. Certains effets néfastes lui sont attribués, comme la fuite de personnes dont le seul tort aura été de réussir dans la vie. Mais sa suppression par Jacques Chirac pendant la cohabitation de 1986 à 1988 avait été impopulaire, et il apparaît difficile de revenir dessus. Pourtant il touche de plus en plus de personnes, non pas que le nombre de gens réellement fortunés ait vraiment augmenté, mais avec l'envolée des prix immobiliers certains propriétaires y deviennent assujettis du jour au lendemain. L'exemple des familles modestes habitant l'île de Ré depuis des décennies qui se retrouvent confrontées au fisc pour ne pas avoir versé l'impôt correspondant à leur fortune virtuelle en cas de revente. Car il s'agit d'un impôt sur la valeur, où chacun doit prendre conscience que son logement vaut davantage que le prix qu'il a acheté, et doit alors se déclarer fortuné au Trésor Public. Il est déjà étonnant que cet impôt soit sur le patrimoine et non sur les revenus qu'il procure. Un possession peut avoir de la valeur, mais ne pas dégager le moindre revenu. Dans une telle situation, l'imposé est justement condamné à être de moins en moins riche. Le fait que ce soit la valeur de marché qui soit prise en compte est également troublant : il serait plus juste que l'estimation se fasse sur la valeur d'achat plutôt que sur une valeur qui peut n'apparaître que comme virtuelle. Malgré les inconvénients de cet impôt, Nicolas Sarkozy n'a pas souhaité y mettre fin. Il préfère que le bouclier fiscal soit rabaissé, c'est-à-dire que personne ne paie plus d'impôts que la moitié de ses revenus. La non prise en compte du domicile principal dans le calcul du patrimoine est également une possibilité d'évolution avancée.

Un autre sujet qui a fait polémique dernièrement est celui de la TVA sociale, jettée en pature dans l'entre deux tours des législatives. Le débat qui a suivi fût caricatural, alors que la question méritait d'être étudiée. L'idée est de faire basculer le coût des charges sociales du travail à la consommation. En théorie, les économies réalisées par les entreprises françaises sur les frais de productions leur permettent de prendre en charge le surcoût de TVA qui apparaîtrait. Au niveau des prix, le résultat serait ainsi neutre pour les consommateurs... pour les produits fabriqués en France. Les importations ont souvent déjà de faibles coûts du travail, et l'augmentation de la TVA serait alors une vraie charge supplémentaire. Néanmoins, les différentiels de prix sont tels que la variation ne doit pas être exagérée. La mesure redonnerait un léger avantage à l'industrie française, dans la mesure où celle-ci est actuellement fortement désavantagée dans la compétition internationale par ses forts coûts du travail. Et elle n'aurait certainement pas comme conséquence une baisse de cinq points de pouvoir d'achat, contrairement à ce qu'a affirmé une gauche aux abois pendant les législatives.

Enfin, le plus grand fer de lance de la politique fiscale de Nicolas Sarkozy est certainement la défiscalisation des revenus issus des heures supplémentaires, pour l'employé comme pour l'employeur. C'est la traduction en mesure concrète du slogan "Travailler plus pour gagner plus". Après des années où la réduction du temps de travail passait comme le paradigme de la marche vers le bonheur du travailleur considéré comme malheureux, ce changement de philosophie étonne. Evidemment, tous n'ont pas la possibilité de faire des heures supplémentaires. Mais lorsque la gauche dénonce le fait que le recours aux heures supplémentaires empêche des embauches, elle oublie le fait que c'est le travail qui crée la richesse, que celle-ci n'est pas un simple gateau à partager, mais qu'il est aussi possible de le faire grandir. En l'occurrence, cette mesure fiscale vise à favoriser le pouvoir d'achat des travailleurs sans se contempter d'une augmentation artificielle des minimums contrôlés par l'Etat, qui favorise l'inflation plus qu'elle n'est censée la rattrapper.

lundi 25 juin 2007

Les logiciels libres

Le poids de Microsoft dans le marché de l'informatique a aujourd'hui atteint un point terrifiant. Le succès de son système d'exploitation Windows et de sa suite de bureautique Office lui font des rentes colossales qui donnent à Microsoft une trésorerie inimaginable pour se lancer sur n'importe quel marché, et le conquérir à l'usure, pouvant supporter des pertes pendant de longues années, et n'hésitant pas à racheter les concurrents mieux implanter pour arriver à ses fins. Le marché des portails internet, des logiciels pour mobiles, des consoles de jeux vidéo ou les applications de messagerie instantané sont autant d'exemples de marchés attaqués de façon agressive. Le monopole de fait qu'a Microsoft sur plusieurs marchés lui donne les moyens de se créer de nouveaux monopoles dans d'autres. En théorie, les autorités de la concurrence sont censées empêcher cela. Mais aux Etats-Unis, la puissance de lobbying déployée par Microsoft a permis de noyer l'affaire. Et en Union Européenne, des poursuites ont été engagées, mais elles durent depuis si longtemps qu'elles n'ont plus de lien avec les enjeux actuels, et semblent bien peu efficaces vis-à-vis de l'armée d'avocats de l'entreprise de Seattle. Alors que le Commissariat à la concurrence intérieure est toujours paranoïaque envers de nombreux cas de concurrence perçue comme insuffisante, dans ce cas là, le plus grave, l'action se révèle être un échec complet.

Plutôt que de compter dessus, il vaut mieux se pencher sur la possibilité de créer une alternative aux produits de l'empire Microsoft. Quitte à se lancer dans la construction de champions nationaux, ou d'aider les petites entreprises qui essayent de s'attaquer à ce monopole. L'une des mesures proposées par Ségolène Royal dans son pacte présidentiel était de privilégier l'utilisation de logiciels libres dans les administrations. C'est en effet une bonne idée. Le fait qu'ils soient développés dans une grande mesure par des volontaires, ce qui diminue évidemment les frais de développement. Par ce biais, le nombre de développeurs est important, et la fiabilité de ces logiciels est éprouvée. Des entreprises peuvent se charger de commercialiser ces logiciels, ou d'en faire les finitions. Ce peut être un fer de lance intéressant pour créer une alternative. Ce qui peut favoriser une vraie compétition avec Microsoft est souhaitable, tant pour l'amélioration de la qualité des logiciels, que pour se sortir du contrôle omnipotent d'une seule entreprise. Ce doit donc être encouragé par l'action publique dans le cadre de la politique industrielle. C'est dans une certaine mesure le cas en France, puisqu'un pôle de compétitivité dans le domaine des logiciels libres a été créé en Ile-de-France, sous le nom d'Ouverture. Dans l'absolu, le but serait de créer toute une gamme de logiciels pouvant remplacer ceux de Microsoft. Mais pour faciliter leur adoption, l'idéal serait que la conversion entre les logiciels Microsoft se fasse très facilement. Il ne doit pas être difficile de faire des logiciels "génériques" pouvant prendre en charge les fichiers .doc ou .xls par exemple, se prenant en main de la même façon et ayant les mêmes effets.

Actuellement, les logiciels libres sont très performants, qu'il s'agisse de système d'exploitation, de suite bureautique ou de retouche d'image. Le navigateur Firefox commence même a être beaucoup utilisé. Mais pour qu'il y ait de vrais concurrents à Microsoft, il faudra que la base d'utilisateurs croisse de façon substantielle. Cela suppose donc de s'adapter aux besoins des utilisateurs, et donc qu'il y ait une compatibilité entre les logiciels libres et ceux issus de Microsoft. Au bout du compte, si l'on bénéficie des faibles prix et de la facilité de conversion, il peut être possible de créer des micro-ordinateurs de premiers prix, assurant largement la plupart des fonctions demandées par les consommateurs. Et ce d'autant plus que l'accroissement du nombre de fonctions et de capacités demandées à un ordinateur est moins important, vu le point où l'on en est arrivé. Cela peut populariser les logiciels libres, en même temps que de diminuer le coût représenté par le monopole Microsoft. De plus, cela peut créer de nouveaux emplois, et favoriser la croissance d'une branche industrielle. Autant de raisons qui poussent à l'encouragement dans ce domaine.

vendredi 15 juin 2007

Le marché des droits à polluer

Depuis le 1er janvier 2005, un système de droits à polluer a été lancé en Europe. Chaque pays distribue des autorisations d'émissions de CO2 à l'industrie et aux producteurs d'électricité. Le mécanisme est censé les pousser à investir dans des procédés visant à réduire ces émissions, dans la mesure où s'ils n'utilisent pas tous leurs droits, ils peuvent les revendre dans une bourse d'échanges spéciale, et s'ils dépassent les autorisations reçues, ils doivent en racheter dans ce marché des droits à polluer. Le but est donc de faire jouer les mécanismes de l'offre et de la demande pour favoriser une baisse des émissions de CO2. D'une année à l'autre, les émissions sont censées diminuer, devant normalement rendre plus rares ces droits à polluer, et donc les rendre plus chers. La motivation grandit alors pour les entreprises de faire en sorte d'émettre moins de CO2. Avec la ratification du traité de Kyoto, l'ensemble des pays européens s'est engagé à diminuer de façon significatives ses émissions. Ce procédé est censé représenter la solution, vu qu'il concernerait la moitié environ des émetteurs de gaz carbonique.

Pourtant, cela ne fonctionne pas comme prévu. En effet, les droits distribués ont notablement dépassé les émissions constatées en 2005 et en 2006, et comme l'offre de droits à polluer dépassait la demande, leur cour s'est effondré, passant d'une vingtaine d'euros à ses débuts à un euro environ aujourd'hui. A ce prix là, aucune entreprise ne voit d'intérêt à investir pour réduire le niveau de ses émissions. Une explication est le fait que des hivers doux ont favorisé une baisse de la consommation d'électricité, et donc une moindre production à partir d'énergies fossiles, pour les pays qui dépendent largement de centrales thermiques. Une autre, plus convaincante, est que les gouvernements n'ont tout simplement pas voulu poser de problèmes aux industriels qui voyaient d'un mauvais oeil cette nouvelle source de dépenses. Les industriels français ont par exemple annoncé que s'il leur manquait des droits à polluer, ils n'en achèteraient pas à la bourse vu le coût trop élevé que ça représenterait. Cela se traduirait alors par une baisse de l'activité, tout simplement. Ils mettent également en avant que le plus simple moyen de respecter ces engagements est de fermer les usines dans l'Union Européenne pour les entreprises qui travaillent dans un milieu concurrentiel mondialisé (à l'inverse par exemple des cimentiers, qui sont tenus de rester physiquement proche des débouchés), pour les rouvrir dans des pays n'ayant aucune politique en matière d'environnement, où les coûts sont donc plus faibles.

Bref, les résultats ne sont pas probants, et d'une manière générale on peut s'interroger sur l'opportunité de confier au marché l'enjeu de l'environnement. Ne serait-ce que l'idée de vendre des droits à causer du tort laisse un goût amer, rappelant fortement le commerce des indulgences par l'Eglise en son temps : l'argent viendrait à bout de tous les torts. Les mérites de la main invisible en la matière restent à prouver. L'effet du mécanisme est tout simplement de renchérir l'émission de CO2, ce qui est à peu près l'effet d'une taxe, mais sans les revenus inhérents pour les gouvernements ou la Commission Européenne. La différence est que la vente de droits excédentaires est censé pousser les industriels à diminuer plus que prévu leurs émissions, pour pouvoir être récompensés en conséquence, tout cela, sans qu'il n'y ait de nouvelles administrations publiques pour s'occupper de cela.

Quoi qu'il en soit, on ne peut douter que dans une concurrence mondialisé, les entreprises soient peu enclines à faire face à de nouvelles charges qui ne se transforment pas en un avantage pour elles, et que certains de leurs concurrents ne connaissent pas. Alors qu'on parle de désindustrialisation des pays développés, la question pose problème. Surtout que si les émissions provenant de l'industrie et de la production d'énergie ont tendances à baisser en Europe, celles venant des transports augmentent fortement. Or les transports représentent déjà un quart des émissions européennes, ils ne sont pas soumis à ce mécanisme alors qu'eux ne subissent pas le même degré de concurrence : pour eux, la notion de marché intérieur a encore un sens. Enfin, on peut se demander sur le degré d'efficacité de telles mesures pour la planète alors que certains pays en développement (comme la Chine) sont bien loin de ces problématiques, quand leurs émissions sont considérables et en constante augmentation. L'idéal serait évidemment que le monde entier soit en concurrence sur les mêmes bases, et ne pas récompenser ceux qui se montrent les plus insouciants. Dans un étonnant reversement des rôles, voire dans un moment d'honnêteté cynique, Pékin s'est même permis de faire valoir le statut particulier de son industrie "qui permet aux pays riches d'importer en masse des produits bon marché en délocalisant leurs activités polluantes". Elle refuse donc de souscrire au Traité de Kyoto, et rejette les objections des pays développés en montrant leur prétendue hypocrisie. Hypocrisie que la Chine partage bien elle-même : si elle ne représentait pas un eldorado de la possibilité de produire de façon polluante à bas prix, les entreprises seraient moins tentés de faire face aux réglementations sur la pollution par la fuite que représente la délocalisation.
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