Réflexions en cours

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samedi 28 avril 2007

Le coût d'un brevet

La plupart des candidats à l'élection présidentielle étaient moins d'accord sur un point : l'importance de la recherche pour faire repartir la croissance. Certes, l'effet ne sera pas immédiat : ce sont surtout les innovations qui permettent de créer de nouvelles activités ou de gagner en productivité, et pour les obtenir il faut passer par un long travail qui ne porte ses fruits qu'au bout de plusieurs années la plupart du temps. Mieux financer les universités ou les grands organismes permet d'investir de façon plus importante dans la recherche fondamentale, dont les retombées technologiques sont incertaines, et surtout relèvent d'une vision du long terme. Etant donné qu'on paie aujourd'hui le manque de cette vision lors des années précédentes, la moindre des choses est donc de ne pas répéter les mêmes erreurs, et faire en sorte que la France investisse de façon importante dans la recherche. Cela ne relève pas que du seul secteur public, car si les universités doivent bien être mieux financées, les entreprises ont aussi un rôle à jouer dans l'accroissement de l'effort de recherche et développement. Mais il y a un obstacle qui semble absurde dans l'implication des entreprises pour la découverte d'innovations. Non seulement la recherche en tant que telle apparait comme un poste de dépense d'autant plus douloureux que les résultats ne sont pas immédiats, mais lorsqu'une entreprise réalise une véritable innovation, de nouvelles difficultés apparaissent. Il faut avant tout la protéger : pour rentabiliser l'investissement en recherche fait, il faut que cela représente un avantage concurrentiel pendant une période suffisamment longue. L'Etat doit donc protéger l'innovateur en faisant en sorte qu'il soit le seul à pouvoir se servir de son innovation pendant une période donnée, et ainsi en cueillir les fruits, par son exploitation ou sa revente.

L'Etat doit donc organiser le dépôt et le respect des brevets, pour lier son rôle de gendarme de la concurrence et pour encourager l'innovation, nécessaire à la société. Or le dépôt et le maintien des brevets représente en eux-mêmes des investissements supplémentaires à réaliser alors que l'innovation est complète, se transformant parfois en des gouffres financiers qui encouragent bien peu le dépôt de l'innovation, en pariant sur le fait qu'elle sera peu copiée ou que les pertes liées à cette copie seront faibles, lorsque cela ne décourage pas simplement la recherche d'innovation. Si les frais de préparation sont compréhensibles (pour retranscrire l'innovation dans des termes qui la définissent correctement en cas de problème juridique, et pour qu'elle soit compréhensible d'un point de vue technique), les procédures de dépôt et de maintien sont l'occasion de se voir réclamer un grand nombre de taxes et frais divers réclamés par les organismes régissant cela. Si le brevet a vocation à protéger l'innovation dans plus d'un pays (ce qui est la moindre des choses, lorsque la concurrence est internationale), ces charges sont démultipliées, faisant monter le coût de la (longue) procédure à plusieurs dizaines de milliers d'euros par innovation. Car il est nécessaire alors de faire traduire le brevet dans les langues de tous les pays où l'on souhaite qu'il soit valide. Et cela même dans le cadre du brevet européen. S'il a le mérite d'exister, il reste extrèmement coûteux et fastidieux. Alors il faut imaginer une telle procédure à l'échelle des pays les plus importants au monde...

Autant dire que c'est rédhibitoire pour les petites entreprises, pour que le système soit efficace pour une firme il est souvent nécessaire qu'elle ait un département qui se consacre à la question. D'où une certaine exigence sur la taille de l'entreprise concernée, qui doit aussi avoir une politique d'innovation tellement cruciale qu'elle ne peut se résoudre à courir le risque de copie. C'est le cas du fabriquant d'ustensiles ménagers SEB par exemple, qui met en avant ses fermetures faciles de cocottes minute pour se démarquer de la concurrence étrangère à bas prix. Toujours est-il que cela décourage les très nombreuses petites entreprises de se lancer dans la recherche d'innovations. Alors que l'Etat souhaite relancer la recherche, un bon moyen serait de réduire de façon importante tous ces frais qu'il fait payer à celui qui souhaite faire protéger son innovation pour l'encourager dans sa démarche. De même, au niveau européen, la simplification du brevet européen ressemble à un serpent de mer qu'il serait opportun de faire aboutir. Car si ce n'est pas à l'Etat de s'occuper de toute la recherche, au moins doit-il faire en sorte de ne pas la décourager lorsqu'un organisme privé peut avoir l'envie de s'y lancer.

vendredi 13 avril 2007

Nourriture bio et commerce équitable

Dans leurs habitudes d'achats, les consommateurs influent sur les procédés de production des marchandises. Pour les produits provenant de l'agriculture, le fait est assez sensible. Alors que les agriculteurs européens sont souvent confrontés à des crises de surproduction, les agricultures des pays émergents ou de pays comme l'Argentine sont de plus en plus compétitives, et permettent de baisser les prix et de nourrir de plus en plus de personnes. Aujourd'hui, la difficulté n'est pas tant de produire suffisamment pour nourrir la population, que de vendre suffisamment cher la production pour pouvoir acheter d'autres choses que ce que l'agriculteur fait pousser lui même. Il n'y a bien qu'en Afrique noire que les famines sont toujours très présentes, mais elles sont la plupart du temps dues à des guerres plutôt qu'à de faibles rendements. Ailleurs, le monde est confronté à des maux qui peuvent sembler étonnant par rapport à des situations antérieures : surproduction et prix trop faibles. Ils sont évidemment liés. En cas de de réel développement des biocarburants, les surfaces occuppées par les cultures nécessaires pourraient limiter la production d'aliments, et amoindrir de fait le problème de la surproduction. Mais peut-être faut-il envisager la question sous l'angle du choix entre la quantité et la qualité ?

En l'occurrence, ces quantités produites résultent de gains de productivité issus de l'utilisation de machines, de meilleures semences, de meilleures gestion des terres, et surtout d'engrais et d'insecticides. Ces derniers éléments sont importants, et ont des inconvénients notables, rarement sur la santé des consommateur, mais surtout sur l'environnement. De tels produits chimiques sont en effet des facteurs polluants notables. Il y a donc un autre prix que celui financier à payer pour des récoltes aussi importantes. La logique de l'agriculture biologique est justement de cultiver les terres sans faire appel à des produits chimiques, accepter le fait que la récolte soit moins importante, plus chère à produire pour éviter d'endommager les sols. En conséquence, il faut que le consommateur soit prêt à payer in fine pour le surcouût représenté par ces pratiques respectueuses de l'environnement. Ce n'est clairement pas à la portée de tous, mais ceux qui sont sensibilisés à la question et souhaitent apporter leur modeste pierre à l'édifice peuvent contribuer en faisant ce choix de consommation. Après tout, la part des produits alimentaires est de plus en plus faible dans le budget des ménages, les niveaux de vie augmentant et les gens n'accroissent pas leur appétit d'autant pour autant. Certains parlent d'"éco-consommateurs", toujours est-il que le fait que le produit soit issu de l'agriculture biologique représente un argument de vente permet à l'écologie de contourner les lois de l'offre et de la demande, ou plutôt d'en profiter. La question est alors de sensibiliser suffisamment les consommateurs pour que critère devienne notable pour une grande partie d'entre eux. En faisant appel à leur esprit citoyen, les retombées écologiques du produit qu'ils achètent ont la même importance que le côté pratique de l'emballage par exemple. L'emballage peut d'ailleurs lui aussi être conçu pour avoir le moins de retombées possibles sur l'environnement et ainsi jouer sur les deux tableaux.

Une autre agriculture fait également appel à la conscience civique des consommateurs : le commerce équitable. En mettant des prix d'achat planchers pour les récoltes d'agriculteurs acculés à la pauvreté par la faiblesse des cours mondiaux des denrées, les entreprises qui vendent des produits issus du commerce équitable favorisent le développement de pays en voie de développement, et peuvent éventuellement garantir une certaine qualité à la production. On peut d'ailleurs imaginer une agriculture biologique vendue selon les principes du commerce équitable. Une fois encore, ce sera à la solidarité du consommateur qu'il sera fait appel, pour qu'il accepte de payer plus pour que le producteur vive sur des bases acceptables. Ainsi, le consommateur peut, en donnant plus d'importance à des critères sociaux ou environnementaux dans ses achats, inciter industriels et distributeurs à s'engager dans les directions qu'il souhaite, et de cette façon influer sur des pratiques qui ont de réelles retombées. La logique du marché est alors vertueuse pour le développement durable. Ces évolutions méritent d'être encouragées à vaste échelle : que ce soit au niveau de la Politique Agricole Commune ou à l'Organisation Mondiale du Commerce, ces pratiques doivent être différenciées des autres, et valorisées.

dimanche 1 avril 2007

Redevance et audiovisuel public

Le 26 mars dernier, les représentants des différents candidats à l'élection présidentielle s'étaient rendus à la Mutualité à l'invitation de la Fondation France Télévisions pour exposer leurs vues respectives sur l'audiovisuel public. Il est apparu que seuls deux candidats (ceux de l'UMP et du FN) s'opposaient à une augmentation de la redevance, les autres étant favorables à ce que cet impôt augmente. En France, la redevance finance non seulement France Télévisions, mais aussi Radio France et l'INA. Tous ceux qui possèdent un téléviseur y sont assujettis : ainsi, celui qui ne regardera pas du tout la télévision, ou jamais les chaînes publiques, devra s'en acquitter. De même, tous ceux qui possèdent un téléviseur finance le service radiophonique public, la probabilité qu'ils en soient auditeurs étant encore plus faible. Evidemment, à l'apparition des transistors, ce n'était plus possible de demander un impôt sur un appareil ridiculement petit. Mais les télévisions ont également beaucoup évolué, les chaînes sont d'ailleurs accessibles par le moindre ordinateur. Le fait qu'il y ait un impôt dédié aux chaînes publiques a surtout un contre-effet non négligeable : chacun se considère comme un actionnaire de France Télévisions, vu qu'il paye explicitement pour leurs programmes sans avoir le choix. Et donc chacun y va de son appréciation, et comme d'habitude, l'unanimité n'est pas de mise.

L'audiovisuel public est donc soumis à un vieux dilemme : qualité ou audience ? C'est une des raisons de la valse régulière des dirigeants de France Télévisions. Si un directeur de chaîne fait en sorte que les programmes soient populaires et très regardés, il sera invariablement accusé de faire la même chose que les chaînes privées et de sortir de son rôle de service public, pour lequel la redevance est payée. S'il veille à ce que ses programmes soient d'une qualité exemplaire, il se trouvera évidemment qu'ils n'interesseront pas autant de télespectateurs, or si les gens payent une redevance pour que personne n'en regarde le résultat, c'est que c'est de l'argent mal dépensé. Ainsi, l'audiovisuel public se retrouve structurellement mis en accusation. En fait, les dirigeants de chaînes, les employés et les producteurs de programmes préfèrent eux que leurs financements proviennent surtout de la redevance, et font du lobbying pour cela (l'événement organisé à la Mutualité en étant un exemple). La pression de l'audience y est moins forte qu'avec les recettes publicitaires, où il y a des comptes à rendre aux annonceurs. Surtout, sous couvert de faire des programmes de qualités, cela leur permet de laisser libre cours à leur créativité sans parfois se soucier du télespectateur, ce qui donne des programmes un peu élitistes. Il faut évidemment qu'il y ait un choix de haut niveau disponible pour le télespectateur. France 5 et Arte jouent très bien ce rôle. Mais ces chaînes en illustrent aussi les limites, vu leurs audiences bien plus limitées que celles des autres chaînes hertziennes. Par rapport à TF1 ou M6, la redevance permet déjà qu'il y ait un peu moins de publicités sur France 2 et France 3, et que les programmes soient plus diversifiés, la recherche d'un public composé de ménagères de moins de 50 ans (cible préférée des annonceurs) étant moins forte dans le public. Il reste que la rentabilité de la grille des programmes (en terme de téléspectateurs/argent dépensé quelque soit sa provenance) est plus faible sur le public que sur le privé.

Alors les partisans d'une augmentation de la redevance avancent le fait qu'elle n'a pas augmenté depuis six ans, et surtout qu'elle est plus forte chez nos voisins européens. Elle est, il est vrai, bien plus élevée au Royaume-Uni par exemple. Mais sur les chaînes de télévision de la BBC, il n'y a pas du tout d'écrans de publicité. Et si ces chaînes sont très regardées, il faut sortir du cliché qui consisterait à dire que la BBC serait la meilleure télévision au monde. Outre manche, l'institution est elle aussi attaquée pour la qualité de ses programmes, et il faut savoir que même sur ces chaînes dites très réputées, une fois le "couvre feu" (watershed) pour les enfants de 22 heures passés, les programmes de la BBC peuvent surprendre par leur côté parfois trash.

L'augmentation de la redevance apparaît ainsi comme une solution de facilité. Du côté des radios, elle n'a pas empêché France Info de diffuser de plus en plus de publicités (pour des sociétés publiques) sans qu'on puisse vraiment dire que la grille des programmes soit plus coûteuse, étant inchangée depuis sa création. Surtout, une telle augmentation ne peut pas avoir d'effets positifs auprès de la satisfaction du public : il y aura toujours trop de publicités pour tout le monde (à moins que cette augmentation soit vraiment colossale pour supprimer les annonceurs), certains continueront de critiquer la qualité trop faible des programmes, d'autres continueront de se tourner vers les chaînes privées plus accueillantes et divertissantes. Ce n'est donc pas vraiment une bonne idée que de vouloir augmenter la redevance, en faisant de chaque propriétaire de téléviseur un abonné obligatoire aux chaînes publiques, elle ne peut faire que des mécontents.

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