En mars dernier, le site d'actualité LeMonde.fr publie une vidéo intitulée La parabole des Tuileries, censée nous expliquer en quoi les "mécanismes économiques à l'œuvre dans le champ culturel se distinguent des règles courantes" et comment l'intervention publique dans la culture favorise la croissance. La voici :


C'est avec ce genre de propos que l'on peut définitivement se convaincre que l'économie est loin d'être une science. Cette vidéo n'a été conçue non pour présenter le résultat d'une démonstration, mais pour présenter une conviction, dont la démonstration est un échec. Reprenons : au début, on nous parle de l'utilité marginale décroissante des biens et des services. L'exemple de la limonade est pertinent, tout va bien. Cela se complique après. Avoir soif est quelque chose qui est arrivé à la plupart d'entre nous en plein août, mais qui peut dire que les situations suivantes se présentent aussi fréquemment ?

En l'occurrence, la vidéo affirme des choses qui n'ont rien d'établies. A force d'écouter Schubert, c'est comme pour tout, au bout d'un moment, on en a marre. Il n'y a pas d'utilité marginale croissante en matière de musique, ou même de culture. Ecouter un morceau de musique ne donne pas forcément davantage envie d'écouter le suivant qu'auparavant. Un tel mécanisme relèverait du produit addictif, et ce serait le modèle économique le plus rentable au monde (celui des drogues dures). Ce n'est pas le cas du domaine de la culture.

La plupart des gens n'auront pas acheté de CD au quatuor jouant en plein air, et la plupart des gens n'a pas découvert non plus Schubert à travers un cours de musique au collège. L'Etat n'est pas indispensable pour amorcer la découverte culturelle. La musique contemporaine, les films ou les jeux vidéos sont des produits considérés culturels qui se vendent et deviennent populaires sans que l'Etat n'ait besoin d'en faire la publicité directement.

Cette démonstration ratée se poursuit par une rencontre avec des touristes. La vidéo affirme "Vous êtes Français, et cela vous procure d'emblée un capital de sympathie gigantesque". Eh bien avec ce genre d'affirmations, on comprend mieux pourquoi les étrangers, les Français sont surtout connus pour leur arrogance. Si la France est un beau pays, le capital de sympathie pour les Français est loin d'être aussi élevés que cette vidéo semble le croire. On nous explique ensuite que c'est l'Etat qui nous a "offert" ce "prestige" à grands coups de subventions. Parmi les exemples de cette culture française dont on profite en indiquant le chemin aux touristes, apparaissent :
  • la cuisine française, qui repose sur l'activité de restaurants, entreprises privées
  • les vins, provenant d'exploitations viticoles, entreprises privées, peut-être subventionnés par la PAC actuellement, mais celle-ci est loin de relever d'une politique culturelle
  • la littérature "libertine", illustrée à travers les ouvrages du marquis de Sade. Les écrits de l'auteur n'ont pas été aidés de quelconques subventions, de la part de la puissance publique, ils lui ont plutôt valu de longues années de prison.
Au final, le lien entre subventions et attractivité de la France n'est pas prouvé, en dehors du simple entretien du patrimoine.

La vidéo poursuit "Auriez-vous fait tous ces achats si à deux pas de vous ne se trouvait pas un espace public qui valait qu'on s'y attarde ?" Pour commencer, le commun des mortels n'aurait pas fait tous ces achats, même en étant au jardin des Tuileries. Ensuite, pour les Parisiens, ce jardin est un parc et non un endroit de culture. Mais tout cela n'a qu'un seul but : nous assommer avec l'effet multiplicateur, mécanisme keynésien qui dit que tout argent injecté dans l'économie par l'Etat démultipliera les créations de richesses au fur et à mesure qu'il circulera. C'est l'idée favorite de tous les avocats de l'Etat Providence, mais qui dans la réalité, est loin d'être aussi systématique. Cet argent peut être épargné, mais également utilisé pour des importations, ce qui au final, sera d'une faible utilité pour l'économie local dans l'immédiat. Généralement, cela permet surtout tous les gaspillages d'argent public.

Pour finir, la dépense publique dans la culture ne peut être systématiquement qualifiée d'investissements. Mais c'est sûr, cela sonne mieux, et ne donne pas l'impression que cet argent est définitivement perdu. Plutôt qu'un cours d'économie, cette vidéo est bien évidemment une opération de communication qui ne satisfera que ceux qui étaient déjà convaincus que l'Etat devait mettre de l'argent dans la culture. Ce même raisonnement sert à subventionner tout et n'importe quoi, c'est d'ailleurs ce que fait l'Etat de nos jours, avec les résultats navrants que l'on sait. La réalisation de la vidéo a bénéficié de l'aide du "Forum d'Avignon", association visant à lier culture et économie, soutenue par le ministère de la culture. Il s'agit donc pour le ministère de défendre sa raison d'être et son budget. Cela tombe à l'eau...